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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2018-06

Après les élections de mi-mandat, Trump continuera-t-il à mettre en péril le commerce mondial et la sphère du dollar offshore ?

traduit par Jocelyne le Boulicaut

mardi 4 décembre 2018, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne Le BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Après les élections de mi-mandat, Trump continuera-t-il à mettre en péril le commerce mondial et la sphère du dollar offshore ?

ALASTAIR CROOKE 12 novembre 2018 traduit par Jocelyne Le Boulicaut pour AID

Les élections de mi-mandat sont terminées. Il n’y a pas eu de " vague bleue ", mais au contraire, un résultat serré permet aux deux grands partis de revendiquer une sorte de "victoire". La réalité est qu’il n’y a pas eu de victoire décisive (bien que Trump s’en soit mieux tiré que prévu). Au contraire, nous allons assister à une inflation de la popularité de la polarisation et à une attitude insurrectionnelle vengeresse du Congrès - ce qui signifie une plus grande difficulté à mener les affaires du pays et une atmosphère de crise et de siège exacerbée à la Maison-Blanche.

La promesse de nouvelles réductions d’impôts semble maintenant chimérique, mais il en va de même pour toute autre augmentation importante des dépenses militaires (adieu au nouveau gâchis des missiles à moyenne portée ?). La gestion du financement du déficit budgétaire américain n’en est pas rendue plus aisée, et les hausses des taux d’intérêt (maintenant plus probables) pénaliseront les dépenses discrétionnaires fédérales - car les intérêts sur la dette qui est actuellement de 106 % du PIB américain augmentent inexorablement - ou, si on les ignore, créent les conditions d’une grave crise financière.

Il existe une vieille "règle empirique" selon laquelle, lorsque les dirigeants sont bloqués dans leur programme national, ils se lancent dans des initiatives à l’étranger, si à première vue celles-ci peuvent sembler plus faciles que de faire face à des législatures grincheuses, elles s’avèrent souvent être malheureusement tout "autres". Trump modifiera-t-il donc sa politique étrangère à la suite des élections ?

On sait qu’il a d’abord été mécontent de la doctrine " Times Square " du Pentagone. Il s’agit là d’une réponse que le général Mattis aurait donnée lorsque Trump a simplement demandé (lors d’une séance d’information en salle de crise) pourquoi les États-Unis avaient tant de troupes en Afghanistan (après 16 ans d’échec), pourquoi tant en Corée et pourquoi les États-Unis étaient toujours en Syrie ? " Vous, les mecs, voulez que j’envoie des troupes partout ", aurait dit Trump : " Comment vous expliquez ça ? ". Mattis s’est contenté de dire à Trump que la présence américaine y était nécessaire " pour empêcher une bombe d’exploser à Times Square... Malheureusement, Monsieur, vous n’avez pas le choix " a ajouté Mattis," Vous serez un Président de temps de guerre ".

Trump a déjà pris des mesures pour gérer un mécontentement de longue date : Il a demandé la démission de Jeff Sessions. Il semble qu’il veuille mettre un terme à ce qu’on appelle le"Russiagate". Alors que, pendant sa campagne Trump a renforcé sa rhétorique contre la mauvaise conduite économique de la Chine - et que Xi en a fait de même, mettant en garde contre l’arrogance américaine -, pourrions-nous assister à un glissement vers la Russie et aussi vers le Moyen-Orient ? Le départ de Sessions offre-t-il un nouvel espace de détente avec la Russie à la lumière des résultats de mi-mandat ?

