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D’après Alternatives Economiques du 28 Mai 2022

La France s’oriente vers une sécheresse historique

Par Bruno Bourgeon

samedi 25 juin 2022, par JMT

La France s’oriente vers une sécheresse historique

Sol desséché

Du Nord jusqu’à la Corse, aucun territoire n’est assuré d’échapper au manque d’eau cet été. C’est ce qui ressort de la carte des risques de sécheresse, publiée mercredi 18 mai par le ministère de la Transition écologique. En mai 2022, 19 départements ont dépassé le seuil d’alerte de sécheresse.

Cette sécheresse météorologique finit par se transformer en sécheresse agricole et hydrologique : elle ne permet plus d’humidifier correctement les sols superficiels (1 à 2 m sous terre) et de remplir les retenues d’eau, superficielles ou souterraines. Sous l’effet du changement climatique, ces phénomènes sont plus fréquents, dit l’hydrologue Emma Haziza. Ils nécessitent de repenser nos modèles agricoles, énergétiques et industriels, si la France veut échapper à la guerre de l’eau.

La France s’apprête-t-elle à vivre l’été le plus sec de son histoire ?
Emma Haziza :
Elle prend en tout cas le chemin d’une sécheresse historique. Plusieurs signaux en attestent. Les températures sont d’abord anormalement élevées. Elles ont été supérieures à la normale durant 40 jours consécutifs. L’anomalie de température moyenne observée sur la France est d’environ 3°C en mai, avec un pic à 35°C. Météo-France estime « fort probable » que mai 2022 devienne le mois de mai le plus chaud de l’après-guerre.

Cette anomalie thermique est d’autant plus inquiétante que la France a connu cet hiver un fort déficit pluviométrique. La pluie n’est quasiment pas tombée depuis janvier et les nappes phréatiques n’ont pas été rechargées. Particulièrement dans la Vienne (cumul de précipitations < 100 millimètres) dans le Maine-et-Loire et l’Indre-et-Loire, et, surtout, dans la plaine d’Alsace (< 50 millimètres). Les nappes débuteront l’été quasiment à sec, nous ne sommes qu’au printemps, ce qui laisse planer devant nous la menace d’épisodes caniculaires. L’année 2022 pourrait donc être celle de tous les records.

Sommes-nous donc condamnés à manquer d’eau ?
E.H. :
Seule l’arrivée d’une goutte froide pourrait nous permettre de prévenir la sécheresse. Il s’agit d’un phénomène engendré par la présence d’une masse d’air froid, localisée à plus de 5000 mètres au-dessus d’une zone géographique précise. Elle peut alors renforcer la puissance d’une dépression – responsable du temps agité – qui s’y trouverait déjà.

Mais la survenue d’un tel phénomène ne serait pas sans risques. Car sa présence entraîne souvent un conflit de masse d’air entre la surface du sol et ce qu’il se passe en altitude, qui se traduit par une instabilité importante avec des pluies parfois violentes et des orages sur la zone. C’est d’ailleurs la présence d’une goutte froide qui a provoqué les pluies diluviennes qui se sont abattues sur l’Europe à l’été 2021.

La France connaît justement ces dernières années une intensification de deux événements météorologiques en apparence contradictoires : de très fortes sécheresses, mais aussi des inondations majeures. De quand date ce phénomène ?
E.H. :
J’identifie un point de bascule très net en 2017, lorsque la sécheresse s’est terminée fin décembre, avant de basculer dans trois semaines de pluie qui provoquèrent des crues de la Seine et l’inondation du bassin parisien. Les épisodes de sécheresse sont de plus en plus fréquents, mais aussi plus intenses. Hormis les épisodes historiques de 1976 et de 2011, le climat n’avait jamais été aussi chaud que ces 4 dernières années en France. Les épisodes diluviens gagnent eux aussi en intensité, mais ils étaient déjà présents au vingtième siècle.

La nouveauté est que les frontières saisonnières sont bousculées par le changement climatique. Les hivers sont plus chauds, le printemps commence beaucoup plus tôt dans la saison et se calque dorénavant sur les standards d’un début d’été, qui débute avec trois mois d’avance. Tout est donc plus précoce. Nous passons des caps sans arrêt, et le prochain se rapproche déjà.

Fait gravissime, le déplacement des anticyclones et l’augmentation des températures rendent nos territoires arides. Le manque d’eau pénalise nos cultures, comme nos ressources énergétiques car le monde industriel utilise l’eau dans tous ses processus. Sans eau, nous n’aurons plus rien dans notre assiette. Il faut donc agir au plus vite.

