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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-087

De membre du Congrès à agent étranger, le chemin est tout tracé

Par Nick Cleveland-Stout et Ben Freeman , traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 22 juillet 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

De membre du Congrès à agent étranger, le chemin est tout tracé

Le 28 juin 2022 par Nick Cleveland-Stout et Ben Freeman

Du pouvoir politique au pouvoir de l’argent (kentoh via shutterstock.com)

Depuis les années 2000, près de 100 anciens législateurs sont devenus des lobbyistes à Washington pour des pays comme l’Arabie saoudite et la Chine.

Au début du mois, un projet de loi bipartite a été déposé au Congrès ; pour lutter contre l’influence étrangère illégitime en politique, il prévoit, entre autres dispositions importantes, d’interdire aux anciens membres du Congrès de faire du lobbying pour le compte de gouvernements étrangers.

Une nouvelle étude du Quincy Institute révèle que cette action du Congrès aurait dû être entreprise depuis longtemps, parce qu’on assiste à une véritable frénésie de pantouflage (porte tambour) entre le Congrès et le lobbying pour le compte d’intérêts étrangers.

Ce n’est un secret pour personne, lorsque les membres du Congrès cessent leur mandat, ils se tournent vers la profession la plus prisée : le lobbying. Année après année, on retrouve la même histoire d’anciens élus qui vendent à des groupes d’intérêts qui paient bien, leur carnet d’adresses et leur savoir quant à la façon de faire bouger les choses (ou de ne pas les faire bouger) à Washington.

Si ce lobbying se fait souvent au nom d’intérêts américains — comme dans le cas des grandes entreprises pharmaceutiques, bancaires ou d’armement — ces dernières années, les ex-parlementaires font de plus en plus souvent pression pour le compte d’intérêts étrangers.

Nous avons analysé les déclarations faites en vertu de la loi sur l’enregistrement des agents étrangers (FARA ; voici un exemple ) depuis 2000 et avons constaté que pas moins de 90 anciens membres du Congrès étaient enregistrés en qualité d’agents étrangers, ce qui veut dire que près de la moitié (87) de tous les pays du monde sont concernés, et cette tendance n’a fait que s’accentuer ces dernières années.

Cette situation soulève des questions extrêmement préoccupantes pour les intérêts nationaux des États-Unis et souligne l’importance d’une législation visant à lutter contre les risques potentiels liés au fait que d’anciens membres du Congrès travaillent pour des intérêts étrangers.

Ci-dessous, une carte des points chauds met en évidence les pays où, depuis 2000, des intérêts étrangers — ce sont souvent, mais pas que, des gouvernements étrangers — ont été défendus par des personnes inscrites au FARA qui étaient auparavant membres du Congrès. Les pays en rouge foncé sont ceux où le nombre d’anciens membres travaillant pour le compte d’intérêts étrangers est le plus élevé.

Comme le montre la carte, les pays les plus souvent défendus par d’anciens parlementaires se trouvent au Moyen-Orient et en Asie

Les autorités chinoises, par exemple, ont utilisé au moins huit anciens membres du Congrès qui ont fait du lobbying à leur profit. Quatre d’entre eux l’ont fait pour Hikvision, une entreprise d’État chinoise qui fournit des équipements de surveillance utilisés pour surveiller les populations ouïghours, tandis qu’un autre l’a fait pour le compte d’une entreprise d’intelligence artificielle partiellement publique, iFlytek. Ces deux entreprises figuraient sur la liste noire du gouvernement américain en 2019.

Parmi les lobbyistes travaillant pour les chinois on trouve le sénateur David Vitter (Républicain-Louisiane), le représentant Toby Moffet (Démocrate-Connecticut) et le représentant Denny Rehberg (Républicain-Montana).

L’ancienne sénatrice Barbara Boxer (Démocrate-Californie) était également enregistrée comme agent étranger pour le compte de Hikvision, mais suite au tollé général, elle a renoncé quatre jours plus tard.

