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On en reparlera !

L’effondrement de notre civilisation est une bonne chose

par Dr Bruno Bourgeon, président d’AID

lundi 19 mars 2018, par JMT

Interroger la civilisation implique de remettre en question ce que la plupart des gens comprennent de l’histoire de l’Humanité, de l’idée de progrès, de la place de l’être humain sur Terre. Elle nous rappelle ce que nous avons été, ce que nous sommes encore, derrière le conditionnement culturel qui nous est imposé dès l’enfance. Elle nous offre une perspective de soutenabilité écologique réaliste, éprouvée et testée, encore incarnée, aujourd’hui, par quelques peuples autochtones en Amazonie, en Papouasie, en Inde (les Jarawas, par exemple), et ailleurs.
Pouvons-nous le faire ? Non, évidemment. C’est pourquoi notre effondrement inéluctable est un bien pour la Vie.

L’effondrement de notre civilisation est une bonne chose

J’imagine vos réactions : la civilisation, poser problème ?

Comment le fait de quitter une condition primitive pour progresser dans le domaine des mœurs, des connaissances, des idées pourrait-il être un problème ? Notez le racisme/suprémacisme de cette assertion. L’implicite est que les peuples « primitifs » sont en quelque sorte arriérés « dans le domaine des mœurs, des connaissances, des idées » par rapport aux peuples civilisés.

Les civilisations sont les cultures humaines urbaines, hiérarchisées, organisées grâce à un État, et dont l’alimentation dépend de l’agriculture à grande échelle, façon monoculture, par opposition à la petite horticulture parfois pratiquée par des peuples de chasseurs-cueilleurs. Or, durant plus de 95 % de la durée d’existence de l’espèce humaine, ses membres ont vécu en petits groupes de chasseurs-cueilleurs. Sans anéantir le paysage. Sans le submerger de millions de tonnes de plastique et de produits chimiques cancérigènes. Sans saturer son atmosphère de gaz toxiques. Leur histoire n’était ni infectée, ni rythmée par la guerre. On mourait bien sûr beaucoup plus jeune, de traumatismes ou d’infections.

Leur mode de vie ne requérait pas ce qui caractérise le fonctionnement de toutes les civilisations (Lewis Mumford, sociologue) : « La centralisation du pouvoir politique, la séparation des classes, la division du travail (pour la vie), la mécanisation de la production, l’expansion du pouvoir militaire, l’exploitation économique des faibles, l’introduction universelle de l’esclavage et du travail imposés pour raisons industrielles et militaires. »

Il y a des milliers d’années, en Mésopotamie, les premières villes se créèrent. Les forêts furent rasées, la terre surexploitée, et aujourd’hui, du « croissant fertile », il ne reste qu’un désert infertile. L’expansion de civilisations, qui a balayé la planète au cours des derniers millénaires, a fait disparaître les forêts du Proche-Orient (les cèdres du Liban ne sont plus qu’un lointain souvenir), les forêts de l’Afrique du Nord, les forêts de Grèce, et ainsi de suite. Ces civilisations (grecque, romaine, égyptienne, khmère, etc.) se sont toutes effondrées. Pour diverses raisons. Cependant, elles avaient toutes ravagé les territoires qu’elles contrôlaient.

Leurs effondrements ont été documentés dans plusieurs ouvrages : « Effondrement », de Jared Diamond, « Le Viol de la terre : Depuis des siècles, toutes les civilisations sont coupables », de Clive Ponting, et « L’effondrement des sociétés complexes », de Joseph Tainter. « Comment tout peut s’effondrer », de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, documente l’inévitable effondrement (déjà débuté) de notre civilisation mondialisée.

Pourtant, cet effondrement est une bonne chose. Ceux qui placent « le monde avant la vie, la vie avant l’homme » et « le respect des autres êtres avant l’amour-propre » (Lévi-Strauss) le pensent. Notre civilisation est celle de la sixième extinction de masse des espèces, et d’ethnocide vis-à-vis de la diversité culturelle humaine, ainsi reconnue par l’ONU : « les cultures autochtones d’aujourd’hui sont menacées d’extinction dans de nombreuses régions du monde ». Cet écocide et cet ethnocide ne sont pas des accidents, ils découlent du fonctionnement normal d’une civilisation.

Interroger la civilisation implique de remettre en question ce que la plupart des gens comprennent de l’histoire de l’Humanité, de l’idée de progrès, de la place de l’être humain sur Terre. Elle nous rappelle ce que nous avons été, ce que nous sommes encore, derrière le conditionnement culturel qui nous est imposé dès l’enfance. Elle nous offre une perspective de soutenabilité écologique réaliste, éprouvée et testée, encore incarnée, aujourd’hui, par quelques peuples autochtones en Amazonie, en Papouasie, en Inde (les Jarawas, par exemple), et ailleurs.
Pouvons-nous le faire ? Non, évidemment. C’est pourquoi notre effondrement inéluctable est un bien pour la Vie.

