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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-12

Une application de "vérification d’information " cautionnée par le courant néo-conservateur entre en guerre contre les médias indépendants

par Whitney Webb, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 20 février 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne Le BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Une application de "vérification d’information " cautionnée par le courant néo-conservateur entre en guerre contre les médias indépendants

Au fur et à mesure des progrès du projet Newsguard, il deviendra bientôt presque impossible d’éviter sur les appareils technologiques vendus aux États Unis les systèmes de classement de sites d’informations approuvés par les néoconservateurs.

par Whitney Webb, 09 janvier 2019
https://www.mintpressnews.com/newsguardneocon-backed-fact-checker-plans-to-wage-war-on-independent-media/253687/

Whitney Webb est rédactrice pour MintPress News et collaboratrice de "Truth in Media" de Ben Swann. Ses travaux ont été publiés entre autres sur Global Research, le Ron Paul Institute et 21st Century Wire. Elle a également fait des interventions à la radio et à la télévision sur RT et Sputnik. Elle vit actuellement avec sa famille dans le sud du Chili.

Cette photo, éditée par MintPress News, montre Tom Rogers, PDG de Primedia, à gauche, s’entretenant avec Steven Brill, PDG de Newsguard, après une conférence de presse à New York le 4 janvier 2001, annonçant la nomination de M. Brill comme PDG du Media Central. Ed Bailey | AP

MINNEAPOLIS - Peu après la "purge"de sites de média indépendants et de pages sur les réseaux sociaux en octobre dernier, les déclarations d’un insider néoconservateur de premier plan - Jamie Fly - ont été révélées, il y estimait que la suppression massive sur Facebook et Twitter de pages hostiles au pouvoir en place et a la guerre n’était "que le début" d’efforts concertés du gouvernement des États-Unis et de grandes entreprises pour faire taire la contestation en ligne aux États-Unis et au-delà.

Bien que quelques mois relativement calmes dans le domaine de l’information en ligne se soient écoulés depuis que Fly a lancé cet avertissement inquiétant, il semble que les néoconservateurs et autres porte-drapeaux du complexe militaro-industriel et de l’oligarchie américaine soient maintenant prêts à lancer une nouvelle offensive numérique contre les médias indépendants qui essaient de révéler des actes illicites dans les secteurs tant publics que privés.

Comme l’écrivait récemment Mnar Muhawesh, rédacteur en chef de MintPress News, MintPress a été informée qu’elle faisait l’objet d’une étude par une organisation du nom de Newsguard Technologies, qui s’est présentée à MintPress comme simple "agence de notation" de sites d’information et a demandé à Muhawesh de commenter une série d’allégations, dont plusieurs étaient manifestement fausses.

Cependant, un examen plus approfondi de cette organisation révèle qu’elle est financée par le gouvernement américain, les néo-conservateurs et de puissants intérêts financiers avec lesquels elle a des liens étroits,et qui tous ont mis les bouchées doubles depuis les élections de 2016 pour faire taire la dissidence face aux guerres sans fin et à l’oligarchie dirigée par des entreprises américaines.

Encore plus troublant : Newsguard -en raison de ses liens étroits avec le gouvernement et la Silicon Valley - fait pression pour que son classement des sites d’information soit installé par défaut sur les ordinateurs des bibliothèques publiques, écoles et universités américaines ainsi que sur tous les smartphones et ordinateurs vendus aux États-Unis.

Autrement dit, avec la progression du projet Newsguard, il deviendra bientôt pratiquement impossible d’éviter les systèmes de classements des sites d’information approuvé par les néo-conservateurs sur le moindre appareil technologique vendu aux États-Unis. Pire encore, si ses efforts pour étouffer les voix dissidentes aux États-Unis sont couronnés de succès, Newsguard promet que sa prochaine action sera de mondialiser son système.

Feu rouge, feu vert...

Des médias grand public ont accordé une grande attention à Newsguard qui, rien qu’au cours des derniers mois, a été l’objet de nombre d’articles dans le Washington Post, le Hill, le Boston Globe, Politico, Bloomberg, Wired, et bien d’autres. Ces articles décrivent Newsguard comme utilisant le "journalisme à l’ancienne" pour lutter contre les "fake news " en s’appuyant sur neuf critères prétendument destinés à trier le bon grain de l’ivraie quand il s’agit d’informations en ligne.