Dans une déclaration, la sénatrice Boxer a écrit : « En raison de la vive réaction à mon inscription, j’en suis arrivée à la conclusion que la poursuite de mon engagement était devenue une source de confusion négative pour le processus et je renonce donc à mon inscription ».

Ces anciens parlementaires ont ainsi participé à la vigoureuse campagne de la Chine en matière d’influence étrangère aux États-Unis. Et selon une analyse des dossiers du FARA réalisée par OpenSecrets, la Chine a dépensé plus d’argent en faveur des personnes inscrites au FARA que n’importe quel autre pays depuis 2016.

L’accélération des dépenses s’est accompagnée d’une pratique de la Chine consistant à embaucher d’anciens parlementaires, sept de ceux-ci ayant défendus les intérêts de la Chine pour la seule période des quatre dernières années.

L’Arabie saoudite a également fait appel aux services d’au moins huit anciens membres du Congrès inscrits au FARA. Tous, sauf un, représentaient des branches officielles du gouvernement. La liste comprend l’ancien sénateur Norm Coleman (Républicain-Minnesota), qui est passé de la commission des relations étrangères du Sénat à la défense des intérêts de l’ambassade royale d’Arabie saoudite.

En tant que lobbyiste saoudien, Coleman a joué un rôle central dans les efforts visant à redorer l’image de l’Arabie saoudite après le brutal assassinat du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi en 2018 et le rôle saoudien dans la désastreuse guerre du Yémen. Il a même fait circuler une lettre au Congrès dans laquelle il affirmait « la ferme détermination du Royaume à instaurer la paix au Yémen », trois jours après qu’une frappe aérienne saoudienne y ait tué 18 civils.

Un autre des lobbyistes pour le compte de l’Arabie saoudite et ancien parlementaire — le représentant Howard "Buck" McKeon (Républicain-Californie) — a rencontré son ancien collègue de la Chambre des représentants Ed Royce (Républicain-Californie), dont il a soutenu la campagne de réélection à hauteur de 2 000 dollars, à de multiples reprises alors que Royce était président de la commission des affaires étrangères de la Chambre.

Alors qu’il était encore au Congrès, Royce a également répété presque mot pour mot les éléments de langage qui lui avaient été fournis par un autre lobbyiste du Royaume dans un discours prononcé à la Chambre des représentants lors d’un débat sur l’avenir du soutien américain à la guerre menée par Riyad au Yémen. Quatre ans plus tard, il s’enregistrait comme agent étranger pour le compte de l’Arabie saoudite.

Même si les actions aux fins d’influence de la Chine et de l’Arabie saoudite ont bénéficié d’un noyau d’anciens parlementaires, elles sont loin pour autant de compter le plus grand nombre d’anciens élus. Cette mention revient aux intérêts turcs, au bénéfice desquels un nombre impressionnant de 16 anciens membres du Congrès ont travaillé.

Alors que certains pourraient relier l’influence de la Turquie aux États-Unis au général Michael Flynn (en retraite), qui a été accusé de trafic d’influence occulte au profit de la Turquie, les intérêts turcs bénéficient d’un large éventail d’anciens parlementaires qui effectuent un travail d’influence parfaitement légal en leur faveur.

Parmi ceux-ci, on compte des personnalités connues telles que l’ancien leader démocrate du Sénat Tom Daschle (Démocrate -South Dakota), le représentant Bart Stupak (Démocrate-Michigan) et le représentant Dick Gephardt (Démocrate-Missouri).

Ensemble, ils ont appuyé les efforts de la Turquie pour influencer la politique américaine en matière d’armement à destination de la Turquie, extrader le dissident turc exilé Fetullah Gulen et attiser l’opposition aux Unités de défense du peuple, une milice à prédominance kurde en Syrie, également soutenue par Washington.

Nombre de ces anciens élus et de membres de leurs cabinets ont également fait pression pour empêcher la reconnaissance par les États-Unis du génocide arménien — laquelle a finalement été prononcée en avril 2021 — avertissant que la « gravité de la question du génocide » constitue « une menace potentielle pour la relation États-Unis/Turquie ».