Depuis Moscou, Dimitri Trenine, écrit :

Une brève réunion très médiatisée entre [Poutine et Trump] pourrait avoir lieu ce week-end à Paris et un entretien plus complet plus tard ce mois-ci à Buenos Aires en Russie la question, est posée : une rencontre dans quel but ? Après tout, à chacune de leurs précédentes réunions - Hambourg en 2017, puis Helsinki en juillet dernier - les relations russo-américaines ont semblé se dégrader. Certains conseillent au Kremlin de rester à l’écart de la Maison Blanche de Trump et de ne pas se laisser entraîner dans les questions de politique interne de l’Amérique, hargneuses et impitoyables . La théorie à l’œuvre derrière ce conseil semble être : laissons la guerre civile froide de l’Amérique s’éteindre avant de nous réengager avec le vainqueur de 2020. Pourtant, Poutine est déterminé à poursuivre ses contacts directs avec Trump. Comment expliquer ce comportement apparemment illogique ?

Le commentaire de Trenine est exact. C’est à juste titre que les Russes sont furieux et énervés face à ce qu’ils perçoivent comme une litanie quasi quotidienne d’allégations fantasques les accusant de toutes sortes de "malignité" imaginables. Ils ont épuisé leur patience : Pourquoi se donner la peine de répondre ? Mais, plus largement, le public russe sait que concernant les sanctions, Trump a les mains liées. Elles restent l’apanage quasi exclusif de la Chambre des Représentants, aujourd’hui démocrate, et que de plus, Trump a été - du moins jusqu’à présent - coincé par l’axiome "Times Square" du Pentagone et par une coterie de conseillers néo-conservateurs obsédés par une antipathie historique envers tout ce qui est russe.

La réponse de Trenine à ce paradoxe est intéressante :

En d’autres termes, ce que Poutine apprécie, c’est que Trump s’attache - à dessein - à démanteler le concept même « d’empire" américain et, en même temps, et c’est crucial, la notion d’un "empire" déculturé, cosmopolite, utopique et hégémonique.

Or cette notion est aux antipodes de la reconquête culturelle par la Russie de sa souveraineté et de la voie eurasienne, et constitue donc un obstacle majeur à la volonté russo-chinoise d’évoluer vers un monde multipolaire. Trenine ajoute : "Trump, malgré toutes ses idiosyncrasies et ses incohérences, est [donc] le dirigeant américain le plus ouvertement favorable à la Russie que Poutine soit susceptible de rencontrer". Mais plus important encore que le dernier point de Trenine, c’est peut-être la manière de Trump d’atteindre le MAGA [Make America Great Again NdT]- qui se fait essentiellement par le biais de jeux de pouvoir individuels et transactionnels : en d’autres termes, Trump n’est plus le fournisseur d’une idéologie mondiale (comme pendant la guerre froide) et les " intérêts nationaux " sont toujours modifiables.

Jusqu’ici - ça marche : et bien sûr, les dirigeants russes n’ont pas manqué de remarquer que les "missiles" Twitter de Trump ouvrent aussi l’Europe d’une façon nouvelle - même si encore mal définie. Alors, nous y voilà : Trump et Poutine sont des " Messieurs " transactionnels. Mais cela ne signifie pas, qu’il y ait quelque possibilité de quoi que ce soit de transactionnel.

La politique étrangère de Trump n’est absolument pas compatible avec les intérêts russes : Trump veut rétablir une prééminence unilatérale du pouvoir américain ; il veut jouer avec la Chine (alliée de la Russie) au " jeu de la taupe " [situation dans laquelle des problèmes répétés se posent plus rapidement qu’on ne peut les résoudre, entraînant des résultats incomplets ou temporaires, NdT] ; son équipe veut faire échouer l’initiative Belt and Road [nouvelle route de la soie, NdT] et introduire un rival ; l’équipe de Trump veut que la Corée du Nord soit envahie, inspectée et son projet nucléaire, mis en cartons et expédié aux Etats-Unis ; il veut renverser l’Iran (un allié russe) ; ses conseillers recherchent l’instabilité en Syrie (alors que la Russie recherche la stabilité) ; son équipe veut que Assad soit renversé et que les Kurdes deviennent un " projet " occidental affaiblissant la Turquie et la Syrie ; de plus il veut utiliser l’influence de l’Arabie Saoudite auprès des autres États du Golfe et des états Sunnites pour mener une " guerre " contre l’Iran et forcer les Palestiniens à devenir des citoyens de seconde zone dans un " État-nation juif " dominateur. Où sont les possibilités transactionnelles dans cette liste ?

