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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-106

Autocratie numérique : La surveillance des IA sonne le glas de la vie privée

Par John W. Whitehead & Nisha Whitehead, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 5 septembre 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Autocratie numérique : La surveillance des IA sonne le glas de la vie privée

Le 20 juillet 2022 par John W. Whitehead & Nisha Whitehead

Surveillance numérique (Source medium.com)

Avocat constitutionnel et auteur, John W. Whitehead est le fondateur et le président de l’Institut Rutherford. Ses livres les plus récents sont le best-seller Battlefield America : The War on the American People, le livre primé A Government of Wolves : The Emerging American Police State, et un premier roman de fiction dystopique, The Erik Blair Diaries. J.W. Whitehead peut être contacté à l’adresse staff@rutherford.org.

Nisha Whitehead est quant à elle directrice exécutive de l’Institut Rutherford. Des informations sur l’Institut Rutherford sont disponibles à l’adresse www.rutherford.org.

« Vous savez bien qu’il n’y a plus aucune vie privée pour personne. C’est un aspect très important de la vie moderne. L’une des plus grandes transformations que nous ayons vécues dans notre société est la disparition de la sphère privée. Désormais, il nous faut tous raisonnablement accepter le fait qu’il n’y a plus de secrets et que rien n’est privé. Tout est public » - Philip K. Dick

Rien n’est privé. Nous sommes sur la corde raide, à l’aube d’une révolution culturelle, technologique et sociétale d’une ampleur sans précédent.

Alors que la gauche et la droite continuent de faire de l’avortement le point central du débat sur le droit à la vie privée en Amérique, le gouvernement et ses partenaires commerciaux, aidés par les progrès rapides de la technologie, sont en train de transformer le monde en un lieu où la vie privée n’existe plus du tout. Rien de ce qui était autrefois privé n’est à l’abri.

Passe de sécurité (Source Helpnet security)

Nous ne sommes même pas encore prêts à mesurer les retombées du tsunami qui nous tombe dessus sous la forme d’une surveillance par l’IA (intelligence artificielle), et pourtant, celle-ci est déjà en train de transformer notre monde en un lieu où la liberté est presque méconnaissable.

La surveillance par l’IA tire parti de la puissance de l’intelligence artificielle et de la technologie de surveillance généralisée pour faire ce que l’État policier ne peut pas faire de façon efficace faute de main-d’œuvre et de ressources : être partout, surveiller tout le monde et tout ce qui existe, contrôler, identifier, cataloguer, recouper, faire des références croisées et participer à la collusion.

Tout ce qui était autrefois privé est maintenant à la portée d’un bon acheteur. Les gouvernements tout comme les entreprises ont, imprudemment, adopté les technologies de surveillance de l’IA en toute sérénité et sans se soucier de leur impact à long terme sur les droits des citoyens.

Comme l’indique un rapport extraordinaire du Carnegie Endowment for International Peace, « un nombre croissant d’États déploient des outils de surveillance IA avancés pour contrôler, suivre et surveiller les citoyens afin de satisfaire toute une série d’objectifs politiques — certains légaux, d’autres qui violent les droits humains, et beaucoup d’autres encore qui se situent dans une zone trouble intermédiaire ».

En effet, à chaque fois qu’une nouvelle technologie de surveillance par l’IA est adoptée et déployée sans aucun respect de la vie privée, des droits relatifs au quatrième amendement et des procédures légales, les droits des citoyens sont marginalisés, sapés et annihilés. Attention à la progression de l’autoritarisme numérique

Selon un nouveau rapport, les caméras de sécurité enregistrent l’Américain moyen 238 fois par semaine, dont 14 fois par semaine par les caméras de sonnettes sans fil comme le dispositif Ring d’Amazon.

Comme le souligne le Center for Strategic and International Studies pour nous mettre en garde, l’autoritarisme numérique implique l’utilisation des technologies de l’information pour surveiller, réprimer et manipuler la population, en mettant en danger les droits humains et les libertés civiles, et en récupérant et corrompant les principes fondamentaux des sociétés démocratiques et transparentes, « notamment la liberté de mouvement, le droit de s’exprimer librement et d’exprimer une dissidence politique, et le droit à la vie privée, en ligne et hors ligne ».

Les graines de l’autoritarisme numérique ont été plantées dans le sillage des attentats du 11 septembre 2001, avec l’adoption du Patriot Act américain. Cette énorme liste, longue de 342 pages énumérant les souhaits de la CIA et du FBI d’obtenir des pouvoirs étendus a justifié une surveillance nationale à plus grande échelle, la logique étant que si les agents du gouvernement en savaient plus sur chaque Américain, ils pourraient faire la distinction entre les terroristes et les citoyens respectueux des lois. Elle a sonné le glas des libertés inscrites dans le marbre de la Déclaration des Droits, en particulier le quatrième amendement, et a normalisé les pouvoirs de surveillance de masse du gouvernement.

