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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-126

Les sanctions sont une guerre ciblée et elles tuent

Par Daniel Larison, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

vendredi 21 octobre 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Les sanctions sont une guerre ciblée et elles tuent

Le 16 Septembre 2022 par Daniel Larison

Une famille de réfugiés vénézuéliens quémande de l’argent dans une ville équatorienne, le 2 février 2019 (Glenn R. Specht-grs photo/Shutterstock)

Les États-Unis recourent de plus en plus fréquemment à des sanctions économiques globales, en dépit de leur faible taux de réussite et les preuves de plus en plus nombreuses qui démontrent qu’elles sont source de préjudices importants pour les populations des pays dans lesquels elles sont imposées.

En ce qui concerne les États-Unis, leurs coûts directs sont souvent négligeables, mais leurs effets sur le bien-être et la santé des nations qui les subissent peuvent être très lourds et à terme se révéler mortels pour les individus les plus fragiles et les plus vulnérables de la société.

Certaines des utilisations américaines les plus récentes en Iran, au Venezuela et en Syrie montrent comment les stratégies de type guerre commerciale ont, de manière prévisible, aggravé la situation économique et amplifié les crises humanitaires sans atteindre les objectifs politiques déclarés.

En résumé, les sanctions globales ajoutent des souffrances inutiles au monde, et notre gouvernement doit rompre son addiction à leur utilisation.Les peuples des pays qui sont ciblés sont soumis à une punition collective pour les actions de leurs gouvernements autoritaires, et de manière perverse, la guerre économique resserre l’emprise de ces gouvernements et renforce les dirigeants au pouvoir.

L’efficacité limitée des sanctions est connue depuis longtemps, mais il faut que les décideurs politiques se rendent mieux compte des effets pervers et destructeurs de ce type de stratégie.

Les décideurs américains doivent reconnaître que les sanctions de notre gouvernement impliquent de lancer des attaques aveugles ciblant la vie et les moyens de subsistance de dizaines de millions de gens ordinaires, et ils doivent comprendre que ces attaques sont à la fois injustes et inutiles quand il s’agit de faire progresser les intérêts américains.

Les Américains doivent perdre cette habitude qui consiste à considérer que les sanctions sont la preuve que notre gouvernement « se montre ferme » avec un État ciblé, et réaliser plutôt que les sanctions globales sont une arme brutale dont les victimes sont des innocents.

Nous devons être conscients du fait qu’une guerre économique est réellement une forme de guerre, qui peut tuer et le fait effectivement.Un article publié plus tôt cette année dans Global Studies Quarterly, Does Misery Love Company ? Analyzing the Global Suffering Inflicted by US Economic Sanctions, compile les preuves des dommages causés par les sanctions globales.

Les auteurs de l’article, Bryan Early et Dursun Peksen, ont observé que ces dernières aggravent invariablement la misère des populations des pays visés. Ils ont étudié « comment les politiques de sanctions américaines peuvent infliger leur lot de souffrances aux pays qu’elles ciblent » et en ont conclu que « les sanctions américaines, en particulier celles qui infligent des coûts importants aux économies ciblées et celles imposées pour des raisons de violation des droits humains, appauvrissent les populations ».

Pays sous le coup de sanctions américaines

Les sanctions ont des effets délétères qui ne se limitent pas aux désorganisations qu’elles provoquent dans l’économie ciblée, elles incluent également la répression accrue qui suit généralement la dégradation des conditions économiques.

Pour les auteurs, il s’agit de quantifier la détresse engendrée par les sanctions, et pour eux, cette détresse « désigne la situation économique, sociale et politique générale d’un pays qui concourt à la généralisation de la détresse physique, mentale ou émotionnelle de ses citoyens ».

Les détracteurs des sanctions s’accordent à dire que celles-ci aggravent la situation dans un pays ciblé. Dans leurs travaux, Early et Peksen quantifie l’ampleur de cette détérioration.

