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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-93

Le New York Times admet avoir envoyé un article au gouvernement pour approbation

par Ben Norton, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 12 septembre 2019, par JMT

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Le New York Times admet avoir envoyé un article au gouvernement pour approbation

Le 25 juin 2019 par Ben Norton pour Grayzone

Ben Norton est journaliste et écrivain. Il est reporter pour The Grayzone et producteur du podcast "Moderate Rebels", qu’il coanime avec Max Blumenthal. Son site Web est BenNorton.com et il twitte sur @BenjaminNorton.

Selon Ben Norton, le journal américain de référence a donné très récemment un exemple éloquent de la relation de symbiose qui existe entre les médias au mains du monde des affaires aux Etats Unis et le gouvernement .

Zone grise

Le New York Times a publiquement reconnu qu’il avait envoyé un article au gouvernement américain afin qu’il soit approuvé par les "responsables de la sécurité nationale" avant sa publication.

Cela confirme ce que des correspondants chevronnés du New York Times, comme James Risen, ont affirmé : le journal américain de référence collabore régulièrement avec le gouvernement américain, supprimant les reportages que les hauts fonctionnaires ne veulent pas rendre publics.

Le 15 juin, le Times a rapporté que le gouvernement américain intensifie ses cyberattaques contre le réseau électrique russe. Selon l’article, "l’administration Trump, dans le cadre élargi d’une "guerre froide numérique entre Washington et Moscou, utilise de nouveaux pouvoirs pour déployer des outils informatiques de manière plus agressive".

DonaldTrump

En réponse à ce reportage, le président Donald Trump a attaqué le Times sur Twitter, qualifiant l’article "d’acte virtuel de trahison".

// TWEET
Le croyez-vous, ce faiblard New York Times vient de publier une histoire racontant que les États-Unis multiplient considérablement ses cyberattaques contre la Russie ? C’est virtuellement un acte de trahison de la part d’un grand journal qui cherche désespérément une histoire, n’importe quelle histoire, même si elle est désastreuse pour notre pays…

Le bureau des relations publiques du New York Times a répondu à Trump à partir de son compte Twitter officiel, défendant l’histoire et notant qu’elle avait, en fait, été approuvée par le gouvernement américain avant d’être publiée.

"Accuser la presse de trahison est dangereux", a déclaré l’équipe de communication du Times. "Nous avons expliqué l’article au gouvernement avant sa publication."

"Comme le souligne notre article, les responsables de la sécurité nationale du président Trump ont déclaré qu’il n’y avait aucune objection, a ajouté le Times.

En réalité, le reportage du Times sur l’escalade des cyberattaques américaines contre la Russie est le fait de "fonctionnaires actuels et anciens du gouvernement [américain]". En fait, le scoop vient de ces apparatchiks, et non d’une fuite ou de l’enquête tenace d’un journaliste intrépide.

Les "vrais" journalistes obtiennent l’approbation de diffuser

La "Résistance" néolibérale autoproclamée a sauté sur l’accusation imprudente de trahison portée par Trump (la Coalition démocratique, qui se vante du "Nous aidons à mettre en oeuvre#LaRésistance", a répondu en qualifiant Trump de "marionnette de Putin"). Le reste de la presse institutionnelle s’est déchaînée.

Mais ce qui a été complètement occulté, c’est ce qui est le plus révélateur dans la déclaration du New York Times : le journal officiel admettait en substance avoir une relation symbiotique avec le gouvernement.

En fait, certains grands experts américains sont même allés jusqu’à insister sur le fait que cette relation symbiotique est précisément ce qui fait que quelqu’un est un journaliste.

En mai, le chroniqueur néoconservateur du Washington Post Marc Thiessen - ancienne plume des discours du président George W. Bush - a déclaré que l’éditeur de WikiLeaks, d’autre part prisonnier politique, Julian Assange n’est "pas un journaliste", mais bien un "espion" qui "mérite la prison". ( par le passé Thiessen a aussi qualifié Assange de "diable".)

Quelle a été la raison invoquée par le chroniqueur du Post pour invalider les compétences journalistiques d’Assange ?

Contrairement aux "organes de presse réputés, Assange n’a pas donné au gouvernement américain l’occasion d’examiner les informations classifiées que WikiLeaks avait l’intention de divulguer de sorte à leur permettre de pouvoir soulever des objections en matière de sécurité nationale", a écrit Thiessen. "Les journalistes sérieux n’ont donc rien à craindre."

