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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-78

Pourquoi les droits Humains sont importants

par Paul R. Pillar, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 9 août 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Pourquoi les droits Humains sont importants

16 Juillet 2019 par Paul R. Pillar

Paul R. Pillar est Senior Fellow non résident au Center for Security Studies de l’Université de Georgetown et Associate Fellow du Center for Security Policy de Genève. Il a pris sa retraite en 2005 après une carrière de 28 ans dans le renseignement aux États-Unis. Il a notamment occupé les postes d’agent de renseignement national pour le Proche-Orient et l’Asie du Sud, de chef adjoint du DCI Counterterrorist Center et d’adjoint exécutif du directeur du renseignement central. C’est un ancien combattant de la guerre du Vietnam et un officier à la retraite de l’armée américaine de réserve. M. Pillar est diplômé du Dartmouth College, de l’Université d’Oxford et de l’Université de Princeton. Parmi ses ouvrages on peut noter Negotiating Peace (1983), Terrorism and U.S. Foreign Policy (2001), Intelligence and U.S. Foreign Policy (2011) et Why America Misunderstands the World (2016).

Mike Pompeo

C’est à juste titre que le secrétaire d’État Mike Pompeo a été critiqué pour sa création d’une Commission des droits inaliénables, dont la mission est de redéfinir les droits de la personne. Cette initiative semble avoir pour but de revoir cette définition selon la doctrine religieuse que Pompéo infuse sans équivoque dans sa façon de conduire ses affaires officielles.

L’orientation religieuse se reflète dans la composition de la commission, dont l’axe central est l’accent mis sur les questions religieuses, souvent avec une coloration ouvertement sectaire. L’un des membres, par exemple, soutient que le christianisme est le fondement des droits de la personne, du moins tels qu’ils sont compris en Occident.

La création de cette commission, qui sera placée sous la responsabilité des équipes chargées de la planification des politiques, constitue une étape finale autour du Bureau du département d’état de la démocratie, des droits humains et de l’emploi, qui comprend le bureau qui depuis longtemps, suit de façon non sectaire les questions relatives aux droits humains dans le monde entier.

La toile de fond évidente de tout ce que dit le gouvernement Trump au sujet des droits de la personne relève de la politique étrangère de l’administration qui en fait peu de cas. Cette fracture est rendue plus visible par le fait que le président Trump a fait ami-ami avec les dictateurs d’Égypte, de Corée du Nord et d’autres pays au régime autoritaire sévère. Cela se reflète dans les blagues qu’échangent Trump et Vladimir Poutine sur les inconvénients d’une presse libre et sur l’intérêt qu’il y aurait à se débarrasser de ces ennuyeux journalistes.

La faible priorité que l’administration accorde également aux droits humains va au-delà des relations du président avec ses amis autocratiques. L’année dernière, par exemple, l’administration a cessé de participer au Conseil des droits humains des Nations Unies, et ce, dans le cadre de sa stratégie consistant à moduler sa conduite dans ces organisations internationales en fonction de ce que le gouvernement d’Israël voudrait.

Même en ce qui concerne la liberté religieuse - le thème central de la nouvelle commission - les droits de la personne ont été relégués au dernier plan par rapport à d’autres objectifs de l’administration. C’est ce qui ressort le plus clairement de la complaisance de l’administration à l’égard du régime saoudien dirigé par Mohammad bin Salman, qui non seulement assassine des journalistes gênants, mais interdit également la pratique ouverte de toute religion autre que l’Islam.

La seule idée valable dans la présentation de la commission par Pompeo est que le concept des droits humains, comme c’est le cas pour d’autres concepts politiques et moraux importants, peut être dilué et finalement affaibli si trop de causes et de problèmes s’y ajoutent.

Mais cela n’explique cependant pas la nécessité d’une redéfinition aujourd’hui, sans parler d’une redéfinition prenant en compte l’orientation spécifique de cette commission. Pompéo prétend être un réformiste, mais pourquoi devrait-on s’attendre à ce que les personnes qu’il nomme définissent mieux le noyau des droits inaliénables que les pères fondateurs ne l’ont fait dans la Déclaration d’indépendance et dans la Constitution ?

En effet, la forte prédominance religieuse de cette commission va à l’encontre de ce que les pères fondateurs ont dit. La seule mention de la religion dans la Constitution, y compris dans la Déclaration des droits [La Déclaration des droits est l’ensemble constitué des dix premiers amendements à la constitution américaine. Elle limite les pouvoirs du gouvernement fédéral et garantit les libertés de presse, de parole, de religion, de réunion, le droit de porter des armes, et le droit de propriété NdT], est que le gouvernement ne doit pas s’en mêler, conformément à la disposition qui a conduit au premier amendement.

