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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2022-147

Biden efface une partie de la dette étudiante

Par Luca GoldMansour, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

vendredi 9 décembre 2022, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Biden efface une partie de la dette étudiante

Le 09 Septembre 2022 par Luca GoldMansour

Luca GoldMansour est diplômé du City College de New York en sciences politiques. Vous pouvez le suivre sur Instagram à : @luca.saeed et sur Twitter à : @cityascanvass.

Manifestations contre la dette étudiante (Source Bloomberg)

Le plan d’annulation de la dette étudiante voulu par le président Joe Biden n’est certes pas une annulation totale, mais il peut tout de même avoir un impact sur la vie de millions de personnes.

Près de 20 millions de celles-ci pourraient voir leur dette effacée, et plus de 40 millions sont directement concernées.

Ce plan est un pas en avant pour les débiteurs et les militants qui ont passé des décennies à lutter pour abolir la dette étudiante et rendre l’enseignement supérieur, longtemps promis comme la voie pour sortir de la pauvreté, abordable pour tous.

Il représente une réelle possibilité pour les pauvres d’Amérique d’imaginer un avenir exempt de tout travail insatisfaisant et aliéné. Exempt de toute maladie liée au désespoir. Exempt de toute sanction due à la dette. Un futur que la classe dirigeante américaine a tout fait pour empêcher .

Naturellement, les grands médias tels que :
* le Wall Street Journal du 23.8.22,
* le Financial Times du 25.8.22,
* CNBC du 24.8.22 ,
* Vox du 25.8.22 ,
* CNN du 24.8.22 ,
* CBS du 25.8.22
* et Bloomberg du 22.8.22
ont fait feu de tout bois pour tenter de convaincre leur public qu’il n’y a pas assez d’argent pour tout le monde. Leur arme principale : le spectre de l’inflation.

Régurgitant les points de vue d’économistes et de politiciens conservateurs, les grands médias préviennent : l’allègement de la dette est inflationniste et il entraînera même un transfert des richesses vers le haut.

Ces arguments ne sont qu’un autre exemple de la façon dont les médias utilisent le spectre de l’inflation pour justifier qu’on impose des mesures de rigueur.

Remise de diplôme aux étudiants (Supachok Pichetkul / Eyeem | Eyeem | Getty Images)

Désolé, c’est fini. Il n’y a plus rien. Aucun excédent. Alors comment êtes-vous prêt à partager ? Ne regardez pas ici mon énorme tas d’argent.

Les arguments utilisés par une grande partie des médias à la suite de l’annonce de l’allègement de la dette par Biden révèlent une hostilité réflexe au progrès social et à l’utilisation du gouvernement pour améliorer la vie des gens ordinaires au lieu de profiter aux entreprises et aux riches.

Le président Joe Biden, avec le secrétaire à l’éducation Miguel Cardona à droite, parle de l’annulation de la dette des prêts étudiants à la Maison Blanche le 24 août 2022 (Evan Vucci/AP)

La loi sur l’expansion de l’inflation

Qu’il s’agisse de titres décrivant les plans d’allègement de la dette proposés par Biden comme un moyen d’attiser un « incendie inflationniste » (Financial Times du 25/08/22), qualifiant cette politique de « loi d’expansion de l’inflation » (Wall Street Journal, du 23/08/22) ou citant des études manipulatrices réalisées par des groupes de réflexion favorables à l’austérité, la réaction des médias à l’allègement de la dette a alimenté les craintes que l’allègement indispensable accordé aux étudiants débiteurs n’augmente la demande, exacerbant ainsi l’inflation.

Si de toute évidence, les bénéfices pour les travailleurs seront annulés par les hausses de prix des entreprises, les médias devraient peut-être se demander si une économie où tel est le cas ne devrait pas être restructurée. Mais les déclarations des médias ne sont même pas conformes à leurs propres termes. L’allègement de la dette est loin d’être aussi inflationniste que le suggère la rhétorique des médias, même selon les estimations de leurs sources les plus virulentes.

