AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Quelles chances de succès pour les sanctions contre la Russie (...)

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-083

Quelles chances de succès pour les sanctions contre la Russie ?

Par Daniel Larison, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 13 juillet 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Quelles chances de succès pour les sanctions contre la Russie ?

Le 17 juin 2022 par Daniel Larison

Vladimir Vladimirovitch Poutine (Photo Asatur Yesayants via shutterstock.com)

Nous aurions dû savoir que les sanctions contre la Russie ne fonctionneraient pas comme prévu. Des sanctions économiques à caractère illimité dont les objectifs sont mal définis ne changent pratiquement jamais le comportement de leurs cibles. Les sanctions ne permettent généralement pas d’atteindre les objectifs politiques déclarés, et ont fréquemment un effet boomerang, de plus elles encouragent le comportement qu’elles sont censées arrêter.

Les sanctions maximalistes imposées à la Russie en réponse à l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie suivent la règle. Un récent rapport de Bloomberg a attiré l’attention sur les conséquences fâcheuses mais prévisibles des vastes sanctions contre la Russie : « Mais certains responsables de l’administration Biden s’inquiètent désormais en privé du fait qu’au lieu de dissuader le Kremlin comme prévu, les sanctions exacerbent plutôt l’inflation, aggravent l’insécurité alimentaire et punissent les Russes ordinaires plus que Poutine ou ses alliés ».

Ces effets néfastes des sanctions ne devraient pas surprendre quiconque a suivi ces questions de près, puisque c’est ce qui se produit presque toujours lorsque l’ensemble de l’économie d’un pays est visé par une punition. L’incapacité à modifier le comportement du gouvernement visé est encore moins surprenante, car il est extrêmement rare que des États autoritaires hostiles cèdent face à des campagnes de pression menées par les États-Unis. Les effets négatifs de ces sanctions sur la Russie seront certainement plus importants et plus profonds que dans les cas précédents, car la Russie est un acteur beaucoup plus important de l’économie mondiale. Plus la guerre économique sera dure, plus elle nuira au monde entier.

Souvent vendues comme une alternative « peu coûteuse » aux conflits militaires, les sanctions de grande ampleur constituent en pratique une attaque aveugle contre une nation entière. Elles infligent des punitions à des dizaines de millions de personnes ordinaires tout en épargnant les riches et les personnes bien placées. Dans certains cas, elles créent des crises humanitaires à elles seules, et dans d’autres, comme au Venezuela, elles exacerbent considérablement les crises existantes et les rendent beaucoup plus meurtrières.

Les sanctions sont souvent imposées à des pays sous le contrôle de facto de gouvernements autoritaires abusifs, ce qui signifie que la population souffre doublement, d’une part de ceux qui la gouvernent et d’autre part des puissances extérieures qui mènent une guerre économique pour tenter d’isoler ces gouvernants. Dans tous les cas, les personnes qui souffrent d’une politique donnée ne sont pas en mesure de la changer, et les sanctions ont tendance à renforcer l’emprise des dirigeants autoritaires, tandis que leurs opposants nationaux sont contraints de se débrouiller, ne serait-ce que pour survivre.

Le cas de la Russie est inhabituel dans la mesure où c’est la première fois dans l’histoire récente que les États-Unis et leurs alliés tentent d’utiliser ce type de coercition économique étendue contre un État aussi important, mais à d’autres égards, il suit le même schéma que les régimes de sanctions précédents. Les sanctions généralisées punissent toujours davantage les gens ordinaires que les élites, et ce à dessein.

Comme l’a montré Esfandyar Batmanghelidj dans ses recherches sur les sanctions contre l’Iran, ce type de sanctions fonctionne comme une arme inflationniste visant directement la population. Il a expliqué plus en détail dans un article qu’il a écrit avec Erica Moret plus tôt cette année que « les plus durement frappés par les sanctions sont d’une part les citoyens de la classe moyenne, qui luttent pour maintenir leur niveau de vie alors que l’inflation jette l’économie dans le désarroi, et d’autre part ceux qui vivent dans la pauvreté, qui luttent simplement pour survivre alors que le prix du pain monte en flèche ».

La guerre économique aggrave systématiquement l’insécurité alimentaire dans le pays visé, et les mêmes effets destructeurs se font maintenant sentir dans le monde entier en raison des perturbations créées par la guerre elle-même, les sanctions qui en découlent et les mesures de rétorsion russes. Comme a averti Amir Handjani dans un article pour Responsible Statecraft au début de l’année, « nous sommes vraiment en eaux inconnues et apparemment non préparés aux conséquences ».