En d’autres termes, cet ancienne plume des discours du gouvernement américain, devenu spécialiste des médias institutionnels, insiste sur le fait que ce qui fait de vous un journaliste, c’est votre collaboration avec le gouvernement et la censure en ce qui concerne vos reportages afin de protéger la "sécurité nationale". C’est la conception idéologique express des commentateurs américains.

//TWEET : Julian Assange n’est pas un héros. C’est le diable.http://wpo.st/ep782

Julian Assange

Les rédacteurs en chef du NYT sont "tout à fait disposés" à coopérer

La relation de symbiose qui existe entre les médias institutionnels américains et le gouvernement est connue depuis un certain temps déjà. Les services de renseignement américains jouent avec la presse comme avec un instrument de musique, l’utilisant pour faire fuiter sélectivement des informations à des moments opportuns afin de faire pression sur le pouvoir doux [soft power NdT] des États-Unis et faire progresser les intérêts de Washington.

Mais rarement cette relation symbiotique n’a été attestée de façon aussi désinvolte et publique.

En 2018, l’ancien journaliste du New York Times, James Risen, a publié un article de 15 000 mots dans The Intercept, donnant un aperçu du fonctionnement de cette alliance tacite.

//TWEET
1. #JamesRisen : "Un haut fonctionnaire de la CIA m’a dit un jour que sa règle de base pour savoir si une opération secrète devrait être approuvée était : "De quoi cela aura-t-il l’air à la une du New York Times ?"https://theintercept.com/2018/01/03/my-life-as-a-new-york-times-reporter-in-the-shadow-of-the-war-on-terror/.…

Risen a expliqué très précisément comment ses rédacteurs en chef avaient été "tout à fait disposés à coopérer avec le gouvernement". En fait, un haut fonctionnaire de la CIA a même dit à Risen que sa règle de base pour approuver une opération secrète était : "De quoi ça aura-t-il l’air à la une du New York Times ?" Il existe un "accord informel" entre l’État et la presse, a expliqué Risen, par lequel des représentants du gouvernement américain "ont régulièrement entrepris des négociations discrètes avec la presse pour tenter d’empêcher la publication d’articles sensibles concernant la sécurité nationale".

La porte-parole de la CIA, Marie Harf, a dit à Mark Mazzetti, journaliste pour la sécurité nationale du New York Times, de me tenir au courant d’une prochaine chronique de Maureen Dowd ; il a accepté. Photographie : @marieharf, via Twitter

"À l’époque, j’étais généralement d’accord avec ces négociations", a déclaré l’ancien journaliste du New York Times. Il se souvient d’un cas particulier, celui d’un article qu’il écrivait alors sur l’Afghanistan juste avant les attentats du 11 septembre 2001. George Tenet, alors directeur de la CIA, a téléphoné personnellement à Risen et lui a demandé de supprimer l’histoire.

"Il m’a dit que sa divulgation menacerait la sécurité des agents de la CIA en Afghanistan", a dit Risen. "J’ai accepté."

Risen a dit plus tard qu’il s’était demandé si oui ou non c’était la bonne décision. "Si j’avais raconté cette histoire avant le 11 septembre, la CIA aurait été furieuse, mais cela aurait peut être pu déclencher un débat public sur la question de savoir si les États-Unis en faisaient assez pour capturer ou tuer ben Laden, a-t-il écrit. "Ce débat public aurait peut-être forcé la CIA à prendre plus au sérieux la question de la capture de Ben Laden."

Ce dilemme a amené Risen à reconsidérer sa position quand aux demandes de censure du gouvernement américain concernant ses articles. "Et cela m’a finalement mis dans une situation de conflit avec les rédacteurs en chef du New York Times", a-t-il dit.

"Après les attentats du 11 septembre 2001, l’administration Bush a commencé à demander à la presse de supprimer plus souvent des articles", a poursuivi Risen. "Ils l’ont fait si souvent que j’ai acquis la conviction que l’administration invoquait la sécurité nationale pour faire supprimer des histoires qui était simplement politiquement embarrassantes."

Dans la période qui a précédé la guerre en Irak, Risen s’est souvent "heurté" aux rédacteurs en chef du Times parce qu’il avait mis en doute les mensonges du gouvernement des États-Unis. Ses articles "soulevant des questions sur le renseignement, en particulier les allégations de l’administration quant à l’existence d’un lien entre l’Irak et Al-Qaïda, ont été tronqués, noyés dans le reste ou complètement exclus du journal".

"Pour beaucoup de gens au journal", le rédacteur en chef du Times, Howell Raines, "préférait les articles qui soutenaient la cause de la guerre", a dit Risen.

