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D’après Alternatives Economiques du 21 Juin 2022

Compromis à la baisse au Parlement européen

Par Bruno Bourgeon

jeudi 28 juillet 2022, par JMT

Compromis à la baisse au Parlement européen

Hémicycle du Parlement Européen

On efface tout, on recommence. Le 8 juin 2022, en séance plénière, les eurodéputés ont rejeté, par 340 voix contre 265, l’un des principaux textes législatifs du futur « paquet énergie-climat », celui qui porte sur la réforme du système européen des quotas d’émission de CO2 (ETS, selon l’acronyme anglais).

Il s’agit de l’outil phare de la politique climatique européenne. Ce mécanisme mis en place en 2005 alloue chaque année aux grands sites industriels à l’origine de 40% des émissions de CO2 de l’Union européenne (UE), des quotas d’émission dont le volume annuel est dégressif dans le temps.

Ce système fait depuis l’objet de révisions régulières négociées pour renforcer progressivement son niveau de contrainte, qu’il s’agisse du rythme annuel de diminution des quotas attribués, de l’extension des secteurs économiques assujettis (l’aviation intra-européenne depuis 2012) ou de la diminution du volume de quotas alloués gratuitement (aujourd’hui à l’ensemble de l’industrie lourde pour des motifs de concurrence internationale).

Cette question des allocations gratuites de quotas est devenue centrale avec les discussions sur la création d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, appelée « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » (ou CBAM selon l’acronyme anglais).

En effet, imposer aux produits importés une taxe proportionnelle à leur contenu carbone tout en exonérant les entreprises domestiques, en leur permettant d’obtenir gratuitement des quotas au lieu de les payer, créerait une concurrence déloyale et serait aussitôt attaqué devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’extrême droite (ID), les souverainistes (ECR) et une partie de la droite centriste et libérale avaient jugé la proposition de révision de la directive ETS trop ambitieuse, tandis qu’elle ne l’était pas assez pour les Verts, les sociaux-démocrates (S&D) et la gauche radicale (GUE/NGL).

Résultat : les uns et les autres l’ont, pour des motifs opposés, rejetée en bloc, les voix restantes du centre droit (Renew) et de la droite (PPE) n’étant pas suffisantes pour former une majorité. L’affaire était si grave et l’agenda si serré que les eurodéputés ont aussitôt décidé de revoter le texte, et manœuvré pour tâcher de réunir avant le nouveau tour de scrutin, fixé à ce mercredi 22 juin, une majorité de compromis.

Le blocage avait porté sur deux points. D’abord, la cible d’émissions, qui détermine le nombre de quotas alloués aux entreprises et le rythme de diminution de ceux-ci. Par rapport au compromis négocié en commission de l’environnement, un amendement voté le 8 juin en plénière porté par la droite (PPE) avec le soutien du centre-droit (Renew) avait fait passer de -68% à -63% en 2030 (par rapport à 2005) l’objectif de baisses d’émissions imposé aux secteurs couverts par l’ETS, le -63% correspondant au deal négocié en commission de l’énergie.

Ensuite, et surtout, le PPE, avec l’appui de l’extrême droite (ID) et des eurosceptiques (CRE), avait fait passer en plénière un amendement repoussant à 2034 la fin des quotas gratuits pour les secteurs concernés par le futur mécanisme carbone aux frontières, soit au-delà de 2030 validé au niveau de la commission environnement du Parlement.

Il est très rare qu’un texte soit rejeté lors du vote final en plénière à Strasbourg, car les amendements font l’objet de discussions en amont entre les groupes politiques pendant le travail en commissions. Pour empêcher que le séisme du 8 juin ne se reproduise le 22, les tractations sont allées bon train entre les groupes parlementaires pour tâcher de trouver une majorité avant le 15 juin, date limite de dépôt des amendements sur le texte.

Ces compromis négociés à la baisse disent combien les enjeux sont élevés et les tensions fortes entre ceux qui souhaitent appuyer sur la pédale du frein et ceux qui veulent mettre le pied sur l’accélérateur.

Les groupes PPE, Renew et S&D sont parvenus à un accord qui assure une majorité. La fin des quotas gratuits pour l’industrie serait mise en place à partir de 2027 et atteinte en 2032, avec un rythme très lent les deux premières années. Le PPE a en outre obtenu que les industriels puissent continuer à profiter de quotas gratuits à hauteur de leur part d’exportations vers les pays sans taxe carbone, à supposer que cela soit juridiquement possible.