Nous sommes habitués à ce que les politiques coercitives se retournent contre nous sous la forme d’une aggravation des problèmes de sécurité, mais nous sommes désormais confrontés à un avenir où nous subirons également des contrecoups économiques. La guerre économique cesse d’être une option « bon marché » lorsque la cible peut riposter.

Si les coûts de la guerre économique sont élevés, qu’en est-il des avantages ? La vérité est qu’il y en a peu ou pas du tout. L’efficacité limitée des sanctions en tant qu’outil politique est bien comprise par les spécialistes depuis des décennies, mais cette compréhension n’a guère influencé les décisions politiques. Comme l’a expliqué Nicholas Mulder dans « L’arme économique », un compte rendu majeur sur les origines des sanctions économiques modernes au lendemain de la Première Guerre mondiale, les États-Unis ont eu recours aux sanctions économiques de plus en plus fréquemment au cours des dernières décennies, et ces sanctions sont moins efficaces que jamais.

Mulder écrit : « Pourtant, alors que lors de la période 1985-1995, à un moment où la puissance occidentale était relativement importante, les chances de succès des sanctions étaient encore de l’ordre de 35 à 40 %, en 2016, elles sont tombées en dessous de 20%. En d’autres termes, alors que le recours aux sanctions a bondi, leurs chances de succès se sont effondrées ». L’utilisation de plus en plus sophistiquée des sanctions financières et des sanctions secondaires par les États-Unis a servi à rendre la guerre économique encore plus dévastatrice pour les gens qui la subissent, mais, en dehors du régime de sanctions internationales dirigé par les États-Unis qui a conduit à l’accord sur le nucléaire iranien, elle n’a donné lieu à aucun autre succès notable.

L’une des raisons de la diminution de cette efficacité tient au déclin relatif de l’influence économique des États-Unis et de leurs alliés ainsi que de la montée en puissance d’autres États, ce qui crée davantage de possibilités pour d’autres pays d’agir comme des briseurs de sanctions. Une autre raison est que les États-Unis ont tendance à utiliser leurs sanctions les plus puissantes pour atteindre des objectifs farfelus et parfois impossibles, qu’il s’agisse de forcer un changement de régime, d’imposer un désarmement unilatéral ou d’arrêter une guerre. Les décideurs américains surestiment constamment le pouvoir des sanctions et sous-estiment la volonté de l’État visé d’endurer la douleur économique au nom d’un autre objectif.

Par exemple, les États-Unis restent déterminés à maintenir les sanctions de « pression maximale » sur la Corée du Nord et continuent de menacer celle-ci de sanctions supplémentaires si son gouvernement procède à de nouveaux essais de missiles et nucléaires. Au début de la pandémie, la RPDC s’est effectivement isolée du monde de son propre chef, si bien qu’il est difficile d’imaginer ce que des sanctions économiques supplémentaires pourraient apporter. La Corée du Nord reste intransigeante face aux demandes de désarmement, et il semble très peu probable que cela change, quels que soient les éventuelles incitations de Washington.

Dans d’autres cas, comme en Afghanistan, les États-Unis refusent de reconnaître le gouvernement de facto d’un pays et continuent de le sanctionner comme s’il s’agissait d’une simple bande d’insurgés. Les risques encourus lors de violation des sanctions sont suffisamment importants pour que la plupart des entreprises et des institutions financières renoncent à faire des affaires dans le pays, même si certaines transactions sont techniquement autorisées. Les sanctions actuellement en vigueur à l’encontre des talibans ont de fait coupé l’Afghanistan de presque tout commerce extérieur. Les États-Unis ont saisi les actifs de l’État afghan et l’aide internationale, dont le pays a fortement dépendu pendant des décennies, a été réduite à une fraction de ce qu’elle était auparavant.

Le résultat prévisible et annoncé en a été l’aggravation de la pauvreté et de la famine pour des dizaines de millions d’Afghans ordinaires. L’effondrement du pouvoir d’achat au cours de l’année dernière signifie qu’il y a certes de la nourriture disponible, mais que la plupart des gens n’ont pas les moyens de l’acheter.

La coercition économique par le biais de sanctions généralisées peut causer d’énormes destructions, mais elle échoue régulièrement à faire avancer les intérêts américains ou à améliorer les conditions de sécurité dans d’autres parties du monde. Il est temps de reconnaître que des sanctions de ce type font plus de mal que de bien et qu’elles aggravent bon nombre des problèmes qu’elles sont censées résoudre.

Version imprimable :