Dans le New York Times, Jeffrey Rosen observe qu’« avant le 11 septembre, l’idée que les Américains pourraient volontairement accepter de vivre leur vie sous le regard d’un réseau de caméras de surveillance biométrique, les épiant dans les bâtiments gouvernementaux, les centres commerciaux, les métros et les stades, aurait semblé impensable, le fantasme dystopique d’une société qui aurait renoncé à la vie privée et à l’anonymat ».

Big Brother te regarde (Image Credit : Devrimb/Getty)

Qui aurait pu prédire que 50 ans après que George Orwell eut tapé les derniers mots de son roman dystopique 1984, « Il aimait Big Brother », nous en viendrions à aimer Big Brother. Pourtant, c’est exactement ce qu’il s’est passé.

Comme l’a proclamé un des ardents défenseurs de la surveillance par l’IA, « la surveillance n’est plus seulement un œil attentif, il est aussi un œil prédictif ». Par exemple, l’IA des émotions, une technologie émergente qui gagne en popularité, utilise la technologie de reconnaissance faciale « pour analyser les expressions à partir de l’empreinte faciale d’une personne afin de détecter ses émotions ou sentiments intimes, ses mobiles et ses attitudes ». Après le 11 septembre, Rosen a constaté que « les gens étaient heureux de renoncer à leur vie privée sans pour autant bénéficier d’une amélioration correspondante de leur sécurité. »

Plus soucieux de se sentir en sécurité que d’être réellement en sécurité, ils ont exigé la construction de vastes infrastructures technologiques de surveillance, même si les études les plus empiriques indiquaient que la prolifération des caméras de surveillance n’avait « aucune incidence sur les crimes violents ou le terrorisme »

Dans les décennies qui ont suivi le 11 septembre 2001, un vaste complexe industriel de la sécurité a vu le jour, axé sur la militarisation, la surveillance et la répression. La surveillance est la clé.

Nous sommes surveillés partout où nous allons. Radars de contrôle de vitesse. Caméras aux feux rouges. Caméras portées de la police. Caméras dans les transports publics. Caméras dans les magasins. Caméras sur les poteaux électriques publics. Caméras dans les voitures. Caméras dans les hôpitaux et les écoles. Caméras dans les aéroports. Nous sommes enregistrés au moins 50 fois par jour. On estime que les États-Unis comptent à eux seuls plus de 85 millions de caméras de surveillance, ce qui les place en deuxième position derrière la Chine.

Symboles de l’internet (Source Wired)

Chaque jour, l’Américain moyen qui vaque à ses occupations est surveillé, épié et pisté de plus de 20 façons différentes par les yeux et les oreilles du gouvernement et des entreprises. Faites attention à ce que vous dites, à ce que vous lisez, à ce que vous écrivez, aux endroits où vous allez et aux personnes avec lesquelles vous communiquez, car tout sera enregistré, stocké et utilisé contre vous un jour ou l’autre, au moment et à l’endroit choisis par le gouvernement. Pourtant, ce n’est pas seulement ce que nous disons, où nous allons et ce que nous achetons qui est suivi à la trace.

Nous sommes surveillés jusque dans nos gènes, grâce à une puissante combinaison de matériel, de logiciels et de collecte de données qui scannent nos données biométriques — nos visages, iris, voix, profil génétique, microbiomes, odeurs, démarche, battements de cœur, respiration, comportements --- qui les passent dans des programmes informatiques capables de décomposer les données en « identifiants » uniques, puis les offrent au gouvernement et à ses alliés commerciaux pour leurs usages respectifs.

La Chine affirme que sa surveillance IA peut déjà lire les expressions faciales et les ondes cérébrales afin de déterminer dans quelle mesure les membres du public sont reconnaissants, obéissants et prêts à se soumettre au Parti communiste.

C’est la pente glissante qui mène à la police de la pensée.Cette technologie est déjà utilisée « par les gardes-frontières pour détecter les menaces aux postes de contrôle, ou encore comme aide à la détection et au diagnostic des patients souffrant de troubles de l’humeur, ou comme façon de surveiller le degré d’ennui ou les perturbations dans les salles de classe, et même pour analyser le comportement humain pendant les appels en visio ».

