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Trop d’Humains sur Terre ?

Troisième partie : l’Afrique confrontée au boom de sa population

Par Bruno BOURGEON

jeudi 15 septembre 2022, par JMT

Trop d’Humains sur Terre ?

Troisième partie : l’Afrique confrontée au boom de sa population

Partage difficile ? (© Juan Mendez/Reporterre)

Si de nombreux pays sont entrés dans une phase durable de vieillissement, d’autres connaissent une croissance démographique forte. C’est le cas de neuf pays (Inde, Nigeria, Pakistan, République démocratique du Congo, Éthiopie, Tanzanie, Indonésie, Égypte et États-Unis). Deux continents verront leur population augmenter considérablement, l’Asie et l’Afrique, en particulier l’Afrique subsaharienne.

En Afrique, les chiffres donnent le vertige : de 800 millions en 2000, le nombre d’Africains devrait passer à 4,5 milliards en 2100. D’après l’hypothèse haute[1] (qui suppose une baisse plus lente de la fécondité), la population du continent passerait par un palier à 2.7 milliards en 2050. Un humain sur deux devant arriver sur Terre d’ici 2050 verra le jour sur ce continent, plus précisément en Afrique subsaharienne. Le taux de fécondité y est actuellement de 4,6 enfants/femme en moyenne, contre 2,3 au niveau mondial, selon l’ONU.

Précaution à prendre quand on associe les mots démographie et Afrique : les situations sont d’une grande disparité numéraire, culturelle et historique. Certains ont parfaitement opéré leur transition démographique comme la Tunisie dans les années 1960, l’Algérie, l’Afrique du Sud ou le Rwanda. D’autres connaîtront dans les décennies à venir une progression importante, comme le Nigeria, la Somalie, la République démocratique du Congo, qui enregistrent respectivement 7,6, 6,8 et 6,3 enfants par femme, note l’ONU.

Pourtant, la transition démographique de l’Afrique est en cours, mais elle se produit plus lentement que projetée. Et parler de continent homogène n’a pas de sens : il faut souligner l’extrême diversité des situations, entre pays et au sein même des pays, entre zones rurales et urbaines par exemple. La fécondité baisse dans toute l’Afrique, même au Niger, mais à des rythmes différents. Au Maghreb, où la baisse est parmi les plus anciennes du continent, la moyenne du nombre d’enfants par femme est inférieure à 2,5.

Une région est à la traîne : l’Afrique subsaharienne. Sa population augmente de 2,7%/an et elle va continuer d’augmenter à un rythme supérieur à 2%, quels que soient les changements qui pourront se produire, selon l’Ined. Parce que l’espérance de vie augmente grâce à de nombreux progrès notamment en matière de mortalité infantile.

Parce que les femmes en âge d’avoir des enfants sont nombreuses et même si, aujourd’hui, elles limitaient fortement leur fécondité, le nombre de naissances reste élevé : c’est l’inertie démographique. Mais la baisse de la fécondité en Afrique est rapide comparée à celle qu’a connue l’Europe.

Il est par ailleurs nécessaire de distinguer les origines des problèmes climatiques globaux en cours, causés par les modes de vie occidentaux, du nombre d’Africains présents et à venir. Ceux-ci, qui ne sont pas responsables des changements en cours, en sont les premières victimes, mais aussi les premiers blâmés lorsqu’on évoque un avenir plus peuplé. En fait, ces millions d’humains à venir ne se traduisent pas en bilan carbone explosif, loin s’en faut.

Du fait des modes de vie de ses habitants et de l’extrême pauvreté par endroits, l’Afrique émet très peu de GES. La question du nombre y est décorrélée du CO₂. 48 nations subsahariennes, 1 milliard de personnes en 2020, ont émis 0,55% des émissions de CO₂ depuis 1751.

En 2020, 3% des émissions mondiales. Les émissions de CO₂ par individu devraient donc augmenter, l’Afrique n’étant qu’à l’aube de son développement : près de la moitié de sa population n’avait pas accès à l’électricité en 2019, et les objectifs de développement visent 100% d’accès à l’énergie d’ici 2050.

Ces choix énergétiques seront déterminants. Dans son rapport Africa Progress Panel , Kofi Annan résume ainsi le défi énergétique : le continent consomme moins d’énergie que l’Espagne (dont 50% à l’Afrique du Sud), mais il aura besoin d’un approvisionnement en énergie similaire à celui de l’Europe dans son ensemble.

Ce développement de moyens de production pourra-t-il être décarboné ? D’autant que les terres africaines servent largement - et depuis longtemps - de coffre à ressources minières (uranium, diamant, pétrole, coltan…) et agricoles pour nos gloutonneries mondialisées. La présence plus récente de la Chine s’est également faite de manière asymétrique, notamment via des investissements et des prestations de services massifs dans les infrastructures (aéroports, routes, immobilier, etc.).