Selon les scientifiques, la sixième « limite planétaire » vient d’être dépassée : le cycle de l’eau douce. En quoi cette limite planétaire consiste-t-elle ?
E.H. :
Quand on affirme qu’on a dépassé la limite planétaire de l’eau douce, on désigne l’eau verte, qui se situe dans nos sols et permet de faire pousser nos plantes et nos cultures. A la différence de l’eau bleue, qui est l’eau de nos rivières, nos nappes et nos lacs, l’eau verte ne peut être mesurée, car nous sommes incapables d’évaluer le taux d’humidité dans les sols.

Ce taux d’humidité est principalement fonction de la matière organique, de l’usage que l’on fait de nos sols, ainsi que de la biodiversité et du bon fonctionnement du cycle de l’azote et du phosphore, qui est une autre limite planétaire que nous avons dépassée. Nos sols ne sont donc aujourd’hui plus suffisamment aérés pour permettre à l’eau de rejoindre les nappes phréatiques.

Pour les préserver, limitons les labours et les cultures intensives. Problème, nous avons fait l’inverse depuis l’après-guerre. Nous les avons attaqués chimiquement, en permanence, en les débarrassant de toute forme de vie, sous l’effet de l’utilisation des pesticides et des fongicides.

La monoculture érigée comme modèle dominant nous a aussi poussé à tuer toutes les autres formes de vie, considérées comme de la mauvaise herbe. Or les végétaux que l’on a détruits servaient en réalité à capter le carbone, ce qui est déterminant quand l’on sait qu’il faut un millénaire pour qu’un sol sain puisse se construire avec une matière organique qui soit réellement optimale.

Nous sommes dos au mur. Il nous faut replanter des arbres et vite, sous trois à cinq ans maximum. Ce n’est pas normal que l’on coupe 6 millions de sapins par an pour les utiliser 15 jours et qu’on les retrouve ensuite dans un sac plastique. Gardons ces arbres pour séquestrer le carbone. L’état de la terre est tellement dégradé que replanter des arbres ne fonctionnera pas toujours. Mais il faut essayer, et comprendre quelles sont les cultures qui s’adapteront aux variations climatiques, déployer massivement un couvert végétal qui nous permettra de régénérer le cycle de l’eau.

Comment faut-il repenser l’agriculture de demain pour s’adapter aux pénuries ?
E.H. :
Il faut augmenter notre résilience alimentaire. L’actualité nous montre la voie dans une période où l’Inde va garder son blé pour elle et où les exportations de blé ukrainien sont à l’arrêt. Les récoltes connaissent des chutes drastiques aux 4 coins du monde en raison des températures caniculaires et de la sécheresse.

Il nous faut régénérer nos sols et limiter le maïs, comme le soja. 70% de ces cultures ultra-consommatrices en eau servent au bétail et sont grandement menacées par la sécheresse. Or nous devons modifier considérablement notre modèle d’alimentation carnée, pour réduire notre consommation et privilégier les viandes locales, issues d’un élevage raisonné. Le futur de notre alimentation se trouve surtout dans les fruits, les légumes et les légumineuses.

Nous avons déjà connu une révolution agricole il y a 70 ans, alors pourquoi pas maintenant ? Il faudrait en revanche qu’on la planifie, à défaut de la faire une nouvelle fois à la suite d’une guerre ou d’un conflit économique qui nous pousserait à tout changer. J’espère surtout que les agriculteurs, qui sont en grande détresse psychologique face à la perte de rentabilité de leurs cultures, seront accompagnés pour transformer leurs terres afin qu’on leur donne de la valeur. Il faut donner de la valeur à la qualité de l’air, de l’eau et des nappes. C’est prioritaire.

L’avenir de l’eau se joue donc dans l’alimentation locale ?
E.H. :
Oui, mais surtout dans les terres pour cette alimentation. Notre assiette est composée à 98% de produits importés, achetés au supermarché, pour 2% seulement d’aliments locaux. Nous sommes en train de précipiter notre système vers un mur. Car, si 63% des pluies dans le monde naissent dans les continents, nous ne nous donnons pas les moyens de la recueillir.

Il faut raccourcir notre cycle de l’eau et reboiser massivement afin de laisser l’eau pénétrer dans les nappes. Nous avons perdu le sens de ce pourquoi nous dépensons notre argent. On doit redonner une vraie valeur à notre assiette, manger sain, sans pesticides et de consommer des produits qui respectent le vivant.