Les sociétés sanctionnées souffrent généralement de plus grandes difficultés économiques, d’une insécurité alimentaire accrue, d’une détérioration de la santé publique, d’une réduction des libertés politiques et d’une augmentation des violations des droits humains par les autorités, et c’est au moins en partie à cause des sanctions.

Les pays visés par les sanctions les plus sévères sont des gouvernements autoritaires, et les partisans des sanctions les présentent souvent comme un moyen de lutter contre ceux-ci. Tout cela s’accompagne généralement de verbiage évoquant la « solidarité » avec la population.

Malheureusement, on sait très bien que les sanctions frappent plus durement les gens, qui se retrouvent plus pauvres et plus malades, et on sait aussi que leurs dirigeants utilisent ensuite les sanctions comme prétexte pour réprimer la dissidence.

Comme l’expliquent Early et Peksen, « si les gouvernements d’origine ne sont pas directement coupables quant aux politiques que les dirigeants cibles adoptent en réponse aux sanctions, la pression économique étrangère est souvent prétexte à des politiques qui sapent les droits fondamentaux des citoyens ».

Ainsi, non seulement les sanctions augmentent le coût de la vie pour les gens ordinaires dans les pays ciblés, mais elles contribuent également à une perte de liberté. Contrairement à ce que leurs défenseurs voudraient nous faire croire, les sanctions globales présentent souvent des avantages politiques majeurs pour les dictateurs.

Les sanctions sont devenues la réponse par défaut des États-Unis à de nombreux problèmes internationaux. Faire pression en faveur de l’adoption de sanctions supplémentaires ou nouvelles est un excellent moyen pour permettre aux membres du Congrès et aux présidents de marquer des points politiques sans avoir à prendre de gros risques.

Et par ailleurs, quiconque veut s’opposer aux sanctions doit en payer le prix politique, car il devient très facile pour les partisans de la guerre commerciale d’accuser leurs adversaires de sympathie pour le gouvernement visé.

Alors que la charge de la preuve devrait incomber aux partisans d’une guerre économique intrusive et destructrice, nous savons dans la pratique que ce sont les détracteurs des sanctions qui sont confrontés à une bataille difficile pour résister aux sanctions globales et les faire invalider.

La tentation est grande pour les États-Unis d’utiliser leur considérable puissance économique et financière pour tenter de contraindre d’autres États à changer de politique et à accepter les exigences américaines, mais cette voie est une impasse.

Nous avons vu comment la « pression maximale » produit une intransigeance tout aussi intense de la part des États ciblés, et dans les cas de la Corée du Nord et de l’Iran, elle a amené les États-Unis à se rapprocher dangereusement de la guerre à plus d’une occasion.

Les sanctions marchent-elles ? (ATTA KENARE/ AFP/Getty Images)

En raison des dommages causés par les sanctions, Early et Peksen recommandent que « les décideurs américains fassent preuve de retenue en cas de sanctions très lourdes lorsqu’il s’agit de violations de droits humains, elles risquent fort de faire plus de mal que de bien en raison de la détresse qu’elles infligent ».

Si un outil politique ne remplit pas la tâche qui lui est assignée, son utilisation doit être reconsidérée. Lorsque cet outil se retourne aussi fréquemment contre lui et cause des souffrances massives dans le processus, il devrait tout simplement être abandonné.

Un artisan n’utiliserait pas un outil qu’il sait défectueux et dangereux, et un homme d’État ne devrait pas non plus employer un outil politique qui, de longue date, a la réputation de ne semer que de la détresse.

Si les Américains veulent faire preuve de solidarité envers les peuples des pays sanctionnés qui souffrent depuis longtemps, la première et la meilleure chose que nous puissions faire est d’amener notre gouvernement à cesser de les étrangler.

L’allègement des sanctions ne résout peut-être pas les problèmes en suspens avec les pays visés, mais le maintien des sanctions en fait tout autant. La différence tient au fait qu’avec la levée des sanctions, les États-Unis ne puniraient plus inutilement des dizaines de millions de personnes pour les actes de leurs dirigeants.

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