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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-64

Colère du monde arabe : Les Émirats Arabes Unis et la contre-révolution arabe

Par As`ad AbuKhalil, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 11 juillet 2019, par JMT

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Colère du monde arabe : Les Émirats Arabes Unis et la contre-révolution arabe

Le 8 mai 2019 Par As`ad AbuKhalil, Exclusivité pour Consortium News

As’ad AbuKhalil libano-américain, est professeur de sciences politiques à l’Université Stanislaus en Californie. Il est l’auteur de "Historical Dictionary of Lebanon" [Dictionnaire historique du Liban] (1998), de "Ben Laden, Islam and America’s New War on Terrorism" [Ben Laden, l’Islam et la nouvelle guerre de l’Amérique contre le terrorisme] (2002) et de "The Battle for Saudi Arabia" (2004). Il est présent sur Twitter sous l’identifiant @asadabukhalil.

As’ad AbuKhalil observe les dirigeants du Golfe qui rivalisent pour devenir "le" principal hôte des intérêts américains au Proche-Orient. Le rôle politique des Émirats arabes unis a changé radicalement depuis la mort du dirigeant fondateur, Shaykh Zayed bin Sultan.

Son fils, Khalifah bin Zayed, lui a officiellement succédé en 2004, mais il s’est tenu très éloigné des affaires gouvernementales entre autres pour raisons de santé. Les rênes sont actuellement entre les mains du prince héritier d’Abu Dhabi, Muhammad bin Zayed, homme très ambitieux. Dans les faits c’est Muhammad qui gouverne, avec ses demi-frères du côté de sa mère, Fatimah bint Moubarak, ils contrôlent tous les postes clés du gouvernement. Communément appelé MbZ, il a largement inspiré l’actuel dirigeant de facto de l’Arabie saoudite, le prince héritier Muhammad bin Salman (communément appelé MbS).

MbZ : Dirigeant les Émirats Arabes Unis. (Imre Solt via Wikimedia Commons)

A l’époque de Cheikh Zayed, les Émirats arabes unis ont évité les conflits internes arabes et ont mené leur politique étrangère en grande partie selon un consensus pan arabe. Bien que la carte du pays ait été dessinée par la puissance coloniale britannique, la transition vers une alliance forte avec les États-Unis s’est faite en douceur. Et en dépit des tensions avec l’Arabie saoudite, les conflits ouverts ont été évités.

Shaykh Zayed était un allié loyal, ou client, des États-Unis et de leurs intérêts dans la région. Tout en s’en remettant généralement à l’hégémonie saoudienne, il s’est contenté de belles paroles quand il s’est agi du sentiment pro-palestinien de la population arabe. Au début des années 1970, il a même accueilli aux Émirats arabes unis Leila Khalid, la célèbre dirigeante du Front populaire pour la libération de la Palestine, et aurait fait un don au FPLP (dont un petit sous-ensemble a fait défection après l’incident et créé sa propre petite organisation).

Les Frères musulmans dans les ministères
Shaykh Zayed n’était pas instruit et n’était pas connu pour sa propension à faire des discours. Son pays bénéficie de la communauté palestinienne éduquée. Il a également invité des fonctionnaires des Frères musulmans à occuper divers postes dans les ministères de la justice et de l’éducation.

Zayed, par exemple, a invité Hasan Al-Turabi, le célèbre dirigeant des Frères musulmans soudanais, à participer à la rédaction de la constitution des EAU. Tant les Émirats arabes unis que l’Arabie saoudite ont accueilli avec enthousiasme les dirigeants et les membres des Frères musulmans pour combattre la marée du nationalisme arabe laïc et de la gauche dans la région.

Au cours de sa dernière année, Zayed a de plus en plus cédé le pouvoir à ses fils et son dernier rôle politique a été en 2003 lorsqu’il a proposé une initiative qui aurait vu Saddam Hussein abandonner le pouvoir en échange du retrait des États-Unis de la guerre d’Irak (une initiative à laquelle ni les États-Unis ni Saddam ne se sont intéressés).

MbZ entraîne les EAU dans une direction totalement différente. Il veut clairement en faire une sorte de nouvel Israël arabe, ce qui pourrait servir les intérêts des États-Unis. Il s’intéresse au renseignement militaire et a construit son pouvoir sur cette base.

MbS d’Arabie Saoudite : imitant MbZ. (Département d’Etat)

Son règne est caractérisé par :

1) l’établissement de relations secrètes, mais fortes avec Israël ;

2) une guerre ouverte contre les Frères musulmans ;

3) la concurrence avec le Qatar et l’Arabie saoudite pour la domination régionale, surtout après la chute du régime de Saddam ;

4) une participation directe dans les affaires palestiniennes par l’intermédiaire de Muhammad Dahlan, la figure sombre du renseignement palestinien qu’on ne présente plus, et

5) de fortes pressions à Washington, indépendamment de l’opinion publique arabe en la matière.

MbZ ne se satisfaisait pas d’être l’un des nombreux alliés/clients fidèles des États-Unis au Moyen-Orient. Il a cherché à rivaliser avec Israël en tant que partenaire stratégique des États-Unis dans la région et à surpasser la Jordanie en matière de fourniture de renseignement et de soutien militaire.

Son armée met l’accent sur les forces spéciales et accueille l’une des plus grandes antennes de renseignement américain du monde. MbZ a également misé sur l’achat d’influence à Washington.