D’après Reporterre, 24/10/2017

Dr Bruno Bourgeon, président d’AID

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L’effondrement de notre civilisation est une bonne chose

PUBLICATIONS

* Courrier des lecteurs Zinfos974 du

* Courrier des lecteurs d’Imaz-Press Réunion Publié le Mardi 13 Mars à 18H00 / Actualisé le Mardi 13 Mars à 17H57

* Courrier des lecteurs du JIR :

* Courrier des lecteurs du QUOTIDIEN du 14 Mars 2018 :

LIENS

* « Effondrement », de Jared Diamond,

* « Le Viol de la terre : Depuis des siècles, toutes les civilisations sont coupables », de Clive Ponting

* « L’effondrement des sociétés complexes », de Joseph Tainter

* « Comment tout peut s’effondrer », de Pablo Servigne et Raphaël Stevens

Note de lecture : Effondrement de Jared Diamond.

6 OCTOBRE 2009 ECONOMIE DURABLE . Site de réflexion sur l’écologie pour une société durable.
Auteurs : Didier Barthès et Jean-Christophe Vignal. Contact

C’est à un peu de patience et de persévérance que je vous convie en vous recommandant chaudement la lecture du livre de Jared Diamond : Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ; un imposant ouvrage de 630 pages dans sa version française ! (1)

A travers l’étude d’une dizaine de cas passés et présents (2), Jared Diamond nous conduit inévitablement aux questions fondamentales de notre siècle : Notre civilisation va-t-elle s’effondrer ? Peut-on faire quelque chose pour l’éviter ? Comment les sociétés se sont elles comportées jusqu’à présent ? Quelles leçons tirer de leurs échecs et de leurs réussites ?

Pour chaque situation, l’auteur pose précisément les conditions physiques, sociales et démographiques avant d’analyser les mécanismes par lesquels la société a pu s’en sortir ou au contraire a sombré dans le chaos.
Pourquoi a-t-on pris, ici les bonnes décisions, là les mauvaises ? Comment s’établit le choix entre cercle vertueux et cercle vicieux ?
Le cas le plus célèbre est évidemment l’île de Pâques. La surpopulation et l’imprévoyance ont conduit à l’effondrement de tout l’écosystème et finalement de toute la société.
Nous savons qu’aujourd’hui le risque est que notre planète entière ne devienne une gigantesque île de Pâques. Désormais, cette île constitue avec le Titanic la métaphore la plus utilisée quand il s’agit de décrire les cataclysmes vers lesquels nous nous dirigeons aveuglement faute de comprendre et d’agir sans retard.

Moins médiatisée, au moins sous cette approche, l’histoire du Rwanda se révèle tout aussi exemplaire. Jared Diamond présente clairement l’explosion démographique comme principale cause des massacres qui ont ensanglanté la région dans la décennie 1990.
Analyse originale, car beaucoup d’ouvrages ont été publiés sur le sujet, détaillant à foison l’histoire complexe et sans cesse retournée des relations entre Hutus, Tutsis et colonisateurs sans jamais évoquer la question du nombre et de la raréfaction concomitante des ressources.
Le Rwanda est une leçon mal comprise.

Les comparaisons sont instructives ! Remarquable est l’histoire de l’île d’Hispaniola partagée entre Haïti et la République dominicaine. L’une connaît un effondrement presque total tandis que l’autre maintien (à peu près) ses équilibres et préserve (partiellement) son couvert végétal. Pourquoi ?
Les réussites aussi sont riches d’enseignement. Sans doute pourrions nous nous en inspirer ? Jared Diamond explique comment, par exemple, la petite île de Tikopia est parvenue à s’en sortir et en particulier à maintenir une certaine stabilité démographique sur longue période.

La maîtrise démographique constitue d’ailleurs le point commun, la clef incontournable du succès. Rappelons que même une croissance apparemment très faible de la population conduit systématiquement à une impasse sur le long terme (voir sur ce site l’article sur les pièges de l’exponentielle).

Ajoutons à ces réussites, même si cela ne constitue pas un chapitre de ce livre, ce que réalise aujourd’hui l’Islande pour reboiser ses territoires (après il est vrai, avoir détruit l’ensemble de son couvert forestier) !

Bien entendu toutes les situations évoquées par l’auteur restent locales ou au moins régionales. Le caractère global du problème en modifie désormais la nature et en augmente considérablement la gravité.
Si nous échouons d’autres sociétés ne pourront pas réussir ailleurs (sauf évidemment à se reporter dans le très long terme pour lequel toute prospective est délicate).
Ce n’est pas une société qui est menacée c’est l’ensemble de la civilisation, toute la nature et les animaux qui nous accompagnent. Si nous les détruisons, les espèces mettront plusieurs millions d’années à se reconstituer.

Seule très légère réserve sur ce ouvrage, quelques phrases paraissent difficilement compréhensibles. Compte tenu de la qualité globale du texte, peut-être s’agit-il d’un problème de traduction.

Jared Diamond, Jean-Marc Jancovici, Serge Latouche, André Lebeau, James Lovelock et tant d’autres ! Une certitude s’impose, nous ne pourrons prétexter l’ignorance.

(1) Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie : Jared Diamond, éditions Gallimard, 2008. Titre original :Collapse : How societies chose to fail or succed. Traduction française d’Agnès Botz et de Jean-Luc Fidel.
(2) Parmi les cas étudiés : Le Montana, l’île de Pâques, les indiens Anasazis, les Mayas, la Chine actuelle, les îles de Pitcairn et d’Henderson, Les Vikings et leurs aventures groenlandaises, l’Australie, l’île d’Hispaniola (Haïti et la République dominicaine), le Rwanda et le Burundi.