Ces compromis disent combien les enjeux sont élevés et les tensions fortes entre différents groupes d’intérêts à l’approche des décisions concrètes à prendre, entre ceux qui souhaitent appuyer sur la pédale du frein et ceux qui veulent mettre le pied sur l’accélérateur de l’action pour le climat.

En décembre 2019, Ursula von der Leyen, à peine arrivée à la tête de la Commission européenne, avait présenté un Pacte vert (Green Deal) pour entre autres réaliser, au niveau de l’UE, les objectifs de l’accord de Paris sur le climat… signé en 2015. Il a fallu ainsi attendre quatre ans pour qu’une proposition ambitieuse soit mise sur la table.

Mais l’ambition est là : atteindre en 2050 la neutralité climatique, c’est-à-dire ne pas émettre plus de GES que l’on en peut séquestrer, via les forêts et les sols. La proposition a été approuvée par les Etats membres… Sans toutefois dire le comment.

Un an plus tard, les dirigeants européens s’accordent pour relever l’ambition. L’objectif alors en vigueur, une baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre en 2030 (par rapport à 1990) est incompatible avec l’atteinte de la neutralité climat en 2050. Ils valident, en décembre 2020, la proposition de la Commission de réaliser une baisse d’émissions d’au moins 55% en 2030. Un réel succès là encore, mais qui reste toujours aussi flou sur le comment.

En juillet 2021, un mois à peine après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi européenne sur le climat pour mettre en œuvre l’accord de Paris, la Commission présente un « paquet » d’une vingtaine de propositions législatives visant à atteindre le -55% de baisse d’émissions en 2030 (le « Fit for 55 package » dans le jargon bruxellois). Il s’agit principalement d’un renforcement des textes existants, comme l’ETS, celui sur les énergies renouvelables ou encore celui sur l’efficacité énergétique.

Apparaissent des éléments nouveaux, dont le mécanisme d’ajustement aux frontières, et également la création d’un fonds social pour le climat, nourri par une partie des recettes des ventes de quotas d’émission, destiné à compenser les effets sociaux d’une réglementation climatique plus exigeante.

La balle est dans le camp du Parlement européen et du Conseil : se prononcer sur chacune des propositions législatives du « Fit for 55 », séparément puis par négociations en présence de la Commission (trilogue).

Ce travail herculéen est loin d’être abouti. A ce jour, 7 textes du paquet climat ont fait l’objet d’un scrutin au Parlement européen le 8 juin dernier, et d’autres sujets clés sont à venir (révision de la directive sur les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la taxation de l’énergie…).

4 sont passés le 8 juin et 3 seront revotés le 22 juin : celui sur l’ETS, qui a été rejeté, et 2 autres qui ne peuvent être traités séparément et n’avaient par conséquent pas été mis aux voix le 8 juin : la taxe carbone aux frontières qui dépend des arbitrages sur la fin des quotas gratuits et le fonds social sur le climat, tributaire des arbitrages sur le produit de la vente des quotas.

A noter que le Parlement ne retient que partiellement la proposition de la Commission d’étendre l’ETS aux bâtiments et aux véhicules, ce qui reviendrait à instituer une taxe carbone… avec le risque « gilets jaunes ».

Seules les entreprises de transport routier et le parc immobilier des sociétés seraient concernés. Concernant le fonds social destiné à corriger les effets sociaux des mesures climat, son montant sera moindre que ce qu’envisageait la Commission, du fait de la réduction de la réforme de l’ETS

Après le Parlement viendra l’étape du Conseil. La présidence française finissante a pour ambition que ces textes fassent l’objet d’un accord le 28 juin entre les 27 exécutifs lors du prochain Conseil des ministres de l’environnement. Difficile. Et il y aura les négociations en trilogue, prévues à l’automne.

Rien de ce qui sera voté au Parlement européen mercredi prochain sur l’ETS et les textes qui lui sont liés, la taxe carbone aux frontières et le fonds social sur le climat, ne peut donc être tenu pour acquis et le niveau de l’ambition a bien des chances de reculer encore de quelques cases. Il en va de même pour les textes du paquet climat qui ont déjà été approuvés à Strasbourg le 8 juin dernier.

La fin des voitures thermiques, dont les hybrides, en 2035 est loin d’être inscrite dans la loi européenne Le plus médiatique est la réduction de 100% des émissions de CO2 des voitures et camionnettes d’ici 2035, conformément à la proposition de la Commission. Une échéance actuellement fixée à 2040 dans la loi française.

