AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Politique > Sauver la démocratie en Inde passe par la destruction des castes

Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-088

Sauver la démocratie en Inde passe par la destruction des castes

Par Prachi Patankar, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 25 juillet 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Sauver la démocratie en Inde passe par la destruction des castes

Le 26 Juin 2022 par Prachi Patankar

Prachi Patankar est écrivaine et militante. Elle est née dans le Maharashtra, en Inde. Son travail a été diffusé par Al Jazeera, le Guardian, et dans plusieurs autres publications.

Prachi Patankar (Source Facebook)

Le combat contre la discrimination fondée sur les castes est un enjeu vital pour la démocratie indienne.Depuis plusieurs générations, les Dalits [ou Intouchables, NdT] et autres groupes opprimés de l’Inde se battent pour l’égalité des droits contre la domination des castes supérieures.

Des femmes de diverses organisations, notamment des communautés tribales et dalits, se rassemblent pour participer à une manifestation lors de la Journée internationale des droits des femmes, 2020. (Rudhransh Sharma / SOPA Images / LightRocket via Getty Images)

L’histoire de leurs luttes courageuses peut aujourd’hui inspirer la résistance contre la répression de l’Hindutva de Narendra Modi [L’idéologie de l’hindutva (hindouité) met sous pression les minorités confessionnelles et fragilise le sécularisme et le multiculturalisme du pays, NdT].

Alors qu’elle célèbre sa soixante-quinzième année d’indépendance, l’Inde emprunte un virage autoritaire qui a fait voler en éclat les aspirations fondatrices du pays en matière de diversité laïque et de démocratie. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2014 du Premier ministre Narendra Modi et de son parti suprémaciste hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP), on a assisté à une augmentation de la violence religieuse et de celle fondée sur les castes, ainsi qu’à une répression de l’État contre les défenseurs des droits humains, les intellectuels et les journalistes.

Avec le mouvement d’extrême droite Hindutva qui s’étend à de nombreuses branches du pouvoir de l’État, le BJP cherche à transformer l’Inde en un "Hindu Rashtra" — un État suprémaciste religieux. Ayant déjà encouragé la discrimination ouverte et incité à des émeutes meurtrières, certains dirigeants de l’Hindutva ont même préconisé de tuer des millions de musulmans, suscitant l’inquiétude des experts mondiaux en matière de génocide.

Dans le même temps, l’Inde a également été le théâtre d’une vague enthousiasmante de mouvements populaires qui ont remis en cause les politiques du BJP ciblant les droits civiques des citoyens musulmans de l’Inde, menaçant les droits des communautés opprimées par les castes et portant atteinte aux moyens de subsistance des agriculteurs. Alors que nous avançons dans les années 2020, les souvenirs et les leçons des époques précédentes résonnent dans toutes les générations, nous donnant de précieuses leçons de sagesse et d’espoir.

Des générations en lutte

Elections présidentielles de 2022 et le défi des Dalits (Photographie : Nirala Tripathi)

Les générations précédentes également ont lutté contre l’autoritarisme de leur époque. Mon grand-père, Babuji Patankar, était un leader du mouvement militant anticolonial des années 1940, il a dû se cacher pour échapper à une arrestation. Mon père, Bharat Patankar, un militant anti-caste et syndicaliste, a également dû entrer dans la clandestinité pendant l’« état d’urgence » déclaré par la Première ministre Indira Gandhi dans les années 1970.

Indira Gandhi Première femme Première Ministre (Image YouTube)

En 1942, des dirigeants anticolonialistes ont lancé le mouvement "Quit India" contre le Raj britannique, incitant des millions de gens ordinaires à se mobiliser dans ce qui est aujourd’hui l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh. Ce mouvement de masse historique a pris diverses formes non violentes et militantes, certains de ses courants menant des actions d’autodéfense armée et de guérilla.

Abusées sexuellement et considérées comme le plus humbles des humbles : la vie d’une femme Dalit "intouchable". (Doc CNN)

L’un des principaux fronts était le Prati Sarkar, une organisation de masses, située dans ce qui est aujourd’hui l’État indien du Maharashtra. Ce « gouvernement parallèle » a combattu la domination britannique, tout en créant des institutions alternatives pour lutter contre les injustices au sein de la société sud-asiatique. On y trouvait notamment des « nyayadan mandals », ou tribunaux populaires, pour combattre la discrimination et régler les litiges fonciers.