LE VIOL DE LA TERRE. - Depuis des siècles, toutes les civilisations sont coupables

https://www.decitre.fr/livres/le-viol-de-la-terre-9782841111718.htmlhttps://www.decitre.fr/livres/le-vi...

Comment le puissant Empire romain s’est-il réellement effondré ? Quelle est la clé du " mystère " de l’île de Pâques ? Quelles conséquences désastreuses continue d’entraîner le saccage de la forêt amazonienne, où l’on élimine chaque jour une cinquantaine d’espèces animales et végétales ? En quoi la surindustrialisation a-t-elle modifié les conditions climatiques au point de provoquer les catastrophes naturelles qui se multiplient depuis quelques années ? Pourquoi la fragilisation de la couche d’ozone et le réchauffement de la Terre - la calotte glaciaire a diminué de 40 % en trente ans - menacent-ils si gravement l’avenir de notre planète ?... Des origines de l’humanité à nos jours, Clive Ponting démontre comment l’épuisement par l’homme des ressources naturelles mises à sa disposition a pu et peut bouleverser les écosystèmes les mieux adaptés et les civilisations les plus développées. En éclairant le passé, cet essai aussi instructif que passionnant nous alerte sur les dangers qui pèsent sur notre présent et notre avenir.

« L’effondrement des sociétés complexes » de Joseph A. Tainter

19 novembre 2013

« Les sociétés industrielles sont soumises aux mêmes principes qui ont provoqué l’effondrement d’anciennes sociétés ».

Les éditions « Le Retour aux sources » viennent de publier un ouvrage que l’anthropologue et historien américain Joseph A. Tainter avait écrit en 1988. Ce livre est consacré au sujet récurrent du déclin, de la décadence et de l’effondrement des sociétés et des civilisations ; son intérêt réside dans la thèse novatrice et séduisante que Joseph Tainter expose clairement et qui enrichit considérablement la réflexion sur un sujet difficile et fascinant (B.G.).
La décadence : une interrogation éternelle

Depuis l’Antiquité, le déclin, la décadence et l’effondrement des sociétés ont frappé les esprits curieux et inspiré des théories explicatives extrêmement variées. Le nombre et la variété des sociétés ayant connu de tels processus sont extrêmement grands. L’effondrement de l’Empire romain est l’exemple le plus fréquemment cité et celui qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études, mais l’Empire Zhou a connu le même destin au troisième siècle avant notre ère, tout comme la civilisation Harappéenne de la vallée de l’Indus qui a disparu vers 1750 avant notre ère après 700 ans d’existence, la civilisation mésopotamienne (-1800/-600), l’ancien Empire d’Egypte(-3100/-2200), l’Empire Hittite (-1800/-1100), la Civilisation Minoenne (-2000/-1200), la civilisation Mycénienne (-1650/-1050), la civilisation des Olmèques (-1150/-200) ou celle des Mayas… Des sociétés et des civilisations de toutes tailles et situées dans toutes les régions de notre planète ont disparu plus ou moins rapidement.

Parmi les causes du déclin qui ont été proposées par les historiens et les philosophes, on peut citer : la diminution ou l’épuisement d’une ou de plusieurs ressources vitales dont dépend la société ; la création d’une nouvelle base de ressources trop abondante ; les catastrophes insurmontables ; l’insuffisance des réactions aux circonstances ; les envahisseurs ; les conflits de classes, les contradictions sociales, la mauvaise administration ou l’inconduite des élites ; les dysfonctionnements sociaux ; les facteurs mystiques ; les enchaînements aléatoires d’événements ; les facteurs économiques. Joseph Tainter considère que toutes ces causes ne sont que des causes secondaires d’un mal plus profond : la diminution de l’efficacité globale des organisations sociopolitiques complexes.
Complexité et énergie

Joseph Tainter introduit dans le débat un paramètre essentiel qui a été le plus souvent ignoré par les précédents analystes du déclin :

« Les sociétés humaines et les organisations politiques, comme tous les systèmes vivants, sont maintenues par un flux continu d’énergie … Au fur et à mesure que les sociétés augmentent en complexité, sont créés plus de réseaux entre individus, plus de contrôles hiérarchiques pour les réguler ; une plus grande quantité d’information est traitée… ; il y a un besoin croissant de prendre en charge des spécialistes qui ne sont pas impliqués directement dans la production de ressources ; et ainsi de suite. Toute cette complexité dépend des flux d’énergie, à une échelle infiniment plus grande que celle qui caractérise les petits groupes de chasseurs-cueilleurs ou d’agriculteurs autosuffisants. La conséquence est que, tandis qu’une société évolue vers une plus grande complexité, les charges prélevées sur chaque individu augmentent également, si bien que la population dans son ensemble doit allouer des parts croissantes de son budget énergétique au soutien des institutions organisationnelles. C’est un fait immuable de l’évolution sociale et il n’est pas atténué par le type spécifique de source d’énergie ».

