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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-142

Le Canada encourage la nouvelle stratégie expansionniste de l’OTAN

Par Mitchell Thompson, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

lundi 28 novembre 2022, par JMT

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Le Canada encourage la nouvelle stratégie expansionniste de l’OTAN

Le 03 Octobre 2022 par Mitchell Thompson

Mitchell Thompson est écrivain, chercheur et producteur radio occasionnel à Toronto.

Justin Trudeau et ses chaussettes flashy arborant le logo de l’OTAN

Le gouvernement du Canada a accueilli avec enthousiasme le nouveau concept stratégique de l’OTAN. Ce dernier est d’une franchise étonnante lorsqu’il appelle à un regain de préparation militaire ;c’est un retour aux principes plus concrets de l’époque de la guerre froide de « dissuasion » par la confrontation.

Dans un prétendu effort pour « contribuer à un monde plus pacifique », le concept stratégique 2022 de l’OTAN promet une amplification « à 360 degrés » de la force militaire.

Cette proposition oblige le Canada et les autres membres de l’OTAN à être prêts à s’impliquer dans des « régions d’intérêt stratégique », aujourd’hui mais aussi à l’avenir. Elle tend à renforcer la puissance de l’OTAN afin d’encercler plus résolument les puissances qu’elle considère comme belliqueuses.

Tout en dénonçant les gouvernements « agressifs » tels que la Chine et l’Iran, la nouvelle stratégie de l’OTAN impose à ses membres de se préparer à des « combats de haute intensité et multi-domaines » dans « toutes les sphères ».

Ce concept stratégique garantit la « dissuasion et la défense en amont grâce à la présence de solides unités, polyvalentes et prêtes au combat, à des dispositifs de commandement et de contrôle améliorés, à des munitions et des équipements prépositionnés et à une capacité et une infrastructure améliorées pour renforcer rapidement tout Allié ».

À court terme, cela veut dire porter la force de réaction rapide de l’OTAN à quarante mille hommes, « prépositionner » davantage de munitions en Europe de l’Est et renforcer la « défense aérienne et antimissile intégrée » de l’OTAN.

Mais cette stratégie ne se limite pas au seul renforcement de la force militaire des membres de l’OTAN en Europe. Ce concept préconise également d’étendre la puissance de l’OTAN à des « régions présentant un intérêt stratégique pour l’Alliance, notamment le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et le Sahel ».

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avec le ministre finlandais des Affaires étrangères, Pekka Haavisto, et la ministre suédoise des Affaires étrangères, Ann Linde (CRÉDIT IMAGE Salle de presse de l’OTAN)

Une fois le concept approuvé , le premier ministre Justin Trudeau a fait l’éloge du document en déclarant : « L’OTAN a réaffirmé la pérennité de ses liens transatlantiques. Les Alliés de l’OTAN sont en effet tous réunis et déterminés à défendre les valeurs de l’Alliance, et à renforcer notre organisation défensive, aujourd’hui et aussi à l’avenir ».

"Leur adhésion permettra de renforcer l’OTAN", a déclaré le Premier ministre Justin Trudeau à propos de la Suède et de la Finlande (Getty Images)

Le Canada s’engage à « passer rapidement à l’échelon supérieur ».

Les engagements du gouvernement Trudeau vis à vis de l’expansion de la puissance de l’OTAN vont au-delà de simples mots et du fait de montrer des chaussettes flashy arborant le logo de l’OTAN.

Trudeau a déclaré que « le Canada prend toujours part aux missions de l’OTAN et y contribue de manière significative » et a promis « de monter en puissance » et de renforcer « rapidement » la capacité et la présence militaires du Canada.

Comme l’a révélé le Toronto Star, le gouvernement canadien, dans le cadre d’une série de réunions à huis clos, a été l’un des membres les plus actifs en faveur de l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’alliance autoproclamée « alliance nucléaire ».

Le gouvernement canadien a également été le premier membre à ratifier leur adhésion début juillet, affirmant que l’adhésion de la Suède et de la Finlande « permettra de renforcer l’OTAN ».

