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Peut-on tuer en toute impunité ?

CM43- Chère, très chère insuffisance rénale !

par Dr Bruno Bourgeon, président d’AID

vendredi 4 mai 2018, par JMT

AID a l’avantage d’être présidée par un néphrologue, ce qui explique, entre autres, son intérêt constant concernant la qualité de l’eau que les humains finissent par ingérer par la boisson, les aliments ou la baignade. Et il ne se prive pas de dénoncer depuis des années les multiples atteintes à cette eau.

Un néphrologue ça a aussi l’avantage d’être compétent en matière de reins, des maladies qui l’impactent et des méthodes pour y remédier, et d’aider à comprendre ce dossier compliqué, objet de polémiques sur un fond généralisé d’hypocrisie. Ah que l’on aime à baver ici ou là sur le "coût exorbitant" (heureusement au figuré sinon les dépenses en chirurgie oculaire exploseraient aussi) de la santé publique que nos chers comptables fouineurs "dénoncent", et que toute la hiérarchie politique reprend comme une armée de perroquets.

Passe encore quand la maladie provient de la malchance ou de prédispositions génétiques contre lesquelles on ne pourrait rien. Mais quand il y a une probabilité très forte que, de manière directe ou indirecte avérée, une activité humaine actuellement licite empoisonne dans un délai plus ou moins long toute personne exposée à des produits ou des nuisances de toutes sortes comme le bruit, les champs électromagnétiques, où est donc le fameux principe de précaution ?

A minima, avant même de savoir s’il faut interdire le glyphosate et ses semblables et savoir comment s’en passer ou les remplacer (ce qui nécessiterait des années de recherches pour valider l’innocuité ?) , il faudrait légiférer d’urgence sur la dangerosité de tous ces comportements douteux et dans la foulée, appliquer un autre principe majeur, le principe pollueur-payeur et donc mettre le coût INTEGRAL des réparations à la charge COLLECTIVEMENT de toute la filière utilisatrice du glyphosate (solidairement industriels, entreprises de négoce, chambres d’agriculture, agriculteurs, commerce des produits agricoles, industrie agroalimentaire) ce qui aurait un double effet vertueux, faire baisser rapidement les comportements inappropriés (ciel ! je cause comme la Banque Mondiale :-), et dispenser la sécurité sociale et les pouvoirs publics d’avoir à prendre financièrement en charge le coût des conséquences.

Car il n’y a pas que les humains et les animaux à soigner : notre terre nourricière et nos nappes phréatiques ont été empoisonnées par la bêtise et la cupidité de quelques-uns. Ils devront payer !

Un scoop, BB ne mange pas de rognons car "on ne consomme pas son chiffre d’affaires" :-)

Chère, très chère insuffisance rénale !

L’insuffisance rénale chronique (IRC) terminale (qui nécessite dialyse ou greffe) représente en France 40000 patients qui devraient bénéficier d’un traitement de suppléance, et 82500 (données 2015) qui sont en traitement de suppléance : dialyse (46000) ou greffe (36500).

La dialyse coûte environ 70000 € par an, tous frais compris : matériels, transports, médicaments, salaires et honoraires. La greffe coûte 50000 € la première année, 15000 € les années ultérieures. Résultats : le coût de l’IRC terminale est de 4 milliards d’€/an, soit environ 50000 €/patient/an. Le budget annuel de la Sécurité Sociale en France est d’environ 500 milliards d’€, soit 7500 €/patient/an. Un IRC dialysé ou greffé coûte sept fois plus que la moyenne d’un Français. Très chère insuffisance rénale.

A La Réunion, c’est pire : 1500 dialysés (2 fois plus en prévalence), 400 greffés (2/3 fois moins en prévalence), plus de 300 patients inscrits sur liste d’attente (on nous dit que c’est trop peu), entre 20 et 30 greffes/an, terriblement insuffisant. Les moyens accordés par l’état pour lutter contre ce fléau sont dérisoires, ou plutôt s’attachent à favoriser les thérapeutiques de « bout de chaîne », essentiellement la greffe.