La baisse sera de 15% d’ici 2025 puis de 55% en 2030. Ce vote (339 pour, 249 contre, 24 abstentions) est un échec pour le PPE qui n’a pas réussi à rassembler une majorité contre. Mais on ne sait pas ce que fera le Conseil au vu des dizaines de milliers d’emplois menacés par l’électrification des autos qu’il faudra accompagner, puis ce qui ressortira des négociations en trilogue.

Le Parlement ne s’est pas montré mieux disant que la Commission, si bien que le point de compromis qui sera trouvé avec le Conseil pourrait se trouver bien en deçà. La fin des voitures thermiques en 2035 est donc encore loin d’être inscrite dans la loi européenne.

Et une grosse majorité de parlementaires (367) ont envoyé un très mauvais signal en votant l’amendement « Ferrari » (déposé par les souverainistes italiens), qui autorise les voitures de luxe fabriquées à moins de 1000 unités de continuer à rouler à l’essence. Les riches ont pourtant les moyens de ne pas polluer…

Les parlementaires ont également resserré la vis sur l’aviation. Elle fait l’objet depuis 2012 d’un système de quotas, non pleinement intégré au régime de l’ETS et très peu contraignant par ailleurs. Seuls les vols intra-européens sont assujettis à des quotas, qui par ailleurs sont alloués gratuitement aux compagnies aériennes… par ailleurs exemptées de taxes sur le kérosène.

Avec le texte du 8 juin, le champ d’application des quotas est élargi aux vols internationaux sortants (mais non entrants) et les quotas gratuits seront éliminés en 2025, 2 ans plus tôt que ce qu’a proposé la Commission. Avec une réserve de 40 millions de quotas gratuits (et autant de t de CO2) dans lesquelles les compagnies utilisant des carburants « durables » pourront piocher à hauteur du CO2 prétendument évité.

L’ETS couvre les gros sites industriels et les centrales à gaz et au charbon, mais cela ne concerne pas le secteur diffus (agriculture, bâtiments, transports…), soit 60% des émissions de gaz à effet de serre. Cet ensemble fait l’objet d’une directive dite de « partage de l’effort climatique », dont il faut aussi relever l’ambition. Aujourd’hui, l’objectif est de réaliser une baisse de 30% en 2030 au niveau européen par rapport à 2005 (-37% en France).

Les eurodéputés ont validé le 8 juin la préconisation de la Commission : porter cette baisse à -40% (et -47,5% en France). A voir, là encore, ce qu’en feront les Etats membres. Un hic de taille : contrairement à ce que préconisait la rapporteure du projet de loi, membre du PPE, aucune sanction financière n’est prévue si un pays émet au-delà de son objectif.

Enfin, le dernier texte passé au parlement le 8 juin porte sur les puits de carbone naturels. L’objectif est d’accroître la capacité des forêts et des sols à capturer le carbone de l’atmosphère.

Concernant la forêt, tout dépendra concrètement de la manière dont ce « puits » sera développé et entretenu. Une intensification de la sylviculture peut conduire à des désastres écologiques. Inversement, une gestion fine et raisonnée peut permettre tout à la fois d’augmenter le volume de bois sur pied, d’enrichir la biodiversité forestière et d’accroître la production de bois d’œuvre et de bois-énergie.

Concernant la séquestration de carbone dans les sols, les députés PPE refusent des objectifs précis. Cela aurait conduit à développer des pratiques agricoles à rebours du modèle dominant : haies, agroforesterie, extension des prairies, plus de diversification, rotation des cultures…

Dans le contexte de l’inflation, de la flambée des prix de l’énergie et alimentaires liée à la reprise post-Covid et à l’agression de l’Ukraine, le Parlement ne s’est pas montré mieux disant par rapport à la Commission, comme il a pu l’être par le passé.

Les partisans du frein ont gagné du terrain sur les partisans de l’accélérateur. La messe n’est pas dite, mais il n’est pas sûr que la somme des arbitrages qui seront rendus à partir de cet automne mette l’Europe en bon ordre de marche pour son objectif de -55% en 2030. Dans 7.5 années.

Depuis l’accord de Paris, 7.5 ans se sont écoulés, 2.5 ans depuis l’annonce du Green Deal. Et, en définitive, toujours pas de traduction concrète de ces ambitions dans la réglementation européenne.

Depuis, canicules et chocs climatiques se suivent. Depuis, il y a eu une pandémie mondiale puis une guerre au cœur de l’Europe qui ont souligné l’urgence de sortir des énergies fossiles, de restaurer les équilibres naturels et de reconquérir une autonomie dans l’Union. Que faut-il d’autre ?

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

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