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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-078

La clarté stratégique au sujet de Taïwan acculera les États-Unis dans une impasse

Par Christopher McCallion, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 1er juillet 2022, par JMT

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La clarté stratégique au sujet de Taïwan acculera les États-Unis dans une impasse

Le 14 juin 2022 par Christopher McCallion

Le secrétaire à la Défense Lloyd J. Austin III lors du Shangri-La Dialogue à Singapour, le 11 juin 2022. (Photo DoD par Chad J. McNeeley)

Étant donné les remarques de Lloyd Austin à l’encontre de la Chine ce week-end, il est clair que l’administration Biden s’oriente dans cette direction. Lorsque le président Biden a déclaré pour la troisième fois au cours de son mandat que les États-Unis viendraient à la défense de Taïwan si l’île était attaquée par la Chine, ses collaborateurs ont été contraints (une nouvelle fois) de faire marche arrière concernant la remarque du président et d’affirmer que la politique américaine n’avait pas changé.

Mais au cours du Shangri-La Dialogue organisé par l’IISS à Singapour [Le Shangri-La Dialogue est une conférence internationale organisée chaque année depuis 2002 par l’International Institute for Strategic Studies, NdT] ce week-end, le ministre de la Défense, Lloyd Austin, a semblé réaffirmer l’annonce de Biden, déclarant que les États-Unis non seulement aideraient « Taïwan à maintenir une capacité d’autodéfense suffisante », mais de plus maintiendraient également « notre propre capacité à résister à tout recours à la force ou à d’autres formes de coercition » contre Taïwan.

Dans le même temps, le ministre chinois de la Défense, Wei Fenghe, a répondu que la Chine « se battrait à n’importe quel prix » si « quiconque osait dissocier Taïwan de la Chine ». Avec un degré ironique « d’ambiguïté », l’administration Biden s’achemine néanmoins vers une politique officielle de « clarté stratégique », avec des conséquences potentiellement catastrophiques.

Les partisans d’un glissement vers la clarté stratégique ont applaudi l’annonce improvisée du président de la fin du mois de mai et ont déploré le recul qui a suivi. Les principaux partisans de la clarté stratégique sont Richard Haass, président du Council on Foreign Relations (CFR), et David Sacks, chargé de recherche au CFR, qui ont fait valoir que cette évolution vers la clarté stratégique empêcherait Pékin de commettre une erreur de calcul irréfléchie en attaquant Taïwan, renforcerait la dissuasion pour, en premier lieu, éviter la guerre et rassurerait les alliés des États-Unis dans la région, ces derniers sont selon Haass et Sacks, devenus sceptiques quant aux engagements américains ces dernières années.

Mais les partisans de la clarté stratégique sapent leur propre argument, en démontrant par inadvertance que la clarté stratégique ne fera rien pour dissuader, tout en menaçant de saper la crédibilité même que les décideurs américains tentent obsessionnellement de cultiver.

Haass, par exemple, avance qu’après s’être engagés à défendre Taïwan, les États-Unis doivent maintenant se doter des capacités nécessaires pour le faire — capacités dont on reconnaît l’absence à l’heure actuelle.

Bret Stephens, chroniqueur au New York Times, tout en approuvant la déclaration de Biden, note également que « le budget de la défense de Taïwan, par rapport à son économie solide et à la menace militaire à laquelle il est confronté, reste scandaleusement bas » et que « l’administration Biden devrait préciser à Taipei que la propension du public américain à soutenir militairement nos alliés est directement proportionnelle à leur volonté de se prendre eux-mêmes en charge ».

Ambiguité tactique contre clarté stratégique (gn.racesociety.com)

Faire des promesses sans avoir les capacités de les tenir et convaincre Taïwan de contribuer à sa propre défense, tout cela n’est-il pas un peu tordu ?

Le fait est que la clarté stratégique n’apporte aucune valeur dissuasive supplémentaire. Il est clair que Pékin et Taipei partent déjà du principe que les États-Unis interviendraient directement en cas de problème à Taïwan.

Les préparatifs militaires de la Chine au cours du dernier quart de siècle n’ont pas simplement eu pour dessein d’envahir Taïwan, ils ont eu pour objectif de faire échouer une intervention américaine dans le Pacifique occidental.

Doubler sa mise suppose que l’autre joueur ne peut pas voir que vous avez une mauvaise main, et des deux côtés de l’océan, il est reconnu que la Chine a déjà les atouts en main, bénéficiant des avantages tout à la fois de la géographie et de la force de défense.

Le monde politique a reconnu trop tard que ce n’est que par une attitude de rejet vis à vis d’elle que la Chine peut être dissuadée, et non par la punition ; tenter de dissuader la Chine en lui offrant une victoire coûteuse, mais une victoire tout de même, ne fonctionnera pas sur une question de cette importance pour Pékin.

Et si la dissuasion échoue ? Qu’est-ce qui pourrait être plus dommageable pour la crédibilité des États-Unis qu’une défaite ? Qu’est-ce qui pourrait être plus coûteux que l’alternative de l’escalade ? Le jeu n’en vaut tout simplement pas la chandelle.