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, s’exprime lors d’une conférence de presse avant un sommet de l’OTAN à Bruxelles, le 27 juin 2022 (PHOTO : OLIVIER MATTHYS / THE ASSOCIATED PRESS)

Lors d’une rencontre avec le président Volodymyr Zelensky, deux jours avant que l’Ukraine ne présente sa demande d’adhésion à l’alliance nucléaire le 30 septembre, Trudeau a promis de maintenir le soutien militaire du Canada.

Si la candidature est retenue, elle donnerait vraisemblablement à l’Ukraine le droit d’organiser une confrontation militaire en vertu de l’article 5 de la charte de l’OTAN.

Par le passé, la candidature de l’Ukraine a été explicitement approuvée par l’ancien premier ministre Stephen Harper , à condition que l’Ukraine promette de continuer à ouvrir son économie aux investissements canadiens.

Le gouvernement Trudeau s’est également déjà engagé à poursuivre le déploiement d’un millier de militaires, d’avions et de navires de guerre des Forces armées canadiennes en Europe de l’Est dans le cadre del’opération « Réassurance » [L’opération Reassurance est une initiative des Forces armées canadiennes qui remonte à 2014, lorsque les partenaires de l’OTAN « se sont mis d’accord et ont commencé à adopter une série de mesures militaires le 16 avril 2014 », en réponse à l’annexion de la Crimée en février 2014 par la Fédération de Russie, NdT].

L’Ukraine a officiellement demandé une "adhésion accélérée" pour rejoindre l’OTAN (John Macdougall/AFP via Getty Images)

La ministre de la Défense, Anita Anand, a déclaré à Bloomberg que la présence militaire « se transformera en une force de niveau brigade en Lettonie », prête à « apporter des moyens essentiels pour les opérations, tels que des munitions et des explosifs, des systèmes de défense aérienne et des systèmes d’armes antichars ».

Le Cabinet du Premier ministre s’est en outre engagé à fournir 3 400 soldats supplémentaires à la Force de réaction .

Dans l’immédiat, la présence militaire du Canada sera également maintenue en Irak dans le cadre de la mission de « renforcement des capacités » de l’OTAN et accroîtra « le personnel de la Force de l’OTAN au Kosovo ».

Promouvoir le « hard power »

[Le hard power est un concept utilisé principalement par le réalisme dans les relations internationales. Il désigne la capacité d’un corps politique à imposer sa volonté à d’autres corps politiques à l’aide de moyens militaires et économique, NdT]

Lors d’un arrêt de la campagne électorale de 2021, Trudeau s’est engagé à ce que le Canada soit un « membre puissant de l’OTAN », s’engageant à être « un partenaire dans la défense de l’Amérique du Nord, et dans la propagation de nos valeurs dans le monde ».

Depuis février, les responsables de l’OTAN ont relancé leurs appels pour que les membres augmentent leurs dépenses militaires. Lors d’une conférence de presse de l’OTAN, le secrétaire général Jens Stoltenberg a fait remarquer qu’il aimerait voir les pays membres faire encore plus et a appelé « tous les alliés à intensifier leurs efforts ». Trudeau s’est empressé de répondre à cet appel.

Le budget 2022 du Canada propose d’augmenter les dépenses militaires annuelles du pays les faisant passer de 36,3 milliards de dollars à 51 milliards de dollars d’ici 2025-26 - renforçant ainsi le « hard power » du Canada - afin d’atteindre l’objectif de 2 % du PIB fixé par l’OTAN pour les dépenses de défense.

En amont du budget 2022, la ministre de la Défense, Anita Anand, avait déclaré à CBC News : « Personnellement, je propose des options volontaristes qui permettraient au [Canada] de dépasser le niveau de 2%. »

Le premier ministre Justin Trudeau s’entretient avec un soldat canadien à la base militaire d’Adazi à Kadaga, en Lettonie, le mardi 8 mars 2022. (Roman Koksarov/AP)

L’augmentation massive des dépenses militaires prévue, note le budget, est censée s’appuyer sur le livre blanc de la défense publié par le gouvernement en 2017, Protection, Sécurité, Engagement (PSE).

Dans ce document, le gouvernement Trudeau promettait de respecter d’ici 2037 l’objectif de l’OTAN en constante augmentation, en dépensant 63 milliards de dollars par an pour l’armée. Cela impliquait l’achat de quinze navires de guerre et de quatre-vingt-huit nouveaux avions de chasse .