Newsguard distingue les sites qu’il juge dignes d’intérêt des sites qu’il juge peu fiables en utilisant un code couleur - vert, jaune ou rouge - et des "étiquettes nutritionnelles" plus détaillées concernant la crédibilité éventuelle d’un site. Les classements sont édictés par l’équipe d’"analystes de haut niveau" de Newsguard.

Le système de code couleur peut rappeler à certains le code couleur du système d’alerte du niveau de la menace terroriste mis en place après le 11 septembre, il est intéressant de noter que Tom Ridge, l’ancien secrétaire de la Sécurité intérieure qui a supervisé la mise en place de ce système d’alerte sous George W. Bush, fait partie du conseil consultatif du Newsguard.

Newsguard attribue à Fox News une note élevée pour son exactitude.

Lorsque Newsguard publie une nouvelle évaluation d’un site, celle-ci se retrouve automatiquement sur tous les ordinateurs qui ont installé son nouveau module de navigation qui classe les sites d’actualités. Ce plug-in est actuellement disponible gratuitement pour les navigateurs Internet les plus utilisés. NewsGuard en fait directement la promotion auprès des bibliothèques, écoles et internautes en général.

Selon son site web, Newsguard a évalué plus de 2000 sites et services d’informations. Il est cependant prévu d’aller beaucoup plus loin en passant en revue "les 7500 sites web de dépêches et d’informations les plus lus aux États-Unis - c’est à dire environ 98% des actualités et des informations lues et partagées en ligne" en anglais aux États-Unis .

Une récente étude Gallup, soutenue et financée par Newsguard ainsi que par la Knight Foundation (elle-même important investisseur dans Newsguard), a révélé qu’une note verte augmentait la probabilité que les utilisateurs partagent et lisent le contenu alors qu’une note rouge diminuait cette probabilité.

Plus précisément, elle a constaté que 63 pour cent des internautes seraient moins susceptibles de partager des informations issues de sites Web cotés en rouge et que 56 pour cent seraient plus susceptibles de partager des informations issues de sites Web cotés envers, bien qu’il soit nécessaire de prendre avec des pincettes un sondage financé par Newsguard et un de ses principaux investisseurs.

Cependant, certains des classements publiés par Newsguard prouvent que manifestement, ce n’est pas la lutte contre la "désinformation" qui l’intéresse. Comment expliquer sinon le fait que le Washington Post et CNN aient tous deux reçu des notes élevées bien que tous deux aient écrit des articles ou fait des déclarations qui se sont par la suite révélées totalement fausses ?

Par exemple, CNN a faussement prétendu en 2016 qu’il était illégal pour les Américains de lire les communiqués de WikiLeaks et que de façon contraire à l’éthique, CNN était de connivence avec le DNC [Comité national démocrate NdT]pour élaborer les questions du débat présidentiel afin de favoriser la campagne d’Hillary Clinton la même année.

En outre, en 2017, CNN a publié un mensonge en prétendant qu’une banque russe liée à un proche allié du président Donald Trump faisait l’objet d’une enquête du Sénat. La même année, CNN a été obligée de retirer un rapport selon lequel la campagne Trump avait été informée très tôt des documents de WikiLeaks nuisant à Hillary Clinton pour ensuite admettre qu’il s’agissait de documents déjà rendus publics.

Le Washington Post, qui a actuellement un conflit d’intérêts de 600 millions de dollars avec la CIA non mentionné par Newsguard, a également publié des histoires fausses depuis les élections de 2016, parmi lesquelles un article qui prétend à tort que des "hackers russes" ont piraté le réseau électrique du Vermont.

Il s’est avéré par la suite que le réseau lui même n’avait jamais été endommagé et que le "piratage" ne concernait qu’un ordinateur portable isolé subissant un problème mineur de malware. Pourtant, de tels actes de malversation journalistique ne semblent pas préoccuper beaucoup Newsguard, alors que les responsables de tels actes sont des médias privés de premier plan.

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Pouvez-vous faire la distinction entre la propagande et une presse libre ?
NewsGuard peut vous aider. #medialiteracywk #KnowYourNewsNews

En outre, Newsguard accorde une note élevée à Voice of America, le média financé par l’État américain, même si son ancien directeur adjoint par intérim a déclaré que ce média produisait du "journalisme de Bisounours" et même si sa récente réforme a pour objectif "de diffuser une information qui appuie nos objectifs [américains] en matière de sécurité nationale".

