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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-053

Madeleine Albright était une ambassadrice tueuse

Par Liza Featherstone, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 4 mai 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Madeleine Albright était une ambassadrice tueuse

Le 24 Mars 2022 par Liza Featherstone

Liza Featherstone est chroniqueuse pour Jacobin, journaliste indépendante et autrice de Selling Women Short : The Landmark Battle for Workers’ Rights at Wal-Mart.

Madeleine Albright est morte à 84 ans. Pionnière de l’impérialisme, elle prônait avec passion un recours accru à la violence meurtrière dans la poursuite d’un ordre mondial post-Guerre froide dominé par les États-Unis – et nombre de personnes ont été tuées dans le cadre de ce processus.

De 1993 à 1997, Madeleine Albright a été ambassadrice des USA aux Nations Unies. À ce titre, elle a été amenée à appliquer les sanctions brutales imposées à l’Irak après la guerre du Golfe. (Chatham House / Flickr)

Madeleine Albright, qui est décédée le mercredi 23 mars 2022 à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, a été la première femme secrétaire d’État des États-Unis. Mais les innombrables gros titres qui soulignent cette réussite risquent de ramener ses mérites à son sexe.

Ce n’est pas juste : elle était bien plus qu’une pionnière. Albright était une goule impériale, aussi impitoyable dans sa poursuite de la domination mondiale américaine que n’importe quel homme. Elle a joué un rôle central dans l’élaboration d’une politique d’après-Guerre froide qui a provoqué des ravages sur plusieurs continents.

Sa biographie est poignante : sa famille a fui les persécutions nazies lorsqu’elle était enfant, et vingt-six de ses proches, dont trois grands-parents, ont été assassinés dans la tragédie de la Shoah. C’est une histoire traumatisante, mais rassurez-vous : en retour elle a supervisé de nombreux traumatismes et été responsable de la mort d’autres personnes.

De 1993 à 1997, Albright a été ambassadrice des USA aux Nations Unies. À ce titre, elle a présidé aux brutales sanctions imposées à l’Irak après la guerre du Golfe, dans le but de maximiser la misère des Irakiens afin d’encourager le renversement de Saddam Hussein.

Dans une interview accordée en 1996 à Lesley Stahl de l’émission 60 Minutes, Albright a semblé laisser entendre que la mort d’enfants d’autres personnes était simplement le prix à payer pour construire un empire. « Nous avons entendu dire qu’un demi-million d’enfants sont morts. Je veux dire, c’est plus d’enfants que ceux qui ont trouvé la mort à Hiroshima, et on se demande si le prix en vaut la peine ? » a déclaré Stahl. Albright a répondu : « Je pense que c’est un choix très difficile à faire, mais le prix, nous pensons, le prix en vaut la peine. »

Madeleine Albright a été un témoin privilégié du XXe siècle, des totalitarismes à la montée des populismes, en passant par les tensions religieuses et raciales. (Lucy Nicholson/REUTERS)

Bien que le nombre estimé de décès auquel Stahl se soit alors référé ait par la suite été remis en question par les chercheurs, Albright a clairement indiqué qu’elle était tout à fait prête à infliger la mort à cette échelle. Il est difficile d’imaginer que cette seule statistique renferme la mort de plus d’un demi-million d’enfants et la misère irrémédiable pour tant de familles. Pourtant, il s’agissait là d’un "prix" qu’Albright était prête à exiger des gens ordinaires de ce pays pauvre, où les sanctions ont privé les Irakiens de médicaments, d’eau potable et d’infrastructures essentielles.

La doctrine Powell — c’est-à-dire la vision de la politique étrangère de l’après-Guerre froide défendue par le président des chefs d’état-major interarmées de Clinton, Colin Powell (dont on a également fait récemment l’éloge ici et pas de manière aimable) — était que les États-Unis devaient limiter leurs interventions militaires aux situations dans lesquelles leurs propres intérêts nationaux étaient menacés.

Albright était en désaccord, et ils se sont affrontés sur le rôle que les États-Unis devaient jouer dans des crises comme celle de la Bosnie. Powell a écrit dans ses mémoires qu’il a « presque eu un anévrisme » lorsqu’elle lui a demandé : « À quoi bon avoir cette superbe armée dont nous parlons toujours si nous ne pouvons pas nous en servir ? »

En tant qu’ambassadrice des USA aux Nations Unies, Albright a chassé du pouvoir le secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali après une campagne acharnée, un épisode désolant qui éclaire sa vision de l’ordre mondial de fin de siècle. Boutros-Ghali, dont le mandat a été soutenu par tous les pays à l’exception des États-Unis, a par la suite attribué son éviction à la publication d’un rapport de l’ONU soutenant qu’une attaque israélienne contre un camp de réfugiés au Liban, faisant cent morts, était délibérée et non une erreur, contrairement aux affirmations du gouvernement israélien.