Le livre blanc décrit le plan visant à mettre sur pied une armée canadienne prête à engager jusqu’à 1 500 soldats pour combattre « avec une capacité déterminante » sur deux théâtres de guerre simultanément. « Agir de manière déterminante avec une capacité militaire efficace est le but ultime de la nouvelle approche du Canada en matière de défense », peut-on lire dans le document.

« Les Forces armées canadiennes seront prêtes à réitérer le ferme engagement du Canada envers NORAD [Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, NdT] et l’OTAN, en agissant sur plusieurs théâtres simultanément », dont « un en tant que nation leader ».

Cette liste de priorités est accompagnée d’une carte du monde sur laquelle on peut voir les forces canadiennes déployées en Afrique, en Europe de l’Est, en Amérique latine et en Asie. Ces régions sont, comme par hasard, également les principaux sites d’investissement direct canadien à l’étranger.

La guerre, c’est la paix

L’OTAN et ses partisans affirment qu’il ne s’agit que d’un système de « défense collective occidentale » et en aucun cas d’une organisation belligérante.

Mais l’OTAN est une alliance militaire qui élabore une liste d’ennemis - et d’ennemis potentiels - à mesure qu’elle met sur pied une force militaire prête au combat et susceptible d’être déployée dans le monde entier.

La tentative de Washington de faire de l’Ukraine un pion politique et militaire de l’OTAN (même en l’absence d’adhésion formelle du pays à l’alliance) pourrait finir par coûter cher au peuple ukrainien" (Photo : Mindaugas Kulbis/AP)

Les dossiers de presse relatifs à ce nouveau concept stratégique affirment que l’OTAN n’est ni une « menace » ni une force en quête de « confrontations ». Selon Stoltenberg , « Nous ne cherchons pas la guerre, le conflit avec la Russie. Mais dans le même temps, nous devons nous assurer qu’il n’y a pas de malentendu quant à notre engagement à protéger tous les alliés ».

La ministre canadienne des Affaires étrangères insiste de même sur le fait que - en dépit de l’augmentation massive des dépenses militaires du Canada pour se préparer, explicitement, à mener de nouvelles opérations de combat - le Canada ne cherche pas un « conflit international ».

Mais la réalité est que l’OTAN a pour mandat de s’élargir . Cela signifie, en fait, qu’elle doit encercler les pays qui, selon elle, s’efforcent de « perturber » l’« ordre international régi par des règles » grâce à des forces terrestres, une puissance navale et une puissance aérienne « intégrées ». Elle a également pour mandat d’étendre sa « sphère » aux régions d’« intérêt », dont la plupart se trouvent bien au-delà des frontières de l’Europe.

Les platitudes pacifistes de l’OTAN sont, depuis sa création, en contradiction directe avec ses opérations agressives. En 1952, trois ans à peine après sa fondation, l’OTAN a approuvé le tristement célèbre « réseau Gladio » , composé de groupes secrets de guerilleros lourdement armés , se tenant toujours prêts à attaquer les partis perçus comme pro-soviétiques et les organisations de gauche dans toute l’Europe. Les réseaux terroristes, qui regroupaient souvent les forces d’extrême droite, disposaient de stocks d’armes en Belgique, en France, en Italie, en Grèce et en Allemagne.

Dès ses premiers jours, l’OTAN a directement aidé les conquêtes coloniales de ses membres. Le Canada lui-même, à cette fin, a soutenu le développement de la force militaire intégrée de l’OTANet son « programme d’aide mutuelle » à hauteur de de 300 millions de dollars.

Ce soutien est demeuré constant même lorsque des puissances de l’OTAN comme la France et le Portugal ont aidé à financer des guerres de conquête contre des mouvements anticoloniaux en Asie et en Afrique.

L’ancien premier ministre et ardent combattant de la guerre froide Lester Pearson, qui a assisté à la signature du traité de 1949 et est considéré comme l’un des fondateurs de l’OTAN, l’a reconnu dans un discours prononcé en 1953 : « L’aide que nous avons apportée à la France en sa qualité de membre de l’association de l’OTAN a pu l’aider récemment à honorer certaines de ses obligations en Indochine ».