Cependant, la RT [ Russia Today NdT] reçoit une note médiocre " rouge " parce qu’elle est financée par le gouvernement russe et parce qu’elle " soulève des doutes sur d’autres pays et leurs institutions " (c.-à-d.notamment des reportages critiques sur les institutions et les gouvernements des États-Unis et de leurs alliés).

Garder la confiance de la société civile

Newsguard se décrit comme une organisation qui se consacre à "rétablir la confiance et la responsabilité" et à utiliser "le journalisme pour combattre les fausses nouvelles, la mésinformation et la désinformation". Alors qu’elle affirme à plusieurs reprises sur son site Internet que ses employés "n’ont aucunement l’intention de se livrer à un jeu partisan" et "se soucient réellement du rôle central d’un journalisme fiable dans une démocratie", un coup d’œil rapide sur la liste de ses co-fondateurs, ses principaux bailleurs de fonds et son comité consultatif montre clairement que Newsguard a pour but d’étouffer les voix qui tiennent les puissants pour responsables - tant au gouvernement que dans le secteur privé -.

Newsguard est la dernière initiative issue du partenariat entre Steven Brill et Louis Gordon Crovitz, qui sont actuellement co-PDG du groupe. Brill est un journaliste de longue date - qui a écrit entre autres pourTIME et The New Yorker - qui plus récemment a fondé la Yale Journalism Initiative, qui vise à encourager les étudiants de Yale qui " aspirent à contribuer à la démocratie aux États-Unis et dans le monde entier " à devenir journalistes dans les principales organisations de médias américaines et internationales.

Il a déjà fait équipe avec Crovitz en 2009 pour créer Journalism Online, qui cherchait à rentabiliser la présence en ligne des principaux journaux américains et autres éditeurs, et a également été le PDG de la société qui s’est associée à la TSA [Transportation Security Administration, NdT] pour offrir aux voyageurs "enregistrés" la possibilité - payante bien évidemment - de passer plus rapidement la sécurité des aéroports.

Bien que le passé de Brill ne soit pas en soi un signal d’alarme, M. Crovitz - son partenaire dans la fondation de Journalism Online, puis de Press+, et maintenant de Newsguard - est la dernière personne que l’on pourrait s’attendre à voir quand il s’agit de promouvoir tout effort légitime visant à "rétablir la confiance et la responsabilité" dans le journalisme.

Au début des années 1980. M. Crovitz a occupé un certain nombre de postes au sein du Dow Jones et du Wall Street Journal, devenant finalement vice-président directeur du premier et éditeur du second avant que les deuxorganes de presse ne soient vendu à Rupert Murdoch’s News Corp en 2007. Il est également membre du conseil d’administration du Business Insider, qui, ces dernières années, a reçu plus de 30 millions de dollars du propriétaire du Washington Post, Jeff Bezos, .

En plus d’être membre du Council on Foreign Relations, Crovitz note fièrement dans sa biographie, disponible sur le site Web de Newsguard, qu’il a été "éditeur ou collaborateur de livres publiés par l’American Enterprise Institute and Heritage Foundation".

Bien que de nombreux lecteurs de MintPress connaissent probablement ces deux institutions, il convient de souligner, pour ceux qui ne les connaissent pas, que l’American Enterprise Institute (AEI) est un des groupes de réflexion néoconservateurs les plus influents du pays et que parmi ses "chercheurs", directeurs et boursiers on compte notamment Paul Wolfowitz, Richard Perle, John Bolton et Frederick Kagan, personnalités néoconservatrices.

Sous l’administration de George W. Bush, l’AEI [American Enterprise Institute NdT]] a joué un rôle déterminant pour convaincre du bien fondé de l’invasion et de l’occupation subséquente de l’Irak et a depuis prôné des solutions militaristes quand aux objectifs de politique étrangère américaine et à l’expansion de l’empire militaire américain, tout comme pour la " guerre contre leterrorisme ".

Pendant les années Bush, l’AEI était aussi étroitement associée à l’organisation néoconservatrice, aujourd’hui disparue et controversée, connue sous le nom de Project for a New American Century (PNAC), qui, quatre ans avant le 11 septembre 2001, réclamait un "nouveau Pearl Harbor" pour rallier le soutien nécessaire à l’aventurisme militaire américain.

