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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-14

Vous avez dit Fascisme ?

par Laurence W. Britt, traduit par Jocelyne le Boulicaut

dimanche 24 février 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne Le BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne.

Vous avez dit Fascisme ?

Laurence W. Britt, Free Inquiry tiré du Volume 23, No. 2, Printemps 2003

Les lecteurs de Free Inquiry peuvent s’arrêter pour lire les "Affirmations de l’Humanisme : Déclaration des Principes" sur la couverture intérieure du magazine Pour un humaniste laïque, ces principes semblent si logiques, si justes, si cruciaux. Pourtant, il y a un archétype de la philosophie politique qui est un anathème face à presque tous ces principes. C’est le fascisme.

Et les principes du fascisme flottent dans l’air aujourd’hui, se faisant subrepticement passer pour quelque chose d’autre, défiant tout ce que nous défendons. Le cliché selon lequel les peuples et les nations apprennent de l’histoire est non seulement sur-utilisé, mais aussi surestimé ; souvent, nous ne tirons aucune leçon de l’histoire ou alors nous tirons les mauvaises conclusions. C’est malheureux à dire mais aujourd’hui, la norme c’est l’amnésie historique.

Deux générations et demie nous séparent des horreurs de l’Allemagne nazie, même si des rappels constants viennent hanter nos consciences. Les fascismes allemand et italien sont les composantes historiques qui définissent cette vision politique du monde complètement tordue. Bien que ces modèles n’existent plus, cette vision du monde et les caractéristiques de ces systèmes ont été imitées par les régimes protofascistes (1) à différentes périodes du XXe siècle.

Les modèles de départ allemand et italien ainsi que les régimes protofascistes ultérieurs présentent des caractéristiques singulièrement similaires. Bien que de nombreux chercheurs remettent en question tout lien direct entre ces régimes, rares sont ceux qui peuvent contester leurs similitudes idéologiques.

Au-delà de ce qui est visible, même une étude superficielle de ces régimes fascistes et protofascistes révèle la convergence absolument frappante de leur modus operandi. Ce n’est évidemment pas une découverte pour l’observateur politique averti, mais il est parfois utile, pour garder les choses en perspective, de rappeler des faits évidents et, ce faisant, de faire la lumière nécessaire pour comprendre les circonstances d’aujourd’hui.

Pour les besoins de cette argumentation, j’examinerai les régimes suivants : L’Allemagne nazie, l’Italie fasciste, l’Espagne franquiste, le Portugal de Salazar, la Grèce de Papadopoulos, le Chili de Pinochet, l’Indonésie de Suharto.

Certes, à eux tous ils représentent un sacré mélange d’identités nationales, de cultures, de niveaux de développement et d’histoire. Mais tous ont suivi le modèle fasciste ou protofasciste pour obtenir, étendre et conserver le pouvoir. En outre, tous ces régimes ont été renversés, de sorte qu’il est possible de se faire une idée plus ou moins précise de leurs caractéristiques de base et de leurs excès.

L’analyse de ces sept régimes révèle quatorze points communs qui les réunissent dans des schémas de comportement national et abus de pouvoir reconnaissables. Ces caractéristiques de base sont plus répandues et plus prononcées dans certains régimes que dans d’autres, mais elles partagent toutes au moins un certain degré de similitude.

1. Expression puissantes et continue du nationalisme. Qu’il s’agisse de drapeaux, de banderoles ou d’épingles de revers omniprésentes, la ferveur de montrer un nationalisme patriotique a toujours été évidente, tant du côté du régime lui-même que de celui des citoyens pris dans sa frénésie. Des slogans accrocheurs, la fierté de l’armée et les exigences d’unité ont été les thèmes communs dans l’expression de ce nationalisme. Tout cela s"accompagnant généralement d’une suspicion de tout ce qui est étranger qui frisait souvent la xénophobie.

2. Mépris pour l’importance des droits humains. Les régimes eux-mêmes considéraient les droits humains comme ayant peu de valeur et même comme étant un obstacle à la réalisation des objectifs de l’élite dirigeante. Grâce à une utilisation intelligente de la propagande, la population a été amenée à accepter ces violations des droits humains en marginalisant, voire en diabolisant, celles et ceux qui étaient visés. Lorsque les abus étaient flagrants, la tactique consistait à utiliser le secret, le déni et la désinformation.