Bien avant de s’interroger sur son poids en CO₂, les pays africains en croissance démographique doivent accueillir les nouvelles générations. Cela se traduit par une explosion de l’urbanisation, des besoins en soins, en mobilité, en nourriture ou en eau.

Sur ce continent, les défis concernent le confort d’existence auquel chaque humain peut prétendre, ainsi que les conditions propices au développement. Parmi ces défis énormes : l’agriculture, l’accès à l’eau, l’urbanisation ou encore l’absorption des jeunes générations.

Pandémie oblige, 282 millions d’Africains ont souffert de la faim en 2020. Ils ont été confrontés à la variabilité des extrêmes climatiques, mais aussi à la volatilité des prix des matières premières due aux événements géopolitiques (pandémie, guerres, dépendances aux blés étrangers, etc.).

En 2020, l’Afrique a connu la plus forte poussée de la faim, avec une prévalence de la sous-alimentation estimée à 21% de la population, plus du double de celles de toutes les autres régions du monde. Le continent devra aussi composer avec 86 millions de déplacés climatiques en 2050, selon la Banque Mondiale.

Les populations subsahariennes sont plus nombreuses, sans avoir mis au point de « révolution verte » pour garantir leur sécurité alimentaire. Si l’on prend le seul Niger, il faudra nourrir plus de 40 millions de personnes en 2035 sur un territoire où seulement 8% des terres reçoivent plus de 400 mm de pluie par an [2], pas assez pour garantir des cultures.

Les défis sont immenses. Pour trois des principales cultures céréalières d’Afrique, maïs, mil, sorgho, les changements de température attendus durant la saison de croissance sont considérables. En conséquence, les variétés actuelles devraient être remplacées par d’autres en provenance de zones plus chaudes, voire par des espèces totalement nouvelles.

Le challenge est aussi environnemental. La pression démographique, jointe aux techniques traditionnelles ou intensives, limite la reconstitution des qualités organiques des sols (raccourcissement de la jachère), accroît la déforestation (consommation de bois de feu), la désertification, l’assèchement et la pollution des lacs ou des nappes phréatiques.

Il n’est pas surprenant que pour « éliminer la faim d’ici à 2025 », les chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, recommandent « d’accélérer la croissance agricole en doublant au moins » la productivité agricole.

Autre élément vital : l’eau. Au cours des cent dernières années, l’utilisation mondiale d’eau a été multipliée par six et continue d’augmenter de près de 1% par an en raison de la croissance démographique, du développement économique et de l’évolution de la consommation . On estime que la moitié des personnes n’ayant pas accès à des ressources sûres se trouve en Afrique.

Bien que la pénurie d’eau soit souvent saisonnière, les bouleversements climatiques sont susceptibles d’altérer la disponibilité de l’eau au long de l’année dans plusieurs régions. Les impacts sont déjà sévères. Au sein des systèmes agricoles, surtout dans les zones semi-arides, les approches conventionnelles fondées sur les moyens de subsistance ne semblent plus assez fiables pour gérer les effets à long terme. Collecter l’eau, pailler, pratiquer un labour minimal serait-il suffisant ?

La croissance du nombre d’Africains vivant en ville flirte avec les 4% par an, selon l’ONU. Cela pose d’innombrables problèmes, comme en Côte d’Ivoire où Abidjan, la tentaculaire, menace le parc du Banco, poumon vert de la capitale économique. Cette forêt primaire dense (près de 3500 hectares classés en parc national) va être protégée par un mur censé stopper l’urbanisation sauvage. Avec la ville qui s’étale inexorablement en agglomérations informelles, le fort taux d’urbanisation devient une des causes du déclin de la biodiversité.

Dans les mégapoles tentaculaires, s’installent insalubrité, insécurité, insuffisance des services de base, quartiers précaires non viabilisés, inflation de l’informel. En 2050, 950 millions de nouveaux citadins. Le nombre de zones urbaines de plus de 5 millions d’habitants va tripler. Il y en a onze actuellement, dont la population totale atteint 95 millions de personnes, selon Africapolis.

Les villes intermédiaires[3] se multiplient au point de doubler de population et de superficie tous les dix à quinze ans. De même, 6740 villes de moins de 100000 habitants qui regroupent plus de 180 millions de personnes sont les principales courroies de transmission entre zones rurales et urbaines ; ces agglomérations sont le point d’entrée des populations pour accéder aux marchés, aux services de santé et autres services publics, aux opportunités d’emploi et à l’information. Les gouvernements doivent y axer leur planification urbaine.