Un homme portant un masque de protection marche sous des caméras de surveillance à Shanghai, en Chine, le 28 février 2020 (Aly Song/Reuters)

À toutes fins utiles, il existe désormais une quatrième branche du gouvernement : l’État de surveillance. Cette quatrième branche a vu le jour sans qu’il y ait le moindre mandat électoral, pas plus que de référendum constitutionnel, et pourtant elle possède des superpouvoirs, supérieurs à ceux de toute autre agence gouvernementale, à l’exception de l’armée. Elle est omnisciente, omniprésente et toute-puissante. Elle agit en dehors du champ d’action du Président, du Congrès et des tribunaux, et elle collabore étroitement avec l’élite des entreprises qui dirigent réellement Washington, DC.

L’appareil de surveillance « technotyrannique » du gouvernement s’est tellement enraciné et enchevêtré au sein de son appareil d’État policier qu’il est difficile de savoir où s’arrête l’application de la loi et où commence la surveillance. La réponse est simple : ils sont devenus une seule et même entité. L’État policier a passé le relais à l’État de surveillance, qui est passé à la vitesse supérieure grâce à des technologies d’intelligence artificielle. La pandémie de COVID-19 a contribué à centraliser davantage encore le pouvoir numérique entre les mains du gouvernement, au détriment du droit à la vie privée des citoyens.

« Depuis les caméras qui identifient les visages des passants jusqu’aux algorithmes qui gardent un œil en ligne sur l’opinion publique, les outils pilotés par l’intelligence artificielle (IA) repoussent les frontières dans le monde entier, grâce à la surveillance étatique ». Voici la première phrase du rapport du Carnegie Endowment sur la note de surveillance de l’IA. « Les organismes chargés de l’application de la loi, de la sécurité nationale, de la justice pénale et de la gestion des frontières de toutes les régions s’appuient sur ces technologies — qui utilisent des techniques statistiques de reconnaissance des formes, l’apprentissage automatique et l’analyse des big data — pour surveiller les citoyens ».

Environ 17,46 millions de personnes "discréditées" ont été empêchées d’acheter des billets d’avion et 5,47 millions ont été empêchées d’acheter des billets de train à grande vitesse, selon le rapport (Photo : Handout)

Tant aux mains de tyrans que dans celles de dictateurs bienveillants, la surveillance par l’IA est le moyen ultime de répression et de contrôle, notamment par l’utilisation de plateformes de villes intelligentes et connectées/ villes sûres, de systèmes de reconnaissance faciale et de services de police prédictifs. Ces technologies sont également utilisées par des groupes extrémistes violents, ainsi que par des réseaux de trafic sexuel, pédophile, de stupéfiant et d’armes, à des fins infâmes.

La Chine, modèle de notre futur dystopique, a joué un rôle majeur dans le déploiement de la surveillance par l’IA de ses propres citoyens, notamment par le biais de ses systèmes de crédit social, qu’elle utilise pour identifier, suivre et séparer ses « bons » citoyens des « mauvais ».

Les notes de satisfaction attribuées sur les médias sociaux aux particuliers et aux entreprises en Chine permettent de les classer en fonction de leur capacité à faire partie ou non de la société. Un système d’identité réelle — qui exige que les personnes utilisent des cartes d’identité délivrées par le gouvernement pour acheter des cartes SIM, obtenir des comptes de médias sociaux, prendre le train, monter dans un avion ou même acheter des produits alimentaires — associé aux notes de crédit attribuées par les médias sociaux garantit que les personnes figurant sur la liste noire des « indésirables » se voient interdire l’accès aux marchés financiers, l’achat de biens immobiliers ou les voyages en avion ou en train. Parmi les activités qui peuvent vous valoir d’être étiqueté « indésirable », citons le fait de prendre des sièges réservés dans les trains ou de causer des problèmes dans les hôpitaux.

Une capture d’écran de la vidéo dans laquelle un programme d’IA est utilisé pour évaluer le niveau de "détermination à être reconnaissant envers le parti, à écouter le parti et à suivre le parti" des membres du Parti communiste (Fourni par The Telegraph)

De la même manière que les produits chinois ont infiltré presque tous les marchés dans le monde et modifié les dynamiques de consommation, la Chine exporte maintenant sa « technologie de surveillance autoritaire » auprès des gouvernements du monde entier, ostensiblement dans le but de répandre sa conception du totalitarisme dans le monde entier. En fait, la Chine et les États-Unis ont tous deux ouvert la voie en fournissant au reste du monde des systèmes de surveillance par l’IA, parfois à des tarifs subventionnés. Voilà comment le totalitarisme conquiert le monde.

