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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-44

Le Martyre de Julian Assange

par Chris Hedges, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 9 mai 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Le Martyre de Julian Assange

14 avril 2019, Par Chris Hedges, Truthdig

Cet article a tout d’abord été publié par Truthdig, nous sommes autorisés à le publier de nouveau.

Chris Hedges est un chroniqueur de Truthdig, journaliste lauréat du prix Pulitzer, auteur à succès du New York Times, professeur du programme universitaire offert aux prisonniers de l’État du New Jersey par la Rutgers University et pasteur presbytérien. Pour en savoir plus sur lui, cliquez ici. Cette article est paru pour la première fois dans Truthdig.

Julian Assange lors d’ un exposé en 2009. (News Media Days depuis Flickr)

Assange et Wikileaks nous ont ouvert les coulisses du fonctionnement d’un empire – ce qui est le rôle le plus essentiel de la presse - et voilà comment ils sont devenus la proie de l’empire, écrit Chris Hedges de Thruthdig.

L’arrestation de Julian Assange, Jeudi, fait voler en éclat toute exigence d’état de droit et les droits d’une presse libre. Les violations du droit assumées par les gouvernements Équatorien, Britannique et des États Unis dans l’interpellation de Julian Assange sont de funeste augure.

Elles nous prédisent un monde dans lequel les mauvais fonctionnements internes, les abus, la corruption, les mensonges et les crimes, particulièrement les crimes de guerre, commis par les états au service du capital et les élites dirigeantes mondiales seront dissimulés au public.

Elles nous prédisent un monde dans lequel celles et ceux qui ont le courage et la probité de dévoiler les abus de pouvoir seront traqués, torturés et soumis à des procès iniques pour finir leurs jours à l’isolement au fond d’une prison.

Enfin, elles nous prédisent une dystopie Orwellienne qui verra les actualités remplacées par la propagande, les futilités et les jeux télévisés. Je crains que l’arrestation de Julian Assange ne marque la naissance officielle du totalitarisme des multinationales qui conditionnera dorénavant nos vies.

En vertu de quelle loi le président Équatorien Lenin Moreno a-t-il subitement mis un terme au droit d’asile accordé à Julian Assange en raison de son statut de réfugié politique ?

En vertu de quelle loi Moreno a-t-il autorisé la police britannique à pénétrer à l’intérieur de l’Ambassade Équatorienne - territoire souverain selon les accords diplomatiques internationaux - pour y arrêter un citoyen naturalisé Équatorien ?

En vertu de quelle loi la première ministre Britannique Theresa May s’est-elle autorisé à donner l’ordre à la police Britannique de se saisir de Julian Assange, alors qu’il n’a jamais commis de crime ?

En vertu de quelle loi le président Donald Trump s’est-il autorisé à exiger l’extradition d’Assange, alors qu’il n’est pas citoyen des États-Unis et que son organisme de presse n’est pas domicilié aux États-Unis ?

Les avocats des gouvernements procèdent très habilement pour faire ce qui est de rigueur dans un état au service des entreprises, j’en suis convaincu, concoctant des arguments juridiques spécieux pour contourner des droits fondamentaux écrits dans le marbre des décrets de justice.

Et voilà comment nous avons un droit à la vie privée sans vie privée. Voilà comment nous avons des élections "libres" financées par l’argent de compagnies privées, relayées par des médias privés complaisants qui sont sous le contrôle de fer de ces compagnies.

Voilà comment nous avons un système législatif dans le cadre duquel les lobbyistes d’entreprise rédigent les lois et les politiciens liés à ces entreprises les votent.

Voilà comment nous avons droit à une justice équitable sans justice équitable.

Voilà comment nous avons un gouvernement - dont la responsabilité première est de protéger les citoyens - qui donne l’ordre de faire exécuter ses propres citoyens comme le religieux fondamentaliste Anwar al-Awlaki et son fils de 16 ans.

Voilà comment nous avons une presse qui a légalement le droit de diffuser des informations classifiées et un éditeur incarcéré en Grande Bretagne en attente de son extradition vers les États-Unis et une lanceuse d’alerte, Chelsea Manning dans une cellule de prison aux États-Unis.

