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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-067

L’Amérique conduit l’Europe tout droit à une guerre nucléaire

Par Oskar Lafontaine, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 6 juin 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’Amérique conduit l’Europe tout droit à une guerre nucléaire

Le 30 avril 2022 par Oskar Lafontaine

Texte original en allemand

Oskar Lafontaine a été président du SPD et ministre des Finances de la République fédérale d’Allemagne.

« Il est étonnant de voir à quel point les politiciens et les journalistes en Europe, en particulier en Allemagne, suivent aveuglément la stratégie américaine très dangereuse d’attiser davantage la guerre en Ukraine" © Source : Capture d’écran / YouTube, tagesschau et DER SPIEGEL, Freepik.com / FREEMAN777 et andypp, montage photo : Alexander Wallasch

Le chancelier Olaf Scholz est dans les serres des faucons de Washington : une paix négociée avec Moscou devient de plus en plus urgente. La guerre d’Ukraine est en réalité une confrontation entre les Etats-Unis et la Russie. Dans son livre « La seule puissance mondiale », publié en 1997, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la Sécurité du président américain Jimmy Carter, fait l’éloge de l’appareil militaire sans précédent des Etats-Unis, le seul à avoir un rayon d’action mondial.

Bien entendu, la Russie et la Chine ne sont pas d’accord avec l’hégémonie américaine. C’est pourquoi, dit-il, les États-Unis doivent tout faire pour empêcher l’émergence d’un challenger eurasien qui pourrait faire passer le continent eurasien sous sa coupe. L’Ukraine est le pivot géopolitique de la poursuite de cet objectif. Sans l’Ukraine, la Russie ne serait plus un empire eurasien.

Toutefois, si Moscou reprenait le contrôle de l’Ukraine, avec ses importantes ressources minérales et son accès à la mer Noire, la Russie se doterait automatiquement des moyens de devenir un puissant empire s’étendant sur l’Europe et l’Asie.

Si l’on ajoute à ces considérations l’affirmation centrale d’une conférence donnée par le chef de Stratfor, George Friedman, à Chicago le 3 février 2015, selon laquelle le principal objectif de la politique américaine depuis des siècles est de s’assurer qu’il n’y a pas de coopération entre la Russie et l’Allemagne, alors on sait quel était le but de l’expansion de l’OTAN vers l’est.

Des milliards pour une marionnette

On comprend également pourquoi la secrétaire d’État adjointe américaine Victoria Nuland a volontiers admis il y a des années que les États-Unis avaient dépensé cinq milliards de dollars pour installer à Kiev un gouvernement fantoche qui leur convenait. On comprend alors pourquoi Washington fait tout son possible depuis des années pour empêcher l’approvisionnement de l’Europe en charbon, en pétrole et en gaz en provenance de Russie.

Dans ce contexte, quand le célèbre économiste américain Jeffrey Sachs prévient que la stratégie américaine revient à une longue guerre en Ukraine avec des milliers de morts. il est également plus que plausible. Il recommande à l’Europe de suivre sa propre voie et d’aller vers une solution négociée qui verrait une Ukraine neutre et l’autonomie pour le Donbass.

Il est étonnant de constater à quel point les politiciens et les journalistes en Europe, et notamment en Allemagne, ne reconnaissent pas ces liens géostratégiques et suivent aveuglément la stratégie américaine, qui menace d’attiser la guerre en Ukraine.

C’est dangereux parce que les États-Unis ne veulent manifestement pas suivre les conseils de leur ancien président John F. Kennedy, selon lesquels une puissance nucléaire ne devrait jamais être mise dans une situation dont elle ne peut plus se sortir pour sauver la face.

Le fait que l’Allemagne soit aujourd’hui dirigée par un gouvernement dont les principaux responsables politiques ont peu d’expérience en matière de politique étrangère est un grand inconvénient. En outre, le plus grand parti d’opposition, la CDU, est dirigé par Friedrich Merz, ancien lobbyiste de Blackrock, et cet ancien employeur profite largement de la hausse du cours des actions des entreprises de défense.

Le SPD manque de politiciens de la détente qui, comme Brandt ou Bahr, savent encore que la sécurité de l’Allemagne et de l’Europe ne peut être obtenue qu’avec la puissance nucléaire qu’est la Russie.

Au FDP également, on ne voit pas à des kilomètres à la ronde un homme politique de la stature de Hans-Dietrich Genscher qui, en tant que ministre des Affaires étrangères, a toujours eu à l’esprit le danger d’une guerre nucléaire limitée à l’Europe. Même Guido Westerwelle a encore eu le courage d’ignorer les États-Unis lors de l’invasion de la Libye. Quel est le politicien du FDP à qui l’on ferait confiance pour faire cela aujourd’hui ?