L. Gordon Crovitz, alors éditeur du Wall Street Journal, présente la nouvelle conception du journal, le 4 décembre 2006 à New York. Mark Lennihan | AP

La Heritage Foundation, tout comme l’AEI, a également soutenu la guerre en Irak et a poussé à l’expansion de la guerre contre le terrorisme, à la défense antimissile américaine et à l’empire militaire. Au fil des ans, ses entreprises donatrices ont été, parmi d’autres, Procter & Gamble, Chase Manhattan Bank, Dow Chemical et Exxon Mobil.

Le fait que Crovitz ait été étroitement associé à l’AEI et à la Heritage Foundation, tout comme ses liens avec Wall Street et les élites des médias d’entreprise, sont suffisants pour amener toute personne réfléchie à remettre en question son impartialité dans son engagement d’observateur du "journalisme légitime".

Pourtant, au-delà de ses innombrables liens avec les néoconservateurs et de son puissant intérêt pour l’argent, Crovitz a été accusé à maintes reprises d’insérer de la désinformation dans ses colonnes du Wall Street Journal, des groupes comme l’Electronic Frontier Foundation l’accusant de "présenter des faits erronés" en ce qui concerne la surveillance de la NSA et d’autres sujets.

Certains des mensonges flagrants apparus dans le travail de Crovitz n’ont jamais été corrigés, même quand ses propres sources l’appelaient pour signaler la mésinformation. Par exemple, dans un article d’opinion du WSJ écrit par Crovitz en 2012, celui-ci a été accusé d’ " allégations incroyablement mensongères" sur l’histoire d’Internet par les personnes mêmes qu’il avait cité en soutien à ces affirmations.

Comme TechDirt l’a écrit à l’époque : "Presque toutes les personnes qu’il [Crovitz] a citées comme sources ou soutiens quant à son argumentation selon laquelle Internet aurait été inventé entièrement en privé chez Xerox PARC etque Vint Cerf aurait contribué à créer TCP/IP, ont dit qu’il avait tort. Et cette liste inclut Vint Cerf, lui-même et Xerox. D’autres sources, dont Robert Taylor (qui était là lorsque l’Internet a été inventé) et Michael Hiltzik, ont rejeté la façon dont Crovitz a tissé le fil de leurs propres histoires."

Les soutiens de taille des oligarques

Alors même que les relations de Brill et Crovitz devraient suffire à elles seules à inquiéter, un examen rapide du conseil consultatif de Newsguard montre clairement que Newsguard a été créé pour servir les intérêts de l’oligarchie américaine.

Parmi les principaux conseillers de Newsguard, on trouve Tom Ridge, premier secrétaire à la Sécurité intérieure sous George W. Bush et le général en retraite Michael Hayden, ancien directeur de la CIA, ancien directeur de la NSA et directeur du groupe Chertoff, une société de conseil en sécurité qui a pour objet de" conseiller les entreprises et les gouvernements, y compris les gouvernements étrangers " sur les questions de sécurité, qui a été co-fondée par Michael Chertoff, ancien secrétaire à la Sécurité intérieure, qui est actuellement également président du conseil d’administration de BAE Systems, important fabricant d’armes.

Autre conseiller notable de Newsguard, Richard Stengel, ancien rédacteur en chef du magazine Time, " membre éminent " du Conseil de l’Atlantique et sous-secrétaire d’État à la diplomatie publique du président Barack Obama. Lors d’une table ronde organisée en mai dernier par le Conseil des relations extérieures, M. Stengel a qualifié sa fonction passée au département d’État de "propagandiste en chef" et a également déclaré qu’il n’était "pas contre la propagande". Tous les pays le font et ils sont obligés de le faire vis à vis de leur propre population et je ne pense pas nécessairement que ce soit si terrible."

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Lors d’un forum du Council des relations extérieures sur les " fake news", l’ancien rédacteur en chef du Time Magazine, Richard Stengel, déclare sans détour qu’il soutient l’utilisation de la propagande envers les citoyens américains - puis clôture la séance dès qu’on lui demande comment cette dernière est utilisée contre le tiers monde

Parmi les autres conseillers de Newsguard on compte Don Baer, ancien directeur de la communication de la Maison-Blanche et conseiller de Bill Clinton et actuel président de PBS [Public Broadcasting Service est un réseau de télévision public à but non lucratif avec plus de 350 stations de télévision membres aux États-Unis NdT] et de l’influent cabinet de relations publiques Burson Cohn & Wolfe, mais aussi Elise Jordan, ancienne directrice des communications du Conseil national de sécurité et ancienne plume de Condoleezza Rice, ainsi que la veuve de Michael Hastings journaliste assassiné, qui, au moment de son décès suspect, écrivait un reportage sur John Brennan, ex directeur de la CIA.