Youssef Al-Otaiba des Émirats arabes unis avec le secrétaire d’État américain Michael Pompeo à Washington le 29 mars 2019. (Département d’État/Michael Gross)

Manœuvres intenses de séduction à D.C.
On connaît bien le rôle de son ambassadeur à Washington, Yousef Al-Otaiba, celui-ci a courtisé à un degré sans précédent des journalistes, des fonctionnaires et des experts de cercles de réflexion. L’argent des Émirats arabes unis a afflué pour financer des groupes de réflexion, et les médias occidentaux ont accordé une couverture favorable aux Émirats arabes unis.

Le fait qu’Al-Otaiba se soit, depuis longtemps, lié d’amitié avec l’ambassadeur d’Israël et que le lobby israélien ait commencé, à Washington, à promouvoir tant les intérêts du régime saoudien que ceux du régime des Émirats arabes unis suite à l’abandon de tout engagement verbal à la cause palestinienne a également aidé.

Les lobbies arabes - quels que soient les États ou les intérêts qu’ils représentent, quel que soit leur niveau de financement - ne peuvent obtenir de grands succès sans la bénédiction du lobby israélien.

La vente des AWACs à l’Arabie Saoudite pendant les années Reagan a été une exception : c’était une époque où le régime saoudien - soutenu par un parti républicain qui, avant la montée des sionistes évangéliques, était bien différent - prévalait contre le lobby israélien.

Le régime saoudien et celui des Émirats arabes unis ont été relégués par le Qatar au second plan en 2011 et 2013. Pendant les premières années des soulèvements arabes, Doha était aux commandes. Le roi saoudien, Abdallah, était trop faible pour gérer les affaires de son propre gouvernement, sans parler des affaires du système régional arabe. Dans les premières années qui ont suivi les soulèvements arabes, les ministres des affaires étrangères du Qatar ont dirigé la Ligue arabe et en ont évincé la Syrie.

Après tout, le Qatar célébrait en Tunisie, en Libye, et surtout en Égypte, la victoire de ses alliés appartenant aux Frères musulmans. Ils étaient également en plein ascension au Yémen. La contre-révolution arabe était alors entre les mains de Doha : le régime qatari veillait à ce que les protestations populaires n’échappent pas à tout contrôle et ne perturbent pas le système régional arabe.

Le régime qatari a également négocié un accord entre les Frères musulmans locaux et le lobby israélien à Washington, les Frères musulmans égyptiens ne contesteraient pas le traité israélo-égyptien et les Frères musulmans tunisiens empêcheraient l’adoption d’un article de la nouvelle constitution criminalisant la normalisation avec Israël, alors que celui-ci figurait en bonne place dans les revendications des manifestants.

Le président Donald Trump accueille le président égyptien el-Sisi à Washington en 2017. (Maison Blanche/Shealah Craighead)

Fomenter discrètement un coup d’État en Egypte
Mais pendant ce temps les Émirats arabes unis ne s’étaient pas endormis. Ils finançaient discrètement un coup d’État contre les Frères musulmans en Égypte et préparaient dans tout le monde arabe une guerre ouverte partout où les Frères pouvaient avoir une chance de succès électoral.

Les Émirats arabes unis ont créé un front (le mouvement de jeunesse égyptien Tamarrud) et travaillé avec le général égyptien Abdel Fattah el-Sisi pour évincer le premier président librement élu de l’histoire du pays.

Ils ont également soutenu les ruines de l’ancien régime en Tunisie et financé le général Khalifa Haftar en Libye. En 2015, lorsque Salman est monté sur le trône saoudien, MbZ est devenu à Washington le conseiller principal et l’avocat de MbS, le fils de Salman.

Les deux parties semblaient d’accord sur la nécessité d’expulser le Qatar des affaires de la politique arabe afin de concocter ensemble une guerre plus dure contre l’Iran. Ils ont tous deux lancé - avec le soutien de l’Occident - la guerre contre le Yémen en supposant, à tort, qu’elle serait terminée en quelques semaines.

La conception actuelle de la politique arabe est en grande partie initiée par MbZ avec le soutien enthousiaste de MbS. Mais les deux personnalités sont très différentes. Tandis que MbS est m’as-tu-vu et franc, MbZ garde un profil bas. MbS aime impressionner le public occidental (et il a réussi à le faire jusqu’au meurtre de Jamal Khashoggi l’année dernière). MbZ, en revanche, ne se soucie que d’impressionner la Maison-Blanche et ses interlocuteurs à Tel Aviv.

MbZ essaie maintenant d’influencer les événements au Soudan et en Algérie, où il entretient des liens étroits avec les militaires au pouvoir et veut empêcher l’émergence d’un régime démocratique dans ces deux pays. On a pu voir des signes de protestation contre les Émirats arabes unis et l’intervention saoudienne lors des manifestations soudanaises qui ont amené la chute du président Omar el-Béchir le mois dernier (Muhammad Dahlan, conseiller de MbZ pour le renseignement,s’est récemment rendu au Soudan).

Au Yémen, MbZ s’est montré très ferme et s’est même heurté au régime saoudien afin d’y promouvoir ses propres clients. La possibilité pour MbZ de continuer à jouer son rôle de leader au nom des États-Unis et d’Israël pourrait ne pas durer éternellement. Et pourtant, dans le même temps, MbZ est devenu l’agent exécutif d’Israël dans la région, un rôle qui ne manquera pas de lui valoir des applaudissements à Washington, et en particulier au Capitole.

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