Prati Sarkar n’était pas seulement un projet anti-colonial. C’était une force interreligieuse, anti-exploitation et anti-caste dont les participants rêvaient de liberté d’une manière qui irait au-delà de l’indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne.

Ils incarnaient les paysans et les ouvriers, les communautés dalit et bahujan opprimées par les castes, et les femmes — qui tous devaient constituer des électorats majoritaires dans la nouvelle république, chacun aspirant à sa propre "indépendance" au sein de l’ordre socio-économique de l’Inde.

C’est grâce au Prati Sarkar que mes grands-parents, Babuji et Indumati "Indu" Patankar, se sont rencontrés et sont tombés amoureux. Indu avait été influencée par son père, Dinkarrao Nikam, qui avait été actif dans le mouvement pour la liberté depuis les années 1930 et avait fait de la prison pour cela.

Dès l’âge de douze ans, Indu avait participé au Seva Dal, le front populaire du Congrès national indien. Elle soutenait les dirigeants du mouvement pour la liberté qui séjournaient chez elle et transmettait des messages codés entre les militants incarcérés et leurs camarades à l’extérieur.

En 1942, alors qu’Indu avait seize ans, elle a quitté le domicile parental et a rejoint le mouvement Quit India, organisant les femmes dans tout le Maharashtra. Comme elle l’a rappelé plus tard à son fils : « Chaque goutte de sang qui coulait dans mes veines dansait pour cette lutte. Je voulais la liberté pour mon pays, et puis le communisme. Il était vital que chaque jeune de ce pays consacre toute sa vie pour y parvenir. C’est l’esprit embrasé de ces pensées que j’ai quitté la maison ».

En 1943, Indu a commencé à prendre part au Prati Sarkar, transportant des pistolets et des revolvers. C’est là qu’elle a rencontré Babuji, le fils unique d’un travailleur migrant sans terre, qui avait également quitté son foyer pour dédier sa vie au mouvement pour la liberté. Ils se sont mariés en 1946.

Un palais sur un tas de fumier

Après l’indépendance de l’Inde en 1947, le "socialisme" du premier ministre du Congrès Jawaharlal Nehru impliquait la mise en œuvre de réformes agraires et de politiques antidiscriminatoires significatives, poussé par la marée montante des attentes populaires suscitées par Quit India.

La vie des dalits importe (Photograph : Getty Images)

Pourtant, le leader dalit anti-caste B. R. Ambedkar a prévenu que le nouveau pays entrait dans une "vie de contradictions" : « En politique, nous aurons l’égalité, et dans la vie sociale et économique, nous aurons l’inégalité... si nous persistons à nier ce fait, nous ne ferons que mettre en péril notre démocratie politique ».

Ambedkar a tenté de participer à la refonte des bases de la république indienne, en tant qu’auteur principal de la nouvelle constitution de 1950 et tout premier Ministre du droit et de la justice en Inde.

Mais il a subi une défaite cuisante, ne parvenant pas à faire adopter une version progressiste du projet de loi sur le Code Hindou, qui visait à abolir les obstacles aux mariages inter-castes et à garantir le droit des femmes à la propriété et au respect de la famille. En dépit de l’élan progressiste de l’époque, les dirigeants pro-castes et pro-brahmanes ont réussi à saboter ces réformes.

Des portraits de Babasaheb Ambedkar sont brandis lors d’une manifestation à Kolkata, en Inde (Photographe : Dibyangshu Sarkar/AFP via Getty Images)

B. R. Ambedkar a subi une défaite importante, en ne parvenant pas à faire adopter une version progressiste du projet de loi sur le code hindou, qui visait à abolir les obstacles aux mariages inter-castes et à garantir le droit des femmes à la propriété et au respect de la famille.

Démissionnant en signe de protestation, Ambedkar a déploré : « Ne pas toucher aux inégalités entre classe et classe, sexe et sexe, ce qui constitue l’âme de la société hindoue, et continuer à adopter des lois relatives aux problèmes économiques, c’est bafouer notre Constitution et construire un palais sur un tas de fumier. »

Des décennies plus tard, ma mère, Gail Omvedt, est devenue une éminente spécialiste de la vie et de l’héritage d’Ambedkar. Indumati Patankar allait percevoir la portée des paroles de Ambedkar, alors qu’elle dirigeait un mouvement de femmes délaissées afin que celles-ci acquièrent leurs propres droits économiques dans l’État du Maharashtra.