Il a examiné l’histoire du déclin de l’Empire romain et de quelques autres sociétés en ayant à l’esprit le paradigme énergétique et en a conclu que ces sociétés n’ont pas réussi à satisfaire leurs besoins énergétiques croissants. Les maux qui ont été énumérés précédemment et qui sont apparus juste avant la disparition de ces entités n’ont pas été, selon Joseph Tainter, les causes mais les conséquences d’un affaiblissement lié à la divergence croissante entre, d’une part, les moyens nécessaires au maintien de leurs structures complexes et, d’autre part, les ressources énergétiques disponibles.
Loi des rendements décroissants et civilisation industrielle

Selon la thèse de Tainter, l’investissement dans la complexité sociopolitique atteint un point où les bénéfices d’un tel investissement commencent à décliner, d’abord lentement, puis beaucoup plus rapidement.

« Ainsi, non seulement une population alloue de plus en plus grandes quantités de ressources au soutien d’une société en évolution, mais, après un certain point, des quantités plus grandes de cet investissement produiront de plus petites augmentations de rendement. Nous montrerons que les rendements décroissants sont un aspect récurrent de l’évolution sociopolitique et de l’investissement dans la complexité ».

Un chapitre de l’ouvrage est consacré aux observations qui ont été faites au sein de la civilisation industrielle moderne qui est, semble-t-il, elle aussi soumise à la loi des rendements décroissants. Comme les civilisations qui l’ont précédée, cette civilisation connaît une décroissance des rendements de ses investissements. Ainsi le nombre des brevets déposés par habitant ou par scientifique ne cesse de décroître bien que les moyens mis en œuvre pour la recherche et développement n’aient jamais été aussi importants. Ainsi aux Etats-Unis, le nombre d’employés dans la recherche industrielle a augmenté de 560% entre 1930 et 1954, tandis que le nombre de brevets déposés par les entreprises n’a augmenté que de 23% entre 1936/1940 et 1956/1960 ! Cette tendance a été constatée dans une étude portant sur cinquante pays développés et vérifiée dans différents secteurs techniques.
Le déclin de notre civilisation est-il inévitable ?

Comme nous l’avons écrit précédemment, les observations faites au sein de notre propre civilisation indiquent qu’elle est soumise à la loi des rendements décroissants. Nous avons vu aussi que les sociétés complexes devaient mobiliser toujours plus de ressources énergétiques pour augmenter leur complexité. Notre civilisation, qui est de loin la plus complexe de toutes les civilisations ayant existé, repose sur une consommation d’énergie considérable. Sa complexification a été possible du fait de la découverte des ressources énergétiques fossiles, charbon, pétrole et gaz, et à la mise au point de techniques permettant leur transformation en énergie thermique, mécanique et électrique. L’importance de ces énergies fossiles n’est pas proportionnelle à leur coût actuel (64 milliards d’euros pour un produit national brut de 2000 milliards en 2012 en France) parce que, si l’on en croit Jean-Marc Jancovici qui est professeur d’énergétique à l’Ecole Polytechnique, en l’absence de ces énergies fossiles notre production serait le centième de ce qu’elle est aujourd’hui. Autant dire que notre civilisation repose beaucoup plus sur ces énergies que sur notre génie technique et scientifique. Ceci explique aussi le fait que parmi les pays ayant découvert les premiers les principes de la thermodynamique, ceux qui ont décollé le plus rapidement sont ceux qui disposaient des énergies fossiles les plus abondantes et les plus facilement extractibles. Le problème qui se profile à l’horizon compte tenu de la consommation de plus en plus importante de ces ressources fossiles, c’est leur pénurie qui commence à se faire sentir (on ne parvient plus à augmenter la production mondiale de pétrole bien que tous les robinets soient ouverts en grand). Les débats concernant les réserves de ressources énergétiques fossiles ne sont pas clos mais, ce qui est certain, c’est qu’elles vont s’épuiser. Par conséquent, soit nous maîtriserons rapidement de nouvelles sources susceptibles de fournir des quantités très importantes d’énergie et notre civilisation pourra poursuivre son chemin, soit nous n’y parviendrons pas, auquel cas son déclin sera inéluctable. De plus, nous avons vu ci-dessus que le rythme des découvertes scientifiques diminuait régulièrement malgré l’augmentation continue des moyens mis en œuvre, ce qui, si cette tendance se confirme, pourrait nous condamner à la stagnation. La baisse continue de la croissance des économies les plus développées est peut-être le signe d’un certain essoufflement scientifique et d’un début de pénurie énergétique.

Il ne fait aucun doute que la pénurie énergétique cumulée à la stagnation scientifique remettrait totalement en cause l’avenir de la civilisation industrielle et que, dans un tel cas, le retour à une civilisation moins complexe s’imposerait. Le déclin de notre civilisation n’est donc pas écrit mais il est, selon Joseph Tainter, possible :

« Si l’effondrement n’est pas pour le futur immédiat, cela ne revient pas à dire que le niveau de vie industriel bénéficie également d’un sursis. A mesure que les rendements marginaux baissent (un processus en cours) jusqu’au point où un nouveau subside d’énergie sera mis en place, le niveau de vie dont les sociétés industrielles ont bénéficié ne croîtra pas si rapidement, et pour certains groupes et nations, il restera statique ou baissera … Bien que nous aimions nous considérer comme des êtres spéciaux dans l’histoire du monde, les sociétés industrielles sont en fait soumises aux mêmes principes qui ont provoqué l’effondrement d’anciennes sociétés. Si la civilisation s’effondre à nouveau, ce sera à partir d’un échec à tirer profit du sursis actuel ».