Michael Flynn a présenté des comptes rendus contradictoires de son travail de lobbying pour Ekim Alptekin (AP Photo)

Certes, les anciens membres que nous avons identifiés n’ont pas tous continué à travailler pour des régimes autoritaires. A eux deux, par exemple, les intérêts sud-coréens et taïwanais ont engagé plus de 20 anciens parlementaires pour défendre leurs intérêts.

Le plus souvent, cependant, le pantouflage mène directement aux dictateurs — une majorité (57 sur 90) des anciens membres du Congrès devenus lobbyistes pour l’étranger que nous avons retracés ont travaillé pour le bénéfice des intérêts de régimes autocratiques, classés comme « non libres » par Freedom House, notamment la Chine et l’Arabie saoudite.

Quel que soit le type de régime, seuls les intérêts étrangers ayant les moyens de débourser des millions de dollars sont en mesure d’engager d’anciens membres du Congrès, créant ainsi un terrain de jeu inéquitable où les intérêts étrangers des plus riches exercent une influence démesurée sur le processus de la politique étrangère des États-Unis.

Cela est vrai, qu’il s’agisse d’un ancien parlementaire faisant du lobbying pour qu’un soutien militaire américain soit accordé pour soutenir la campagne saoudienne au Yémen, ou d’un ancien membre du Congrès faisant du lobbying pour que des armes soient vendues à la Corée du Sud ou que des bases y soient déployées.

Les risques posés par ces riches régimes autoritaires, qui sont les plus susceptibles de voir d’anciens parlementaires faire du lobbying en leur faveur, sont aggravés par le fait que tous ces anciens législateurs avaient accès à des informations classifiées et à certains des secrets les plus sensibles de notre nation.

Des informations sur des déploiements outre mer ou des opérations militaires à l’étranger, des menaces de terrorisme domestique ou d’autres renseignements clés entre les mains d’acteurs étrangers hostiles pourraient poser de graves risques pour la sécurité nationale des États-Unis.

Bien qu’il n’existe aucune preuve qu’un quelconque des membres du Congrès ayant fait l’objet d’un enregistrement FARA dont nous avons analysé les activités ait divulgué des informations classifiées auprès d’intérêts étrangers, en 2010 un ancien membre du Congrès a plaidé coupable d’avoir violé la FARA et d’avoir fait du lobbying au nom d’une organisation ayant des liens avec le terrorisme international et Oussama ben Laden.

Heureusement, un groupe bipartite de membres actuels du Congrès a reconnu ces risques. Au début de ce mois (Juin 2022), ils ont présenté la « Loi pour combattre l’influence étrangère » (Fighting Foreign Influence Act) qui, entre autres dispositions importantes, interdirait aux anciens membres du Congrès et autres hauts fonctionnaires de travailler pour des gouvernements et organisations étrangers.

Nos recherches, qui démontrent dans quelle mesure cette loi et d’autres législations visant à lutter contre le phénomène de la porte tambour sont si désespérément nécessaires, ne fait qu’effleurer la surface parce qu’on ne tient pas compte des anciens législateurs qui sont exemptés de l’enregistrement FARA s’ils font du lobbying pour des entreprises étrangères en s’enregistrant dans le cadre du Lobbying Disclosure Act, dont les exigences sont beaucoup moins strictes ou de ceux qui ne s’enregistrent tout simplement pas du tout lorsqu’ils font du lobbying au profit d’intérêts étrangers.

Néanmoins, nous avons identifié 90 anciens membres qui ont quitté le Congrès et sont devenus des lobbyistes pour des intérêts étrangers qui, le plus souvent, concernent des pays riches et autocratiques. Ils ont œuvré pour infléchir la politique étrangère des États-Unis au gré des caprices des intérêts étrangers qu’ils représentent, subvertissant ou sapant potentiellement les débats concernant les intérêts nationaux des États-Unis. Rien que cela devrait être une cause de préoccupation générale et inciter le Congrès à agir.

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