À partir des années 1940 et jusque dans les années 1950, Indu et Babuji ont poursuivi leur action politique de militants de base, tout en négociant les liens de leur mouvement avec un paysage en constante évolution composé de diverses formations socialistes, communistes et de gauche.

En 1949, Indu a donné naissance à leur fils, Bharat. Puis, en 1952, Babuji a été porté disparu, emmené par des hommes armés alors qu’il labourait les champs, on ne l’a jamais retrouvé. Selon les récits de leur communauté, Babuji a probablement été tué par des gens qui étaient de connivence avec les nouvelles élites politico-économiques et qui voyaient dans son leadership une menace pour leur nouvel ordre.

Rêves inachevés

Face à cette perte dévastatrice alors qu’elle n’avait que vingt-sept ans, Indu a persévéré. Elle a continué à militer tout en s’occupant seule de ses beaux-parents âgés et en élevant son fils en bas âge.

Indumati Babuji Patankar

Tout comme sa maison maternelle dans le village d’Indoli avait été un centre d’activité politique, sa maison à Kasegaon est devenue un centre de mouvement social et un refuge pour les militants. Elle a été une organisatrice dynamique dans les mouvements de femmes et de fermiers-travailleurs des années 1950 aux années 2010.

Indu est également devenue une éducatrice de premier plan, mentor d’une nouvelle génération de femmes qu’elle a conduites à devenir des intellectuelles indépendantes et des féministes à leur manière. En utilisant le suffixe qui signifie "grande sœur", des milliers de personnes dans des dizaines de villages la désignaient avec affection du nom d’"Indutai".

Bharat, le fils d’Indutai et de Babuji, a grandi marqué par la mort de son père, la résilience de sa mère et de ses « oncles et tantes appartenant au mouvement ». Dans les années 1960 et 1970, la ferveur radicale de sa génération trouve un écho partout dans le monde entier. En Inde, les jeunes gens, parmi lesquels des structures novatrices telles que le Dalit Panther Party, fondé en 1972, se sont attaqués à de nouveaux rêves afin de transformer leur société.

En Inde, les jeunes gens se sont attaqués à de nouveaux rêves afin de transformer leur société, c’est notamment le cas de structures novatrices telles que le Dalit Panther Party.

Gail Omvedt et son époux Bharat Patankar. Photo AmeyMansabdar

Quand il a atteint ses vingt ans, Bharat avait rejoint la lutte rempli d’une immense enthousiasme. Bharat et ses amis ont formé un groupe du nom de Magowa ("Recherche") dont la promesse était « de tout passer au crible, même le marxisme lui-même ».

À une époque où on avait en même temps une crise de la gauche parlementaire indienne et un conflit entre la rébellion maoïste et la répression étatique à laquelle elle était confrontée, Magowa cherchait à rompre avec certaines orthodoxies de gauche, tout en s’appuyant sur le riche héritage des luttes de libération interconnectées.

Gail Omvedt a trouvé sa propre voie, d’abord au sein des Black Panthers, puis dans celui des Dalit Panthers. Dans les années 1960, cette américaine d’une vingtaine d’années a commencé à visiter l’Inde pour étudier les traditions anti-castes de l’Asie du Sud.

Gail a également reçu un héritage intergénérationnel de travailleurs pour la justice sociale. Son grand-père, August Omtvedt, était un parlementaire au niveau local et au niveau de d’État dans le Minnesota, sous la bannière des partis socialiste et fermier-ouvrier.

Pendant ses études universitaires à Berkeley, Gail s’est retrouvée entraînée dans les mouvements de protestation anti-guerre, antiracistes et féministes. La culture de la Bay Area était alors influencée par le mouvement de la liberté d’expression et le Black Panther Party. Cette période de formation pour Gail a été marquée par une conception de la solidarité centrée sur les communautés noires et le peuple vietnamien en butte à la machine de guerre américaine.