Bruno Guillard 15/11/2013

Joseph A. Tainter, L’Effondrement des sociétés complexes, Editions « Le Retour aux sources », 2013, 318 pages.

Correspondance Polémia – 19/11/2013

« Nous sommes en train de vivre une mosaïque d’effondrements » : la fin annoncée de la civilisation industrielle

par Ivan du Roy 8 juin 2015

Sur les neuf frontières vitales au fonctionnement du « système Terre », au moins quatre ont déjà été transgressées par nos sociétés industrielles, avec le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité ou le rythme insoutenable de la déforestation. Transgresser ces frontières, c’est prendre le risque que notre environnement et nos sociétés réagissent « de manière abrupte et imprévisible », préviennent Pablo Servigne et Raphaël Stevens, dans leur livre « Comment tout peut s’effondrer ». Rappelant l’ensemble des données et des alertes scientifiques toujours plus alarmantes, les deux auteurs appellent à sortir du déni. « Être catastrophiste, ce n’est ni être pessimiste, ni optimiste, c’est être lucide ». Entretien.

Basta ! : Un livre sur l’effondrement, ce n’est pas un peu trop catastrophiste ?

Pablo Servigne et Raphaël Stevens : [1] La naissance du livre est l’aboutissement de quatre années de recherche. Nous avons fusionné des centaines d’articles et d’ouvrages scientifiques : des livres sur les crises financières, sur l’écocide, des ouvrages d’archéologie sur la fin des civilisations antiques, des rapports sur le climat… Tout en étant le plus rigoureux possible. Mais nous ressentions une forme de frustration : quand un livre aborde le pic pétrolier (le déclin progressif des réserves de pétrole puis de gaz), il n’évoque pas la biodiversité ; quand un ouvrage traite de l’extinction des espèces, il ne parle pas de la fragilité du système financier… Il manquait une approche interdisciplinaire. C’est l’objectif du livre.

Au fil des mois, nous avons été traversés par de grandes émotions, ce que les anglo-saxons appellent le « Oh my god point » (« Oh la vache ! » ou « Oh mon dieu ! »). On reçoit une information tellement énorme que c’en est bouleversant. Nous avons passé plusieurs « Oh my god points », comme découvrir que notre nourriture dépend entièrement du pétrole, que les conséquences d’un réchauffement au-delà des 2°C sont terrifiantes, que les systèmes hautement complexes, comme le climat ou l’économie, réagissent de manière abrupte et imprévisible lorsque des seuils sont dépassés. Si bien que, à force de lire toutes ces données, nous sommes devenus catastrophistes. Pas dans le sens où l’on se dit que tout est foutu, où l’on sombre dans un pessimisme irrévocable. Plutôt dans le sens où l’on accepte que des catastrophes puissent survenir : elles se profilent, nous devons les regarder avec courage, les yeux grand ouverts. Être catastrophiste, ce n’est ni être pessimiste, ni optimiste, c’est être lucide.

Pic pétrolier, extinction des espèces, réchauffement climatique… Quelles sont les frontières de notre civilisation « thermo-industrielle » ?

Nous avons distingué les frontières et les limites. Les limites sont physiques et ne peuvent pas être dépassées. Les frontières peuvent être franchies, à nos risques et périls. La métaphore de la voiture, que nous utilisons dans le livre, permet de bien les appréhender. Notre voiture, c’est la civilisation thermo-industrielle actuelle. Elle accélère de manière exponentielle, à l’infini, c’est la croissance. Or, elle est limitée par la taille de son réservoir d’essence : le pic pétrolier, celui des métaux et des ressources en général, le « pic de tout » (Peak Everything) pour reprendre l’expression du journaliste états-unien Richard Heinberg. A un moment, il n’y a plus suffisamment d’énergies pour continuer. Et ce moment, c’est aujourd’hui. On roule sur la réserve. On ne peut pas aller au-delà.

Ensuite, il y a les frontières. La voiture roule dans un monde réel qui dépend du climat, de la biodiversité, des écosystèmes, des grands cycles géochimiques. Ce système terre comporte la particularité d’être un système complexe. Les systèmes complexes réagissent de manière imprévisible si certains seuils sont franchis. Neuf frontières vitales à la planète ont été identifiées : le climat, la biodiversité, l’affectation des terres, l’acidification des océans, la consommation d’eau douce, la pollution chimique, l’ozone stratosphérique, le cycle de l’azote et du phosphore et la charge en aérosols de l’atmosphère.

Sur ces neuf seuils, quatre ont déjà été dépassés, avec le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité, la déforestation et les perturbations du cycle de l’azote et du phosphore. L’Europe a par exemple perdu la moitié de ses populations d’oiseaux en trente ans (lire ici). La biodiversité marine est en train de s’effondrer et les premières « dead zones » (zones mortes) apparaissent en mer. Ce sont des zones où il n’y a carrément plus de vie, plus assez d’interactions du fait de très fortes pollutions (voir ici). Sur terre, le rythme de la déforestation demeure insoutenable [2]. Or, quand nous franchissons une frontière, nous augmentons le risque de franchissement des autres seuils. Pour revenir à notre métaphore de la voiture, cela correspond à une sortie de route : nous avons transgressé les frontières. Non seulement nous continuons d’accélérer, mais en plus nous avons quitté l’asphalte pour une piste chaotique, dans le brouillard. Nous risquons le crash.

