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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-98

Sables mouvants : La main-mise chinoise en Asie centrale et les menaces à l’encontre de la suprématie américaine dans le Golfe

Par James M. Dorsey , traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 19 septembre 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Sables mouvants : La main-mise chinoise en Asie centrale et les menaces à l’encontre de la suprématie américaine dans le Golfe

1er AOÛT 2019 par James DORSEY

James M. Dorsey est maître de recherche à la S. Rajaratnam School of International Studies, co-directeur de l’Institute for Fan Culture de l’Université de Würzburg et co-animateur du podcast New Books in Middle Eastern Studies [Nouveaux ourages sur les études du Moyen Orient NdT].

James est l’auteur du blog The Turbulent World of Middle East Soccer, [Le monde turbulent du football au Moyen Orient NdT] d’un livre du même titre ainsi que du livre Comparative Political Transitions between Southeast Asia and the Middle East and North Africa, [Transitions politiques comparatives entre l’Asie du sud-est, le Moyen Orient et l’Afrique du Nord NdT] co-écrit avec Teresita Cruz-Del Rosario, de Shifting Sands, Essays on Sports and Politics in the Middle East and North Africa, [Sables mouvants, essais sur les sports et la politique au Moyen Orient et en Afrique du Nord NdT] et du livre à venir China and the Middle East : Venturing into the Maelstrom [La Chine et le Moyen Orient : s’aventurer dans le Maelstrom NdT]

Vladimir Poutine et Xi Jinping

La Chine et la Russie sont autant des alliées que des rivales.

Un exercice militaire conjoint tadjik-chinois dans une région tadjike voisine de la région troublée du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, donne à penser qu’une coopération militaire accrue entre la Chine et la Russie n’a pas érodé la rivalité croissante en Asie centrale, longtemps considérée par Moscou comme sa zone d’influence.

Cet exercice, le deuxième en trois ans, associé à la construction par la Chine de postes de gardes-frontières et d’un centre d’entraînement ainsi qu’à la création d’une installation de sécurité chinoise longue de 1300 kilomètres le long de la frontière Tadjikistan-Afghanistan, auxquels s’ajoutent la domination chinoise de l’économie tadjike et la remise de territoire tadjik il y a presque 20 ans, tout cela remet en question les arrangements entre la Russie et la Chine dans cette région.

L’arrangement informel prévoyait une division des tâches dans le cadre de laquelle la Chine développerait son économie en Asie centrale pendant que la sécurité de la région serait garantie par la Russie.

L’exercice a lieu quelques jours après que la Chine et la Russie aient effectué leur première patrouille aérienne en commun et quelques mois après que les forces tadjikes et russes se soient exercées conjointement. Cet "exercice représente une nouvelle étape dans l’impérialisme généralisé de la Chine sur la ’sphère d’influence’ autoproclamée de la Russie en Asie centrale", a déclaré l’expert sur la Russie, Stephen Blank.

"Moscou a accordé remarquablement peu d’attention à la possibilité que la Chine s’appuie sur son influence culturelle en Asie centrale pour établir des relations de sécurité ou même implante des bases et accélère ainsi le déclin de l’influence russe dans cette région ", a ajouté Paul Goble, spécialiste de l’Eurasie.

L’empiètement perçu n’est que le dernier signe en date que la Russie cherche l’équilibre entre l’alliance qu’elle est déterminée à nouer avec la Chine pour tenter de limiter la puissance américaine, et les possibles divergences des intérêts chinois et russes.

Les limites de la coopération entre la Russie et la Chine sont évidentes depuis longtemps.

La Chine, par exemple, s’est abstenue de reconnaître les déclarations d’indépendance, d’inspiration russe, de deux régions de Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, qui ont récemment déclenché des manifestations antigouvernementales à Tbilissi en 2008. La Chine s’est également abstenue lors du vote du Conseil de sécurité des Nations Unies en 2014 sur une résolution condamnant l’annexion de la Crimée par la Russie.

En parallèle, la dépendance de la Chine vis-à-vis de la technologie militaire russe diminue, menaçant potentiellement un marché d’exportation clé de la Russie. En 2017, la Chine a déployé son chasseur Chengdu J-20 de cinquième génération, dont on pense qu’il est technologiquement supérieur au SU-57E russe.

Ce qui est peut-être plus crucial, le président chinois Xi Jinping a choisi en 2013 de dévoiler son initiative Belt and Road [Initiative Ceinture et Route, ou Nouvelle Route de la Soie, reliant la Chine à l’Europe par voie terrestre et maritime NdT] dans la capitale kazakhe d’Astana plutôt qu’à Moscou.

En agissant de la sorte et en refusant jusqu’à présent d’investir dans les chemins de fer et les routes qui feraient de la Russie une plaque tournante des transports, M. Xi a en fait relégué la Russie au second plan, du moins en ce qui concerne le pilier de l’infrastructure principale de transport de l’initiative Route de la Soie.