Dès les années 1970, Gail s’était installée en Inde et défendait des causes analogues. Alliant érudition et militantisme, elle s’est lancée dans la constitution du mouvement ambedkarien et féministe. C’est alors que mes parents se sont rencontrés et sont tombés amoureux. Tous deux avaient été forgés par les urgences de leur époque, et avaient fait de la transformation sociale l’engagement de toute une vie.

Comme Gail l’a écrit à Bharat en 1976, peu après leur mariage : « Toute ma vie, j’ai rêvé de quelqu’un qui pourrait vraiment me comprendre, moi, mes espoirs, mes rêves. C’est tout simplement incroyable de sentir que j’ai trouvé quelqu’un, que nous nous sommes trouvés l’un l’autre, parce que tu voulais la même chose... le seul bémol, c’est cette ombre, la crainte que nous avons quant à notre avenir, parce qu’avec des gens comme nous, ceux qui font les choses que nous faisons pour amener un monde meilleur, nous n’avons aucune garantie que le pire ne se produira pas.

Nous méritons (tout le monde mérite !) cinquante années ensemble, et pourtant, à tout moment, quelque chose pourrait arriver. C’est quelque chose qui me fait encore peur de temps en temps ». Quant à Bahrat, le veuvage prématuré de sa mère continuait de le hanter et de structurer sa propre démarche.

Région du Maharashtra au centre-ouest de l’Inde, dont la capitale est Mumbai (Bombay).

Amour révolutionnaire

Dans les années 1970, de nouveaux mouvements sociaux faisaient florès, pendant et après la répression de l’état d’urgence. Bien qu’ayant étudié la médecine, Bharat a décidé de faire des mouvements sociaux l’œuvre de sa vie. Dans le cadre de Magowa, il a travaillé avec des agriculteurs et des mouvements ouvriers dalits, bahujan et adivasi, depuis l’environnement urbain de Bombay jusqu’à la région rurale du Maharashtra.

Pour ceux qui venaient des milieux ruraux et des castes inférieures, la lutte des castes était centrale et existentielle. Ils rejetaient la tendance de certains marxistes "orthodoxes" consistant à réduire les préoccupations liées aux castes à la seule primauté de la classe. Dans un tourbillon de voyages et de luttes, Bharat a écrit à Gail en 1979 : « Très chère Gilu — Au grand amour révolutionnaire des travailleurs, des Dalits et des femmes ! »

Il a sondé le terrain. « Il y a eu des marches organisées par les Dalit Panthers », ainsi que « davantage d’incidents d’affrontements entre propriétaires terriens et ouvriers agricoles ». « Les propriétaires terriens lancent des attaques armées contre les Adivasis », tandis que « les gens réagissent vigoureusement aux atrocités commises contre les Dalits » et « forment un front uni de tous les gens de gauche et des Dalits ».

Tout au long de mon enfance, alors que j’étais élevé par Indutai, Gail et Bharat, ils voyageaient souvent seuls pour leurs propres recherches et leur travail militant, séparés et pourtant liés par ces échanges de correspondance.

En 1980, les militants de Magowa ont fondé la Shramik Mukti Dal (Ligue de libération des travailleurs ou SMD), une véritable organisation populaire ayant une forte base ouvrière et une vision qui combinait les luttes pour la justice de classe, de caste et de genre. La SMD entendait opérer une synthèse entre les idées de Karl Marx et celles des intellectuels féministes et anti-castes tels que Jyotiba Phule, Savitribai Phule et B. R. Ambedkar.

Bharat est devenu un des organisateurs de la grève historique du textile de Bombay en 1982, qui a vu un quart de million de travailleurs fermer des dizaines d’usines, dans le cadre d’une campagne pour de meilleurs salaires et une amélioration des conditions de travail.

L’échec de cette grève a eu des répercussions à long terme au niveau des conditions de vie de dizaines de millions de travailleurs. La "libéralisation" du droit du travail indien a sapé le pouvoir des syndicats en tant que force d’auto-organisation de la classe ouvrière.

Lorsque les usines textiles ont fermé leurs portes et que les travailleurs ont perdu leur emploi, nombre d’entre eux ont migré, retournant vers leurs foyers ruraux. Le SMD de Bharat les a soutenus dans leur organisation et s’est transformé à leur contact. Bharat s’est concentré sur les luttes rurales les plus urgentes pour la terre et l’eau, tout en imaginant des modèles alternatifs et des rêves pour une économie et une écologie transformées.

