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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-85

Accord sur le nucléaire iranien : la Chine pourrait renforcer son soutien après le retrait de Trump

par Nicolai Due-Gundersen, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 19 août 2019, par JMT

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Accord sur le nucléaire iranien : la Chine pourrait renforcer son soutien après le retrait de Trump

Le 19 juillet 2019 par Nicolai Due-Gundersen

Nicolai Due-Gundersen est commentateur politique à l’Université de Kingston à Londres et auteur de The Privatization of Warfare (Cambridge : Intersentia). Il est l’ancien conseiller de l’Institut arabe d’études de sécurité en Jordanie. Suivez-le sur Twitter @DueGunderse.

Xi Jinping et Hassan Rouhani

Le retrait de Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 (Plan d’action global conjoint PAGC ou JCPOA en 2018) ne devrait pas être une surprise. L’abandon d’un cadre dont l’élaboration a pris des années correspond au modus operandi confus de Trump, celui qui consiste à mettre fin à l’activité américaine à l’étranger (puis à changer d’avis). Plusieurs mois plus tard, il a annoncé un retrait américain de la Syrie et a laissé entendre que le Moyen-Orient n’était pas le problème des USA.

Utilisant Twitter comme canal diplomatique, Trump a demandé de façon rhétorique : "Les Etats-Unis veulent-ils être le gendarme du Moyen-Orient, gaspillant pour RIEN des vies précieuses et des milliards de dollars pour protéger d’autres gens qui, dans la grande majorité des cas, n’en éprouvent aucune reconnaissance ? Est-ce que nous voulons rester là-bas indéfiniment ? Il est temps que d’autres se battent enfin..."

Trump, avec sa tendance à prendre à contrepied les politiques américaines traditionnelles au Moyen-Orient, conduit certainement l’Iran à se demander si il était sage, pour commencer, de faire confiance aux États-Unis au sujet d’un accord qui imposait des limites au programme nucléaire de l’Iran en échange de la promesse d’une reprise économique.

Même les analystes américains conservateurs soutiennent que l’hostilité de Trump à l’égard de l’Iran veut dire que les alliés traditionnels des américains ne devraient plus avoir aucune confiance dans les engagements du président Trump.

Pour l’Iran, rester fidèle au PAGC exige que les autres signataires de l’accord aillent plus loin dans leurs engagements. "Téhéran est convaincu que l’Europe pourrait faire plus pour stimuler le commerce, qui s’est effondré au cours de l’année écoulée", explique Patrick Wintour du journal The Guardian.

Les membres de l’Union européenne ont établi un mécanisme de paiement entre l’Europe et l’Iran (l’Instrument à l’appui des échanges commerciaux ou INSTEX) pour contourner les sanctions américaines et permettre le commerce. Mais étant limité aux biens humanitaires, l’INSTEX n’est pas une réponse à ce dont l’Iran a vraiment besoin : être membre du marché mondial et vendre librement son pétrole.

Trump a justifié son retrait de l’accord de 2015 en soutenant que l’Iran l’utiliserait pour déstabiliser la région. "Le régime iranien est le principal commanditaire de la terreur ", a insisté Trump dans le discours annonçant son retrait de l’accord. "Ça alimente les conflits au Moyen-Orient." Trump a ajouté que les États-Unis se retiraient de l’accord afin de commencer à " travailler avec [ses] alliés pour trouver une solution réelle, globale et durable à la menace nucléaire ".

En mettant de côté la terreur alimentée par l’invasion américaine de l’Irak, les ventes d’armes américaines pour la guerre au Yémen et la question de l’Institut Brookings quant à la responsabilité de la politique étrangère américaine dans l’instabilité au Moyen-Orient, Trump semble oublier que les États-Unis avaient déjà travaillé avec les alliés arabes pour faciliter un accord nucléaire avec l’Iran.

Ce qui est devenu le Plan d’action global conjoint (en anglais JCPOA) a débuté par une initiative du sultanat d’Oman. "Bien que le PAGC ait été officialisé en 2015, une grande partie du travail préparatoire a été effectuée au cours des années précédentes ", explique Edwin Tran, analyste géopolitique.

"[Oman] était en bons termes avec l’Iran dans les années qui ont suivi la guerre Iran-Irak (1980-1989) [et] en 2009, le sultan Qaboos a été le premier dirigeant étranger à rendre visite au président iranien Ahmadinejad après sa réélection. Les excellentes relations d’Oman avec l’Iran sont contrebalancées par les relations du sultanat avec les États-Unis, qui remontent à un traité d’amitié entre Mascate et Washington de 1883.

Selon l’ancien ambassadeur des États-Unis à Oman, Richard Schmierer, Oman a pris l’initiative en 2009 et a discrètement " commencé à explorer la possibilité de faciliter un dialogue entre l’Iran et l’Occident [sur] la question nucléaire ". En 2012, le sénateur John Kerry a été approché par Oman dans une perspective de "relations amicales entre les États-Unis et l’Iran" et tout au long de 2013, des émissaires américains ont rencontré leurs homologues iraniens lors de réunions secrètes à Mascate. Le résultat ? Neuf mois après sa prise de fonction, Kerry, à l’époque secrétaire d’État d’Obama, a conclu un accord provisoire avec l’Iran .

Mascate

Grâce aux initiatives d’Oman, un climat de confiance a été instauré entre l’Iran et les États-Unis. Maintenant que cette confiance est anéantie, l’Iran pourrait se tourner vers un signataire non-occidental du PAGC qui serait également proche d’Oman : la Chine. Alors que l’Iran a dépassé la limite d’enrichissement d’uranium fixée par l’accord de 2015, la Chine (comme la Russie) a condamné le retrait de Trump du PAGC et les menaces de sanctions subséquentes.