Chelsea Manning refusant de témoigner. (Manolo Luna depuis Wikimedia Commons)

La Grande Bretagne justifie la légalité de l’arrestation par la demande d’extradition de Washington fondée sur des accusations de conspiration. Dans un système judiciaire normal, ce type d’argument juridique serait réfuté . Malheureusement, nous n’avons plus un système judiciaire normal. Nous saurons bientôt si il en est de même en Grande Bretagne.

Non à un passage en sécurité

Julian Assange avait obtenu l’asile politique en 2012 pour éviter son extradition vers la Suède, où il devait faire face à des accusations de prétendues agressions sexuelles, qui avaient par la suite été abandonnées. Julian Assange et ses avocats ont toujours soutenu qu’il serait extradé vers les États-Unis si il était mis en garde à vue en Suède.

Une fois son droit d’asile et sa citoyenneté Équatorienne accordés, le gouvernement Britannique lui a refusé un sauf-conduit pour l’aéroport de Londres, le piégeant dans l’ambassade équatorienne pendant sept années au cours desquelles sa santé s’est détériorée.

L’administration Trump va vouloir juger Julian Assange pour avoir conspiré avec Chelsea Manning en 2010 afin de voler les documents concernant les guerres d’Irak et d’Afghanistan obtenus par Wikileaks.

Le demi million de documents en provenance du département d’ État et du Pentagone divulgués par Chelsea Manning, ainsi que la vidéo de 2007 montrant des pilotes d’hélicoptère abattant tranquillement des civils irakiens, dont des enfants, et deux journalistes de l’agence Reuters ont fournis de nombreux éléments prouvant l’hypocrisie, la violence aveugle et l’utilisation régulière de la torture, du mensonge, de la corruption et de méthodes grossières d’intimidation par le gouvernement américain dans ses relations étrangères et ses guerres au Moyen-Orient.

"Les médias sont des poisons" photomontage (idccollage via Flickr)

Julian Assange et Wikileaks nous ont donné à voir les rouages internes de l’empire - c’est le rôle fondamental de la presse - et c’est pour cela qu’ ils sont devenus la proie de l’empire.

Les avocats du gouvernement américain essaieront de dissocier Wikileaks et Julian Assange du New York Times et du journal britannique The Guardian, qui ont tous deux également publié les éléments divulgués par Chelsea Manning, en accusant Julian Assange du vol des documents.

À de nombreuses reprises Chelsea Manning a subi des pressions brutales durant sa détention et son procès afin qu’elle implique Julian Assange dans le vol des documents, ce qu’elle a fermement refusé de faire.

Elle est actuellement en prison pour avoir refusé de témoigner devant le grand jury de l’affaire Assange hors de la présence de son avocat . Le président Barack Obama avait accordé une grâce présidentielle à Chelsea Meaning, condamnée à 35 ans de détention, après sept années d’emprisonnement dans une prison militaire.

Une fois que les documents et les vidéos fournis à Julian Asange et Wikileaks par Chelsea Manning aient été publiés et diffusés par des médias tels que le The New York Times et The Gardian,cette même presse s’en est prise à Julian Assange d’une façon impitoyable et stupide.

Les médias qui pendant des jours avaient diffusé les éléments de Wikileaks sont d’un seul coup devenus des vecteurs de discrédit de Julian Assange et Wikileaks dans une campagne de propagande hostile.

Cette campagne concertée de diffamation a été précisément décrite dans un document qui a fuité du Pentagone et préparé par le" Cyber Counterintelligence Assessments Branch" [agence d’analyse du cyber-contrespionnage NdT] en date du 8 mars 2008. Ce document appelait les États-Unis à éradiquer le "sentiment de fiabilité" qui est le "centre de gravité" de WikiLeaks et à détruire la réputation d’Assange.

La fureur des démocrates

Assange, qui grâce aux fuites de Manning avait dénoncé les crimes de guerre, les mensonges et les manipulations criminelles de l’administration de George W. Bush, a rapidement déclenché la fureur de l’establishment du Parti démocratique en publiant 70 000 courriels piratés provenant du Comité national démocratique (DNC) et de hauts fonctionnaires démocrates.