Les responsables américains ont nié que telle était la raison, invoquant plutôt des différends concernant le Rwanda, la Croatie et la Bosnie. Il avait froissé certaines classes dirigeantes occidentales en qualifiant la Bosnie de « guerre des riches ».

De plus, Boutros-Ghali, architecte des accords de Camp David, considérait la campagne d’Albright à son encontre comme une propagande raciste ou xénophobe en faveur des Républicains hostiles à l’ONU (Bob Dole, par exemple, avait pris l’habitude de se moquer du nom du secrétaire général égyptien : « Booootros Booootros » ou « Boo Boo »), des Républicains qui se sont montrés particulièrement virulents après la mort de quinze soldats américains lors d’un raid de l’ONU de maintien de la paix raté en Somalie.

Parmi les moyens dont Albright a usé pour chasser le secrétaire général du pouvoir, on trouve la fausse accusation de corruption qu’elle a porté contre lui. Dans Le Monde Diplomatique de l’époque, Eric Rouleau a avancé la véritable raison de la vendetta d’Albright contre son populaire collègue : « La chute du mur de Berlin avait permis aux États-Unis de mener la guerre du Golfe presque à leur guise, ce qui laissait entrevoir un modèle pour l’avenir : l’ONU propose, à l’initiative de Washington, et les États-Unis disposent. Mais Boutros-Ghali ne partageait pas cette vision de la fin de la Guerre froide. »

De 1997 à 2001, Albright a été secrétaire d’État des USA sous la présidence de Bill Clinton. Dans ce rôle de pionnière tant admirée, elle a continué à infliger des souffrances inimaginables aux Irakiens. Le secrétaire général adjoint des Nations Unies, Denis Halliday, a démissionné de son poste en 1999 pour dénoncer ces sanctions ; les États-Unis « tuaient sciemment des milliers d’Irakiens chaque mois », avait-il déclaré à l’époque, une politique qu’il qualifiait de « génocide ».

Bien que de nombreux Américains aient été choqués lorsque l’administration de George W. Bush a envahi l’Irak, la réalité est que lorsque Bush est entré en fonction, les États-Unis bombardaient déjà l’Irak, environ trois fois par semaine, en moyenne. Voilà telle était notre femme ! Tout aussi belliciste qu’un homme.

Albright a également encouragé l’expansion de l’OTAN dans les anciens pays soviétiques d’Europe de l’Est, une trajectoire imprudente qui, selon de nombreux diplomates de haut rang, susciterait inévitablement au fil des ans l’hostilité de la Russie.

Cette politique a contribué de manière significative au terrifiant conflit nucléaire potentiel auquel nous sommes actuellement confrontés, ainsi qu’au terrible massacre de civils ukrainiens (au moins 977 avec certitude, à la date d’hier (23/3/22), et le haut commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme pense que le nombre réel est beaucoup plus élevé).

Albright n’a jamais pris sa retraite, une décision que ses fans verront sans doute comme un rejet sans appel de l’âgisme. Mais il aurait été bien plus positif pour le monde qu’elle prenne un peu de temps pour se prélasser devant ses remarquables exploits.

Sa société de conseil a aidé Pfizer à éviter de partager son droit de propriété international, alors que cela permettrait de sauver des vies dans le monde entier pendant la pandémie actuelle de Covid-19. Les brevets sur les vaccins restent une cause majeure d’apartheid mondial en matière de vaccins et de mortalité en masse.

Mais il est peu probable que cela l’ait beaucoup perturbée sur son lit de mort : pour Albright, la mort de personnes pauvres et de couleur qui ne sont pas américaines a toujours été « le prix à payer ».

Pendant la primaire présidentielle de 2016, elle a déclaré, parlant des femmes (comme la présente autrice) qui ne soutenaient pas la candidature d’Hillary Clinton : « Il y a un endroit spécial en enfer pour les femmes qui ne s’entraident pas ». Elle s’est ensuite excusée pour ce commentaire dans une tribune libre du New York Times, alors je ne veux pas être mesquine à ce sujet.

Après tout, le peuple irakien n’a jamais entendu d’excuses de sa part. Mais si on revient sur toutes les preuves ci-dessus, il était bien imprudent de la part d’Albright d’envoyer d’autres femmes dans ce fameux enfer.

Le soldat américain, le sergent Tim Ingoldsby, explique le côté nord-coréen de la zone démilitarisée à la secrétaire d’État américaine, Madeleine Albright, au poste de garde américain Ouellette dans le village frontalier de Panmunjom le 22 février. (Photo, AFP)

Il est quasiment certain que dans ce haut lieu souterrain torride et crépitant, il y a déjà une réservation à son nom. C’est peut-être là qu’elle obtiendra enfin la reconnaissance qu’elle mérite, comme figure exceptionnelle parmi les bellicistes impériaux meurtriers, quel que soit leur sexe.

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