"La pression maximale exercée par les États-Unis sur l’Iran est la cause profonde de la crise nucléaire iranienne ", a expliqué Geng Shuang, porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la Chine. "Les faits montrent que les brimades unilatérales sont déjà devenues une tumeur galopante [pour l’Iran et la communauté internationale]." La Chine demeure le plus gros acheteur de pétrole iranien, recevant du pétrole brut iranien en dépit des sanctions américaines.

La Chine possède de nombreux avantages par rapport aux signataires européens de l’accord et cela lui permet de dynamiser l’accord avec l’Iran. L’influence politique et économique de la Chine la rend beaucoup moins dépendante des États-Unis que l’UE en ce qui concerne le commerce et la sécurité. " Pékin dispose de nombreuses façons de contourner les sanctions américaines ", souligne Mahsa Rouhi, chargé de recherche en politique nucléaire à l’Institut international d’études stratégiques.

Ces méthodes peuvent inclure l’achat de pétrole iranien par l’intermédiaire d’entreprises chinoises non liées à des réseaux financiers dominés par les États-Unis et l’érosion de "la domination du dollar américain" en développant le commerce dans le Golfe dans sa propre monnaie, le yuan. Une telle stratégie à long terme s’attaquerait au concept de pétrodollar et établirait lentement le " pétroyuan " chinois comme une monnaie de plus en plus liée aux ventes d’hydrocarbures.

Hassan Rouhani et Xi Jinping

La Chine multiplie ses investissements non seulement dans le sultanat d’Oman, allié de l’Iran, mais aussi dans l’ensemble du Golfe. À long terme, les États du Golfe pourraient accueillir favorablement les flux de trésorerie de la Chine alors qu’ils tentent de diversifier leur économie pétrolière.

L’initiative Chinoise de la ceinture et des routes (BRI) s’appuie sur le fait que la Chine est le principal partenaire commercial du Conseil de coopération du Golfe (CCG) [La nouvelle route de la soie ou la Ceinture et la Route est à la fois un ensemble de liaisons à la fois maritimes et ferroviaires entre la Chine et l’Europe passant par le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni NdT].

Fait significatif, les alliés traditionnels des États-Unis ne sont que trop heureux de commercer avec Pékin. "L’Arabie saoudite investit des milliards dans des raffineries et des installations pétrochimiques en Chine et joue un rôle plus important dans le corridor économique Chine-Pakistan, qui est l’une des composantes les plus importantes de la Nouvelle Route de la Soie", explique Sabahat Khan, analyste à l’Institut d’analyse militaire du Proche-Orient et du Golfe.

"Les Émirats arabes unis sont le plus important partenaire commercial régional de la Chine ; Dubaï agit comme une porte d’entrée clé pour les produits chinois qui traversent [la région MENA] [MENA est l’acronyme de « Middle East and North Africa » régulièrement utilisé dans les écrits académiques et d’affaires. Il désigne une grande région, depuis le Maroc au nord-ouest de l’Afrique jusqu’à l’Iran au sud-ouest de l’Asie, qui comprend généralement tous les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord NdT]. Selon les officiels, le commerce bilatéral Chine-Emirats Arabes Unis atteindra 70 milliards de dollars d’ici l’an prochain."

L’influence politique de la Chine, le renforcement de ses relations avec le voisin neutre de l’Iran, la hausse de ses investissements dans le Golfe et sa capacité à fragiliser les pétrodollars pourraient se conjuguer pour la voir remplacer les États-Unis comme puissance protectrice dans le Golfe. Si cela se produisait, Oman pourrait encore servir de médiateur culturel et politique, mais Pékin pourrait devenir un garant fort de l’accord nucléaire, renforçant ses relations déjà prospères avec l’Iran pour faire bénéficier la République islamique des avantages financiers dont Téhéran a un besoin criant.

En outre, la Chine et l’Iran ont un point commun : ce sont des acteurs non occidentaux qui, dans l’histoire, ont tous deux eu à faire face à la colère des États-Unis lorsque leurs gouvernements ont opté pour des systèmes non occidentaux - en témoigne, par exemple, la guerre commerciale actuelle entre Pékin et Washington.

De plus, la Chine et les États-Unis ne partagent pas la même réputation au Moyen-Orient. La Chine ne porte pas le fardeau de l’ingérence passée des États-Unis, y compris lors du coup d’État de 1953 contre le premier ministre élu de l’Iran, Mohammad Mosaddegh.

Xi Jinping à l’ONU

Enfin, et ce n’est un secret pour personne, l’influence internationale de la Chine va croissant. Alors que Trump a désengagé les États-Unis de l’UNESCO et du Conseil des droits humains des Nations Unies tout en réduisant ses contributions budgétaires à l’ONU, peut-il se lamenter lorsque la Chine comble ce vide ? En 2018, la contribution financière de la Chine au budget de maintien de la paix de l’ONU a grimpé de 3% à 10,25%.

La Chine a promis d’allouer un milliard de dollars supplémentaires à ce budget au cours des prochaines années et a formé ses troupes pour aider les opérations de maintien de la paix de l’ONU. "La Chine remplit en partie un vide créé par le retrait des États-Unis de [l’ONU] ", conclut Patrick Wintour, du journal The Guardian. "En un sens, la Chine, en garantissant des ressources à l’ONU, a gagné le droit d’être entendue."

Alors que Trump continue de menacer l’Iran alors même que les inspecteurs ont vérifié que Téhéran s’était déjà conformé à l’accord nucléaire, il sera très intéressant d’entendre ce que la Chine a à dire au Golfe et au monde.

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