Si les pays qui ont des régimes autoritaires se sont empressés d’adopter la surveillance par l’IA, comme l’indique clairement la recherche du Carnegie Endowment, les démocraties libérales utilisent également « de manière agressive les outils d’IA pour contrôler les frontières, appréhender les criminels potentiels, surveiller les citoyens pour leur mauvais comportement et exfiltrer des foules les terroristes présumés . »

En outre, il est facile de voir comment le modèle chinois de contrôle de l’internet a été intégré dans les efforts de l’État policier américain pour débusquer les extrémistes nationaux soi-disant antigouvernementaux.

Codage informatique (Source Eurasia Review)

Selon le rapport approfondi du journaliste Adrian Shahbaz, le modèle chinois d’autoritarisme numérique comporte neuf éléments lorsqu’il s’agit de censurer les discours et de cibler les militants :

1) les dissidents sont victimes de cyberattaques et d’hameçonnage persistants ;
2) les médias sociaux, les sites web et les applications de messagerie sont bloqués ;
3) les messages critiquant les représentants du gouvernement sont supprimés ;
4) l’accès aux téléphones portables et à l’internet est supprimé pour punir l’activisme ;
5) des commentateurs rémunérés occultent les critiques hostiles au gouvernement ;
6) de nouvelles lois renforcent la réglementation des médias en ligne
7) le comportement des citoyens est contrôlé par des outils d’intelligence artificielle et de surveillance ;
8) des personnes sont régulièrement arrêtées pour avoir publié des messages critiquant le gouvernement ;
9) et les activistes en ligne sont amenés à disparaître .
Il n’est même pas nécessaire de critiquer le gouvernement pour être pris au piège de la toile de la censure numérique et de la surveillance par l’IA.

Le danger que représente l’État de surveillance s’applique également à chacun d’entre nous, qu’il s’agisse de contrevenants ou de gens respectueux de la loi, il n’y a aucune différence. Lorsque le gouvernement voit tout et sait tout, et qu’il dispose de pléthore de lois pour faire du citoyen le plus apparemment intègre un criminel et un transgresseur de la loi, le vieil adage selon lequel vous n’avez rien à craindre si vous n’avez rien à cacher ne s’applique plus.

Comme l’écrit Orwell dans « 1984 », « Il vous fallait vivre — et vous le faisiez vraiment, par une habitude devenue instinct — dans l’idée que chaque bruit que vous faisiez était entendu et que, sauf dans l’obscurité, chaque mouvement était scruté ». À une époque où il y a trop de lois, trop de prisons, trop d’espions gouvernementaux et trop d’entreprises désireuses de s’enrichir rapidement aux dépens du contribuable américain, nous sommes tous coupables d’une transgression ou d’une autre.

La Guerre contre le peuple Américain

Personne n’est épargné. Comme l’écrit Elise Thomas pour Wired : « Grâce aux nouvelles technologies de surveillance, vous ne serez plus jamais anonyme ». Il ne faudra pas longtemps avant que nous ne nous surprenions à regretter le passé avec nostalgie, à revenir à l’époque où nous pouvions parler à qui nous voulions, acheter ce que nous voulions, penser ce que nous voulions, aller où nous voulions, ressentir ce que nous voulions sans que ces pensées, ces mots et ces activités ne soient suivis, traités et stockés par des géants de l’entreprise, vendus à des agences gouvernementales et utilisés contre nous par une police militarisée avec son armée de technologies futuristes.

Allez-y avec circonspection : comme je l’explique clairement dans mon livre Battlefield America : The War on the American People (La guerre contre le peuple américain) et dans son pendant fictionnel The Erik Blair Diaries, « 1984 » est devenu un mode d’emploi pour l’État de surveillance omniprésent et moderne de l’IA.

En l’absence de protections constitutionnelles pour nous protéger contre les atteintes à nos droits lorsque le pouvoir, la technologie de l’IA et la gouvernance militariste convergent, les règles de survie de Philip K. Dick ne tarderont pas à devenir notre réalité directrice : « Si, comme il le semble, nous sommes en train de devenir une société totalitaire où les appareils d’État sont tout-puissants, la déontologie la plus essentielle pour la survie d’un véritable être humain libre serait : tricher, mentir, esquiver, faire semblant, se trouver ailleurs, falsifier des documents, construire dans son garage des gadgets électroniques sophistiqués qui déjoueront les gadgets dont disposent les autorités ». WC : 2123

Le Journal d’Erik Blair

Deux articles sur le Crédit social

* Le système de crédit social de la Chine a privé des millions de personnes de voyage en 2018

* La notation des citoyens : vers quoi tendent nos « démocraties »

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