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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-115

Quand crise de la dette et crise climatique se conjuguent

Par Heidi Chow, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 26 septembre 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Quand crise de la dette et crise climatique se conjuguent

Le 02 Septembre 2022 par Heidi Chow

Heidi Chow est directrice exécutive de la campagne Jubilee Debt.

Des banlieusards se frayent un chemin dans une rue inondée pendant les pluies de mousson à Hyderabad, au Pakistan, le 24 juillet 2022. (Akram Shahid / AFP via Getty Images)

Les inondations dévastatrices au Pakistan prouvent que la crise climatique est aussi une crise de la dette. Le Pakistan est confronté à une double crise : des inondations provoquées par le changement climatique qui ont entraîné le déplacement de dizaines de millions de personnes et une dette écrasante imposée par les institutions financières occidentales. La dette du Pakistan doit immédiatement être annulée.

Les inondations au Pakistan engendrent une crise humanitaire aux proportions abyssales. Des villes entières, des infrastructures vitales, des maisons, des terres agricoles et des cultures sont emportées par les eaux. Avec un tiers des terres sous l’eau, 33 millions de personnes touchées et un bilan de plus de mille morts, le coût humain et économique s’annonce astronomique.

On estime que les dégâts considérables subis par le pays coûteront au moins 10 milliards de dollars. Le pays est confronté à la fois aux défis immédiats que représentent les considérables déplacements de population, le nombre des sans-abri, la faim et la propagation des maladies véhiculées par l’eau, et aux coûts à plus long terme de la reconstruction. Le Pakistan est confronté à une crise de la dette qui s’aggrave et doit en plus payer les coûts d’une catastrophe climatique qu’il n’a pas provoquée.

Sherry Rehman, ministre pakistanaise du changement climatique, a lancé un avertissement sévère : le Pakistan en est « au niveau zéro » de « crues fulgurantes, de débordements soudains de lacs glaciaires, de vagues de chaleur et enfin aujourd’hui de la plus monstrueuse mousson de la décennie ». Le Pakistan compte plus de sept mille glaciers, le plus grand nombre en dehors de la région polaire.

Le réchauffement de la planète entraîne une fonte plus rapide et plus précoce, créant des lacs glaciaires et ajoutant de grandes quantités d’eau aux rivières et aux ruisseaux. Cette année, la saison de la mousson a commencé plus tôt et a duré plus longtemps, alors que de violents torrents venaient grossir sans relâche les quantités d’eau excédentaires.

Le ministre pakistanais de la planification déclare que les premières estimations montrent que les inondations dévastatrices qui ont frappé le pays ont causé au moins 10 milliards de dollars (8,5 milliards de livres sterling) de dégâts.

Ces facteurs font du Pakistan le huitième pays le plus vulnérable du monde au changement climatique et pourtant il n’est responsable que de moins de 1 % des émissions mondiales de carbone. Dans les faits, la population pakistanaise paie un prix meurtrier pour une crise dont elle n’est pas responsable, mais qui a été créée dans les pays du Nord par des siècles d’extraction de combustibles fossiles.

Malgré les multiples avertissements d’experts et de scientifiques demandant de laisser les combustibles fossiles dans le sol, de nouveaux projets gaziers et pétroliers continuent d’être approuvés dans des pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis, avec des conséquences fatales pour des endroits comme le Pakistan qui sont les plus exposés aux dangers de l’urgence climatique.

Les pays riches ont promis des financements pour aider les pays à faible revenu à faire face aux impacts du changement climatique, une façon de reconnaître leur responsabilité dans les émissions de carbone du passé. Mais l’objectif de 100 milliards de dollars par an pour le financement du climat d’ici à 2020 n’a jamais été atteint et on est bien loin des milliers de milliards de dollars nécessaires pour faire face à l’ampleur de la crise. Pour aggraver encore les choses, les financements accordés l’ont été principalement sous forme de prêts et non de subventions.