Un aperçu des investisseurs de Newsguard illustre encore mieux les liens multiples qui existent entre cette organisation et l’élite politique et économique américaine. Alors que Brill et Crovitz sont les principaux investisseurs de la société, l’un des plus importants investisseurs de Newsguard est le groupe Publicis.

Publicis est la troisième entreprise de communication au monde avec plus de 80 000 employés dans plus de 100 pays et un chiffre d’affaires annuel de plus de 9,6 milliards d’euros (10,98 milliards de dollars) en 2017. Ce qui ne fait qu’alimenter la controverse, puisque l’une de ses filiales, Qorvis, a récemment fait l’objet de critiques pour avoir exploité des vétérans américains à la demande du gouvernement saoudien et a également aidé ce dernier à "blanchir" son bilan en matière de droits humains et sa guerre génocidaire au Yémen après avoir reçu 6 millions de dollars du royaume du Golfe en 2017.

De plus, étant donné sa taille et son influence, il n’est pas surprenant que le Groupe Publicis compte parmi sa clientèle de nombreuses entreprises et gouvernements puissants. Parmi ses principaux clients en 2018, mentionnons les géants pharmaceutiques Eli Lilly, Merck, Pfizer et Bayer/Monsanto, ainsi que Starbucks, Procter & Gamble, McDonalds, Kraft Heinz, Burger King et les gouvernements australien et saoudien.

Compte tenu de son rôle influent dans le financement de Newsguard, il est légitime de souligner le conflit d’intérêts potentiel posé par le fait que les sites qui rendent compte avec précision des clients puissants de Publicis - mais qui génèrent une mauvaise publicité - pourraient justement être ciblés par Newsguard pour ces rapports dans son classement.

Maurice Lévy (au centre), Président du Conseil de Surveillance du Groupe Publicis, en compagnie d’un groupe de personnalités politiques et de dirigeants d’entreprise de haut niveau, lors d’un événement organisé à l’occasion de la "Appeal of Conscience Foundation" du rabbin Arthur Schneier, 26 septembre 2018. Brian Ach | AP Images de Appeal of Conscience Foundation

Outre le groupe Publicis, un autre investisseur important de Newsguard est Blue Haven Initiative, qui est le fonds de capital-risque "impact investment" de la riche famille Pritzker, une des 10 familles les plus riches des États-Unis, mieux connue comme propriétaire de la chaîne hôtelière Hyatt et deuxième contributeur financier de la campagne présidentielle d’ Hillary Clinton en 2016.

Parmi les autres investisseurs de premier plan, mentionnons John McCarter, un cadre supérieur de longue date du sous-traitant du gouvernement américain Booz Allen Hamilton, ainsi que Thomas Glocer, ancien PDG de Reuters et membre des exécutifs de Merck & Co, géant pharmaceutique, du géant financier Morgan Stanley et du Conseil des Affaires Extérieures, sans oublier du conseil consultatif international du Conseil Atlantique.[L’Atlantic Council est un think tank américain spécialisé dans les relations internationales. Il constitue un forum pour des leaders internationaux dans les domaines politiques, d’affaires et intellectuels NdT]

C’est grâce à ces investisseurs que Newsguard a réussi à réunir 6 millions de dollars pour démarrer ses travaux de classement en mars 2018. Les revenus réels et le financement de Newsguard, cependant, n’ont pas été divulgués en dépit du fait qu’il exige lui même, que les sites qu’il classe dévoilent leur financement. Dans une manifestation de pure hypocrisie, le formulaire D de la Securities and Exchange Commission des États-Unis de Newsguard - qui a été déposé le 5 mars 2018 - indique que la société " a refusé de communiquer " le montant total de ses revenus.

Pourquoi laisser les gens avoir le choix ?

Alors qu’un simple coup d’œil à son conseil consultatif suffirait pour que de nombreux Américains refusent d’installer l’extension de navigateur Newsguard sur leurs appareils, le danger vient du fait que Newsguard travaille d’arrache pied pour que l’installation de l’application ne nécessite pas d’accord préalable.

