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D’après Alternatives Economiques du 15 Février 2022

Tourner le dos aux énergies fossiles, un défi pour les banques

Par Bruno Bourgeon

jeudi 7 avril 2022, par JMT

Tourner le dos aux énergies fossiles, un défi pour les banques

Réflecteurs solaires

La Banque postale s’est attiré la lumière des projecteurs. A la mi-octobre, la filiale du groupe La Poste a annoncé qu’elle tirait un trait sur le pétrole et le gaz. Elle a cessé immédiatement de financer et d’investir dans les entreprises ayant des plans d’expansion dans ces secteurs, et en retirera tous ses investissements d’ici à 2030.

Les acteurs financiers nous ont habitués depuis plusieurs années à la multiplication des annonces d’engagements climatiques en grande pompe. Depuis 2015 et un discours de Mark Carney, alors gouverneur de la Banque centrale d’Angleterre, qui a fait date, le monde financier a en effet pris conscience de la dangerosité du réchauffement climatique pour ses activités (1).

Et donc de la nécessité de modifier ses pratiques pour y faire face. La plupart des stratégies sont pourtant peu ambitieuses, quand elles ne relèvent pas du greenwashing, à l’heure où les politiques écologiques sont devenues un argument marketing. Mais, c’est un fait assez inédit pour être souligné, la stratégie de La Banque postale a été saluée par les ONG écologistes Reclaim finance, Les amis de la Terre et Oxfam France.

Comment expliquer un tel enthousiasme ? L’ensemble des banques et des assureurs vise une sortie du secteur du charbon en 2030 pour l’OCDE et en 2040 pour le reste du monde, décrit le deuxième rapport de suivi des engagements climatiques des acteurs de la place financière de Paris, coécrit par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’Autorité des marchés financiers (AMF).

Pour les énergies fossiles non conventionnelles, catégorie qui rassemble aussi bien le gaz et le pétrole de schiste, les sables bitumineux que le pétrole extra-lourd, ainsi que le pétrole et le gaz offshore ultra-profond ou présent dans la zone de l’Arctique : en amont de la COP26 qui a eu lieu à l’automne 2021, six grandes banques françaises se sont par exemple engagées à ne plus financer « les entreprises dont la part d’hydrocarbures non conventionnels dans l’exploration et la production serait supérieure à 30% de leur activité ».

Alors que le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, avait demandé en 2020 aux acteurs financiers de la place de Paris de préparer des plans de sortie du secteur non conventionnel, cette annonce ne couvre que quelques catégories (pétrole et gaz de schiste ainsi que les sables bitumineux) et se concentre sur l’exploration et la production, sans exclure le financement d’oléoducs, gazoducs, etc. pour le transport. Surtout, plus largement, les politiques climatiques des acteurs financiers continuent d’ignorer l’éléphant dans la pièce, c’est-à-dire le pétrole et le gaz conventionnels (2), question à laquelle a choisi de s’attaquer La Banque postale.

Concrètement, l’institution s’interdit désormais d’accorder un financement à toute entreprise qui exploiterait de nouvelles réserves pétrolières ou gazières. Conformément à l’Agence Internationale de l’Energie, cette dernière a appelé au mois de mai à renoncer à tout nouveau projet d’exploration fossile pour espérer limiter le réchauffement à 1,5°C.

La Banque postale exclut en pratique la quasi-totalité des entreprises du secteur pétro-gazier étant donné que 96% prévoient d’exploiter de nouvelles réserves. Une entreprise qui souhaite obtenir un financement de La Banque postale devra également montrer qu’elle ne développe pas de « nouvel actif dans le secteur du pétrole et du gaz qui pourrait perdurer au-delà de 2030 » (un pipeline, une raffinerie pour produire à partir des réserves existantes…).

La Banque postale a le mérite de fixer des critères d’exclusion clairs, plutôt que des seuils relatifs [arrêter de financer une entreprise qui tire x% de ses revenus du pétrole ou du gaz, par exemple] qui laissent la porte ouverte au financement des géants pétro-gaziers diversifiés. Côté investissement, La Banque postale cesse aussi ses liens avec les entreprises qui ne respecteraient pas les conditions précédemment mentionnées et se laisse jusqu’à 2030 pour désinvestir.

Bémol : il n’a pour l’instant pas été fixé d’échéance intermédiaire pour les désinvestissements, et la nouvelle politique ne s’applique qu’aux activités bancaires du groupe La Banque postale, laissant de côté ses activités d’assurance et de gestion d’actifs pour compte de tiers (via les comptes d’assurance-vie, par exemple), conduite pour cette dernière par La Banque postale Asset Management, qui se donne jusqu’à fin 2022 pour définir sa politique d’engagement climatique.

En l’occurrence, c’est moins l’impact financier de la stratégie annoncée qui importe que l’effet d’entraînement qu’elle pourrait avoir sur le reste du monde financier. Dans la foulée des annonces de La Banque postale, l’Ircantec (une caisse de retraite complémentaire) a ainsi annoncé qu’elle désinvestirait du fossile conventionnel dès 2024. On citera également le Crédit mutuel, ou la Maif.

« Il est clair que toutes les entreprises pétro-gazières doivent cesser l’exploration. Mais au-delà de ces critères, comment identifier celles qui ont un plan de transition crédible ? C’est une question à trancher ». La Banque postale stipule en effet qu’elle pourra maintenir des relations avec les entreprises listées dans la Gogel, « dès lors qu’elles auront adopté une stratégie publique et crédible de sortie des secteurs du pétrole et du gaz avant 2040 », ce qui lui laisse une marge d’appréciation.

La transition écologique ne peut reposer exclusivement sur un volet dit « de l’offre », qui consiste à réduire rapidement les investissements dans les fossiles pour limiter notre capacité à en produire. Miser sur ce seul levier risque de se faire au prix de désorganisations importantes dans la société et de pressions inflationnistes, a récemment décrit Patrick Artus, économiste en chef chez Natixis.

Il semble donc indispensable de réduire en parallèle notre demande en énergie, grâce à des réglementations (sur le transport, l’isolation des logements...) ou à l’augmentation du prix du carbone.

Est-ce à dire que le secteur financier peut continuer sa routine habituelle ? Pas tout à fait, car si les banques en l’occurrence ne peuvent pas être l’alpha et l’oméga d’une politique de transition, elles ont quand même des marges de manœuvre pour mieux prendre leur part, ainsi qu’en témoignent les initiatives qui se détachent du reste du peloton.

(1) Le risque climatique peut créer un risque financier par trois canaux, rappelle l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran dans L’économie mondiale 2022 (La Découverte) : des risques physiques liés aux destructions d’actifs et aux dommages à indemniser après des catastrophes climatiques ; des risques de responsabilité liés aux actions en justice que les victimes du dérèglement climatique peuvent engager contre les responsables, parmi lesquels les financeurs des secteurs polluants ; des risques de transition liés à la perte de valeur des actifs carbonés et fossiles.
(2) Sur la base des données fournies par neuf groupes bancaires français, l’ACPR et l’AMF ont calculé les expositions suivantes au 31 décembre 2020 : 5 milliards d’euros pour le charbon, 19 milliards pour les hydrocarbures non conventionnels et 174 milliards pour les hydrocarbures conventionnels.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re
D’après Alternatives Economiques du 15 Février 2022 : https://www.alternatives-economiques.fr/tourner-aux-energies-fossiles-un-defi-banques/00102001

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