AID Association Initiatives Dionysiennes

Ouv zot zié !

Accueil > Ecologie > Effondrement > 2 - Quand le rapport Meadows était brocardé par les économistes

D’après Alternatives économiques du 26 Juillet 2022

2 - Quand le rapport Meadows était brocardé par les économistes

Par Bruno BOURGEON

mardi 11 octobre 2022, par JMT

2 - Quand le rapport Meadows était brocardé par les économistes

Jorgen Randers, Jay Forrester , Donella Meadows, Dennis Meadows et William Behrens (PHOTO : THE DONELLA MEADOWS PROJECT)

Avant l’équipe Meadows, d’autres économistes avaient tiré la sonnette d’alarme. Nicholas Georgescu-Roegen, un économiste étatsunien d’origine roumaine, avait souligné dans de nombreux articles et ouvrages à partir de 1971 que notre niveau global de production dépassait de beaucoup le flux d’énergie renouvelable que nous sommes capables de capter et d’utiliser à des fins productives, nous obligeant à taper dans les réserves de la cave, comme un buveur impénitent : « Tout se passe comme si l’espèce humaine avait choisi de mener une vie brève mais excitante, laissant aux espèces moins ambitieuses une existence longue, mais monotone ».

De même, Barry Commoner, directeur du Centre d’études biologiques des systèmes naturels de Saint-Louis (Missouri), écrivait dans L’encerclement (1971) : « Notre système actuel de production est autodestructeur et le cours suivi par la civilisation humaine est suicidaire ».

Dans la même problématique, mais en élargissant l’analyse à l’échelle du globe, sous l’angle des limites envisageables, le rapport Meadows fit l’effet d’une bombe. Du côté des économistes, il fut accueilli par une bronca facilement compréhensible, puisque leur rôle essentiel consiste à préconiser comment stimuler la croissance économique : difficile de reconnaître que celle-ci est destructrice.

Tout fut donc utilisé pour démolir le rapport : la jeunesse et l’inexpérience supposée de ses auteurs (Wilfred Beckerman, professeur d’économie à Oxford : « De quel degré de bêtise devez-vous faire montre pour être admis au Club de Rome ? »), la sous-estimation des ressources existantes ou les erreurs potentielles dans le modèle (dans le livre collectif du département de sciences politiques de l’université du Sussex traduit en 1974 au Seuil sous le titre L’anti-Malthus), etc.

Quant au chantre de l’économie libérale Friedrich Hayek, dans son discours de décembre 1974 lors de sa réception du prix de la Banque de Suède en économie, il fustige « l’énorme publicité donnée récemment par les médias à un rapport se prononçant au nom de la science sur The Limits to Growth, et le silence de ces mêmes médias sur les critiques dévastatrices que ce rapport a reçues de la part des experts compétents ».

Pour autant, le rapport Meadows ébranla les certitudes. L’année suivant sa publication, avec le premier choc pétrolier (septembre 1973) – une multiplication par quatre des prix du brut –, le scénario décrit par les auteurs du rapport semblait prendre corps.

En France, en 1973, René Dumont publie L’utopie ou la mort (Seuil), Ivan Illich (dans La convivialité) parle des « drogués de la croissance », André Gorz écrit dans Le Sauvage (numéro d’avril) « qu’il n’y a pas assez de ressources minérales, ni même d’air, d’eau et de terres, pour que le monde entier puisse adopter notre façon ravageuse de produire et de consommer ».

Et l’année suivante (1974), Jacques Attali et Marc Guillaume publient L’anti-économique (PUF). René Passet, dans L’économique et le vivant (Payot, 1979), souligne que la logique économique est celle des choses mortes, et qu’elle finit par étouffer la vie elle-même.

Serge Latouche, alors professeur à Paris XI, devient le principal économiste théoricien français de la décroissance : « Se soumettre aux lois du marché et à celles du système technicien en est venu à constituer un danger mortel pour la survie de l’humanité », écrit-il dans La mégamachine (La Découverte, 1995).

Sans forcément adhérer à cette thèse, un nombre croissant d’économistes se montrent inquiets et plaident pour un changement majeur : Alain Lipietz, Michel Beaud, Jean-Marie Harribey, Jean-Pierre Dupuy, Eloi Laurent, Michel Aglietta, Bernard Perret, etc. Il s’agit de chercheurs.

Du côté des économistes « en action », on se range massivement sous le drapeau du développement durable, devenu « croissance verte », soucieuse de l’environnement. On s’y félicite que le produit intérieur brut (PIB) 2021 du pays ait augmenté de 7% et on s’y désole de la faible croissance de 2022, alors que la sagesse commanderait l’inverse et inciterait à une réduction forte des inégalités.

D’une certaine manière, la « bombe » Meadows peut être comparée à celle de Karl Marx avec « Le Capital », cent cinq ans auparavant : au lieu de reconnaître que la dénonciation par ce dernier de l’exploitation du prolétariat dans le capitalisme était fondée, les économistes se sont longtemps – et encore aujourd’hui – contentés de rejeter son analyse au nom de la critique de la « valeur travail » sur laquelle il s’appuyait.

Dans les deux cas, la querelle théorique occulte la réalité, ce qui a conduit, hier, à un désastre social, et risque, demain, de provoquer un désastre environnemental bien pire.

Bruno Bourgeon http://www.aid97400.re

D’après Alternatives économiques du 26 Juillet 2022

Version imprimable :

PUBLICATIONS

* Courrier des lecteurs Zinfos974 du

* Tribune libre d’Imaz-Press Réunion du

* Courrier des lecteurs de Témoignages du

* Tribune libre de Clicanoo.re du

* Libre Expression sur Parallèle Sud du