En effet, si l’adoption de l’application Newsguard se faisait sur la base du volontariat, il y aurait probablement peu de raisons de s’inquiéter,dans la mesure où son site Web attire à peine 300 visites par mois et que la fréquentation de ses pages de réseaux sociaux est relativement faible, avec un peu plus de 2 000 abonnés à Twitter et à peine 500 Likes sur Facebook au moment où nous publions cet article.

Pour illustrer sa stratégie de passage sous les radars, Newsguard s’est adressé directement aux gouvernements des États pour que son extension de navigateur soit installée dans tous les systèmes des bibliothèques publiques des États, même si son site Web suggère que c’est seulement si elles le souhaitent que les bibliothèques publiques individuelles peuvent installer cette extension.

Le premier État à avoir installé Newsguard sur tous les ordinateurs de ses bibliothèques publiques dans ses 51 établissements a été l’État d’Hawaii - qui, le mois dernier, a été le premier à s’associer à l’initiative de Newsguard sur la "compréhension de l’information ".

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Aloha, les bibliothèques hawaïennes ! L’État a ajouté l’extension NewsGuard aux ordinateurs que les usagers utilisent dans toutes ses bibliothèques publiques. Merci à #Microsoft pour avoir subventionné la compréhension de l’information. http://bigislandnow.com/2018/12/17/libraries-join-newsguard-in-news-literacy-partnership/....

Selon les médias locaux, Newsguard " travaille maintenant avec les outils de bibliothèques qui sont utilisés par les bibliothèques publiques à travers le pays, et travaille également en partenariat avec les collèges et les lycées, les universités et les organisations éducatives pour soutenir leurs efforts en matière d’information ", ce qui suggère que les services Newsguard destinés aux bibliothèques et écoles vont bientôt devenir une composante obligatoire du système éducatif et des bibliothèques américaines,et ce, en dépit des conflits d’intérêts flagrants de Newsguard avec de puissantes multinationales et courtiers au pouvoir au gouvernement.

Newsguard a notamment un partenaire puissant qui lui a permis de tisser sa toile au sein des bibliothèques publiques et les ordinateurs des écoles dans tout le pays. Dans le cadre de sa nouvelle initiative "Defending Democracy", Microsoft a annoncé en août dernier qu’il s’associerait à Newsguard pour commercialiser activement l’application de classement et les autres services de l’entreprise auprès des bibliothèques et des écoles dans tout le pays.

Le communiqué de presse de Microsoft concernant ce partenariat stipule que Newsguard " donnera aux électeurs les moyens d’agir en leur fournissant des informations de haute qualité sur l’exactitude et la transparence des sites d’information en ligne ".

Depuis, Microsoft a ajouté l’application Newsguard en tant que fonctionnalité intégrée de Microsoft Edge, son navigateur pour les appareils mobiles iOS et Android, et il est peu probable que cela s’arrête là. En effet, comme l’a indiqué un rapport récent en faveur du partenariat de Microsoft avec Newsguard, "nous pouvons espérer que ce nouveau partenariat permettra également à Microsoft d’ajouter NewsGuard à Edge sur Windows 10 [système d’exploitation pour ordinateurs] ".

Newsguard, de son côté, semble convaincu que son application sera bientôt ajoutée par défaut à tous les appareils mobiles. Sur son site web, l’organisation note que "NewsGuard sera disponible sur les appareils mobiles lorsque les plateformes numériques telles que les médias sociaux et les moteurs de recherche ou les systèmes d’exploitation mobiles ajouteront directement nos évaluations et Etiquettes Nutritionnelles".

Voilà qui prouve que Newsguard ne s’attend pas à ce que ses systèmes de notation soient proposés en tant qu’application téléchargeable pour les appareils mobiles, mais que ce soit là quelque chose que les médias sociaux comme Facebook, les moteurs de recherche comme Google et les systèmes d’exploitation pour appareils mobiles dominés par Apple et Google intégreront "directement" dans pratiquement chaque smartphone et tablette vendus aux États-Unis.

En octobre dernier, un article du Boston Globe au sujet de Newsguard rend ce projet encore plus explicite. Le Globe a écrit à l’époque : "Microsoft a déjà accepté de faire de NewsGuard une fonctionnalité intégrée dans les futurs produits, et Brill [co-PDG de Newsguard] a précisé qu’il est en pourparlers "avec d’autres géants du web. Le but est de faire en sorte que NewsGuard soit installé par défaut sur nos ordinateurs et nos téléphones chaque fois que nous parcourons le Web à la recherche d’informations.