Quels sont les obstacles à la prise de conscience ?

Il y a d’abord le déni, individuel et collectif. Dans la population, il y a ceux qui ne savent pas : ceux qui ne peuvent pas savoir par absence d’accès à l’information et ceux qui ne veulent rien savoir. Il y a ceux qui savent, et ils sont nombreux, mais qui n’y croient pas. Comme la plupart des décideurs qui connaissent les données et les rapports du GIEC, mais n’y croient pas vraiment. Enfin, il y a ceux qui savent et qui croient. Parmi eux, on constate un éventail de réactions : ceux qui disent « à quoi bon », ceux qui pensent que « tout va péter »…

L’alerte sur les limites de la croissance a pourtant été lancée il y a plus de 40 ans, avec le rapport du physicien américain Dennis Meadows pour le Club de Rome (1972). Comment expliquer cet aveuglement durable des « décideurs » ?

Quand un fait se produit et contredit notre représentation du monde, nous préférons déformer ces faits pour les faire entrer dans nos mythes plutôt que de les changer. Notre société repose sur les mythes de la compétition, du progrès, de la croissance infinie. Cela a fondé notre culture occidentale et libérale. Dès qu’un fait ne correspond pas à ce futur, on préfère le déformer ou carrément le nier, comme le font les climatosceptiques ou les lobbies qui sèment le doute en contredisant les arguments scientifiques.

Ensuite, la structure de nos connexions neuronales ne nous permet pas d’envisager facilement des évènements de si grande ampleur. Trois millions d’années d’évolution nous ont forgé une puissance cognitive qui nous empêche d’appréhender une catastrophe qui se déroule sur le long terme. C’est l’image de l’araignée : la vue d’une mygale dans un bocal provoque davantage d’adrénaline que la lecture d’un rapport du GIEC ! Alors que la mygale enfermée est inoffensive et que le réchauffement climatique causera potentiellement des millions de morts. Notre cerveau n’est pas adapté à faire face à un problème gigantesque posé sur le temps long. D’autant que le problème est complexe : notre société va droit dans le mur, entend-on. Ce n’est pas un mur. Ce n’est qu’après avoir dépassé un seuil – en matière de réchauffement, de pollution, de chute de la biodiversité – que l’on s’aperçoit que nous l’avons franchi.

Ne pouvons-nous pas freiner et reprendre le contrôle de la voiture, de notre civilisation ?

Notre volant est bloqué. C’est le verrouillage socio-technique : quand une invention technique apparaît – le pétrole et ses dérivés par exemple –, elle envahit la société, la verrouille économiquement, culturellement et juridiquement, et empêche d’autres innovations plus performantes d’émerger. Notre société reste bloquée sur des choix technologiques de plus en plus inefficaces. Et nous appuyons à fond sur l’accélérateur car on ne peut se permettre d’abandonner la croissance, sauf à prendre le risque d’un effondrement économique et social. L’habitacle de notre voiture est aussi de plus en plus fragile, à cause de l’interconnexion toujours plus grande des chaînes d’approvisionnement, de la finance, des infrastructures de transport ou de communication, comme Internet. Un nouveau type de risque est apparu, le risque systémique global. Un effondrement global qui ne sera pas seulement un simple accident de la route. Quelle que soit la manière dont on aborde le problème, nous sommes coincés.

Les manières dont l’effondrement pourraient se produire et ce qui restera de la civilisation post-industrielle est abondamment représentée au cinéma – de Interstellar à Mad Max en passant par Elysium – ou dans des séries comme Walking Dead. Cet imaginaire est-il en décalage avec votre vision du « jour d’après » ?

Parler d’effondrement, c’est prendre le risque que notre interlocuteur s’imagine immédiatement Mel Gibson avec un fusil à canon scié dans le désert. Parce qu’il n’y a que ce type d’images qui nous vient. Nos intuitions ne mènent cependant pas à un monde version Mad Max, mais à des images ou des récits que nous ne retrouvons que trop rarement dans les romans ou le cinéma. Ecotopia, par exemple, est un excellent roman utopiste d’Ernest Callenbach. Publié aux États-Unis en 1975, il a beaucoup inspiré le mouvement écologiste anglo-saxon, mais n’est malheureusement pas traduit en français. Nous ne pensons pas non plus que ce sera un avenir à la Star Trek : nous n’avons plus suffisamment d’énergies pour voyager vers d’autres planètes et coloniser l’univers. Il est trop tard.

Il y a une lacune dans notre imaginaire du « jour d’après ». L’URSS s’est effondrée économiquement. La situation de la Russie d’aujourd’hui n’est pas terrible, mais ce n’est pas Mad Max. A Cuba, le recours à l’agroécologie a permis de limiter les dégâts. Mad Max a cette spécificité d’aborder un effondrement à travers le rôle de l’énergie, et de considérer qu’il restera encore assez de pétrole disponible pour se faire la guerre les uns contre les autres. Les scientifiques s’attendent bien à des évènements catastrophistes de ce type. Dans la littérature scientifique, l’apparition de famines, d’épidémies et de guerres est abordée, notamment à travers la question climatique. L’émigration en masse est déjà là. Il ne s’agit pas d’avoir une vision naïve de l’avenir, nous devons rester réalistes, mais il y a d’autres scénarios possibles. A nous de changer notre imaginaire.