Il n’y en a pas ? Alors revenons à la question de départ de Trenine : pourquoi s’engager ? Le président Poutine connaît certainement la musique. Il peut aussi voir que l’Amérique, en " sanctionnant le monde " et en faisant du dollar une arme, risque délibérément de réduire en cendres le commerce mondial, sorte de bombe à neutrons de sanctions,

Il y a aussi le risque, une fois de plus pris consciemment, d’une possible renonciation au niveau mondial de l’immense sphère offshore du dollar américain (dont l’existence a servi à financer les déficits budgétaires de l’Amérique au cours des soixante-dix dernières années). Tout cela est mis en jeu dans la tentative de rétablir l’Amérique comme étant le seul joueur détenant les as.

Le pari est que les discours durs "style mafia" provoqueront la peur. Et que cette crainte conduira au "retour à la maison", vers Wall Street des dollars enfuis à l’étranger, affaiblissant ainsi ou brisant, en premier les marchés émergents - avec une contagion s’étendant à l’Europe (effets du manque de liquidité en dollars), se déplaçant depuis la périphérie vers le centre. Le but est bien sûr que l’Amérique - qui domine la monnaie mondiale et peut fournir (ou choisir de ne pas fournir) des liquidités en dollars - détiendra alors tous les atouts dans les négociations pour recadrer le commerce mondial en faveur de l’Amérique.

Il y a une vieille légende chinoise qui date des années 200 av. J.-C. qui raconte ’histoire d’un garçon envoyé par son maître pour attraper un lièvre (pour le déjeuner). Donc, le garçon va dans la forêt, et pratiquement dès son arrivée, voit un énorme lièvre s’enfuir à toute allure à travers bois. Étonné, le garçon regarde le lièvre s’écraser contre un arbre, s’étourdissant. Tout ce que le garçon a à faire, c’est de ramasser le lièvre et de le ramener triomphalement à la maison, directement dans la casserole.

Voici la morale de cette histoire chinoise : le garçon, devenu homme, passe les 50 dernières années de sa vie à côté du même arbre, attendant que d’autres lièvres viennent s’y cogner (bien sûr, il n’y en a pas : morale - ne vous attendez pas à ce que l’histoire se répète). Eh bien, dans un sens, les États-Unis ont connu une expérience similaire. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le reste du monde s’était en effet rué contre un arbre, s’enfonçant dans une absurdité économique. Tout ce que les Etats-Unis ont eu à faire, a été de ramasser le déjeuner, allongés tranquillement. Aujourd’hui, 70 ans plus tard, un président américain se tient près du même arbre, espérant que le monde s’y heurtera de nouveau et se cognera la tête contre les sanctions et les pénuries de liquidités de dollars - pour ensuite laisser les États-Unis ramasser le magot et le ramener à la maison pour "déjeuner".

Ce n’est qu’une allégorie ; elle ne doit pas être prise au pied de la lettre. Mais le message est clair. Les présidents Xi et Poutine "ont bien capté". Et si le " monde " parvient à s’éloigner de l’arbre de Trump, alors c’est probablement la situation financière de l’Amérique qui brûlera.

Et maintenant, à la lumière de l’assassinat de Khashoggi, nous avons un nouveau "schéma" en préparation au Moyen-Orient. Selon certaines informations, les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite sont sur le point de normaliser leurs relations avec la Syrie du président Assad (réouverture de missions diplomatiques à Damas). Bien sûr, voilà de bonnes nouvelles pour la Syrie. Aucun doute à ce sujet. Mais il y a un rebondissement dans l’histoire. Le plan serait de former un " front " anti-Frères musulmans, composé d’une Syrie laïque, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. En principe, il s’agit d’un front ciblant les Frères musulmans, mais en fait, c’est clairement la Turquie - et son allié, le Qatar qui sont visés.