Il a également défendu avec constance « les pays qui ont encore la responsabilité directe de territoires non autonomes » de toute critique ou sanction.

“Lester Pearson signant l’accord de l’OTAN, 1949” (Source OTAN)

Expansion militaire

Au-delà de l’aide financière aux États membres, l’OTAN a également longtemps flirté avec une plus vaste expansion militaire dépassant largement les frontières de l’Europe. Le procès-verbal de la conférence de l’OTAN de 1956 confirme que les membres, qui se préparaient à doter l’alliance d’armes atomiques, se sont préoccupés de la conférence de Bandung [À la conférence de Bandung, du 18 au 24 avril 1955, se réunissent des pays d’Asie et d’Afrique, nouvellement indépendants, pour affirmer leur non-alignement sur les puissances mondiales. Elle réunit 29 pays : 23 d’Asie et 6 d’Afrique, NdT] et de la « menace de pénétration soviétique au Moyen-Orient ».

La conférence s’était en outre engagée à restaurer le fonctionnement « intégral et libre » du canal de Suez après que la France, la Grande-Bretagne et Israël eurent attaqué l’Égypte à cette même fin la même année.

En 1963, le secrétaire général D. U. Stikker se vantait du fait que grâce à la « force militaire de l’alliance » on avait évité toute « crise » ultérieure menaçant les intérêts occidentaux « depuis la confrontation concernant Cuba ».

Le premier ministre canadien Justin Trudeau s’adresse aux médias lors d’une conférence de presse au sommet de l’OTAN à Madrid, en Espagne, le 30 juin 2022 (GABRIEL BOUYS / AFP via Getty Images)

En 1964, le département d’État américain tire parti de son rôle au sein de l’OTAN pour recruter « les équipements et les effectifs » de ses alliés dans le cadre de sa campagne visant à « faire flotter davantage de drapeaux au Sud-Vietnam » . [La campagne "Many Flags" (beaucoup de drapeaux) était une initiative du président américain Lyndon Johnson visant à faire participer les alliés des États-Unis en Asie et dans le Pacifique à la guerre du Vietnam pour soutenir le Sud-Vietnam. Le programme était également un effort de propagande pour enrôler les forces du monde libre dans la guerre froide contre le communisme, NdT].

La citadelle d’Hérat lors d’une visite du Secrétaire Général de l’OTAN en mai 2011 (Source NATO Newsroom)

En 1980, en réponse à la guerre soviéto-afghane, les membres de l’OTAN ont été incités à augmenter leurs dépenses militaires et à « agir de manière cohérente » avec les États-Unis, qui préparaient de nouveaux déploiements navals dans des « régions lointaines ».

Lors de la conférence de l’OTAN à Bruxelles en 1980, le secrétaire général Joseph Luns a même évoqué l’envoi de « forces déployées par l’OTAN » en « Asie du Sud-Ouest » pour soutenir les efforts des États-Unis et défendre « les intérêts vitaux des pays membres en dehors de la zone du Traité de l’Atlantique Nord ».

Depuis la fin de la guerre froide, alors que l’OTAN passait de seize à trente membres et effectuait ses premières interventions officielles, l’ancien ambassadeur du Canada auprès de l’OTAN, Jean-Pierre Juneau, se félicitait du positionnement de l’organisation en tant qu’« alliance de premier recours ». L’OTAN doit s’atteler, selon Juneau, à la constitution progressive de « forces capables de se déployer rapidement pour soutenir des opérations dans la distance et le temps ».

Depuis la guerre du Golfe en 1991, l’OTAN a lancé des campagnes de bombardement et des occupations militaires extrêmement destructrices : démantèlement de la Yougoslavie , guerre menée par les États-Unis en Afghanistan et renversement du gouvernement libyen .

Dans tous ces cas, le Canada a été un participant zélé. Ce ne sont là que quelques-uns des exemples les plus récents de ce que le premier ministre Trudeau appelle « l’engagement indéfectible du Canada au sein de l’OTAN ».

Justin Trudeau devant le sigle OTAN (Source NATO Newsroom)

Le nouveau concept stratégique de l’OTAN pourrait bien être un pas vers un monde où les conflits militaires seront plus nombreux. Le soutien du Canada sera inébranlable.

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