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D’après Alternatives Economiques du 5 Décembre 2022

La fin du pétrole russe (ou presque)

Par Bruno BOURGEON

jeudi 26 janvier 2023, par JMT

La fin du pétrole russe (ou presque)

Pétrolier

L’embargo européen sur le pétrole brut russe est entré en vigueur le 5 décembre 2022. Même si des stratégies de contournement sont en œuvre, il devrait entamer les recettes encaissées par Moscou. Désormais, les Etats membres ont interdiction d’importer sur leur territoire le moindre baril de pétrole brut en provenance de Russie et transitant par voie maritime, ce qui représente la grande majorité des flux.

L’Allemagne et la Pologne y ont ajouté des restrictions volontaires sur celui qui arrive par pipeline. Résultat : 90% des importations de brut russe sont couvertes par l’embargo. L’objectif est double : réduire la dépendance énergétique de l’UE à la Russie pour des raisons stratégiques et, à court terme, réduire les recettes encaissées par le Kremlin qui lui permettent de financer sa guerre en Ukraine.

Moscou peut-il contourner cet embargo ? Depuis le début de la guerre, la Russie a déjà redirigé une partie de ses exportations vers des pays qui n’appliquent pas de sanctions et les lui achètent à un prix bradé. Début novembre, l’Oural, variété russe d’or noir, se vendait 23 $ le baril de moins que le Brent, produit en Europe. La Chine fait partie des acheteurs.

L’Inde a également augmenté ses importations énergétiques en provenance de Russie. Destinataire de seulement 1% des exportations de brut russe avant la guerre, New Delhi en recevait 18% en mai. Pour être plus proche de la vérité : l’Inde importe du brut russe à bas prix, le raffine et le redirige sous forme de carburant, en partie vers l’Union européenne et les Etats-Unis.

Le brut russe a également trouvé une nouvelle voie via la Turquie ; Mais ces capacités demeurent limitées, car les pays disposant de centres de raffinage ont en général des contrats avec les pays du Golfe Persique.

L’embargo européen ne concerne que le pétrole brut russe. Le carburant, même s’il est obtenu à partir de brut russe, est donc toujours autorisé. A compter du 5 février 2023, l’Union européenne étendra son embargo aux produits pétroliers obtenus après raffinage. Mais seuls les produits raffinés sur le territoire russe tomberont sous le coup de cet embargo.

La Russie peut également espérer écouler du brut via l’Egypte. La capacité de stockage des réservoirs des ports égyptiens devrait être multipliée par trois, ouvrant davantage de possibilités pour exporter depuis cette plate-forme un mélange de brut russe et égyptien, notamment sur l’UE.

Global Witness, ONG britannique, a étudié le cas du pipeline CPC (pour Caspian Pipeline Consortium) qui transporte du pétrole kazakh depuis les bords de la mer Caspienne jusqu’à ceux de la mer noire, en Russie. Le produit qui, en bout de course, se retrouve dans les tankers est composé à la fois du pétrole issu des champs pétrolifères kazakhs (à 85% environ) et de pétrole russe (à hauteur de 15% environ). Ces millions de barils seront livrés au Royaume-Uni.

Autre mécanisme plus subtil : les Saoudiens importent du mazout russe bradé et l’utilisent pour fabriquer de l’électricité, économisant ainsi ses propres ressources pétrolières pour l’exportation.

Une mesure risque toutefois de compliquer la capacité russe à rediriger les 2,5 millions de barils qu’elle destinait en temps normal par jour à l’Union. L’embargo européen s’accompagne d’une interdiction, pour tous les pétroliers appartenant à un pays du G7, de transporter du pétrole russe vers des pays tiers s’il est vendu au-delà de 60 dollars le baril.

Et toutes les sociétés d’assurances du G7 auront également l’interdiction d’assurer les pétroliers qui ne respectent pas ce plafond. Il sera revu tous les deux mois à partir de janvier 2023, en fonction de l’évolution du marché, sachant que le prix du pétrole russe oscille actuellement autour de 65 dollars le baril, contre 85 dollars pour le Brent.

