AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Les pays qui osent défier les États Unis

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-063

Les pays qui osent défier les États Unis

Par Stephen Kinzer, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 27 mai 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Les pays qui osent défier les États Unis

Le 22 mai 2022 par Stephen Kinzer

Une immense queue de gens s’est formée pour recevoir des dons alimentaires pour leur repas de midi dans une rue du centre-ville de Sao Paulo, au Brésil (shutterstock/Nelson Antoine)

Ces pays sont prêts à risquer l’ire des États-Unis au sujet de la Russie et de l’Ukraine. Le monde du Sud n’est pas intimidé et refuse de plus en plus de s’allier à l’Occident en matière de sanctions et de condamnations.

Les Américains encouragent avec ardeur l’Ukraine dans une guerre qui, pour beaucoup, est une lutte décisive pour la liberté humaine. L’intensité de notre engouement fait qu’il est facile de supposer que tout le monde dans le monde le partage. Ce n’est pas le cas.

La réaction passionnée des Américains n’a de pareil qu’en Europe, au Canada et chez la poignée d’alliés des États-Unis en Asie de l’Est. Pour de nombreuses personnes dans le reste du monde, le conflit Russie-Ukraine n’est qu’une autre guerre occidentale inutile dans laquelle ils n’ont aucun intérêt en jeu.

Les deux plus grands pays d’Amérique latine, le Mexique et le Brésil, ont refusé d’imposer des sanctions à la Russie ou de réduire leurs échanges commerciaux. L’Afrique du Sud, la puissance économique du continent africain, en a fait de même.

C’est en Asie, cependant, que la résistance à l’adhésion au bloc pro-Ukraine semble la plus délibérée et la plus répandue. Cette situation a alarmé Washington. Pour riposter, les États-Unis font claquer leur fouet sur le dos de plusieurs nations asiatiques.

La Chine et l’Inde, où vit plus d’un tiers de la population mondiale, sont les dissidents les plus puissants. Les deux pays se sont abstenus lors du récent vote des Nations Unies condamnant la Russie, et tous deux rejettent les sanctions soutenues par les États-Unis.

Nous ne pouvons pas faire grand-chose de plus pour punir la Chine, mais l’Inde peut sembler plus vulnérable. Peu après le vote des Nations Unies, le secrétaire d’État Antony Blinken a annoncé que les États-Unis avaient commencé à « surveiller certains développements récents et inquiétants en Inde, notamment une augmentation des violations des droits humains ».

Puis le conseiller économique en chef du président Biden, Brian Deese, a averti l’Inde qu’elle s’exposerait à des « conséquences importantes et à long terme » si elle ne reconsidérait pas son « alignement stratégique. »

Pays pro russes, pro Ukrainiens et non déterminés https://www.reddit.com/r/ukraine/comments/szdzn6/pro_ukraine_pro_russia_neutral/

Le Pakistan, une puissance nucléaire de 200 millions d’habitants, a fait plus que s’abstenir lors du vote des Nations Unies. Lorsque les États-Unis ont demandé au Premier ministre Imran Khan de se joindre à la coalition anti-russe, il a raillé : « Sommes-nous vos esclaves ... et devons-nous faire tout ce que vous dites ? » Cela s’est passé peu de temps après qu’il ait dit au Pentagone : « La moindre implantation, la moindre action depuis le territoire pakistanais vers l’Afghanistan, pas question... » .Le jour où le président Vladimir Poutine a lancé l’invasion de l’Ukraine, Khan était avec lui au Kremlin.

Entre-temps, le secrétaire d’État adjoint (américain) Donald Lu a déclaré lors d’une audition au Congrès que ses collaborateurs avaient parlé au téléphone avec des responsables sri-lankais et pakistanais pour les presser de voter en faveur de la résolution. Il s’est dit « déçu » par les résultats. Le 9 avril, Khan a été démis de ses fonctions après que certains membres du Parlement qui l’avaient soutenu ont changé de camp et rejoint l’opposition.

Les forces armées pakistanaises, pro-américaines, avaient fait savoir aux membres du Parlement qu’elles étaient favorables à un vote de défiance. Khan avait d’autres problèmes, notamment un bilan économique médiocre. Il a annoncé qu’il tenterait de revenir au pouvoir lors des élections de l’année prochaine, faisant campagne contre des États-Unis « arrogants et menaçants ».

Washington est également en proie à une quasi-panique concernant un nouveau pacte de sécurité que les îles Salomon (650 000 habitants) ont signé avec la Chine. La Maison Blanche a déclaré qu’elle « émettrait de sérieuses réserves et réagirait en conséquence » si le pacte donnait à la Chine une trop grande influence militaire dans les Salomon. Le Premier ministre Manasseh Sogavare a répondu qu’il trouvait « très insultant » que les États-Unis qualifient son pays « d’inapte à gérer nos affaires souveraines ». Les médias de la région ont spéculé sur un éventuel coup d’État, voire sur une invasion lancée depuis l’Australie.

D’autres pays asiatiques se joignent à cette vague de désengagement vis-à-vis de la sphère d’influence américaine. Le Vietnam s’est abstenu lors du vote de l’ONU condamnant la Russie, puis a annoncé une série de manœuvres conjointes avec l’armée russe. L’Indonésie, le quatrième plus grand pays du monde, qui accueillera cette année le sommet du G20, insiste sur le fait que Poutine sera invité en dépit des efforts des États-Unis et de l’Europe pour l’isoler.

À l’autre bout du continent, le prince Mohammed bin Salman d’Arabie saoudite aurait refusé de parler au président Biden de l’augmentation de la production de pétrole, mais a eu un long entretien téléphonique avec Poutine (selon le Kremlin), et a invité le président chinois Xi Jinping à venir en visite à Riyad prochainement.

Les Émirats arabes unis ont refusé de condamner la Russie car, selon un conseiller présidentiel, ils « estiment que prendre parti ne conduirait qu’à engendrer davantage de violence ».

Peu de dirigeants mondiaux ont approuvé l’invasion de la Russie. On peut toutefois pardonner à certains de se demander comment les États-Unis, qui ont bombardé la Serbie, envahi l’Irak, occupé l’Afghanistan et attaqué la Libye, peuvent prétendre s’opposer à l’agression. Ils sont abreuvés de récits d’enlèvements par la CIA et de tortures dans des prisons secrètes, si bien que les appels de Washington à soutenir « l’ordre fondé sur des règles de droit » sonnent creux.

L’exigence du président Biden de faire juger Poutine pour crimes de guerre pourrait être justifiée par les atrocités rapportées, mais pourrait être considérée comme une démarche hypocrite venant d’un pays qui a refusé de se rallier à la Cour pénale internationale de La Haye et qui a même menacé d’envahir la Hollande si la Cour enquêtait sur les crimes de guerre américains. Les États-Unis insistent sur le fait que l’Ukraine doit être libre de choisir sa propre voie, mais protestent parfois lorsque d’autres pays cherchent à le faire.

Ce sont les forces en présence en Asie, et non celle d’Europe, qui façonneront le siècle à venir. De nombreuses nations asiatiques voient leur intérêt dans un alignement avec ceux des géants du continent, la Russie et la Chine. Ils ne sont plus aussi facilement intimidés qu’autrefois. Les États-Unis parient que les menaces et les avertissements les feront rentrer dans le rang. Cela pourrait avoir le résultat inverse et les aliéner davantage.

Version imprimable :