Sur le plan international, existe la Déclaration universelle des droits humains, que Pompeo a mentionnée dans son annonce de création de la commission. Pourquoi cette déclaration universelle ne resterait-elle pas une définition consensuelle des droits humains ?

Adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1948, elle est assez récente pour avoir placé les concepts des Lumières dans un contexte moderne, mais pas assez récente pour refléter les nouvelles modes de ce qui devrait constituer un "droit". Une présomption américaine de faire mieux que cela ne fera qu’ajouter à la perception internationale de l’hypocrisie américaine lorsque les mots de l’administration sont mis en regard des contradictions avec ses politiques.

La façon dont tout ministère des Affaires étrangères, y compris le Département d’État, devrait définir les droits humains est liée à la question de savoir pourquoi les droits de l’homme devraient être un élément majeur de la politique étrangère. Il y a de multiples raisons à cela.

La première est l’impératif moral que toutes les personnes doivent être traitées dans le respect de la dignité humaine et du bien-être individuel dont toute autre personne peut bénéficier. Une autre raison est que la place qu’occupent les droits de l’homme dans la politique étrangère d’un pays est l’expression de ce que ce pays défend et de la particularité de ses citoyens.

Trop souvent, la discussion sur la place des droits humains dans la politique étrangère s’arrête là, comme dans les références trompeuses à une fausse dichotomie "valeurs contre intérêts". Mais les droits humains sont importants dans la politique étrangère pour d’autres raisons. Le non-respect des droits humains est étroitement lié à d’autres problèmes de politique étrangère et aux intérêts des États-Unis, même si l’on considère ces intérêts d’une manière simpliste qui peut sembler accorder peu de poids aux valeurs.

Une facette de ce lien se reflète dans ce que les politologues appellent la théorie de la paix démocratique, qui n’est pas seulement une théorie, mais un modèle historique selon lequel les nations dont les citoyens jouissent des droits politiques d’une démocratie ne se font pas la guerre. Plus généralement, le déni des droits humains est directement lié à des cas d’instabilité politique dans le monde entier. Il est également très lié au terrorisme et à d’autres actes de violence politique qui ont nui aux intérêts des États-Unis.

Pompéo, dans le cadre de son hostilité obsessionnelle à l’égard de la République islamique d’Iran, pourrait se pencher sur l’histoire de ce pays pour se rappeler de tels liens. Le déni de nombreux droits humains sous le régime autocratique du shah, soutenu par les États-Unis, a été l’un des principaux ingrédients de la révolution des années 1970 qui a conduit à la création de la République islamique.

Si la question est de savoir à quel type de droits humains le Département d’État devrait accorder le plus d’attention, la réponse est la suivante : il s’agit de ces droits dont la négation cause ou exacerbe d’autres problèmes auxquels le Département et les États-Unis doivent faire face chaque semaine.

Il faut qu’il s’agisse de droits authentiques, conformes à des conceptions consensuelles telles que celles codifiées dans la Déclaration universelle, et non pas seulement d’efforts visant à avantager tel ou tel groupe par rapport à un autre avec une fausse logique formulée en termes de droits humains.

Mais au-delà de cette exigence, les séditieux et autres qui sont poussés à agir parce qu’ils estiment qu’on leur refuse leurs droits n’ont pas besoin d’une commission à Washington pour leur dire quels sont ces droits.

L’administration pourrait faire progresser les droits inaliénables beaucoup plus efficacement, non pas en essayant d’amender ce que les pères fondateurs avaient à dire sur le sujet, mais plutôt en utilisant ce qu’ils avaient à dire comme élément fondateur pour façonner les politiques des autres gouvernements.

L’assassinat de Jamal Khashoggi par le régime saoudien, par exemple, a été, entre autres, un outrage flagrant à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, telles que définies par le Premier amendement. La violation des droits des Palestiniens qui a été à la base de décennies de mécontentement déstabilisateur sous l’occupation israélienne a entraîné la négation des droits inaliénables de " la vie, la liberté et la poursuite du bonheur ", pour citer la Déclaration d’indépendance.

Elle a aussi impliqué, pour reprendre les termes du même document, l’absence d’un gouvernement qui tire ses "justes pouvoirs du consentement des gouvernés". La Déclaration des droits s’applique également à la même situation, avec l’accaparement des terres et la destruction au bulldozer des maisons palestiniennes, et on peut aussi faire référence à beaucoup d’éléments importants de la Déclaration des droits, comme ce que le quatrième amendement a à dire sur le " droit du citoyen à la sécurité de sa personne, domicile, papiers et effets ".

Les États-Unis n’ont pas besoin d’une nouvelle déclaration sur les droits humains. Ils doivent conduire leur politique étrangère de manière à rester cohérents avec les déclarations qui ont déjà été faites.

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