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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-050

Et si on nationalisait les grands groupes pétroliers

Par Jessica Corbett, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 27 avril 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Et si on nationalisait les grands groupes pétroliers

Le 12 avril 2022 par Jessica Corbett pour Common Dreams

Jessica Corbett est rédactrice pour Common Dreams.

Raffinerie de pétrole (Piqsels)

Selon l’économiste Robert Pollin, la nationalisation n’est pas une panacée, mais elle permettrait d’éliminer les obstacles que les grandes compagnies pétrolières mettent en travers de la voie du financement public des investissements dans les énergies propres. Dans le sillage d’un rapport des Nations unies qui, selon les activistes, montre la « vérité sombre et crue » de l’urgence climatique, un économiste de premier plan a mis en évidence vendredi une mesure qui, selon ses partisans, pourrait être incroyablement efficace pour lutter contre la crise mondiale : la nationalisation de l’industrie américaine des combustibles fossiles.

Écrivant pour The American Prospect, Robert Pollin, professeur d’économie et codirecteur de l’Institut de recherche en économie politique de l’Université du Massachusetts Amherst, mentionne le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et fait état des prix élevés du gaz exacerbés par la guerre de la Russie en Ukraine.

« Et si nous commencions enfin à prendre au sérieux les conclusions du GIEC » écrit Pollin : « il s’ensuit que pour stabiliser le climat, nous devons commencer à proposer des solutions beaucoup plus agressives que tout ce qui a été entrepris jusqu’à présent, tant aux États-Unis qu’au niveau mondial. Aux États-Unis, ces mesures devraient inclure au minimum la mise sur la table de l’idée de nationaliser l’industrie américaine des combustibles fossiles. »

Les communautés qui subissent le plus gros des dommages causés par le changement climatique affirment que l’industrie des combustibles fossiles privilégie depuis trop longtemps les profits au détriment du bien public (Illustration : Chris Burnett/The Guardian)

Affirmant que « au moins aux États-Unis, les compagnies pétrolières privées constituent le principal obstacle à la mise en œuvre réussie » d’un programme viable de stabilisation du climat, Pollin fait valoir que les géants des combustibles fossiles devraient cesser de gagner de l’argent en détruisant la planète, que la nationalisation ne serait pas une mesure sans précédent aux États-Unis et qu’elle pourrait contribuer à la mise en place d’infrastructures d’énergie propre au rythme que les scientifiques jugent nécessaire.

L’expert a proposé de commencer par « l’achat par le gouvernement fédéral d’une participation majoritaire dans au moins les trois principales sociétés pétrolières et gazières américaines, ExxonMobil, Chevron, et ConocoPhillips. » « Elles sont bien plus imposantes et plus puissantes que toutes les sociétés de charbon américaines réunies, mais aussi que toutes les petites sociétés pétrolières et gazières américaines, a-t-il écrit. Le coût pour le gouvernement de l’achat d’une participation majoritaire dans ces trois géants du pétrole serait d’environ 420 milliards de dollars aux cours actuels de la bourse. »

Soulignant que l’objectif des entreprises privées « est précisément de faire des profits en vendant du pétrole, du charbon et du gaz naturel, quelles qu’en soient les conséquences pour la planète et quelles que soient les couleurs sous lesquelles les entreprises souhaitent se présenter dans diverses campagnes de relations publiques brillantes et empreintes d’un flou artistique », Pollin affirme que « avec au moins ExxonMobil, Chevron et ConocoPhillips placées sous contrôle public, la suppression progressive et indispensable des combustibles fossiles en tant que source d’énergie pourrait se faire de manière méthodique. »

Stars and Stripes Oil (Ihor Kashurin/iStock, Wikimedia Commons)

Gérer la transition

« Le gouvernement pourrait déterminer les niveaux de production et les prix de l’énergie fossile afin de refléter tout à la fois les besoins des consommateurs et les exigences de la transition vers une énergie propre, a-t-il expliqué. Cette transition pourrait également être encadrée de sorte à soutenir au maximum les travailleurs et les communautés qui dépendent actuellement des entreprises de combustibles fossiles pour leur bien vivre. »

Pollin a souligné que certains membres du Congrès font pression en faveur d’une taxe sur les bénéfices exceptionnels des grandes compagnies pétrolières, qui se servent des diverses crises mondiales — depuis la guerre de la Russie contre l’Ukraine jusqu’à la pandémie de Covid-19 toujours en cours — pour escroquer à la pompe les travailleurs.