Cette éventualité est d’autant plus vraisemblable que, outre Microsoft, Newsguard est également étroitement lié à Google, puisque Google est partenaire de Publicis Groupe depuis 2014, date à laquelle les deux grandes sociétés ont rejoint Condé Nast pour créer un nouveau service marketing, La Maison, " axé vers la production de contenus attrayants pour les spécialistes du marketing dans l’univers du luxe."

Etant donnée la puissance de Google dans la sphère numérique en tant que moteur de recherche dominant, créateur du système d’exploitation mobile Android et propriétaire de YouTube, son partenariat avec Publicis signifie que le système de notation de Newsguard sera bientôt promu par une autre des entreprises les plus puissantes de la Silicon Valley.

De plus, un effort est en cours pour intégrer Newsguard dans les sites de médias sociaux comme Facebook et Twitter. En effet, au moment du lancement de Newsguard, le codirecteur général Brill a déclaré qu’il prévoyait de vendre son classement des sites d’informations à Facebook et Twitter. En mars dernier, Brill a déclaré à CNN : "Ce qu’on attend d’eux [Facebook, Twitter, Microsoft et Google] c’est qu’ils consacrent une partie de leur budget de relations publiques et de lobbying pour faire connaître la question".

Mercredi, Gallup a publié un sondage qui servira probablement d’argument de vente aux géants des médias sociaux. Le sondage - financé par Newsguard et la Knight Foundation, qui est l’un des principaux investisseurs de Newsguard et qui a récemment financé une série de sondages Gallup sur les informations en ligne - semble avoir été créé avec l’intention de fabriquer du consentement pour l’intégration de Newsguard aux principaux médias sociaux.

En effet, les résultats mis en exergue suite à cette étude sont les suivants : " 89% des utilisateurs de médias sociaux et 83% de tous les sondés souhaitent que les médias sociaux et les moteurs de recherche intègrent les évaluations et les analyses de NewsGuard dans leurs flux d’actualités et résultats de recherche " et " 69% auraient davantage confiance dans les médias sociaux et les sociétés de recherche si elles prenaient la décision simple d’intégrer NewsGuard dans leurs produits ". Cependant, un avis de non garantie à la fin du sondage indique que les résultats, basés sur les réponses de 706 personnes payées 2 $ pour participer, "
ne reflètent peut-être pas les comportements de la population adulte américaine en général ".

Avec le niveau de confiance de Facebook en chute libre et la censure des médias indépendants mise en œuvre par cette plate forme, les résultats de ce sondage pourraient bien être utilisés pour justifier l’intégration de Newsguard à la plateforme Facebook. Les liens de Newsguard et de Facebook avec le Conseil de l’Atlantique en font tout naturellement une évidence.

Censure financière

Une autre fonction de Newsguard montre que cette organisation cherche également à nuire financièrement aux médias indépendants en ciblant les revenus en ligne. Par le biais d’un service appelé "Brandguard", qu’il décrit comme un "outil de sécurité visant à aider les annonceurs à écarter leurs marques de sites de dépêches et d’information peu fiables tout en leur donnant l’assurance nécessaire pour qu’ils puissent soutenir les milliers de sites grands et petits, labellisés verts [ c’est à dire approuvés par Newsguard]."

En novembre dernier, lors de l’annonce de l’application, le co-directeur général de Newsguard, M. Brill, a déclaré que l’entreprise était "en pourparlers avec les sociétés de technologiepublicitaire, les principales agences et les principaux annonceurs" désireux d’adopter une liste noire des sites d’information jugés "non fiables" par Newsguard.

Ce n’est pas une surprise compte tenu du rôle majeur dans le financement de Newsguard de Publicis Groupe, l’une des plus grandes agences mondiales de publicité et de relations publiques. Par conséquent, il semble probable qu’un grand nombre, sinon la totalité, des entreprises clientes de Publicis choisiront d’adopter cette liste noire pour aider à écraser bon nombre des sites d’informations qui ne craignent pas de leur demander des comptes.

Il est également important de noter ici que le lien qui relie Google à Publicis et donc à Newsguard pourrait causer des problèmes aux pages indépendantes d’informations qui dépendent de Google Adsense pour tout ou partie de leurs revenus publicitaires.

Google Adsense cible depuis longtemps des sites comme MintPress en supprimant la rémunération des articles d’informations ou des photographies qu’il juge contestables, y compris en démonétisant un article pour avoir inclus une photo montrant des soldats américains impliqués dans la torture de détenus irakiens à la célèbre prison d’Abu Ghraib.