Le Pakistan subissait déjà une crise de la dette avant que les inondations fulgurantes ne déchaînent des destructions massives, les remboursements de la dette s’élevant à 12,5 milliards de dollars pour la seule année actuelle. Pendant des années, les prêts du Fonds monétaire international ont été utilisés pour payer des intérêts à des créanciers irresponsables—un nouveau montant de 1,1 milliard de dollars a été débloqué cette semaine—tandis que la dette continuait de croître.

La crise de la dette a été exacerbée par les retombées économiques de la pandémie, ainsi que par la flambée des prix des denrées alimentaires et de l’énergie due à la guerre en Ukraine et à la spéculation sur les matières premières sur les marchés financiers.

Des familles et leurs biens sont bloqués à Jaffarabad, au Baloutchistan (Source Sky News)

La détérioration des conditions économiques mondiales avait déjà poussé le Pakistan au bord de l’effondrement économique. A cause de la crise de la dette, le Pakistan continue de rembourser sa dette aux créanciers étrangers, même si cela implique que des ressources essentielles soient soustraites de la mise en œuvre de la résilience climatique et de l’investissement dans les services publics essentiels, laissant le pays à la merci des catastrophes climatiques.

Si aucune mesure urgente n’est prise pour résoudre la crise de la dette, le Pakistan continuera à s’endetter davantage pour faire face aux coûts économiques énormes de la crise de la dette et des dégâts causés par les inondations, tout en continuant à rembourser ses riches créanciers. Parmi ces prêteurs, on compte des banques occidentales et des détenteurs d’obligations qui ont acheté ces dernières à des prix cassés.

S’ils sont remboursés dans leur intégralité, ils pourront engranger d’énormes bénéfices. Les prêteurs privés utilisent depuis longtemps ces actions prédatrices éhontées pour faire des profits à tout va. Mais le remboursement de la dette auprès de riches créanciers ne devrait jamais passer avant les besoins humains, un constat qui est d’autant plus vrai face à cette catastrophe extrême.

Il est impératif que le Pakistan suspende le remboursement de sa dette avec effet immédiat afin de garantir que les ressources dont il a tant besoin ne seront pas envoyées hors du pays pour rembourser les riches prêteurs en ce moment crucial. Une solution à plus long terme consisterait à annuler la dette du Pakistan pour la ramener à un niveau viable, afin de permettre au gouvernement de faire passer les besoins de la population avant les profits des riches créanciers.

Les habitants du village de Miragram, en bas à gauche, dans la vallée pakistanaise de Chitral, peuvent voir de chez eux le recul du glacier de la montagne Miragram au loin, ainsi que la diminution considérable du manteau neigeux estival sur les sommets qui la surplombent. (Insiya Syed /For The Washington Post)

Les gouvernements riches doivent également cesser de fuir leurs responsabilités et augmenter à hauteur de milliers de milliards de dollars le financement indispensable à la lutte nécessaire contre le changement climatique. Il est essentiel que ces financements soient attribués sous forme de subventions et non de prêts.

Les gouvernements riches et pollueurs devraient également mettre en place un fonds pour compenser les pertes et dommages afin de permettre aux pays à faible revenu de financer la reconstruction après une catastrophe climatique. Il ne s’agit pas d’aide ou de charité, mais de compensation et de réparation pour des siècles d’extraction de combustibles fossiles et d’émissions de carbone par les gouvernements et les entreprises riches.

Le Pakistan n’est pas un cas isolé : cinquante-quatre pays connaissent actuellement une crise de la dette, et nombre de ces pays sont également en première ligne face à la crise climatique. Les deux crises, celle du climat et celle de la dette sont inextricablement liées. Si les riches créanciers tels que le Fonds monétaire international, les gouvernements riches, les banques occidentales et les fonds spéculatifs ne prennent pas de mesures concrètes pour annuler la dette dans sa totalité, celle-ci continuera à jouer le rôle d’accélérateur du chaos climatique.

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