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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2023-058

L’humanité a-t-elle un avenir ? 2ème partie

Par C.J. Polychroniou, traduction par Jocelyne Le Boulicaut

jeudi 25 mai 2023, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT, enseignante universitaire d’anglais retraitée, pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’humanité a-t-elle un avenir ? 2ème partie

Le 3 avril 2023 par C.J. Polychroniou, TRUTHOUT

L’ancien vice-président Mike Pence prend la parole lors du déjeuner "Grill and Chill" des républicains du comté de Bremer, le 20 août 2022, à Waverly, dans l’Iowa. M. Pence a été présenté comme "le prochain président des États-Unis" au cours de l’événement (Scott Olson / Getty Images)

C.J. Polychroniou : Bob, que pensez-vous du nouveau rapport du GIEC ? Est-il possible de parvenir à un taux de dioxyde de carbone « zéro émission nette » dans tous les secteurs avant le milieu du siècle ? Si oui, par où commencer et comment ? Mais avant de répondre à cette partie de la question, le « zéro net » signifie-t-il zéro émission ? Pour en être sûr, pouvez-vous me préciser si il existe une chose telle que le « zéro net » ou le « zéro carbone » ?

Robert Pollin : En 2022, les émissions mondiales totales de dioxyde de carbone (CO2) ont atteint 40,5 milliards de tonnes. Sur ce total, 36,6 milliards de tonnes, soit 90 % de l’ensemble des émissions de CO2 en 2022, ont été produites par la combustion de pétrole, de charbon et de gaz naturel pour produire de l’énergie.

Les 3,9 milliards de tonnes restantes, soit 10 % du total, ont été générées par des changements dans l’utilisation des terres, principalement la déforestation pour défricher des terres destinées à l’agriculture industrielle et à l’exploitation minière.

Le total des émissions mondiales en 2022 était légèrement inférieur au pic de 2019, c’est-à-dire l’année qui a précédé les confinements de la COVID. Les émissions mondiales ont certes baissé en 2020 en raison de ces confinements, mais seulement d’environ 6%, et ont ensuite recommencé à augmenter en 2021, lorsque l’économie mondiale a repris.

Depuis son rapport historique de 2018, le GIEC insiste de plus en plus sur le fait que, pour avoir ne serait-ce qu’une chance raisonnable de stabiliser l’augmentation de la température moyenne de la planète à 1,5 degré Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, les émissions mondiales de CO2 doivent être réduites de moitié environ, pour arriver à 20 milliards de tonnes, à partir de 2030, puis atteindre le « zéro émission nette » d’ici à 2050.

Accès à l’électricité 2014(Source World Energy Outlook)

Vous avez tout à fait raison de demander ce que signifie exactement le terme « net zéro ». En fait, à lui seul, le petit mot « nette » dans l’expression « zéro émission nette » ouvre la porte à d’énormes possibilités de tromperie et de dissimulation pure et simple concernant les solutions en matière de climat.

Les producteurs de combustibles fossiles et tous ceux qui tirent aujourd’hui des bénéfices de la vente de combustibles fossiles sont déterminés à exploiter au maximum ces possibilités en matière de brouillage du message. Ce petit mot « nette » dans l’expression « zéro émission nette » ouvre la porte à d’énormes possibilités de tromperie et de dissimulation pure et simple concernant les solutions en matière de climat.

Le fait est que le terme « zéro nette » permet d’envisager des scénarios dans lesquels les émissions de CO2 restent à un niveau positif significatif d’ici 2050, c’est-à-dire que nous continuons à brûler du pétrole, du charbon et du gaz naturel pour produire de l’énergie et à raser des zones forestières, à commencer par la forêt tropicale amazonienne.

La manière dont nous serions censés atteindre un niveau d’émissions nettes nulles dans le cadre de ces scénarios consisterait à récupérer les émissions actuelles dans l’atmosphère par le biais de diverses mesures relevant des technologies de « captage du carbone ».

Parlons un peu de ces technologie de piégeage de carbone. À ce jour, il n’existe qu’une seule et unique technologie de ce type dont l’efficacité et la sécurité ont été prouvées. Il s’agit de planter des arbres. Plus précisément, je fais référence à un boisement réel, c’est-à-dire à l’augmentation de la couverture ou de la densité forestière dans des zones auparavant non boisées ou déboisées.