Par exemple, le Financial Times, CNBC, Vox, CNN, CBS et The Hill du 24/08/22 ont tous cité « le Committee for a Responsible Federal Budget (CRFB) qui est le principal groupe de réflexion pro-austérité d’Amérique » (American Prospect du 26/08/22, et qui estime que l’annulation proposée par Biden pourrait coûter au gouvernement fédéral 360 milliards de dollars en dix ans, augmentant les dépenses et l’inflation.

Marc Goldwien, directeur principal de la politique du CRFB et « le plus grand détracteur des dépenses en Amérique » (American Prospect du 26/08/22), a fait le tour des plateaux médias pour divulguer cette estimation.

Une diffusion de NBC Nightly News (11/12/21) sur la "crise de l’inflation" a souligné le rôle des pénuries de main-d’œuvre.

Le plan d’allègement de la dette étudiante proposé par Biden « va aggraver l’inflation et absorber tout l’impact déflationniste de la loi sur la réduction de l’inflation », a affirmé Goldwien dans le Financial Times du 25/08/22 .

Vox du 8/25/22 quant à lui cite Goldwien qui affirme que le plan de Biden « augmentera les prix de tout, des vêtements à l’essence, en passant par les meubles et le logement ».

Un rassemblement devant le ministère de l’Éducation à Washington en avril 2022 (Kenny Holston pour le New York Times)

Contrairement au titre de Newsweek du 24/08/22, un sondage révèle qu’une majorité d’anciens étudiants emprunteurs sont favorables à l’effacement d’au moins une partie de leur dette d’études.

En supposant que l’estimation de CRFB soit exacte – même s’il y a peu de raisons de le penser – ce que l’estimation dit réellement est très loin de l’affirmation de Goldwien selon laquelle les prix vont augmenter.

Des économistes comme Paul Krugman, loin d’être un chantre de la gauche , ainsi que Mike Konczal et Alí Bustamante de l’Institut Roosevelt , ont souligné que même l’estimation du CRFB montre tout au plus une augmentation de 0,3 % de l’inflation, ce qui ne permettrait pas « d’inverser » ou même de « réduire » des tendances déflationnistes plus importantes comme les hausses des taux d’intérêt de la Réserve fédérale, ou même la reprise des paiements de la dette étudiante, comme Biden a l’intention de le faire au début de la nouvelle année.

Krugman explique qu’étant donné les discours alarmistes sur l’inflation, comme celui du Financial Times du 25/08/22 qui parle de « jeter de l’huile sur le feu », le lecteur pourrait penser que l’allègement de la dette serait en mesure de provoquer une nouvelle « poussée inflationniste ». Or, même selon leurs propres sources, c’est loin d’être vrai.

En outre, l’argument central de la thèse de Goldwien et des médias – à savoir que l’allègement de la dette stimulera la demande – repose sur l’hypothèse que l’annulation de la dette des gens les incitera à acheter des choses pour lesquelles l’offre n’est pas suffisante pour maintenir les prix stables.

"Dette étudiante #OccupyCal #OccupySF #OWS" par ericwagner est sous licence CC BY-NC-SA 2.0.

Heidi Shierholtz, présidente de l’Economic Policy Institute, a réfuté cet argument sur Twitter du 5/12/22 : « La dernière version de l’affirmation « nous ne pouvons pas nous offrir avoir de jolies choses à cause de l’inflation » repose sur l’idée que nous ne pouvons pas effacer la dette étudiante fédérale... Mais les amis, il y a actuellement une pause dans le remboursement des prêts étudiants fédéraux, ce qui signifie que les gens endettés n’ont pas actuellement de paiements à effectuer. Ainsi, même si la dette d’une personne est entièrement annulée dans le cadre d’une nouvelle politique, ses coûts mensuels ne diminueront pas par rapport à ce qu’ils sont actuellement. Cela limitera considérablement tout impact sur les nouvelles dépenses et n’exercera donc aucune pression à la hausse sur l’inflation par rapport au statu quo ».

Le fait que les médias avancent des arguments de mauvaise foi contre une politique qui représente un tel changement dans la vie des gens, ainsi que dans le rôle du gouvernement qui est d’aider les travailleurs, démontre une adhésion profonde aux principes de l’austérité et du néolibéralisme.