3. Identification des ennemis/boucs émissaires comme cause unificatrice. Le fil conducteur le plus important de ces régimes a été l’utilisation du bouc émissaire comme moyen de détourner l’attention de la population des autres problèmes, de rejeter la responsabilité des échecs et de canaliser la frustration dans des directions sous contrôle. Les méthodes consistant en une propagande incessante et le maniement de la désinformation étaient globalement efficaces. Souvent, les régimes incitaient à des actes "spontanés" contre les boucs émissaires visés, généralement des communistes, des socialistes, des libéraux, des juifs, des minorités ethniques et raciales, des ennemis nationaux traditionnels, des membres d’autres religions, des laïcs, des homosexuels et des "terroristes". Les opposants actifs à ces régimes étaient inévitablement qualifiés de terroristes et traités en conséquence.

4 La suprématie du militaire/du militarisme fervent. Les élites dirigeantes se sont toujours identifiées étroitement aux militaires et à l’infrastructure industrielle qui les soutenait. Une part disproportionnée des ressources nationales était allouée à l’armée, même lorsque les besoins intérieurs étaient aigus. L’armée était perçue comme une expression du nationalisme et était utilisée chaque fois que cela était possible pour affirmer des objectifs nationaux, intimider d’autres nations et accroître le pouvoir et le prestige de l’élite au pouvoir.

5. Sexisme endémique. Au-delà du simple fait que l’élite politique et la culture nationale étaient dominées par les hommes, ces régimes considéraient inévitablement les femmes comme des citoyennes de seconde classe. Ils étaient catégoriquement anti-avortement et aussi homophobes. Ces attitudes étaient généralement codifiées dans des lois draconiennes qui bénéficiaient d’un fort soutien de la religion orthodoxe du pays, ce qui permettait au régime de couvrir ses déviances.

6. Un mass média sous contrôle. Dans certains régimes, les médias étaient soumis à un contrôle direct et strict et on pouvait compter sur eux pour ne jamais s’écarter de la ligne du parti. D’autres régimes ont exercé un pouvoir plus subtil pour assurer l’orthodoxie médiatique. Les méthodes comprenaient le contrôle des licences et de l’accès aux ressources, les pressions économiques, les appels au patriotisme et les menaces implicites. Les dirigeants des médias étaient souvent politiquement compatibles avec l’élite du pouvoir. Le résultat a généralement été de faire en sorte que le grand public ne soit pas au courant des excès des régimes.

7. Obsession de la sécurité nationale. Bien entendu, le dispositif de sécurité nationale était sous le contrôle direct de l’élite dirigeante. C’était généralement un instrument d’oppression, fonctionnant dans le secret et sans aucune contrainte. Ses actions étaient justifiées par le prétexte de la protection de la " sécurité nationale ", et la remise en question de ses activités était présentée comme antipatriotique, voire acte de trahison.

8. Religion et élite dirigeante main dans la main. Contrairement aux régimes communistes, les régimes fascistes et protofascistes n’ont jamais été proclamés impies par leurs opposants. En fait, la plupart de ces régimes se sont associés à la religion prédominante du pays et ont choisi de se présenter comme des défenseurs militants de celle-ci. Le fait que le comportement de l’élite dirigeante était incompatible avec les préceptes de la religion a généralement été balayé sous le tapis. La propagande entretenait l’illusion que les élites dirigeantes étaient des défenseurs de la foi et des opposants des "impies". On a créé l’impression que s’opposer à l’élite au pouvoir équivalait à s’attaquer à la religion.

9. Protection du pouvoir des entreprises. Bien que la vie personnelle des citoyens ordinaires soit strictement contrôlée, la capacité des grandes entreprises à opérer dans une relative liberté n’était jamais compromise. L’élite dirigeante considérait la structure de l’entreprise comme un moyen non seulement d’assurer la production militaire (dans les pays développés), mais aussi comme un moyen supplémentaire de contrôle social. Les membres de l’élite économique étaient souvent choyés par l’élite politique pour assurer le maintien de la convergence des intérêts, en particulier dans la répression des citoyens "défavorisés".

10. Pouvoir des syndicats réprimé ou éliminé. Puisque le travail organisé était considéré comme le seul centre de pouvoir à même de défier l’hégémonie politique de l’élite dirigeante et de ses alliés du secteur privé, il était inévitablement écrasé ou rendu inopérant. Les gens pauvres formaient une classe marginale, considérée avec suspicion ou un mépris total. Sous certains régimes, être pauvre était considéré comme un vice.

