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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-07

La réponse de Macron aux Gilets Jaunes donne une image « soft » de Poutine

par Leonid Bershidsky, traduit par Jocelyne le Boulicaut

samedi 26 janvier 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne Le BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

La réponse de Macron aux Gilets Jaunes donne une image « soft » de Poutine

9 janvier 2019 à 14:21 UTC+1 Par Leonid Bershidsky

Leonid Bershidsky est chroniqueur de Bloomberg Opinion pour l’Europe. Il a été rédacteur en chef fondateur du quotidien économique russe Vedomosti et a fondé le site d’opinion Slon.ru

La violence des manifestants est certes un problème en France, mais le dictateur russe n’est pas un bon exemple quand il s’agit de gérer le mécontentement populaire.

Limiter la violence, pas les manifestations. Photographe : Bertrand Guay/AFP/Getty Images

Les cadeaux du président français Emmanuel Macron aux Gilets Jaunes ont quelque peu atténué la ferveur des manifestants mais n’ont pas réussi à stopper les flambées régulières de violence, et donc, Macron et son gouvernement ont décidé de brandir un plus gros bâton. Les nouvelles règles proposées devraient faire sourciller : Elles sont plus sévères que les mesures que le régime du président russe Vladimir Poutine applique pour réprimer l’opposition politique.

Le discours du Nouvel an de Macron marque le basculement d’un ton conciliant vers un registre de la loi et de l’ordre, il y condamnait les extrémistes qui n’avaient aucun droit de parler au nom du peuple français : "Ils ne sont que les porte-paroles d’une foule haineuse".

Puis, lundi, le Premier Ministre Édouard Philippe a annoncé que le gouvernement adopterait une nouvelle loi pour réprimer les manifestations violentes afin que ceux qui "profitent de ces manifestations pour envahir, briser, brûler" n’aient pas "le dernier mot". Le projet de loi, dit-il, sera probablement débattu au parlement début février ; selon Philippe, cela serait identique à une mesure que le Sénat, contrôlé par l’opposition de centre-droit, a approuvée en octobre.

Les principaux points de cette mesure, à laquelle Philippe a exprimé son soutien, permettraient à la police de fouiller les effets personnels des gens sur le point de participer à une manifestation ; d’interdire aux personnes connues de la police pour leur violence d’assister aux manifestations, de la même façon que dans le football, les hooligans fichés par la police sont exclus des stades ; et de durcir la sanction avoir manifesté cagoulé allant de la simple amende à, potentiellement, un an d’emprisonnement.

La France est le berceau de la liberté de réunion : apparue pour la première fois après la Révolution française. Comme un certain nombre d’autres démocraties, la France impose depuis longtemps certaines restrictions au droit de rassemblement : Les organisateurs de manifestations, par exemple, doivent en informer les autorités à l’avance et cela peut être refusé ; ce qui arrive régulièrement. Les manifestations non officielles sont cependant généralement tolérées si elles sont pacifiques. Même des policiers ont manifesté sans préavis.

C’est ainsi que cela devrait être dans un pays démocratique, et même des pays non démocratiques, comme la Russie, accepteront souvent des rassemblements et des marches spontanés, non autorisés mais non violents. La Russie, cependant, a considérablement renforcé la législation sur le droit de réunion depuis le retour de Poutine au pouvoir en 2012. Il est interdit à ceux qui ont déjà porté atteinte à l’ordre public d’organiser des manifestations, une règle qui a été largement utilisée contre le militant anti-corruption Alexey Navalny, l’opposant politique le plus détesté de Poutine.

Navalny a été détenu des dizaines de fois alors qu’il se rendait à des rassemblements et a passé des mois en détention. Appeler à participer à des rassemblements non autorisés est aussi passible de détention ; c’est ce qui, le mois dernier, a amené l’arrestation pendant 16 jours de Lev Ponomaryov, un militant des droits de l’homme âgé de 77 ans.

Même en Russie cependant, la police n’est pas autorisée à inscrire qui que ce soit sur la liste des personnes interdites de manifestation. Et se couvrir le visage, même lors d’une manifestation qui a donné lieu à des violences et a occasionné des dommages aux personnes et aux biens, n’est passible que d’une amende maximale de 300 000 roubles (4 500 $) et 20 jours d’arrestation. La proposition française - une amende de 15 000 euros (17 200 dollars) et un an de prison - va beaucoup plus loin.

Le régime de Poutine fait tout pour éviter les accusations d’arbitraire, qui sont inévitables lorsque la police décide de qui a le droit de manifester ou pas. Et tout en voulant dissuader les manifestants d’éviter l’identification, elle ne mettra pas en prison des gens portant un foulard pour lutter contre les effets des gaz lacrymogènes - c’est pourtant ce qui pourrait bien se passer en France si la nouvelle législation devient réalité.

Parfois, les démocraties aussi vont trop loin dans la restriction des libertés. En 2015, l’Espagne a adopté une loi très impopulaire sur la sécurité publique, qui interdit les manifestations à proximité des principaux bâtiments gouvernementaux, prévoit de lourdes amendes si on prend des photos de policiers lors d’une manifestation et introduit d’autres restrictions, ce qui a conduit Pedro Sanchez, alors leader de l’opposition, à promettre que la loi ne durerait que le temps du gouvernement conservateur du Premier ministre Mariano Rajoy. Aujourd’hui, cependant, Sanchez est Premier ministre, pourtant il a reculé quant à l’assouplissement de la loi alors qu’il fait face à d’impressionnantes manifestations en Catalogne.

La France, cependant, n’a aucune raison réelle de suivre l’exemple de l’Espagne. Il n’est pas sûr que la police française - ou les forces de l’ordre de quelque pays démocratique que ce soit -aient besoin de pouvoirs supplémentaires pour endiguer la violence qui accompagne de temps en temps les manifestations.

Au cours des huit dernières semaines, et alors que le mouvement des Gilets Jaunes prenait de l’ampleur, la police française a arrêté 5 600 personnes. Ce qui est nécessaire, c’est d’assez d’effectifs et d’équipement pour limiter les affrontements, les incendies et les pillages, et non la possibilité de fouiller ou interdire de manifestation quiconque se dirige vers un rassemblement.

Dans une démocratie, la violence doit être limitée et criminalisée, mais on doit tolérer les manifestations. Le régime de Poutine a progressivement ignoré cette différentiation. Macron doit faire attention de ne pas aller aussi loin.

Cet article ne représente pas nécessairement l’opinion de l’équipe éditoriale de Bloomberg LP et de ses propriétaires

Pour contacter l’auteur : Leonid Bershidsky

Pour contacter l’éditrice : Therese Raphael

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