Le dernier livre blanc sur la défense récemment publié par la Chine a néanmoins salué le développement continu d’une relation militaire "de haut niveau" avec la Russie, enrichissant le partenariat stratégique global de coordination Chine-Russie pour une nouvelle ère et jouant un rôle important dans le maintien de la stabilité stratégique mondiale".

Afin de s’assurer que la Russie reste un acteur clé sur la scène internationale et d’exploiter les tensions croissantes dans le Golfe, le ministre adjoint russe des Affaires étrangères et représentant spécial au Proche-Orient et en Afrique, Mikhaïl Bogdanov, a proposé cette semaine un concept de sécurité collective qui remplacerait le parapluie de défense américain dans le Golfe et placerait la Russie dans le rôle d’éminence grise aux côtés des Etats-Unis.

Le concept impliquerait la création d’une "coalition antiterroriste (de) toutes les parties prenantes" qui serait le moteur de la résolution des conflits dans la région et favoriserait des garanties de sécurité mutuelle. Cela impliquerait le retrait du " déploiement permanent de troupes d’Etats extra-régionaux sur les territoires des Etats du Golfe ", en référence aux forces américaines, britanniques et françaises et à leurs bases militaires.

La proposition de M. Bogdanov préconisait un système de sécurité "universel et global" qui tiendrait compte "des intérêts de toutes les entités régionales et autres parties concernées, dans tous les domaines de la sécurité, y compris militaire, économique et énergétique" et assurerait la garantie d’aide humanitaire.

Les Nouvelles Routes de la Soie

La coalition qui inclurait les États du Golfe, la Russie, la Chine, les États-Unis, l’Union européenne et l’Inde ainsi que d’autres parties prenantes, une référence probable à l’Iran, serait lancée lors d’une conférence internationale sur la sécurité et la coopération dans le Golfe.

Comment des États du Golfe en conflit comme le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et l’Iran pourraient être persuadés de s’asseoir à la même table n’était pas clair. La proposition suggérait que l’avantage de la proposition de la Russie était que celle-ci entretenait de bonnes relations avec toutes les parties concernées.

"Les contributions de la Russie à la lutte contre les réseaux terroristes islamiques et à la libération de certaines parties de la Syrie et de l’Irak peuvent être considérées comme une sorte de test pour son rôle de gendarme dans une Grande Eurasie" qui engloberait le Proche-Orient, a déclaré le politologue Dmitry Yefremenko.

M. Poutine s’est affirmé cette semaine dans son rôle de gendarme, en manifestant son soutien à l’ancien président kirghize Almazbek Atambayev, un de ses copains accusé de corruption. A la suite d’une réunion à Moscou, M. Poutine a exhorté l’ennemi juré de M. Atembayev. le président Sooronbai Jeenbekov, à ne pas porter plainte. Dans le même temps, M. Poutine, mettant à profit le succès de sa visite au Kirghizistan en mars, a offert une carotte à M. Jeenbekov.

Le Kirghizistan "a besoin de stabilité politique. Tout le monde doit s’unir autour du président actuel et l’aider à développer l’état. Nous avons de nombreux projets de coopération avec le Kirghizistan et nous sommes absolument déterminés à collaborer avec les dirigeants actuels pour réaliser ces projets ", a déclaré M. Poutine.

Au cours de la visite, la Russie et le Kirghizistan ont signé un accord pour agrandir de 60 hectares la base aérienne de Kant à 20 kilomètres à l’est de la capitale, Bichkek, base utilisée par les forces aériennes russes et pour augmenter la redevance de la Russie.

Union Economique Eurasiatique

M.Poutine a en outre offert à ses hôtes kirghizes 6 milliards de dollars américains en accords tant dans les domaines de l’énergie, ressources minérales et hydrocarbures, que dans l’industrie et l’agriculture.

M.Poutine a également alloué 200 millions de dollars US pour la modernisation de l’infrastructure douanière et de l’équipement frontalier afin de mettre fin aux files d’attente dues aux dizaines de camions à la frontière kazakhe-kirghize parce que le Kirghizistan n’a pas été en mesure jusqu’à présent de satisfaire aux exigences techniques de l’Union économique eurasienne (UEE) dirigée par la Russie.

Le mois dernier, le président ouzbek Shavkat Mirziyaev a donné un coup de pouce à l’UEE, qui regroupe la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Biélorussie et l’Arménie, en déclarant que l’Ouzbékistan devrait rejoindre le bloc commercial pour garantir l’accès de ses marchés d’exportation.

Les membres de l’UEE comptent pour 70 pour cent des exportations ouzbèkes.

Paul Stronski, spécialiste de la Russie et de l’Eurasie, a déclaré : " L’habile diplomatie de la Chine envers la Russie - ainsi que le désir des deux Etats de tenir l’Occident à l’écart de leur zone d’influence commune - ont fait que les tensions sont restées dans les coulisses. Mais maintenant que la Chine reconnaît qu’elle pourrait avoir besoin de renforcer son dispositif de sécurité dans la région, il est difficile de savoir combien de temps cette stabilité durera."

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