Le reboisement, terme plus couramment utilisé, est une composante du boisement. C’est une technologie qui fonctionne pour la simple raison que les arbres vivants absorbent le CO2. C’est également la raison pour laquelle la déforestation libère du CO2 dans l’atmosphère, contribuant ainsi au réchauffement de la planète.

La grande question qui se pose à propos du boisement est de savoir, de manière réaliste, quelle peut être l’ampleur de son impact en tant que moyen de contrecarrer les émissions de CO2 dues à la combustion de combustibles fossiles.

Une étude très rigoureuse menée par Mark Lawrence et ses collègues de l’Institut de recherche sur le développement durable de Potsdam, en Allemagne, est arrivée à la conclusion que le boisement pourrait, de manière réaliste, réduire les niveaux de CO2 de 0,5 à 3,5 milliards de tonnes par an jusqu’en 2050.

Comme indiqué plus haut, les niveaux actuels de CO2 dans le monde s’élèvent à environ 40 milliards de tonnes. Si l’estimation de Lawrence et de ses co-auteurs se révèle, ne serait-ce que partiellement exacte, il s’ensuit que le boisement peut certainement servir de stratégie d’intervention complémentaire dans le cadre d’un programme climatique plus large.

Mais le boisement ne peut pas porter à lui seul le poids de l’élimination du CO2 dans l’atmosphère si nous continuons de brûler des combustibles fossiles de façon aussi importante.

Au-delà du boisement, il existe une série de mesures de haute technologie qui, selon les partisans de l’industrie des combustibles fossiles, seront à même de capturer le CO2 et de le stocker dans des réservoirs souterrains pour toujours ou de le recycler et de le réutiliser comme source de combustible.

Cependant, aucune de ces technologies n’est à la veille de pouvoir fonctionner à l’échelle commerciale, en dépit du fait que, depuis des décennies, les entreprises de combustibles fossiles bénéficient d’incitations colossales pour les faire fonctionner.

Source journal of International Affairs

En fait, lors de la rédaction finale du dernier rapport du GIEC, les pays producteurs de combustibles fossiles ont exercé de fortes pressions pour que les technologies de capture du carbone soient considérées comme une solution majeure au problème du climat.

Par ailleurs, la prochaine conférence mondiale sur le climat, la COP28, se tiendra en novembre et décembre 2023 aux Émirats arabes unis (EAU). Le président désigné de la COP28, Sultan al-Jaber, qui est également à la tête de la compagnie pétrolière publique des Émirats arabes unis Adnoc, a, selon le Financial Times, « depuis toujours insisté sur la nécessité de réduire les émissions plutôt que de réduire la production de combustibles fossiles ».

En d’autres termes, selon al-Jaber, Adnoc et les autres compagnies pétrolières devraient être autorisées à continuer à nager dans les profits pétroliers pendant que nous jouons le sort de la planète sur des technologies qui ne fonctionnent pas aujourd’hui et qui ne fonctionneront peut-être jamais.

Le dernier rapport du GIEC en date indique que les taux mondiaux de captage du carbone sont « bien en deçà » de ce qui est nécessaire à tout projet viable de stabilisation du climat. Le GIEC a souligné que la mise en œuvre du piégeage et du stockage du carbone « se heurte à des obstacles technologiques, économiques, institutionnels, écologiques, environnementaux et socioculturels ».

Revenons maintenant à la première partie de votre question : est-il possible de parvenir à des émissions nettes nulles d’ici 2050 si l’on admet que le boisement peut, au maximum, extraire 5 à 10% du niveau actuel des émissions dues à la combustion de combustibles fossiles ? En d’autres termes, peut-on réellement supprimer toute consommation de combustibles fossiles dans l’ensemble de l’économie mondiale d’ici à 2050 ?

Climat, crise et nouvelle donne globale

La réponse courte est oui. Je dis cela tout en reconnaissant qu’à l’heure actuelle, environ 85 % de l’approvisionnement énergétique mondial vient de la combustion de pétrole, de charbon et de gaz naturel.

Nous devons également admettre que les gens auront toujours besoin d’énergie pour éclairer, chauffer et refroidir les bâtiments, pour alimenter les voitures, les bus, les trains et les avions, et pour faire fonctionner les ordinateurs et les équipements industriels, entre autres.

Néanmoins, en tant que défi strictement statistique, économique et politique - c’est-à-dire indépendamment de tous les efforts déployés pour défendre les profits des combustibles fossiles à tout prix - il est tout à fait réaliste de penser que les émissions mondiales de CO2 peuvent être ramenées à zéro net d’ici à 2050.