Comme l’a souligné Krugman dans un autre fil Twitter du 29/08/22 : « Ce que nous voyons ressemble plus à une réaction viscérale à la recherche d’une rationalité qu’à une critique argumentée ».

En outre, ces arguments font fi des preuves qui voudrait que l’inflation actuelle ne soit pas le résultat d’une demande trop forte, mais plutôt de la cupidité des entreprises. Comme FAIR du 4/21/22 l’a déjà documenté, les médias ont tendance à mettre « beaucoup plus l’accent » sur les contributions à l’inflation des politiques qui améliorent la vie des travailleurs que sur « le rôle des prises de bénéfices des entreprises ».

En dépit d’une multitude de preuves montrant que les monopoles d’entreprises exacerbent délibérément l’inflation en utilisant la crise de la chaîne d’approvisionnement liée à la pandémie comme couverture pour augmenter inutilement les coûts pour les consommateurs – et en réalisant ainsi des profits records – les médias ont une fois de plus choisi de s’exprimer sur l’effet inflationniste des dépenses sociales.

Quelque 43 millions d’emprunteurs détenaient 1.600 milliards de dollars de prêts étudiants fédéraux fin juin. (Alejandro Alvarez/Sipa USA/SIPA)

Ponctionner la classe ouvrière

Le fait que l’allègement de la dette étudiante soit inflationniste n’est pas le seul argument que les médias aient colporté depuis que Biden a annoncé son plan. Les détracteurs de l’allègement de la dette étudiante ont également qualifié le plan de cadeau régressif aux riches, et d’injuste pour ceux qui ont déjà remboursé leurs dettes.

Le même article du Financial Times du 8/25/22 rapporte que « l’annulation de la dette n’est pas complètement progressiste, dans la mesure où les membres les plus pauvres de la société sont moins susceptibles d’être allés à l’université ».

CBS du 8/25/22 a relayé l’opinion du sénateur Ted Cruz selon laquelle « ce que le président Biden a en fait décidé de faire est de ponctionner les gens de la classe ouvrière. ».

Dans ’The Morning’ le New York Times du 25.8.22 a affirmé que l’allègement de la dette des étudiants « ressemble à une réduction d’impôt qui profite surtout aux riches ».

Quand bien même l’annulation de la dette des prêts étudiants serait vraiment une mesure régressive, elle aurait cependant tout à fait la faveur de Cruz.

La réalité est que la dette étudiante a un impact disproportionné sur les emprunteurs noirs et métis et à faible revenu (Roosevelt Institute du 9/29/21). L’annulation contribuerait grandement à combler le fossé racial et à lutter contre l’inégalité des richesses.

Un titre de Newsweek du 24/8/22 rapportait que « les emprunteurs ayant remboursé leur dette se sentent punis pour avoir fait ce qu’il fallait ». Le Wall Street Journal du 8/23/22 a affirmé que l’allègement de la dette « insulte les millions de personnes qui ont remboursé leurs prêts ».

Astra Taylor, une des organisatrices du Debt Collective, a déclaré à Democracy Now ! du 8/25/22 que cette critique était « tellement cynique » : « Tout d’abord, je fais partie des millions de personnes qui ont dû payer leurs dettes. Je les ai payées en totalité. Je ne veux pas que d’autres personnes aient à souffrir simplement parce que moi, j’ai souffert. Le progrès social signifie que d’autres personnes n’ont pas à souffrir de ce que les générations précédentes ont subi. Et le fait est que les sondages montrent que la plupart des gens pensent exactement de cette façon ».

La dette étudiante a été conçue comme une barrière pour empêcher les Noirs, les métis et les personnes à faible revenu d’accéder à l’enseignement supérieur (Intercept du 25/08/22 ; Boston Review du 01/09/17).

L’allègement partiel de la dette rend d’autant plus facile le droit à l’autodétermination des groupes les plus opprimés et exploités d’Amérique. En essayant de convaincre les électeurs que l’allègement de la dette va leur coûter cher et qu’une société plus égalitaire est impossible, les médias défendent la classe dirigeante américaine vis à vis d’une classe ouvrière éduquée.

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