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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-102

L’effet boomerang des sanctions américaines

Par Ariel Petrovics et Ryan White, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

vendredi 26 août 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

L’effet boomerang des sanctions américaines

Le 1er Août 2022, par Ariel Petrovics et Ryan White

Le président iranien Ebrahim Raisi et le président russe Vladimir Poutine assistent à une conférence de presse après le sommet du processus d’Astana à Téhéran, en Iran, le 19 juillet 2022 (Majid Asgaripour/WANA (West Asia News Agency)/Handout via REUTERS) ATTENTION - CETTE IMAGE A ÉTÉ FOURNIE PAR UN TIERS.

Les sanctions des États Unis contre l’Iran et la Russie seraient-elles en train de se retourner contre eux de manière dangereuse ? L’Occident a peut-être contribué à faire naître un partenariat déstabilisant qui sera difficile à endiguer une fois qu’il sera effectif.

Washington a eu de plus en plus recours aux sanctions économiques pour faire face à ses préoccupations en matière de sécurité vis à vis de la Russie et de l’Iran, mais ces initiatives séparées ont interagi de telle sorte qu’elles risquent de se retourner contre eux, plutôt que de renforcer la sécurité des États-Unis et de la région.

En Iran, les sanctions américaines ont permis de paralyser l’économie de Téhéran, mais elles ont aussi, sans le vouloir, engendré une résistance intérieure aux négociations en cours et entravé les efforts diplomatiques visant à limiter son programme nucléaire contesté.

De façon similaire, les sanctions prises à l’encontre de la Russie à la suite de l’invasion de l’Ukraine ont dans un premier temps réduit son PIB, mais ont depuis incité Moscou à trouver de nouveaux alliés et marchés, réduisant ainsi le pouvoir coercitif des sanctions et renforçant les liens du Kremlin avec des partenaires désireux de saper les efforts occidentaux visant à l’isoler.

Des efforts séparés en matière de sanctions ont donc incité, de façon non intentionnelle, deux des pays présentant les menaces les plus préoccupantes de Washington concernant la paix régionale à accroître leur coopération économique et sécuritaire.

Iran
L’administration Trump a reconduit les sanctions globales contre le programme nucléaire iranien en 2018 et les a étendues en 2019 et 2020, bloquant des milliards de dollars d’actifs étrangers de l’Iran, réduisant considérablement ses recettes générées par les exportations de pétrole dont son gouvernement dépend, et plongeant temporairement l’économie dans la récession.

Cependant, au lieu de mettre la République islamique à genoux, cette pression a paradoxalement renforcé le pouvoir politique intérieur des partisans de la ligne dure de Téhéran et accru le soutien de l’opinion publique aux activités nucléaires à risques interdites par l’accord nucléaire de 2015, ou PAGC (Accord de Vienne).

Un sondage réalisé en 2021 par le Centre d’études internationales et de sécurité de l’Université du Maryland a révélé que les trois quarts de la population iranienne soutenaient l’augmentation des activités nucléaires de Téhéran, un soutien qui a lui permis de doubler plus facilement ses activités litigieuses d’enrichissement et de stockage de matières nucléaires, même dans un contexte de pression internationale.

Le résultat en est que, depuis la ré-instauration des sanctions, l’Iran a augmenté son stock d’uranium hautement enrichi, étendu ses capacités d’enrichissement pour produire davantage de combustible et remplacé les dirigeants plus modérés de Téhéran par des partisans de la ligne dure moins disposés à faire des compromis avec Washington.

Le climat politique de l’Iran et sa résistance croissante aux sanctions ont créé une brèche que la Russie peut exploiter par le biais d’une coopération bilatérale et énergétique accrue, d’un accord sur une nouvelle route commerciale directe et de transferts de technologie militaire qui contournent les sanctions et sapent les efforts des États-Unis sur les deux fronts.

Les diplomates Iraniens et des puissances mondiales siègent à Vienne depuis des mois pour rétablir l’accord nucléaire de 2015.

Russie
Peu après le lancement à Vienne du tout dernier cycle de négociations entre le P5 + 1 (les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Chine et la Russie plus l’Allemagne) et l’Iran, la Russie a envahi l’Ukraine, déclenchant une crise apparemment sans rapport entre les principaux protagonistes du PAGC. Les États-Unis ont alors pris la tête d’un mouvement international soutenu par 40 États du monde entier pour imposer des sanctions étendues et rigoureuses contre Moscou.

Les sanctions conjuguées des États-Unis et des Nations Unies contre la Russie ont d’abord fait chuter le PIB de la Russie d’environ 11 % et entraîné une importante dévaluation du rouble. Ces efforts ont d’abord été applaudis pour la promptitude avec laquelle les alliés occidentaux des pays industrialisés ont collectivement manifesté leur opposition à l’invasion et ont très vraisemblablement fait obstacle à l’effort de guerre de la Russie.

Toutefois, après la première piqûre des sanctions en février, la Russie a depuis réussi à stabiliser considérablement son économie — le rouble a actuellement retrouvé sa valeur d’avant l’invasion — tout comme ses recettes pétrolières (l’exportation la plus précieuse de l’État), en partie en contournant les restrictions des sanctions.