Selon mon estimation la plus élevée, il faudra un niveau moyen de dépenses d’investissement dans l’ensemble de l’économie mondiale d’environ 2,5 % du PIB mondial par an pour construire une infrastructure mondiale d’énergie propre afin de supplanter notre infrastructure actuelle dominée par les combustibles fossiles.

Cela représente à l’heure actuelle, à l’échelle de l’économie mondiale environ 2 000 milliards de dollars, et une moyenne d’environ 4 500 milliards de dollars par an d’ici à 2050. C’est évidemment beaucoup d’argent.

Mais, en pourcentage du PIB annuel, cela représente environ un dixième de ce que les États-Unis et d’autres pays à revenu élevé ont dépensé pour éviter un effondrement économique pendant les périodes de confinement de la COVID.

Ces investissements devraient se concentrer sur deux domaines : 1) le renforcement radical des exigences en matière d’efficacité énergétique dans les bâtiments, les automobiles, les systèmes de transport public et les processus de production industrielle ; et 2) le développement tout aussi radical des sources d’énergie renouvelable propre - principalement l’énergie solaire et éolienne - disponibles dans tous les secteurs et dans toutes les régions du globe, à des prix compétitifs par rapport aux combustibles fossiles.

Ces investissements sont les pierres angulaires du New Deal vert mondial. En tant que tels, ils constitueront également une nouvelle source majeure de création d’emplois dans toutes les régions du monde.

En effet, la construction d’une nouvelle infrastructure énergétique mondiale exige que les gens se mettent au travail - quel que soit le type d’emploi, y compris les couvreurs, les plombiers, les chauffeurs de camion, les machinistes, les comptables, les chefs de bureau, les ingénieurs ferroviaires, les chercheurs et les juristes.

En fait, la mise en place d’une infrastructure mondiale d’énergie propre nécessite deux à trois fois plus de personnes pour effectuer ces travaux que pour maintenir notre infrastructure énergétique actuelle, qui est essentiellement constituée de combustibles fossiles.

L’administration américaine de l’information sur l’énergie estime en effet que, d’ici à 2027, la production d’un kilowattheure d’électricité à partir de l’énergie solaire ou éolienne ne coûtera que la moitié de ce qu’elle coûte par rapport à l’électricité produite à partir du charbon ou du nucléaire.

Le relèvement des normes d’efficacité parallèlement aux investissements dans les énergies propres signifie également que pour faire fonctionner nos divers types de machines, il nous faudra acheter moins d’énergie, quelle qu’elle soit,par exemple, moins de kilowattheures pour chauffer, refroidir et éclairer les bâtiments, ou pour nous transporter d’un endroit à l’autre.

Des infrastructures à faible coût et à petite échelle en matière d’énergie propre peuvent également être mises en place dans les quelques 30% de zones rurales des pays en développement qui, à ce jour, n’ont toujours pas accès à l’électricité .

Comme nous l’avons évoqué récemment (article publié sur AID), on a pu observer des évolutions positives majeures au cours de l’année écoulée, les investissements dans les énergies propres ayant connu une croissance rapide tant aux États-Unis qu’en Europe occidentale. Pourtant, dans le même temps, les bénéfices des grandes compagnies pétrolières ont atteint un niveau record de 200 milliards de dollars en 2022.

De plus, les responsables politiques continuent de faire des courbettes devant les compagnies pétrolières. La décision du président Biden d’approuver l’énorme projet de forage pétrolier Willow sur des terres fédérales en Alaska en est l’exemple le plus récent. Et ce, alors même que Biden avait fait campagne en 2020 en promettant de « ne plus effectuer de forages sur les terres fédérales, un point c’est tout » .

La transition vers une énergie propre à l’échelle mondiale permettra également de fournir une énergie meilleur marché. En bref, une véritable zéro émission nette - le terme « nette » faisant uniquement référence à l’absorption du CO2 par le boisement à un niveau de 5 à 10 % des émissions actuelles - est tout à fait réalisable sur le plan technique et économique. Cependant, le combat politique pour y parvenir sera toujours aussi acharné.

Nonobstant les discours, les entreprises de combustibles fossiles - les entreprises publiques comme Adnoc aux Émirats arabes unis et les entreprises privées comme ExxonMobil - n’ont aucunement l’intention de renoncer à leurs profits au nom de la sauvegarde de la planète.
A suivre

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L’humanité a-t-elle un avenir ? 1ère partie

L’humanité a-t-elle un avenir ? 3ème partie