Transmission de flambeau

Le Premier ministre indien, Narendra Modi, fait preuve d’un intense activisme nationaliste hindou. L’idéologie de l’hindutva (hindouité) met sous pression les minorités confessionnelles et fragilise le sécularisme et le multiculturalisme du pays (Source News4masses)

Des années 1980 aux années 2010, le travail d’organisation de Bharat, Gail et Indutai s’est poursuivi alors que le SMD construisait sa base populaire partout dans la région du Maharashtra, le deuxième État le plus peuplé de l’Inde, comptant plus de cent millions d’habitants.

Au cours des quarante dernières années, le SMD a encouragé la participation collective des populations les plus marginalisées de la société. Ces mouvements communautaires se sont mobilisés pour le droit aux ressources naturelles telles que l’eau, la terre et le vent ; pour les causes anti-castes au niveau familial, religieux et politique ; pour la justice de genre pour les luttes en faveur des moyens de subsistance pour les femmes sans terre et les travailleurs.

Gail et Indumati sont devenues des voix de premier plan dans le mouvement des femmes en Inde, en tant que militantes et intellectuelles. L’une des contributions avant-gardistes d’Indumati a été son leadership dans la constitution d’un mouvement virulent parmi les femmes abandonnées par les familles de leurs maris, afin que celles-ci puissent construire leur propre communauté, afin de lutter pour le droit à la terre et aux moyens de subsistance.

Indumati est décédée en 2017, tandis que Gail nous a quittés en 2021. La nécrologie de Gail par le New York Times la décrit comme « une leader du mouvement féministe du pays » qui a « défendu la cause des communautés marginalisées de l’Inde ». Cet article reconnaissait au SMD le mérite d’avoir « lancé certains des plus grands mouvements de masse organisés contre les injustices subies par les travailleurs de l’Inde rurale ».

Cette année nous célébrons le cinquantième anniversaire de la fondation des Dalit Panthers, qui se sont inspirés des Black Panthers américains. Fondé vingt-cinq ans après l’indépendance de l’Inde par de jeunes écrivains et militants dalits, les Panthers ont remis en cause les manifestations organisées à l’époque pour célébrer la liberté, alors même que les communautés pauvres et opprimées par les castes continuaient d’être victimes de brutalité et d’exploitation partout en Inde rurale et urbaine. Ils rêvaient d’une société radicalement différente, repensée à partir des luttes populaires.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un rêve diamétralement opposé, celui d’une société radicalement différente, avec une tentative de refaire la société grâce à la violence et la répression de l’Hindutva, manipulée par les élites d’en haut.

En 2022, alors que l’Inde célèbre les soixante-quinze ans de son indépendance, l’histoire et la politique de sa population restent un champ de bataille profondément conflictuel, tant sur le sous-continent qu’au sein de la diaspora mondiale.

Le programme du BJP, dirigé par l’élite, ne cherche pas seulement à s’implanter à tous les niveaux de l’État et de la société. Il tente également d’effacer la mémoire populaire et le riche héritage des combattants progressistes anticolonialistes de l’Asie du Sud.

Avec la migration des communautés indiennes et sud-asiatiques dans le monde entier, les idéologies de l’Hindutva et du castéisme brahmaniste se sont déplacées avec elle. Mais il en va de même pour les traditions libératrices de l’héritage sud-asiatique anti-caste, de gauche et féministe.

En m’enracinant dans ces traditions et dans les communautés progressistes de la diaspora d’aujourd’hui, je m’engage à faire avancer les rêves des féministes anti-castes et dalits, dans le cadre d’une solidarité mondiale qui lie toutes et chacune des luttes de libération.

Ceux qui reprennent le flambeau de Quit India et de Prati Sarkar — ceux qui se préoccupent des conditions de vie de la majorité Dalit-Bahujan-Adivasi et de la majorité de la classe ouvrière — auront pour tâche de préserver les histoires et les leçons de cet héritage intergénérationnel.

Si nous voulons que les cauchemars du régime autoritaire d’aujourd’hui soient contrés par le pouvoir supérieur des rêves démocratiques, il nous faudra une force populaire déterminante qui s’engagera dans son propre combat historique — comme le disait la combattante de la liberté Indutai « chaque goutte de sang qui coule dans mes veines danse pour cette lutte ».

Version imprimable :