Moscou a tenté de tirer parti de sa position dans les négociations avec l’Iran et de son influence économique régionale pour atténuer l’effet des nouvelles sanctions auxquelles elle était confrontée en raison de la crise ukrainienne.

La Russie a exigé des « garanties écrites » de la part des États-Unis stipulant que la coopération de Moscou avec l’Iran ne serait pas affectée par les sanctions auxquelles la Russie a été soumise pour ses opérations en Ukraine, ce qui a obligé le Kremlin à chercher d’autres moyens d’alléger les sanctions.

Un partenariat avec l’Iran n’est pas seulement une contribution favorable aux tentatives russes de faire tomber les sanctions, il sert également les intérêts de Moscou en matière de sécurité. L’offensive militaire de la Russie contre l’Ukraine s’est avérée à la fois plus coûteuse et moins concluante que ne l’avait prévu Poutine, et a entraîné des pertes croissantes et une OTAN plus unifiée, plutôt que moins. La liste de ses partenaires potentiels se réduisant, la Russie est de plus en plus encline à renforcer ses relations avec d’autres États qui défendent des intérêts communs.

Un partenariat dangereux
Alors que la coopération, même nucléaire, entre Téhéran et Moscou n’est pas nouvelle, elle a perdu de son importance ces dernières années. En effet, l’aide russe concernant les sanctions du P5 +1 contre l’Iran en 2012 aurait semble-t-il joué un rôle clé dans la conclusion du PAGC.

Mais il existe également un solide précédent historique qui laisse penser que la Russie n’est pas entièrement favorable à un accord nucléaire international avec l’Iran et que des pressions géopolitiques fluctuantes peuvent l’amener à préférer un Iran en pleine prolifération, en conflit avec Washington à un Iran coopératif ami de l’Occident.

Ainsi, les services de renseignement américains ont estimé que la Russie avait fourni à l’Iran une technologie nucléaire à double usage (ou utilisable pour la fabrication d’armes) sous couvert d’énergie civile dans les années 1990 et au début des années 2000 — y compris la construction du réacteur nucléaire de Bushehr, dont Washington craignait qu’il puisse accélérer un programme d’armement. La Russie était également pour le moins ambivalente à propos du PAGC lorsqu’il a été signé en 2015.

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergei Lavrov (à droite) et le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian entrent dans une salle lors d’une réunion à Moscou le 15 mars 2022 (Reuters)

« La Russie ne voulait pas que l’accord aboutisse », a déclaré l’ancien ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif dans un enregistrement audio ayant fait l’objet d’une fuite, « en effet il n’était pas dans l’intérêt de Moscou que l’Iran normalise ses relations avec l’Occident ».

Et en mars de cette année, la Russie a de nouveau démontré que son engagement en faveur d’un Iran non nucléaire ne tient que tant qu’il est politiquement opportun, notamment lorsqu’il est lié à l’allègement des sanctions internationales auxquelles Moscou est confronté en raison de la guerre en Ukraine.

Maintenant que les récents développements ont placé la Russie et l’Iran dans le collimateur des sanctions américaines, les deux pays ont cherché de nouvelles voies de coopération qui contournent la surveillance américaine et internationale, sapent l’influence de Washington sur les deux fronts et donnent à la Russie un moyen de saborder le PAGC si le balancier de ses préférences nucléaires repart dans cette direction.

La collaboration naissante entre Téhéran et Moscou est devenue de plus en plus explicite ces derniers mois. Les deux pays ont signé fin mai un accord qui élargit la coopération énergétique. Le commerce bilatéral a augmenté de plus de 10% au cours du seul premier trimestre de 2022.

Les deux parties ont également discuté de l’accroissement de leur coopération en matière d’énergie nucléaire, selon le même modèle que celui de la construction de la centrale de Bushehr par la Russie.

Lors de sa visite à Téhéran le mois dernier, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a souligné que les deux nations étaient sous le coup de sanctions américaines de grande ampleur et qu’une coopération accrue pourrait contrer « le poids négatif de la position égoïste adoptée par les États-Unis et leurs satellites ».

Les dimensions militaires de ces liens sont désormais encore plus évidentes. En juillet, l’Iran aurait semble-t-il accepté de fournir à la Russie plusieurs centaines de drones tant de surveillance que porteurs d’armes, ce qui pourrait bien indiquer que la collaboration évoquée par Lavrov ne se limitera pas aux seuls domaines civils pacifiques.

Le ministre iranien du pétrole Javad Owji et le vice-premier ministre russe Alexander Novak ont signé trois documents de coopération (Source Government of the Islamic Republic of Iran)

Un partenariat entre Moscou et Téhéran qui reposerait sur une détermination commune de s’opposer à l’influence occidentale pourrait faire peser de graves menaces sur les intérêts des États-Unis et de l’Occident en matière de sécurité, notamment au Moyen-Orient, y compris en termes de prolifération nucléaire.

Le risque est que les sanctions auxquelles Washington a de plus en plus souvent recours pour contrer ces menaces pour la sécurité pourraient de fait créer de nouvelles avenues qui, par inadvertance, sapent ses objectifs à long terme.

En rapprochant dans une alliance un pays présentant un risque de prolifération nucléaire et une superpuissance nucléaire agressive, les sanctions ont contribué à créer un partenariat déstabilisant qui sera difficile à défaire.

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