Les courriels ont été copiés à partir des comptes de John Podesta, président de la campagne d’Hillary Clinton. Les courriels de Podesta révélaient le don à la Fondation Clinton de millions de dollars de l’Arabie saoudite et du Qatar, deux des principaux bailleurs de fonds de l’État islamique.

Ils révélaient les 657 000 $ que Goldman Sachs a versés à Hillary Clinton pour rétribuer ses conférences, une somme si importante qu’elle ne peut être considérée que comme un pot-de-vin.

Ils ont mis en évidence les mensonges répétés de Clinton. Dans les courriels par exemple, elle a été piégée, disant aux élites financières qu’elle voulait " l’ouverture du commerce et celle des frontières " et était convaincue que les dirigeants de Wall Street étaient les mieux placés pour diriger l’économie, et ce, en contradiction avec ses propos de campagne.

Ils révèlent les tentatives de l’équipe de campagne de Clinton pour influencer les primaires républicaines afin de s’assurer que Trump était le candidat en lice. Ils apportent la preuve que Mme Clinton avait connaissance à l’avance des questions qui lui seraient posées lors d’un débat des primaires.

Ces mêmes mails démasquent Clinton en tant qu’architecte principal de la guerre en Libye, une guerre dont elle pensait qu’elle allait redorer son blason dans la course à la présidence. Les journalistes peuvent soutenir que ces informations auraient dû rester secrètes, tout comme les journaux de guerre, mais ils ne peuvent alors se revendiquer du titre de journalistes.

La direction démocrate, qui est fermement décidée à faire porter à la Russie la responsabilité de sa défaite électorale, accuse les pirates du gouvernement russe d’avoir obtenu les courriels de Podesta, alors même que James Comey, l’ancien directeur du FBI, a admis que les courriels avaient probablement été envoyés à WikiLeaks par un intermédiaire. Assange a dit que les e-mails n’avaient pas été fournis par des "agents de l’état".

Photomontage avec Edward Snowden (idccollage via Flickr)

WikiLeaks a fait plus pour dénoncer les abus de pouvoir et les crimes de l’Empire américain que toute autre organisme de presse. En plus des journaux de guerre et des courriels de Podesta, ils ont rendu publics les outils de piratage utilisés par la CIA et l’Agence nationale de sécurité [NSA NdT] et leur ingérence dans les élections étrangères, notamment les élections françaises.

Ils ont révélé la conspiration interne des députés travaillistes du Parlement contre le chef du Parti travailliste britannique Jeremy Corbyn. Ils sont intervenus pour sauver Edward Snowden, qui avait rendu publique la surveillance à grande échelle du peuple américain par nos services de renseignement, alors qu’il devait être extradé vers les États-Unis en l’aidant à fuir de Hong Kong à Moscou. Les révélations de Snowden ont aussi prouvé qu’Assange était sur une "liste de personnes cibles de chasse à l’homme" américaine.

Traîné hors de l’ambassade par la police britannique, Assange, l’air hagard, a agité l’index en criant : "Le Royaume-Uni doit résister à cette manœuvre de l’administration Trump. ... Le Royaume-Uni doit résister !"

Nous devons tous résister. Nous devons, par tous les moyens possibles, faire pression sur le gouvernement britannique pour que s’arrête le lynchage judiciaire d’Assange. Si Assange est extradé et jugé, cela créera un précédent judiciaire qui mettra fin à la capacité de la presse, que Trump a appelé à plusieurs reprises "l’ennemie du peuple", de demander au gouvernement de rendre des comptes.

Non seulement on assistera à l’aggravation des crimes de guerre, des délits financiers, de la persécution des dissidents, des minorités et des immigrés, du pillage de la nation et de l’écosystème par les entreprises et de la paupérisation implacable des travailleurs et des travailleuses pour pouvoir gonfler les comptes bancaires des riches et consolider la totale mainmise de l’oligarchie mondiale sur le pouvoir, mais cela ne fera tout simplement plus partie du débat public.

D’abord Assange. Et puis ce sera nous.

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