Autre anecdote, l’ancien journaliste du Times se souvient d’un scoop qu’il avait découvert quant à un complot foireux de la CIA. L’administration Bush en a eu vent et l’a convoqué à la Maison-Blanche, où Condoleezza Rice, alors conseillère à la sécurité nationale, a imposé au Times d’enterrer l’histoire.

Rice lui a dit : "Oubliez l’histoire, détruisez mes notes et ne téléphonez plus jamais pour en discuter avec qui que ce soit".

"L’administration Bush a réussi à convaincre la presse de retenir ou de supprimer des articles concernant la sécurité nationale", a écrit Risen. Et l’administration de Barack Obama a ensuite intensifié la "guerre contre la presse".

La salle de rédaction du New York Times en 2008, peu après son déménagement à son siège actuel. (Bpaulh, Wikimedia Commons)

Infiltration de la CIA et la fabrique du consentement

Dans leur remarquable étude sur les médias américains, "Manufacturing Consent : The Political Economy of the Mass Media", Edward S. Herman et Noam Chomsky ont exposé un "modèle de propagande", démontrant comment "les médias servent et font de la propagande au nom des puissants intérêts des sociétés qui les contrôlent et les financent", au moyen de "la sélection de collaborateurs raisonnables et par l’internalisation des priorités et définitions du caractère opportun des informations conformes aux politiques de l’institution par les rédacteurs et journalistes en activité.

Mais dans certains cas, la relation entre les services de renseignement américains et les médias institutionnels n’est pas seulement une relation de persuasion idéologique, de pression indirecte ou d’amitié, mais plutôt une relation professionnelle.

Dans les années 1950, la CIA a mené une opération secrète appelée Projet Mockingbird, qui lui permettait de surveiller, influencer et manipuler les journalistes américains et les médias, et ce, de façon ouverte, afin d’orienter l’opinion publique de façon défavorable vis à vis de l’Union soviétique, la Chine et le mouvement communiste international grandissant.

Le bien-connu journaliste Carl Bernstein, anciennement au Washington Post qui a aidé à déterrer le scandale du Watergate, a publié pour Rolling Stone, en 1977, un article majeur ayant pour titre "La CIA et les médias : Comment les médias d’information les plus puissants d’Amérique ont travaillé main dans la main avec la Central Intelligence Agency et pourquoi la Commission Church a couvert tout ça ." [La commission Church, dont le nom complet est « United States Senate Select Committee to Study Governmental Operations with Respect to Intelligence Activities », est une commission formée à l’initiative du Sénat des États-Unis et dirigée en 1975 par le sénateur démocrate Frank Church. NdT].

Bernstein a obtenu de la CIA des documents qui révèlent qu’au cours des 25 dernières années, plus de 400 journalistes américains avaient "secrètement effectué des missions pour la Central Intelligence Agency".

Bernstein a écrit : "Certaines des relations entre ces journalistes et l’Agence étaient tacites, d’autres explicites. Il y a eu coopération, accommodement et superposition. Les journalistes ont assuré une gamme complète de services clandestins - depuis la simple collecte de renseignements jusqu’à la mise en relation avec des espions dans les pays communistes. Les journalistes partageaient leurs notes avec la CIA. Les rédacteurs en chef partageaient leurs équipes. Certains de ces journalistes avaient obtenu le Prix Pulitzer, éminents reporters qui se considéraient comme des ambassadeurs sans accréditation pour leur pays. Nombre d’entre eux étaient moins emballés : les correspondants à l’étranger qui trouvaient que leur association avec l’Agence les aidait dans leur travail ; les journalistes d’investigation et les pigistes qui s’intéressaient autant aux arcanes de l’espionnage qu’à la publication de leurs articles ; et catégorie la plus mineure, celles des employés à temps plein de la CIA se faisant passer pour des journalistes à l’étranger. Dans de nombreux cas, les documents de la CIA montrent que des journalistes étaient recrutés pour exécuter des tâches pour la CIA, et ce, avec l’accord des différentes directions des principaux organes de presse américains."

Pratiquement tous les médias américains majeurs ont coopéré avec la CIA, a révélé Bernstein, notamment ABC, NBC, l’AP, l’UPI, Reuters, Newsweek, les journaux du groupe Hearst, The Miami Herald, The Saturday Evening Post et The New York Herald Tribune.

Cependant, a-t-il ajouté, " Selon les responsables de la CIA, les plus précieuses de ces associations sont de loin celles avec le New York Times,CBS et Time Inc.".

Ces strates de manipulation de l’État, que ce soit la censure ou même la création directe de médias d’information montrent que, même s’ils prétendent être indépendants, The New York Times et d’autres médias servent de facto de porte-paroles au gouvernement - ou du moins à la sécurité nationale de l’État américain.

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