La proposition, écrit-il, soulève une question plus fondamentale : « Doit-on laisser les entreprises de combustibles fossiles faire des bénéfices en vendant des produits dont nous savons qu’ils détruisent la planète ? En tout logique, la réponse est non. Voilà exactement la raison pour laquelle la nationalisation tout au moins des plus grandes compagnies pétrolières américaines est la mesure la plus appropriée que nous puissions prendre désormais, compte tenu de l’urgence climatique. »

L’économiste a évoqué la longue histoire des nationalisations aux États-Unis, soulignant que « cela fait seulement 13 ans, au plus profond de la crise financière de 2007-2009 et de la Grande Récession, l’administration Obama a nationalisé deux des trois entreprises automobiles américaines. »

Robert Pollin en avril 2017. (Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0)

En plus de permettre au gouvernement d’affecter les bénéfices des entreprises nationalisées au financement d’une transition responsable vers les énergies renouvelables, Pollin a écrit : « Grâce à la nationalisation, les obstacles politiques que les entreprises de combustibles fossiles opposent actuellement aux investissements publics dans les énergies propres seraient éliminés. »

« La nationalisation n’est pas la panacée », a reconnu Pollin. Notant que les entreprises publiques contrôlent déjà environ 90 % des réserves mondiales de combustibles fossiles, il a mis en garde contre l’idée « qu’une telle mesure aux États-Unis créera des conditions favorables à la lutte contre le changement climatique, pas plus que la nationalisation ne l’a fait en Russie, en Arabie saoudite, en Chine ou en Iran », si il n’y a en même temps une administration qui se consacre à la lutte contre la crise mondiale.

Pollin est loin d’être isolé quand il préconise la nationalisation. Écrivant pour Jacobin le mois dernier, le fondateur du People’s Policy Project, Matt Bruenig, a soutenu qu’ « une industrie qu’il est absolument indispensable de soutenir à court terme et absolument indispensable d’éliminer à long terme est une industrie qui devrait absolument être gérée publiquement. »

« Les propriétaires et les investisseurs privés n’ont pas vocation à soutenir temporairement des industries en voie de disparition, ce qui signifie qu’ils s’efforceront soit d’empêcher l’industrie de mourir, ce qui est mauvais pour le climat, soit il refuseront temporairement de la soutenir, ce qui provoquera le chaos économique, écrit-il. Un propriétaire public est bien mieux placé pour accompagner un déclin qui soit géré de façon responsable ».

The next system project

Dans un article pour The New Republic publié au tout début de la pandémie, il y a quelques années, la journaliste spécialiste du climat Kate Aronoff — tout comme l’a fait Pollin vendredi — soulignait que la nationalisation « a une longue et fière tradition qui permet à l’Amérique de naviguer en temps de crise, que ce soit la Seconde Guerre mondiale ou le 11 septembre ».

Comme l’a rapporté Aronoff — qui a interviewé Mark Paul, économiste du New College of Florida — en mars 2020 : « D’une certaine manière, la nationalisation impliquerait simplement que le gouvernement corrige pour près d’un siècle de sa propre intervention sur le marché. Toutes sortes d’interventions gouvernementales mises dans la balance ont permis de continuer à injecter de l’argent dans les combustibles fossiles, et notamment les quelque 26 milliards de dollars de subventions étatiques et fédérales qui leur sont accordées chaque année. Une transition globale vers une économie à basse émission carbone permettrait de réorienter l’ensemble des signaux du marché vers les secteurs en croissance plutôt que vers les secteurs défaillants. Des millions de personnes pourraient ainsi travailler immédiatement à la rénovation des bâtiments existants pour les rendre plus efficaces sur le plan énergétique ou à la construction d’une flotte de véhicules électriques, par exemple, y compris dans les endroits qui pourraient sinon être les plus touchés par une crise et une récession des combustibles fossiles. Les énergies renouvelables ont également été durement touchées par le ralentissement dû à la Covid-19, notamment avec la fermeture d’usines en Chine. Par conséquent, a ajouté Paul, au delà des investissements directs du gouvernement dans les technologies vertes, de nouvelles directives politiques au niveau fédéral seraient primordiales pour donner aux investisseurs la garantie que les énergies renouvelables en valent la peine : par exemple, des mesures faciles à mettre en œuvre comme l’extension des crédits d’impôt pour les énergies renouvelables, dont la suppression progressive est prévue pour 2022 ».

Olúfẹ́mi O. Táíwò Département de philosophie (Source Berkley Center)

Si les écrits de Pollin, Bruenig et Aronoff portent exclusivement sur les États-Unis, des militants défendent des causes similaires dans le monde entier.

Dans un article d’opinion publié le 20 juin 2021 dans The Guardian, Johanna Bozuwa, co-directrice du programme "Climat & - Énergie" de Democracy Collaborative, et Olúfẹ́mi O. Táíwò, professeur de philosophie à l’université de Georgetown, s’en prennent à Royal Dutch Shell suite à une décision de justice historique, déclarant que « comme toute compagnie pétrolière privée, Shell ne devrait pas exister ».

« Des gouvernements comme celui des Pays-Bas pourraient mieux respecter leurs mandats de réduction des émissions s’ils détenaient le contrôle des compagnies pétrolières elles-mêmes, ajoutent le duo. Il est grand temps de nationaliser Big Oil »

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