Une annonce de clarté stratégique qui ne serait pas soutenue par les capacités requises irait à l’encontre de la dissuasion ; elle encouragerait la Chine à agir avant que les États-Unis et Taïwan ne puissent développer les capacités nécessaires pour la vaincre ultérieurement.

En signalant un abandon de l’ambiguïté stratégique, Biden ne fait qu’accélérer le calendrier de Pékin. L’annonce d’une clarté stratégique signale à la Chine que les coûts d’une invasion seront plus élevés à l’avenir ; par conséquent, si le seul recours est la guerre, le plus tôt sera le mieux.

Dans la poursuite de ses objectifs vitaux, la Chine peut être suffisamment déterminée pour absorber des coûts élevés, mais ses dirigeants ne sont pas assez fous pour les augmenter délibérément à force de patience.

Asie de l’est

Pendant ce temps, Taïwan se montre excessivement sereine en ce qui concerne sa propre défense, car Taipei est aussi convaincue que Pékin que les États-Unis se précipiteront à son secours si le continent attaque. Il ne vient pas à l’esprit de Stephens, par exemple, que les dépenses de défense « scandaleusement faibles » de Taïwan peuvent être « directement proportionnelles » à notre propre insistance à combattre en son nom.

Les Américains en sont venus à croire que nous sommes plus intéressés qu’eux par la sécurité des autres États et, par conséquent, nous demandons à nos alliés de développer davantage leurs propres capacités autonomes tout en leur donnant toutes les raisons de ne pas le faire.

Haass et Sacks dévoilent en fait le jeu des États-Unis en déclarant que s’ils ne défendaient pas Taïwan, « les alliés des États-Unis tels que l’Australie, le Japon et la Corée du Sud s’accommoderaient probablement de la Chine ou chercheraient à devenir stratégiquement autonomes [c’est moi qui souligne] ». C’est quelque chose d’inacceptable !

Bien que l’on dise souvent que Washington doit s’engager vis à vis de Taïwan afin de rassurer des alliés comme le Japon, il s’agit là d’une ineptie typique de la théorie des dominos.

Les Japonais savent que l’intérêt des États-Unis pour Taïwan n’est pas comparable à celui qu’ils portent à la troisième économie mondiale, et que la Chine n’a pas les mêmes revendications ni les mêmes intentions à l’égard du Japon qu’à l’égard de Taïwan.

Le Japon a été suffisamment rassuré par l’engagement des États-Unis pour en accepter la protection pendant trois quarts de siècle ; les États-Unis n’ont pas un tel engagement envers Taïwan.

Les Japonais savent également qu’une guerre au sujet de Taïwan qui entraînerait l’intervention des États-Unis entraînerait aussi, selon toute probabilité, rapidement le Japon (comme l’a démontré un récent jeu de guerre), et si les responsables japonais ont laissé entendre qu’ils se précipiteraient pour défendre Taïwan, il s’agit là d’un discours audacieux pour un pays qui dépense seulement 1 % de son PIB pour la défense et qui est lui-même dépendant pour assurer sa sécurité.

Haass et Sacks insistent sur le fait que la clarté stratégique est compatible avec la politique de la « Chine unique » et que si Taïwan devait déclarer unilatéralement son indépendance, les États-Unis ne seraient pas censés prendre sa défense.

Mais après avoir soutenu que la défense de Taïwan revêt un intérêt stratégique vital pour les États-Unis, les auteurs veulent-ils vraiment faire croire que Washington mettrait ensuite ces intérêts de côté si Taïwan devait officialiser ce qu’elle déclare déjà être un fait ?

Soudain, l’intégrité de la première chaîne d’îles [La première chaîne d’îles fait référence à la première chaîne d’ archipels majeurs à partir de la côte continentale de l’Asie de l’Est. Elle est principalement composé des îles Kouriles , de l’archipel japonais, des îles Ryukyu, de Taïwan (Formose), du nord des Philippines et de Borné , s’étendant ainsi de la péninsule du Kamtchatka au nord-est à la péninsule malaise au sud-ouest, NdT], la fabrication avancée de semi-conducteurs et les valeurs démocratiques n’auraient plus d’importance ? Allons-nous vraiment décider de déclencher ou non la Troisième Guerre mondiale sur la foi du droit ?

Les points d’étranglement maritimes de la première chaîne insulaire de Chine

En vertu de « l’ambiguïté stratégique », les États-Unis conservent la latitude d’intervenir ou pas comme ils l’entendent et de fournir à Taïwan des armes pour se défendre, sans risquer de voir leur réputation ternie.

La « clarté stratégique », en revanche, les prive de ces options et oblige les États-Unis à choisir entre une guerre catastrophique et un coup décisif porté à leur crédibilité. Il est encore temps de réaffirmer la position américaine traditionnelle concernant Taïwan – ou mieux encore, de commencer à négocier un nouvel accord durable avec la Chine quant à l’avenir de la région.

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