La « guerre de l’eau » a-t-elle déjà commencé en France ?
E.H. :
Cette hypothèse aurait pu être apparentée à de la science-fiction il y a quelques années, mais nous assistons en effet aux premiers conflits occasionnés par la raréfaction de cette ressource sur nos territoires. Par exemple, en Picardie, des habitants accusent les canons anti-grêle de les priver de pluie.

En Charente, des citoyens se battent pour bloquer la construction de méga-bassines destinées à l’irrigation agricole. La justice vient d’ailleurs de clore cette bataille longue de 14 ans le 17 mai dernier, en confirmant l’annulation de l’autorisation de les exploiter qui avait dans un premier temps été accordée par la préfecture sur les communes de Cram-Chaban, La Laigne et La Grève-sur-Mignon.

L’approvisionnement des Français en eau potable n’est également plus assuré. Lors de l’été 2019, une vingtaine de départements connaissaient des problèmes d’eau. Sur le terrain, je suis allée dans des villages de l’Aude où l’eau n’était disponible que 2 h/j. Les habitants devaient utiliser des bidons pour tenir la journée, avec des conséquences sur l’ensemble de l’activité économique. Quand vous êtes coiffeuse et qu’il n’y a plus d’eau, comment voulez-vous faire vos shampooings ? Vous ne pouvez tout simplement plus bosser… C’est très pragmatique en fait.

Observez-vous sur le terrain des alternatives pour préserver l’eau ?
E.H. :
J’en vois partout : permaculture, agriculture raisonnée… Lorsque des zones initialement très sèches sont aménagées intelligemment, en conservant les arbres et la végétation, la viticulture y atteint un état qualitatif incroyable et le niveau des nappes phréatiques est très haut. Ces nappes ne sont parfois que quelques m sous terre en Provence et seulement à quelques cm dans le Bordelais.

Plus on protège nos terres en y laissant des bandes enherbées, des bosquets et des haies, plus les sols seront de qualité et préserveront nos ressources en eau. C’est une évidence car quelques km plus loin, la terre, maltraitée, oblige les agriculteurs à irriguer leurs vignes. C’est une catastrophe.

Vous parlez d’alternatives agricoles. En France, l’eau est aussi utilisée pour la production d’énergie et par le secteur industriel. Que faudrait-il envisager pour éviter le gaspillage ?
E.H. :
L’industrie utilise en effet plus d’eau que l’agriculture, mais elle en restitue aussi beaucoup plus dans la nature. L’enjeu se joue donc tant sur le modèle industriel que nous souhaitons et sur l’exploitation de cette ressource, que sur la qualité de l’eau lorsqu’elle est rejetée dans les rivières pour ensuite être utilisée par les agriculteurs.

Au-delà de la quantité d’eau, nous avons aussi en France un vrai problème de qualité. Seule 44% de l’eau de nos rivières est dans un bon état écologique et 62% dans un bon état chimique. C’est-à-dire que toutes les autres sont dans un état médiocre. On retrouve également dans nos rivières plus de 380 espèces de pesticides différents.

Le nucléaire utilise lui aussi beaucoup d’eau. Il transforme l’eau en vapeur et génère dans l’atmosphère des nuages permanents dont les conséquences au niveau local sont minimisées, à mon sens. L’énergie nucléaire a l’avantage d’être décarbonée, mais elle comporte aussi de nombreux risques.

Le soleil n’a jamais frappé aussi fort sur la France, je crois que si l’on ne développe pas l’énergie solaire massivement, c’est qu’on ne comprend rien à ce qu’il se passe sur la planète.

Jusqu’ici, nous parlons presque exclusivement des campagnes ; la ville n’a-t-elle pas aussi son rôle à jouer ?
E.H. :
Nos villes doivent se transformer en éponges, capables d’absorber l’eau et de se végétaliser. Planter des arbres fruitiers et permettre à chaque niveau social d’accéder à des éléments qui pourraient être offerts par la nature. C’est essentiel.

Nous devons aussi désimperméabiliser, débitumer : le seul moyen que l’on ait pour retrouver un plus petit cycle de l’eau et permettre à cette eau de pénétrer directement dans les sols, pas seulement de ruisseler en emportant tous les polluants dans les rivières.

L’adaptation au changement climatique doit également concerner nos maisons et nos bâtiments pour résister aux vagues de chaleur successives et protéger notre santé. Un immeuble de Grenoble utilise déjà l’eau de pluie pour alimenter les robinets et Les Sables d’Olonne se lance dans un projet surprenant : traiter les eaux usées des salles de bains et des toilettes pour les transformer… en eau potable ! Ces solutions sont essentielles : il faut les mettre en avant.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

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