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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-144

Guerre froide nouveau style avec la Chine

Par Branko Marcetic, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

vendredi 2 décembre 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Guerre froide nouveau style avec la Chine

Le 23 Octobre 2022 par Branko Marcetic

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l’auteur de Yesterday’s Man : The Case Against Joe Biden [L’homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT]. Il vit à Chicago, dans l’Illinois.

Le président Joe Biden prononce un discours chez IBM à Poughkeepsie, New York, le 6 octobre 2022. IBM a accueilli Biden pour célébrer l’annonce d’un investissement de 20 milliards de dollars dans les semi-conducteurs, l’informatique quantique et d’autres technologies de pointe (Mandel Ngan / AFP via Getty Images)

L’administration Biden vient de renforcer sa « rivalité stratégique » avec la Chine en imposant une batterie de contrôles à l’exportation visant à entraver l’industrie chinoise des semi-conducteurs. Mais cette mesure pourrait finir par se retourner contre les États-Unis et leurs alliés.Depuis des années, on nous avertit qu’une nouvelle Guerre froide se prépare, cette fois avec la Chine.

Le premier coup de feu de cette guerre vient peut-être d’être tiré. Dans ce cas, le coup de feu n’est pas venu du canon d’un fusil, mais de la pointe du stylo d’un bureaucrate du ministère du Commerce.

Au début du mois, l’administration Biden a mis en place des restrictions draconiennes à l’exportation de la technologie des microplaquettes de semi-conducteurs, ce qui, selon un spécialiste du secteur, équivaut à « une véritable Guerre froide économique bilatérale » contre la Chine.

En vertu de ces nouveaux contrôles, les États-Unis n’autoriseront plus l’exportation vers des entreprises chinoises d’équipements servant à la fabrication de puces ou de certaines d’entre elles, notamment celles destinées aux super ordinateurs et à l’intelligence artificielle.

Trente et une entreprises chinoises ont été ajoutées à la liste non vérifiée du Bureau of Industry and Security (BIS) [Une liste non vérifiée est une liste de parties dont le BIS n’a pas pu vérifier la bonne foi. Aucune exception à la licence ne peut être utilisée pour les exportations, réexportations ou transferts (dans le pays) vers des parties non vérifiées. NdT], ce qui rend plus difficile l’envoi aux entités figurant sur la liste de produits fabriqués aux États-Unis ou réalisés en lien avec la chaîne d’approvisionnement américaine, y compris les produits étrangers créés à l’aide de technologies provenant des États-Unis.

L’interdiction par les États-Unis de vendre des puces informatiques de pointe à la Chine constitue une escalade significative dans la lutte commerciale entre les deux puissances (Photo : Daniel Ceng Shou-Yi/ZUMA Press Wire/Rex/Shutterstock)

Et ce ne sont pas seulement les produits qui sont visés par les restrictions, mais aussi les « ressortissants américains ». (Nous y reviendrons plus tard).

Les contrôles élargissent également les critères d’inscription sur laEntity list du BIS[Les personnes et organismes listées doivent avoir une autorisation pour effectuer certaines actions, comme acheter certains produits américains, commercialiser leurs produits aux États-Unis ou recevoir des transferts technologiques à partir d’entreprises américaines, autorisations qui leur sont refusées par défaut, NdT] sur laquelle les personnes inscrites sont soupçonnées de menacer la sécurité nationale ou les intérêts de la politique étrangère des États-Unis.

Désormais, lorsqu’un gouvernement ne coopère pas et ne permet pas aux régulateurs de vérifier si les règles américaines en matière d’exportation sont respectées ou pas – comme le gouvernement chinois, qui n’autorise pas les vérificateurs américains – les entreprises implantées sur son sol peuvent être frappées de sanctions. En d’autres termes, les régulateurs américains auront désormais toute latitude pour exclure toute entreprise chinoise des chaînes d’approvisionnement américaines.

Étant donné que les États-Unis abritent trois des cinq principaux fournisseurs mondiaux de semi-conducteurs et que la Chine ne produit que 15 % des semi-conducteurs dans le monde tout en achetant les trois quarts de la production mondiale, ce n’est pas une mince affaire.

La Chine ne le prend pas non plus comme tel. La porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a accusé l’administration Biden « de faire un usage abusif de la réglementation des exportations pour bloquer et entraver sans raison les entreprises chinoises », tandis qu’un porte-parole du ministère chinois du Commerce a accusé Washington de « contrevenir à l’esprit de coopération entre les deux parties » en se livrant à de la « tyrannie technologique ».

Conférence de presse régulière de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Mao Ning, le 8 octobre 2022 (Source : Ministère des affaires étrangères de la Répblique populaire de Chine)

Si l’objectif est de faire du tort à la Chine, cette mesure fera certainement l’affaire. La Chine est fortement dépendante du reste du monde pour les semi-conducteurs, qu’elle a importé à hauteur de 400 milliards de dollars l’année dernière.

Le président de l’Association d’échanges scientifiques, technologiques et culturels États-Unis-Chine aux États-Unis a déclaré qu’étant donné que « la Chine n’a pas fait beaucoup de progrès » en matière de son industrie des semi-conducteurs, ces mesures allaient conduire à son « effondrement ».

Le ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’information a convoqué une réunion d’urgence avec les dirigeants des entreprises de semi-conducteurs, au cours de laquelle « de nombreux participants ont affirmé que les restrictions américaines étaient synonymes de désastre pour leur industrie », rapporte Bloomberg

Il suffit de se pencher sur le cas de Huawei pour se rendre compte des effets dévastateurs que peuvent avoir de telles restrictions commerciales. Alors que Huawei était autrefois le premier fabricant de smartphones au monde, la décision de Donald Trump de l’ajouter, ainsi que des dizaines de ses filiales non américaines à cette Entity list a fait des ravages sur l’entreprise, qui, entre autres, n’a plus été en mesure d’installer l’app store Google Play sur ses téléphones.