Le langage fasciste de Baerbock

Les vassaux américains les plus cohérents et les plus dangereux au sein du gouvernement fédéral et du Bundestag allemand sont les Verts, dont l’ancien leader Joschka Fischer a, avec sa future partenaire commerciale Madeleine Albright, poussé à la participation de l’Allemagne à la guerre en Yougoslavie, en totale violation du droit international. On pensait que cela ne pouvait pas être pire, mais la nouvelle ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock utilise déjà un langage fasciste et veut « ruiner » la Russie.

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De son propre aveu, elle est l’héritière de Madeleine Albright, récemment décédée, elle qui a justifié la mort de 500 000 enfants irakiens via les sanctions américaines. Imaginez les cris des Verts si le ministre russe des Affaires étrangères,
Lavrov, justifiait la mort de 500 000 enfants ukrainiens, pour quelque motif que ce soit.

Dans cette situation confuse, il ne suffit pas à Olaf Scholz de retarder les livraisons d’armes. L’augmentation des livraisons d’armes est le mantra de l’administration Biden, qui veut affaiblir la Russie à tout prix, sans tenir compte des morts qui seront causées si les livraisons d’armes se poursuivent.

Quelqu’un croit-il sérieusement que la Russie, une puissance nucléaire, peut se permettre de perdre la guerre en Ukraine dans la situation politique mondiale actuelle ? Les fournisseurs d’armes à visage découvert au Bundestag seront, qu’ils le réalisent ou non, co-responsables du nombre de morts qui augmente chaque jour.

Combien de temps la guerre est-elle censée durer ? Aussi longtemps que la guerre en Afghanistan ? Pourquoi les politiciens allemands ne tirent-ils pas les leçons des échecs des guerres d’intervention menées par les États-Unis et auxquelles la Bundeswehr a participé ?

Il y aurait une chance, même si elle n’est que très mince, si le président français réélu Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz tombaient, comme autrefois François Hollande et Angela Merkel, dans les bras des bellicistes américains et cherchaient une solution négociée sur la base des propositions déjà défendues par Volodymyr Selenskyj – neutralité de l’Ukraine et autonomie du Donbass. Le président ukrainien ne sera pas un partenaire fiable dans ce domaine, car il sera sans cesse sous la pression des États-Unis et des extrémistes de droite en Ukraine.

La rivalité des puissances mondiales que sont les Etats-Unis, la Russie et la Chine oblige l’Europe à tout tenter pour ne pas être entraînée dans une confrontation nucléaire de ces grandes puissances. Charles de Gaulle avait reconnu ce danger pour la France et avait donc refusé que les forces françaises soient intégrées dans l’OTAN dirigée par les États-Unis car il ne voulait pas dépendre de la volonté des États-Unis d’utiliser leurs forces nucléaires en cas de confrontation avec l’Union soviétique, même si Moscou menaçait de riposter contre les grandes villes américaines.

Il a donc insisté pour que la France se dote de sa propre force nucléaire. « Les États n’ont pas d’amis, seulement des intérêts », telle était sa maxime, et lorsqu’il s’agissait de vie ou de mort, c’est-à-dire de guerre, il était convaincu que la décision ne pouvait être laissée à d’autres.

Une paix stable grâce à la détente

Comme de Gaulle, le chancelier allemand Willy Brandt savait qu’il ne pourrait mettre en œuvre sa politique de paix et de détente qu’en s’opposant à Washington. Convaincu que c’était le seul moyen d’assurer la paix en Europe, il mit en œuvre son Ostpolitik étape par étape. Les États-Unis s’en sont montrés très agacés, comme en témoigne une conversation téléphonique entre Henry Kissinger et Richard Nixon, dans laquelle Kissinger souhaitait explicitement que Willy Brandt soit atteint d’un cancer.

Politique de confrontation

Actuellement, un débat hasardeux a lieu en Allemagne. La politique de détente, la tentative de bonne coopération avec la Russie, est à l’origine du développement actuel. Rarement la vérité n’a été renversée de la sorte. On n’a jamais vu aussi clairement à quel point la propagande américaine détermine les médias et le débat politique en Allemagne.

La vérité est différente. Au milieu des années 1960, la politique de détente a commencé, elle a conduit à une paix stable en Europe et a entraîné la chute du mur de Berlin et le retrait des troupes soviétiques d’Allemagne et d’Europe de l’Est.

Dans les années 1990, la politique de confrontation a commencé avec l’expansion de l’OTAN vers l’est et l’encerclement croissant de la Russie. Elle a conduit à la guerre en Yougoslavie, qui était illégale au regard du droit international, et à l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, qui était également illégale au regard du droit international.

S’il n’est pas possible de parvenir rapidement à une paix négociée, le danger d’une guerre nucléaire augmentera, car les responsables à Moscou sont dos au mur et les têtes brûlées à Washington croient depuis des années qu’une guerre nucléaire pourrait se limiter à l’Europe.

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