AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Quand Washington joue à se faire peur

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-077

Quand Washington joue à se faire peur

Par Daniel Larison, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 29 juin 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Quand Washington joue à se faire peur

Le 13 Juin 2022 par Daniel Larison

La marine chinoise en 2012. (Shutterstock/Pres Panayotov)

A cause d’une éventuelle base chinoise au Cambodge, une nouvelle fois Washington flippe. Il n’y a aucune preuve d’une avancée militaire de Pékin, mais cela n’a pas empêché les faiseurs d’angoisse d’en jouer à fond.

La semaine dernière, le Cambodge et la Chine ont organisé une cérémonie pour la pose de la première pierre d’un projet de modernisation de la base navale de Ream au Cambodge. L’événement s’est tenu au lendemain de la publication d’un rapport du Washington Post révélant que la Chine serait secrètement en train de construire une partie des installations navales qui seraient à l’usage exclusif de l’armée chinoise.

Les deux gouvernements ont rapidement nié que la Chine était autorisée à établir sa propre base militaire dans le pays, et le gouvernement cambodgien a insisté sur le fait que sa constitution interdit les bases militaires étrangères sur son sol. La Chine finance la modernisation de l’installation, et il semble probable que les forces chinoises pourront l’utiliser à l’avenir, mais il s’agit d’un fait modeste qui ne justifie pas une réaction virulente de la part des États-Unis.

Les États-Unis s’inquiètent depuis de nombreuses années de la possible implantation d’installations chinoises au Cambodge, et lors de sa visite dans le pays en 2021, la secrétaire d’État adjointe Wendy Sherman a clairement mis en garde le Cambodge contre le fait d’accueillir des bases chinoises .

Certains médias se sont fait l’écho de la réaction inquiète du gouvernement. Le Time a titré qu’une « nouvelle base navale chinoise... est le signal d’une nouvelle ère de rivalité dans la région Asie-Pacifique ».

Il n’est même pas certain qu’il y aura une base navale chinoise dans le sud du Cambodge, et même s’il y en avait une, elle ne représenterait pas grand-chose. Le même article a affirmé que « l’implantation d’une base navale chinoise au Cambodge renforcerait les aspirations de Pékin à devenir une véritable puissance mondiale dotée d’un réseau d’installations militaires dans le monde entier. »

Pour ne pas être en reste en matière d’alarmisme, le Wall Street Journal a publié un éditorial mettant en garde contre « le grand bond en avant de la marine chinoise ». L’éditorial fait référence à la « prolifération des bases de l’Armée Populaire de Libération » (APL), mais est bien incapable de préciser le nom d’une seule nouvelle base qui serait le fruit de cette prétendue prolifération.

Soldats Cambodgiens à la base de Ream en 2019 Photo : EPA

Contrairement à ces reportages et commentaires à l’emporte-pièce, la Chine n’a pas grand-chose à gagner de la mise à disposition de cette base, et cette dernière est loin d’être le point de départ de la création d’un empire chinois qui regrouperait de nombreuses bases.

D’une part, l’installation cambodgienne en question n’est pas très vaste, et les avantages qu’elle pourrait offrir à la marine de l’APL en seraient d’autant plus limité. John Bradford a analysé l’importance potentielle d’une telle base chinoise au début de l’année et a conclu qu’« elle aurait un impact modeste sur l’équilibre militaire global ». C’est pourquoi, écrit Bradford, « la réponse diplomatique américaine semble maladroite, voire contre-productive. »

Chen Heang a également souligné que la géographie cambodgienne n’est pas vraiment adaptée aux besoins chinois : « Plus précisément, les eaux au large des côtes cambodgiennes ne sont tout simplement pas assez profondes pour être d’une quelconque utilité pour une puissante marine."

Quel que soit le bénéfice que l’armée chinoise tirera si elle a accès à cette installation, il sera de toutes façons limité par le fait que le gouvernement cambodgien ne veut pas donner l’impression de compromettre sa souveraineté.

Pour être encore plus précis, une base chinoise au Cambodge ne constituerait pas une menace pour la sécurité des États-Unis ou de leurs alliés. En réponse au rapport du Post, Lyle Goldstein de Defense Priorities a commenté : « Une réaction excessive aux évolutions attendues liées à la montée en puissance de la Chine ne renforcerait ni la sécurité ni la prospérité des Américains et risquerait fort d’aggraver les tensions régionales. »

De plus, exagérer l’importance d’une éventuelle présence militaire chinoise au Cambodge s’inscrit malheureusement dans la tendance de Washington à gonfler la menace militaire chinoise, comme l’a exposé Michael Swaine du Quincy Institute dans un nouveau rapport.