Ce plafonnement du G7 assouplit la décision initiale de l’UE. L’embargo européen n’a de sens qu’associé à ce plafonnement. Afin d’éviter une déstabilisation du marché mondial. Et favoriser l’intendance russe si le prix du baril venait à grimper opportunément.

Le brut russe est transporté à 60% par des navires européens (grecs, en grande majorité) et est assuré dans les trois quarts des cas par des compagnies britanniques ou norvégiennes, qui détiennent un quasi-monopole de fait sur l’assurance maritime. Cette interdiction prive donc la Russie d’une flotte de tankers pour exporter son or noir.

Deux options s’offrent à elle. La première : vendre son pétrole à un prix inférieur au plafond, pour garder un accès à toute la flotte mondiale de navires et aux services d’assurances maritimes occidentaux. Elle a toujours exclu cette option et a réaffirmé cette position après la décision des pays du G7 par la voix du porte-parole russe, mais pourrait faire marche arrière.

Si elle campe sur sa position initiale, la Russie devra, deuxième option, augmenter les capacités de sa flotte. Sovcomflot, l’entreprise publique russe de transport d’hydrocarbures, dispose d’une cinquantaine de tankers. Depuis le début de la guerre, 70 tankers ont été vendus à des entreprises non identifiées, et pourraient être utilisés par la Russie pour transporter des barils russes sous les radars.

Il lui manquerait toutefois 110 tankers pour acheminer ses exportations maritimes de brut qui s’élevaient à 3,5 millions de barils par jour au niveau mondial, avant l’embargo.

Des pratiques plus opaques risquent également de se développer. Kpler, une entreprise d’analyse de données qui suit notamment le ballet mondial des navires, a noté ces derniers mois une augmentation des transbordements, c’est-à-dire de transfert de cargaison en mer entre deux navires, impliquant des pétroliers transportant de l’Oural. Onze transbordements/mois ont été observés en moyenne depuis janvier 2022, contre deux/mois en 2021.

Si, de manière générale, une partie des transbordements sont justifiés par l’optimisation des coûts de transport, ces faits illustrent une volonté de camouflage. Ces opérations opaques risquent de se multiplier, mais elles ne sont pas de nature à permettre à Moscou de contourner totalement l’embargo européen. A court terme, les estimations convergent vers une possibilité de voir disparaître jusqu’à 2 millions de barils par jour du marché pétrolier mondial.

En théorie, il existe deux options de contournement plus massives. La première consiste pour la Russie et ses partenaires à trouver une solution aux mécanismes d’assurances actuels. La deuxième est qu’ils s’entendent pour déclarer un prix inférieur au prix seuil, alors qu’il est en réalité plus élevé.

Le pétrole russe transporté par voie terrestre via l’oléoduc Droujba, construit dans les années1960 pour approvisionner l’Europe centrale et l’Allemagne, est exclu de l’embargo. L’Allemagne et la Pologne (desservies par la branche « nord » de cette infrastructure) ont renoncé à l’utiliser, mais les pays situés sur la branche « sud » (République tchèque, Slovaquie et Hongrie) ont obtenu de leurs partenaires européens une dérogation qui les autorise à y avoir recours en raison de leur enclavement et de leur forte dépendance énergétique à l’égard de la Russie.

Une autre dérogation a été accordée à la Bulgarie. Sofia est l’unique capitale qui pourra continuer à importer du pétrole russe par voie maritime jusqu’en 2024. La Bulgarie dispose d’une unique raffinerie, au bord de la mer Noire, à Burgas, qui a été conçue pour ne fonctionner qu’avec de l’Oural et est exploitée par Lukoil, le plus grand producteur russe de pétrole.

Une condition a été posée à cette dérogation : ne pas exporter le pétrole qui sort de la raffinerie. Malgré les avertissements de la Commission début novembre, le nouveau gouvernement a fini par autoriser Lukoil à exporter ses produits raffinés vers le reste de l’UE jusque fin 2024, à condition que l’entreprise s’acquitte de l’intégralité de ses impôts en Bulgarie.

In fine, avec tous ces mécanismes d’évitement, on se demande bien si l’embargo sert à quelque chose.

Bruno Bourgeon, président d’AID http://www.aid97400.re

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