Cela fait un certain temps que les Turcs mettent en garde contre la fomentation d’un tel complot et ils ont juré de le faire échouer. La Turquie n’autorisera ni l’Arabie saoudite, ni les États-Unis, à utiliser les Kurdes dans l’est de la Syrie, comme un coin enfoncé dans le ventre mou de la Turquie. Erdogan a l’air d’avoir "le vent en poupe" : Il aspire à écarter l’Arabie Saoudite du leadership du monde sunnite et l’assassinat de Khashoggi lui a justement donné le point d’appui nécessaire pour enclencher le processus).

Il se peut que Moscou voie d’un bon œil les avantages tactiques d’un tel front, tout en reconnaissant sa peu plausible viabilité. Il y a cependant un enseignement plus profond à tirer de cette nouvelle initiative du Golfe. En résumé : historiquement, le " leadership " saoudien a toujours été marginal sur le plan "politique". L’influence saoudienne tient davantage au fait qu’elle détient les lieux saints et à l’affirmation qu’elle peut interpréter le Coran selon ses propres critères.

La "solution" du Golfe n’a donc jamais été de condamner directement, mais plutôt d’exhorter chacun à une "modération" mal définie. L’Arabie Saoudite, suivant ce concept de " modération ", est devenue, en quelque sorte, assez laïque, mais sans cependant épouser les notions politiques laïques ; ou même sans esquisser un nouveau modèle pour le royaume.

Plutôt que de se laïciser complètement, les jeunes princes ont adopté un néolibéralisme occidental de type école de commerce, accompagné d’une hypercentralisation des pouvoirs, sous-entendant un appareil de répression omniprésent et intolérant - un modèle " totalitaire " de style Singapour, pour ainsi dire. Ainsi, à Bahreïn, il est maintenant acceptable de fraterniser avec des Israéliens, mais dire quoi que ce soit de positif au sujet du Qatar conduira à une peine de 10 ans de prison.

Le sens profond de tout ceci est l’angoisse et la peur dans le Golfe. Les Frères musulmans ont été affaiblis et divisés par la campagne d’usure lancée contre eux - ils ont été largement réduits à l’impuissance, mais le Golfe veut une nouvelle "guerre". Manifestement, les fantômes du Réveil arabe de 2011 qui menaçait l’autocratie tribale hantent encore les rois et les émirs. Ils ont peur.

Point essentiel : Le président Poutine peut se demander si les élections de mi-mandat apporteront un changement de politique étrangère. Manifestement pas envers la Chine, mais étant donnés les néo-conservateurs qui se sont tant immiscés à de nombreux niveaux dans l’administration de Trump, la seule question qui se pose en réalité est " qu’est-ce que M. Bolton attend de la Russie, maintenant ? "

Dans l’esprit de Moscou se cache peut-être la pensée que les Etats-Unis pourraient mettre fin à cette phase en découvrant qu’ils ne sont pas la puissance mondiale hégémonique qu’ils voulaient être, mais qu’ils se sont plutôt brûlé les doigts avec leur pari de suprématie du dollar - et que les espoirs ambitieux de Trump pour le Moyen-Orient se sont évanouis dans les airs (comme tant d’autres précédemment).

Pourquoi M. Poutine ne garderait-il pas patiemment des canaux ouverts avec M. Trump, aussi impopulaire que cela puisse être en Russie - n’attendant rien de plus que des sanctions américaines et plus de calomnies. M. Poutine pourrait attendre patiemment le "Fourth Turning" quand la politique pourra être inversée [Fourth Turning est la théorie générationnelle de Strauss-Howe qui décrit un cycle de génération récurrent théorisé, dans l’histoire américaine, NdT].

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