Existe-t-il, comme pour les séismes, une échelle de Richter de l’effondrement ?

Nous nous sommes intéressés à ce que nous apprennent l’archéologie et l’histoire des civilisations anciennes. Des effondrements se sont produits par le passé, avec l’Empire maya, l’Empire romain ou la Russie soviétique. Ils sont de différentes natures et de degrés divers. L’échelle réalisée par un ingénieur russo-américain, Dmitry Orlov, définit cinq stades de l’effondrement : l’effondrement financier – on a eu un léger aperçu de ce que cela pourrait provoquer en 2008 –, l’effondrement économique, politique, social et culturel, auxquels on peut ajouter un sixième stade, l’effondrement écologique, qui empêchera une civilisation de redémarrer. L’URSS s’est, par exemple, arrêtée au stade 3 : un effondrement politique qui ne les a pas empêchés de remonter la pente. Les Mayas et les Romains sont allés plus loin, jusqu’à un effondrement social. Cela a évolué vers l’émergence de nouvelles civilisations, telle l’entrée de l’Europe dans le Moyen Âge.

Quels sont les signes qu’un pays ou une civilisation est menacé d’effondrement ?

Il y a une constante historique : les indicateurs clairs de l’effondrement se manifestent en premier lieu dans la finance. Une civilisation passe systématiquement par une phase de croissance, puis une longue phase de stagnation avant le déclin. Cette phase de stagnation se manifeste par des périodes de stagflation et de déflation. Mêmes les Romains ont dévalué leur monnaie : leurs pièces contenaient beaucoup moins d’argent métal au fil du temps. Selon Dmitry Orlov, nous ne pouvons plus, aujourd’hui, éviter un effondrement politique, de stade 3. Prenez le sud de l’Europe : l’effondrement financier qui a commencé est en train de muter en effondrement économique, et peu à peu en perte de légitimité politique. La Grèce est en train d’atteindre ce stade.

Autre exemple : la Syrie s’est effondrée au-delà de l’effondrement politique. Elle entame à notre avis un effondrement social de stade 4, avec des guerres et des morts en masse. Dans ce cas, on se rapproche de Mad Max. Quand on regarde aujourd’hui une image satellite nocturne de la Syrie, l’intensité lumineuse a diminué de 80% comparé à il y a quatre ans. Les causes de l’effondrement syrien sont bien évidemment multiples, à la fois géopolitiques, religieuses, économiques… En amont il y a aussi la crise climatique. Avant le conflit, des années successives de sécheresse ont provoqué des mauvaises récoltes et le déplacement d’un million de personnes, qui se sont ajoutées aux réfugiés irakiens, et ont renforcé l’instabilité.

Même simplifiée, cette classification des stades nous permet de comprendre que ce que nous sommes en train de vivre n’est pas un événement homogène et brutal. Ce n’est pas l’apocalypse. C’est une mosaïque d’effondrements, plus ou moins profonds selon les systèmes politiques, les régions, les saisons, les années. Ce qui est injuste, c’est que les pays qui ont le moins contribué au réchauffement climatique, les plus pauvres, sont déjà en voie d’effondrement, notamment à cause de la désertification. Paradoxalement, les pays des zones tempérées, qui ont le plus contribué à la pollution, s’en sortiront peut-être mieux.

Cela nous amène à la question des inégalités. « Les inégalités dans les pays de l’OCDE n’ont jamais été aussi élevées depuis que nous les mesurons », a déclaré, le 21 mai à Paris, le secrétaire général de l’OCDE. Quel rôle jouent les inégalités dans l’effondrement ?

Les inégalités sont un facteur d’effondrement. Nous abordons la question avec un modèle nommé « Handy », financé par la Nasa. Il décrit les différentes interactions entre une société et son environnement. Ce modèle montre que lorsque les sociétés sont inégalitaires, elles s’effondrent plus vite et de manière plus certaine que les sociétés égalitaires. La consommation ostentatoire tend à augmenter quand les inégalités économiques sont fortes, comme le démontrent les travaux du sociologue Thorstein Veblen. Cela entraîne la société dans une spirale consommatrice qui, au final, provoque l’effondrement par épuisement des ressources. Le modèle montre également que les classes riches peuvent détruire la classe des travailleurs – le potentiel humain –, en les exploitant de plus en plus. Cela fait étrangement écho aux politiques d’austérité mises en place actuellement, qui diminuent la capacité des plus pauvres à survivre. Avec l’accumulation de richesses, la caste des élites ne subit l’effondrement qu’après les plus pauvres, ce qui les rend aveugles et les maintient dans le déni. Deux épidémiologistes britanniques, Richard Wilkinson et Kate Pickett [3], montrent aussi que le niveau des inégalités a des conséquences très toxiques sur la santé des individus.