Après la seule première année des sanctions, Huawei ne figurait plus dans le trio de tête des fabricants de smartphones, sa part de marché ayant chuté de 42 % et ses revenus ayant baissé de près de 30 % l’année suivante.

La BIS a mis en avant l’utilisation militaire des puces pour justifier ces restrictions, mais les responsables américains ont clairement indiqué que le maintien de la domination technologique des États-Unis et l’entrave au développement industriel croissant de la Chine étaient des préoccupations tout au moins aussi importantes.

Ces contrôles interviennent quelques mois seulement après la signature par Biden de la loi CHIPS and Science Act, qui consacre près de 53 milliards de dollars au financement de la recherche et à l’octroi de subventions à l’industrie américaine des micro-puces, après que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement dues à la pandémie de Covid-19 ont souligné l’importance cruciale de ces produits.

Joe Biden signe la loi CHIPS et Science sur la pelouse de la Maison Blanche, le 9 août 2022 (Al Drago / Bloomberg via Getty Images)

Cette décision s’inscrit également dans le droit fil de la stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden, récemment publiée et quelque peu incohérente , qui oppose les États-Unis à la Chine dans un « duel pour l’avenir de notre monde » et met l’accent sur « les investissements dans l’innovation afin de consolider notre avantage stratégique ».

Mais les désagréments que tout cela est sur le point de causer à la Chine occultent le fait qu’il pourrait y avoir des coûts réels pour les États-Unis et leurs alliés également.

C’est ce que souligne, sans surprise, la presse chinoise, mais aussi les analystes et les organes de presse occidentaux, dont certains ont mis en garde contre une diminution de la coopération et de la demande, ainsi que contre une hausse des prix .

Après tout, la Chine est le plus grand partenaire commercial de la plupart des pays du monde, y compris Taïwan et la Corée du Sud, qui sont les sièges de deux des trois plus grandes entreprises mondiales de puces pour microprocesseurs.

Selon Reuters , Washington a dû intervenir en toute hâte pour exempter les deux fabricants de puces quelques heures seulement avant l’entrée en vigueur des restrictions, afin qu’ils puissent continuer à faire des affaires en Chine sans être gênés.

Pour le moment, il ne nous reste plus qu’à attendre pour savoir si le pronostic du Boston Consulting Group pour 2020 se réalisera : celui-ci voudrait que les entreprises américaines de semi-conducteurs subissent une baisse de 37% de leurs revenus et de 18 points de pourcentage de leur part de marché mondiale en cas de « découplage » sino-américain.

Idem pour la conviction de l’Australian Strategic Policy Institute selon laquelle ces nouvelles restrictions « affecteront sérieusement » les entreprises américaines de fabrication de semi-conducteurs.

Les semi-conducteurs sont devenus une arme clé dans le conflit politico-commercial entre la Chine et les États-Unis (Photo : Wikimedia Commons)

L’une de ces entreprises, Applied Materials, a revu à la baisse ses prévisions de bénéfices pour la période allant de août à octobre et a estimé que ses ventes baisseraient de 400 millions de dollars au quatrième trimestre de cette année.

Etant donné l’importance des semi-conducteurs pour une variété d’autres types de production et le rôle de l’enseignement supérieur dans ce domaine, les ondes de choc de cette décision seront probablement ressenties bien au-delà du seul secteur des puces, et ce avant même qu’il y ait la moindre mesure de rétorsion éventuelle de la part de Pékin.

En attendant, les aspirations des États-Unis concernant la création d’une chaîne d’approvisionnement entièrement américaine pour les semi-conducteurs reposent en grande partie surIntel, qui va commencer à licencier des milliers de travailleurs face à la baisse de la demande , malgré les milliards de dollars de subventions gouvernementales que l’entreprise a réussi à obtenir au début de l’année.

Les nouvelles restrictions auront également un coût humain. Comme le rapporte Fortune , l’interdiction faite par l’administration Biden aux « ressortissants américains »de soutenir le « développement ou la production » de puces dans les usines chinoises sans licence – c’est la première fois que les restrictions commerciales imposées à la Chine visent des êtres humains – signifie que les citoyens américains et les détenteurs de cartes vertes devront choisir entre leur emploi et leur statut d’immigration aux États-Unis.

Enfin, rien de tout cela n’est de bon augure alors que les tensions entre les États-Unis et la Chine ont atteint un paroxysme au sujet du statut de Taïwan.

Cette semaine, le chef des opérations navales américaines a demandé à Washington de se préparer à répondre à une invasion de l’île par la Chine, et dans un tel scénario, les faucons appellent depuis longtemps à entrer en guerre avec l’État doté de l’arme nucléaire, ce qui serait très vraisemblablement désastreux .

Des employés portant un équipement de protection travaillent dans l’usine de production de semi-conducteurs de Renesas Electronics à Pékin, en Chine (Photo Associated Press)

Le Premier ministre de Singapour, par exemple, a qualifié la décision de Biden de « très grave » et a averti que si les préoccupations de sécurité nationale devaient creuser un fossé entre l’Occident et la Chine, qui sont économiquement liés, cela « pourrait entraîner une diminution de la coopération économique, de l’interdépendance, de la confiance et peut-être, en fin de compte, engendrer un monde moins stable ».

Si la première Guerre froide a été dangereuse, elle s’est cependant déroulée entre deux pays qui entretenaient entre eux très peu d’échanges commerciaux. Nous sommes peut-être sur le point de découvrir à quoi ressemble une telle guerre lorsque les deux pays sont chacun le plus grand partenaire commercial de l’autre.

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