Exception mondiale, l’Afrique est un continent très jeune, avec 60% de sa population âgée de moins de 24 ans en 2020 (près de 800 millions de personnes). Il y avait 540 millions d’enfants (moins de 14 ans) en 2020, il y en aura 800 millions en 2050 et 930 millions en 2100. L’accès à l’éducation est une des clefs de la transition démographique.

D’abord parce qu’une femme africaine non scolarisée a en moyenne plus de 6 enfants. Ce nombre chute à 4 si elle a achevé l’école élémentaire et à 2 si elle a suivi un enseignement secondaire. Mais comment construire des classes et former des professeurs dans les pays où le nombre d’enfants augmente très vite sans que les moyens humains, financiers, et les infrastructures suivent ?

L’accès à l’éducation est aussi la clé pour atteindre le « dividende démographique » : lorsque le nombre d’enfants diminue, les pays connaissent plusieurs générations pendant lesquelles les adultes en âge de travailler constituent la part la plus importante de la population, ce qui engendre un dividende rendant possible une croissance économique plus élevée et des revenus en augmentation.

Aujourd’hui, en dépit de dix ans de croissance économique, le continent n’engendre pas assez d’emplois dans l’économie formelle pour financer l’éducation. Or, la population en âge d’être scolarisée est 4 fois supérieure en Afrique à celle des pays industriels.

En 2021, la Banque Africaine du Développement montrait que le travail au noir sape la croissance : le secteur informel y représente plus de 70% de l’emploi total et contribue à un tiers du PIB. La grande majorité des jeunes Africains devrait donc continuer à avoir des emplois précaires.

Et il n’y a pas d’aménagement du territoire pour accueillir ces populations. Au Niger, le président vient de créer l’Office nigérien de la population, a installé un réseau d’écoles des maris[4], construit des internats pour jeunes filles qui prennent la totalité de leur scolarité en charge et réunit l’ensemble des acteurs locaux pour empêcher le mariage précoce. Beaucoup plus que ce qui n’a jamais été fait dans ce pays. Mais sans accompagner les individus dans toutes les étapes de leur existence, cela risque de ne pas être suffisant.

Au Niger, plus de 3 jeunes filles sur 4 sont mariées avant 18 ans, et souvent dès 13 ans. C’est aussi le cas de 61% des Tchadiennes, de 54% des Maliennes et, globalement, de 40% des Africaines au sud du Sahara. Dans ces communautés, le statut de la femme est lié à sa capacité à procréer. Avec l’épidémie de Covid-19, de nombreuses jeunes filles ont été déscolarisées brutalement, pendant parfois plus d’une année.

L’une des conséquences a été l’augmentation des grossesses non planifiées. En Ouganda, après 83 semaines d’écoles fermées, 650000 grossesses précoces ont été enregistrées entre début 2020 et septembre 2021 par le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap).

L’augmentation de la natalité chez les 12-18 ans est un autre indicateur parlant : + 60% en Afrique du Sud, qui a connu pendant la pandémie 60 semaines sans école ; + 66% au Zimbabwe (44 semaines) ; + 40% au Kenya (37 semaines).

Dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, 20% des femmes en âge d’avoir des enfants ont recours à des moyens de contraception. En 2020, 111 millions de femmes dans les pays en développement ont eu une grossesse non désirée.

Selon l’Institut Guttmacher 5], il faudrait 31,2 milliards de dollars supplémentaires pour fournir l’ensemble des besoins en contraception moderne et en médecine reproductive dans le monde. Deux sous-régions, l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud, représentent plus des trois quarts (24,1 milliards de dollars) de cet investissement. Dans des pays à faibles revenus, en Afrique subsaharienne, cela fait un ticket de planning familial passant de 3,4 à 15,80 $/habitant/an.

L’inertie démographique et la crise écologique en cours représentent un immense pari pour les Africain.e.s. Qui implique aussi la responsabilité de l’ensemble de la communauté internationale.

[1]En matière de fécondité, de toutes petites variations peuvent entraîner de grandes conséquences. Si la fécondité devait baisser suivant grosso modo la trajectoire de l’Asie dans les années 1970-2000, il y aurait 2,1 milliards d’Africains en 2050. Si la fécondité de l’Afrique continue à son rythme actuel, il y en aurait 2,7 milliards — un quart de la population mondiale en 2050. La population de l’Afrique triplerait presque en quarante ans.

[2]La pluviométrie annuelle dans la zone sahélienne typique est comprise entre 200 et 400 mm

[3]Environ 500000 habitants.

[4]Leur objectif est de promouvoir les règles de base de la santé maternelle ou encore de parler du planning familial ou d’accouchement.

[5]Partenaire du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA).

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

D’après Reporterre du 1er Juillet 2022

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