Le mouvement de la transition, très branché sur les alternatives écologiques, s’attaque-t-il suffisamment aux inégalités ?

Le mouvement de la transition touche davantage les classes aisées, les milieux éduqués et bien informés. Les classes précaires sont moins actives dans ce mouvement, c’est un fait. Dans le mouvement de la transition, tel qu’il se manifeste en France avec Alternatiba ou les objecteurs de croissance, la question sociale est présente, mais n’est pas abordée frontalement. Ce n’est pas un étendard. La posture du mouvement de la transition, c’est d’être inclusif : nous sommes tous dans le même bateau, nous sommes tous concernés. C’est vrai que cela peut gêner les militants politisés qui ont l’habitude des luttes sociales. Mais cela permet aussi à beaucoup de gens qui sont désabusés ou peu politisés de se mettre en mouvement, d’agir et de ne plus se sentir impuissant.

Le mouvement de la transition est venu du Royaume-Uni où, historiquement, le recours à l’État providence est moins fort. « N’attendons pas les gouvernements, passons à l’action », est leur leitmotiv. Il s’agit de retrouver des leviers d’action là où une puissance d’agir peut s’exercer, sans les politiques ni l’État : une rue, un quartier, un village. Le rôle des animateurs du mouvement est de mettre chacun, individu ou collectif, en relation.

Le mouvement de la transition semble être configuré par les espaces où un citoyen peut encore exercer sa puissance d’agir : la sphère privée, sa manière de se loger ou de consommer, son quartier... Le monde du travail, où cette puissance d’agir est actuellement très limitée, voire empêchée, mais qui demeure le quotidien de millions de salariés, en est-il de fait exclu ?

Pas forcément. C’est ce qu’on appelle la « REconomy » : bâtir une économie qui soit compatible avec la biosphère, prête à fournir des services et fabriquer des produits indispensables à nos besoins quotidiens. Cela ne se fait pas seulement sur son temps libre. Ce sont les coopératives ou l’entrepreneuriat tournés vers une activité sans pétrole, évoluant avec un climat déstabilisé. Ce sont aussi les monnaies locales. Tout cela représente aujourd’hui des millions de personnes dans le monde [4]. Ce n’est pas rien.

La transition, c’est l’histoire d’un grand débranchement. Ceux qui bossent dans et pour le système, qui est en voie d’effondrement, doivent savoir que cela va s’arrêter. On ne peut pas le dire autrement ! Il faut se débrancher, couper les fils progressivement, retrouver un peu d’autonomie et une puissance d’agir. Manger, s’habiller, se loger et se transporter sans le système industriel actuel, cela ne va pas se faire tout seul. La transition, c’est un retour au collectif pour retrouver un peu d’autonomie. Personnellement, nous ne savons pas comment survivre sans aller au supermarché ou utiliser une voiture. Nous ne l’apprendrons que dans un cadre collectif. Ceux qui demeureront trop dépendants vont connaître de grosses difficultés.

Ce n’est pas un peu brutal comme discours, surtout pour ceux qui n’ont pas forcément la capacité ou la marge de manœuvre d’anticiper l’effondrement ?

La tristesse, la colère, l’anxiété, l’impuissance, la honte, la culpabilité : nous avons successivement ressenti toutes ces émotions pendant nos recherches. Nous les voyons s’exprimer de manière plus ou moins forte au sein du public que nous côtoyons. C’est en accueillant ces émotions, et non en les refoulant, que nous pouvons faire le deuil du système industriel qui nous nourrit et aller de l’avant. Sans un constat lucide et catastrophiste d’un côté, et des pistes pour aller vers la transition de l’autre, on ne peut se mettre en mouvement. Si tu n’es que catastrophiste, tu ne fais rien. Si tu n’es que positif, tu ne peux pas te rendre compte du choc à venir, et donc entrer en transition.

Comment, dans ce contexte, faire en sorte que l’entraide et les dynamiques collectives prévalent ?

Le sentiment d’injustice face à l’effondrement peut être très toxique. En Grèce, qui est en train de s’effondrer financièrement, économiquement et politiquement, la population vit cela comme une énorme injustice et répond par la colère ou le ressentiment. C’est totalement légitime. La colère peut être dirigée, avec raison, contre les élites, comme l’a montré la victoire de Syriza. Mais elle risque aussi de prendre pour cible des boucs émissaires. On l’a vu avec le parti d’extrême droite Aube dorée qui s’en prend aux étrangers et aux immigrés. Traiter en amont la question des inégalités permettrait de désamorcer de futures catastrophes politiques. C’est pour cela que les syndicats et les acteurs des luttes sociales ont toute leur place dans le mouvement de la transition.

Recueilli par Ivan du Roy

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Dans cette conférence, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, co-auteurs du livre "Comment tout peut s’effondrer", retracent la littérature scientifique sur l’effondrement systémique à venir et la psychologie de l’effondrement. Ils décortiquent les ressorts d’un possible effondrement et proposent un tour d’horizon interdisciplinaire de ce sujet - fort inconfortable - qu’ils nomment la "collapsologie". Enfin, Geneviève Azam (porte-parole du mouvement Attac et économiste) intervient pour exprimer son analyse sur le livre et la problématique de l’effondrement.

"Comment tout peut s’effondrer" aux éditions du seuil.

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