Le gouvernement cambodgien a développé des liens encore plus étroits avec la Chine ces dernières années, et en raison des critiques et des sanctions de Washington concernant les droits humains, les tensions avec les États-Unis ont entraîné la détérioration de la coopération militaire naissante avec Phnom Penh.

Les relations des États-Unis avec le Cambodge s’étaient déjà fortement tendues du temps de Trump, et c’est en raison de celles-ci quele gouvernement a démoli les structures financées par les États-Unis qui avaient été construites à Ream.

La visite de la secrétaire adjointe Sherman semble être complètement tombée à plat, et de nouvelles critiques concernant l’implication de la Chine dans l’installation ne feront qu’empirer les choses. L’administration Biden a encore le temps de rectifier le tir et d’arrêter de remettre ça sur le tapis, mais c’est mal parti.

Marins de la marine cambodgienne sur un patrouilleur de la marine chinoise lors d’une cérémonie à la base navale de Ream à Sihanoukville, au Cambodge, le 7 novembre 2007. REUTERS/Chor Sokunthea.

Les décideurs américains sont extrêmement attentifs quant à l’éventualité de nouvelles bases chinoises dans différents pays, bien qu’il y ait une complète absence de preuves que celles-ci sont prévues ou même bienvenues dans les États hôtes potentiels.

A gauche les installations le 22 août 2020, à droite le site le 1er octobre 2020

Le Pentagone a tiré la sonnette d’alarme au sujet d’une éventuelle base en Guinée équatoriale, qui n’est semble-t-il pas en cours de construction, et le département d’État a dépêché des fonctionnaires aux îles Salomon pour dissuader ce pays d’accepter une base alors même que leur gouvernement avait déjà explicitement exclu cette possibilité. Il n’existe qu’une seule base chinoise en dehors du territoire chinois, elle se trouve à Djibouti, et les autorités de Washington sont fébriles à l’idée qu’il puisse y en avoir une seconde quelque part.

Et alors que les États-Unis passent leur temps à s’inquiéter de bases chinoises fantômes, ils sont toujours à la tête d’un réseau de plusieurs centaines de leurs propres installations. Alors pourquoi une telle angoisse face à l’éventualité ne serait-ce que d’une seule nouvelle base militaire chinoise ?

Bien que nous ne puissions en être sûrs, Bradford dans sa conclusion estime que « les États-Unis semblent simplement s’agiter pour compenser leur perte relative d’influence géopolitique ».

Les États-Unis seraient plus avisés s’ils cessaient de donner des leçons aux autres États sur les décisions concernant leurs propres affaires et s’ils consacraient autant de temps et d’énergie à nouer des relations constructives avec les gouvernements d’Asie et du Pacifique plutôt que de les mettre en garde contre les intentions de la Chine.

Les États-Unis ont, depuis plus d’un demi-siècle, un passé peu glorieux d’ingérence, de destruction et de désinvolture dans leurs relations avec le Cambodge. Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement cambodgien cherche à coopérer plus étroitement avec d’autres puissances. La Chine et le Cambodge ont une longue histoire de relations de confiance, qui remonte à plusieurs décennies, et il est naturel et compréhensible que cette relation se renforce à mesure que la Chine devient plus puissante. Si une base chinoise est implantée au Cambodge dans le futur, Sebastain Strangio a récemment expliqué que « cela signifierait... la faillite de trois décennies de politique américaine vis à vis de ce pays. »

Un ami dans le besoin : Le Premier ministre Hun Sen et le dirigeant chinois Xi Jinping se rencontrent à Pékin (Crédit : Bureau du Conseil des ministres/Royaume du Cambodge)

Malheureusement, nous ne savons que trop bien que la faillite d’une politique n’est pas un obstacle à sa poursuite, et cela semble bien être le cas ici aussi.
Si les États-Unis veulent avoir une plus grande influence dans des pays comme le Cambodge, ils devront être prêts à leur offrir davantage que par le passé. Les États-Unis ont refusé d’effacer la dette de 500 millions de dollars que le gouvernement cambodgien doit à Washington depuis le début des années 1970, mais il est insensé de continuer à la maintenir au dessus de leur tête.

L’annulation de cette dette serait un moyen relativement facile pour gagner un peu de bonne volonté et de capital politique. Des gestes de ce style ne répareront pas les conséquences de décennies de désintérêt, mais ils démontreraient une ouverture au compromis et à la prise en compte des intérêts cambodgiens qui fait défaut depuis très longtemps.

Version imprimable :