Depuis, Google - sous-traitant militaire américain - a essayé à plusieurs reprises de fermer l’accès publicitaire aux articles de MintPress ayant pour objet des critiques de l’empire américain et de l’expansion militaire. Un article qui a été signalé à plusieurs reprises par Google indique le nombre d’Afro-Américains qui se sont demandé si la Marche des femmes avait aidé ou nui à la cause des Afro-américains aux États-Unis.

Google a affirmé à plusieurs reprises que l’article, qui a été écrit par l’auteur afro-américain et ancien chef du bureau du Washington Post, Jon Jeter,présente un "contenu dangereux".

Étant donnée la pratique déjà établie de Google de cibler les reportages factuels jugés contestables par l’intermédiaire d’Adsense, Brandguard offrira probablement au géant de la technologie l’excuse dont il a besoin pour tout simplement désactiver des sites comme MintPress, et autres pages tout aussi critiques pour l’empire,.

Un plan d’action pour une véritable protection du journalisme

Bien qu’il ne fasse que commencer, le projet de Newsguard d’inclure son application dans tous les appareils et les principaux médias sociaux représente une menace pour tout site d’information qui publie régulièrement des articles qui irritent les investisseurs, partenaires ou conseillers de Newsguard.

Étant donnée son intention de noter les sites d’information américains de langue anglaise, ce qui veut dire 98 % du flux numérique d’information aux États-Unis, le programme de Newsguard est des plus préoccupants pour tous les médias indépendants actifs aux États-Unis et au-delà - étant donnée la volonté de Newsguard de mondialiser son projet.

En établissant des liens avec d’anciens directeurs de la CIA et de la NSA, avec les géants de la Silicon Valley, et d’énormes sociétés de relations publiques travaillant pour certains des gouvernements et entreprises les plus controversés du monde, Newsguard a fait la démonstration qu’il ne cherche pas réellement à "rétablir la confiance et la responsabilité" dans le journalisme, mais à "rétablir la confiance et la responsabilité" dans les médias qui protègent la structure actuelle du pouvoir et à protéger de la critique le complexe oligarchique et militaro-industriel.

Non seulement il tente de saper la réputation des médias indépendants grâce à son système de classement biaisé, mais Newsguard cherche aussi à s’attaquer à ces voix alternatives non seulement financièrement, mais aussi en installant par défaut son système de classement sur tous les ordinateurs et téléphones vendus aux États-Unis.

Cependant, on peut arrêter Newsguard et son plan pour protéger des critiques l’establishment. En soutenant les médias indépendants et en nous déconnectant des médias sociaux qui s’adonnent à la censure, comme Facebook et Twitter, nous pouvons renforcer la communauté des médias indépendants et la maintenir à flot malgré la nature sans précédent de ces attaques contre la liberté de parole et le journalisme de veille.

Au-delà de ça, un moyen clé pour obliger Newsguard et ceux qui sont derrière à rester sur leurs gardes est de les obliger à rendre des comptes en mettant au jour leurs conflits d’intérêts évidents, leur hypocrisie et en sabordant le récit qu’ils ont soigneusement élaboré d’un Newsguard "non partisan", "fiable" et vrai gardien contre ce fléau qu’est "la fausse info".

Bien que cet article ait cherché à servir de point de départ pour un tel travail, toute personne inquiète au sujet de Newsguard et de ses liens avec la machine de guerre et les entreprises corrompues devrait se sentir encouragée à signaler les conflits d’intérêts de l’organisation et ses liens louches via ses pages Twitter et Facebook et la rubrique commentaires du site web Newsguard.

La meilleure façon de vaincre ce nouvel outil des néoconservateurs est d’alerter et de continuer de dénoncer Newsguard qui est un gardien de l’empire, et non un gardien du journalisme.

Correctif | Une version antérieure de cet article indiquait que la collusion de CNN avec la campagne Clinton était illégale. Toutefois, après enquête, MintPress News n’a pas été en mesure de corroborer que cela ait de fait été illégal, même si cela constitue clairement une violation de la déontologie journalistique. En conséquence, la phrase en question a été modifiée pour dire que CNN " a été de façon contraire à l’éthique, de connivence" avec la campagne Clinton. MintPress s’excuse de cette erreur et remercie ses lecteurs d’avoir porté cette lacune à notre attention.

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