11. Mépris et répression des intellectuels et des artistes. Les intellectuels et la liberté intrinsèque d’idées et d’expression étaient anathème pour ces régimes. La liberté intellectuelle et universitaire était considérée comme une atteinte à la sécurité nationale et à l’idéal patriotique. Les universités étaient étroitement contrôlées ; les professeurs politiquement peu fiables étaient harcelés ou éliminés. Les idées non orthodoxes ou les expressions de dissidence ont été fortement attaquées, réduites au silence ou écrasées. Pour ces régimes, l’art et la littérature devraient servir l’intérêt national ou alors ils ne devraient pas avoir droit de cité.

12. Obsession du crime et de la sanction. La plupart de ces régimes ont maintenu des systèmes de justice pénale draconiens avec une population carcérale importante. La police était souvent magnifiée et avait un pouvoir pratiquement incontrôlé, ce qui conduisait à des abus endémiques. Le crime " normal " et le crime politique étaient souvent fusionnés dans des accusations criminelles inventées de toutes pièces et parfois utilisées contre les opposants politiques du régime. La peur et la haine des criminels ou des " traîtres " étaient souvent encouragées au sein de la population comme prétexte à un plus grand pouvoir policier.

13. Népotisme généralisé et corruption. Les personnes dans les cercles économiques et les proches de l’élite du pouvoir ont souvent profité de leur position pour s’enrichir. Cette corruption a fonctionné dans les deux sens ; l’élite au pouvoir recevait de l’élite économique des dons financiers et des biens, et à son tour celle-ci bénéficiait du favoritisme du gouvernement. Les membres de l’élite au pouvoir étaient également en mesure d’obtenir d’immenses richesses depuis d’autres sources : par exemple, en s’emparant des ressources nationales. L’appareil de sécurité nationale étant sous contrôle et les médias muselés, cette corruption était en grande partie incontrôlée et peu connue de la population en général.

14. Élections frauduleuses. Les élections sous la forme de plébiscites ou de sondages d’opinion publique étaient généralement bidon. Lorsque de vraies élections avec des candidats avaient lieu, elles étaient généralement perverties par l’élite au pouvoir pour obtenir le résultat désiré. Les méthodes les plus courantes consistaient notamment à garder un contrôle total de la machine électorale, à intimider et à priver de leurs droits les électeurs de l’opposition, à détruire ou à rejeter les votes légaux et, en dernier recours, à recourir à un pouvoir judiciaire à la merci de l’élite au pouvoir.

Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Bien sûr que non. Après tout, ici on est en Amérique, officiellement c’est une démocratie avec un État de droit, une constitution, une presse libre, des élections libres et non faussées et un public bien informé constamment mis en garde contre le mal.

De telles comparaisons historiques ne sont que des exercices de joute oratoire.
Peut-être est-ce cela, peut-être pas.

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Note

1. Protofascisme : Défini comme un " mouvement ou régime politique qui tend vers ou imite le Fascism " - Dictionnaire intégral Webster.

Références

Andrews, Kevin. Greece in the Dark. Amsterdam : Hakkert, 1980.
Chabod, Frederico. A History of Italian Fascism. London : Weidenfeld, 1963.
Cooper, Marc. Pinochet and Me. New York : Verso, 2001.
Cornwell, John. Hitler as Pope. New York : Viking, 1999.
de Figuerio, Antonio. Portugal—Fifty Years of Dictatorship. New York : Holmes & Meier, 1976.
Eatwell, Roger. Fascism, A History. New York : Penguin, 1995.
Fest, Joachim C. The Face of the Third Reich. New York : Pantheon, 1970.
Gallo, Max. Mussolini’s Italy. New York : MacMillan, 1973.
Kershaw, Ian. Hitler (two volumes). New York : Norton, 1999.
Laqueur, Walter. Fascism, Past, Present, and Future. New York : Oxford, 1996.
Papandreau, Andreas. Democracy at Gunpoint. New York : Penguin Books, 1971.
Phillips, Peter. Censored 2001 : 25 Years of Censored News. New York : Seven Stories. 2001.
Sharp, M.E. Indonesia Beyond Suharto. Armonk, 1999.
Verdugo, Patricia. Chile, Pinochet, and the Caravan of Death. Coral Gables, Florida : North-South Center Press, 2001.
Yglesias, Jose. The Franco Years. Indianapolis : Bobbs-Merrill, 1977.

Dans son roman "Juin 2004", Laurence Britt dépeint une Amérique du futur dominée par des extrémistes de droite.

Laurence W. Britt est un homme d’affaires international à la retraite, écrivain et commentateur. Il est l’auteur de "Vous avez dit fascisme ?" (Free Inquiry, printemps 2003), l’article le plus réimprimé et le plus piraté de l’histoire du magazine