Une association de patients comme Renaloo n’arrête pas de vilipender la dialyse, comme si greffe et dialyse étaient en concurrence. Pas du tout : ces deux techniques sont complémentaires. L’une permet d’attendre l’autre, de la suppléer en cas d’échec, l’autre offre le meilleur traitement de l’IRC, autant en termes de survie que de qualité de vie. En conséquence, favoriser la greffe, bien sûr, en étendant les possibilités de donneur vivant ou en élargissant les indications de prélèvement. Mais surtout ne pas dénigrer la dialyse, dont les améliorations techniques sont réelles ces trente dernières années.

Mais où est la prévention dans tout cela ? Car en effet, faute de prévention, on verra se ruer dans les prochaines années des patients en IRC aux portes des centres de dialyse. Or deux maladies chroniques prédominent, plus encore à La Réunion. Le diabète : environ 100.000 diabétiques à La Réunion, tous ne sont pas voués à la dialyse, mais tous subiront les affres de la maladie cardio-vasculaire, à des degrés variables, et l’hypertension artérielle (HTA) : peut-être 160000 Réunionnais en souffrent. Un énorme travail de prévention pour les professionnels de santé, nous y travaillons déjà, mais nos efforts, au regard des résultats sur l’IRC, ne sont guère efficaces.

Que faire alors ? De l’éducation en santé publique dès le collège ? De l’éducation alimentaire dès le début de la vie ? De l’éducation parentale pour l’éducation de leurs enfants ? Laissez-moi pointer l’action des perturbateurs endocriniens dont les pesticides et les cosmétiques représentent la force vive. Lors du colloque sur la santé et l’environnement à Stella Matutina le samedi 14 avril 2018, plusieurs spécialistes ont montré l’action négative de ces molécules sur le système endocrine ou sur la fonction rénale.

Au Sri Lanka, le nord accueille la riziculture. Forces herbicides y sont utilisés dont le premier d’entre eux, le glyphosate (Roundup de Monsanto). Cette molécule, avant d’être herbicide, a été présentée comme chélateur des métaux : pour nettoyer les canalisations d’eau. La terre nord-sri lankaise est riche en magnésium et en calcium, et on retrouve dans l’eau des puits (de la nappe phréatique, donc l’eau des boissons) un résidu sec en métaux de plus de 350 mg/l (l’OMS fixe comme norme supérieure 20 mg/l).

Parmi ces composés, outre magnésium et calcium, on trouvait des métaux lourds comme le plomb ou le cadmium, tous deux toxiques pour la fonction rénale. Ils étaient assemblés dans un complexe avec du glyphosate, molécule qui normalement aurait dû disparaître de la nappe phréatique en moins de 35 jours. Or, couplée aux métaux lourds, elle était présente depuis des années.

La néphropathie des ouvriers sri lankais, masculins en majorité, était superposable aux néphropathies décrites avec le cadmium ou le plomb. Les ouvriers agricoles du nord du Sri Lanka sont tous à des degrés variés touchés par l’IRC. Nombreux sont dialysés (69000, plus qu’en France, pour 23 millions d’habitants), et 24800 sont déjà morts depuis que l’on décrit l’affection (2007). Une prévalence incroyable de deux fois celle de La Réunion, pourtant la plus élevée de France. En 2015, le gouvernement sri lankais décida et maintint, malgré les pressions de toutes sortes, l’interdiction de la vente du glyphosate.

Au Nicaragua et à San Salvador, on décrit une néphropathie similaire dans les champs de canne, où le glyphosate coule à flots, la néphropathie méso-américaine : première cause de mortalité dans la population nicaraguayenne jeune et agricole. En 2016, le gouvernement de Managua interdisait le glyphosate comme désherbant.
Belle histoire ? Voire.

A La Réunion, on utilise toujours le glyphosate (115 t de consommation annuelle) sur les champs de canne, pour 90% du glyphosate importé. Et l’on ne diagnostique pas toutes les néphropathies, loin s’en faut.

Alors ? N’y aurait-il rien à faire en diagnostic et en prévention ? A quand un vrai tribunal contre Monsanto, cet empoisonneur de la planète ? Que fait l’Europe contre le glyphosate ? Que fait le Monde contre Monsanto ?

Dr Bruno Bourgeon, président d’AID http://aid97400.re

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PUBLICATION DANS LES MEDIAS LOCAUX

* Courrier des lecteurs de Zinfos974 du Mardi 1 Mai 2018 - 09:59

* Courrier des lecteurs dans Le Quotidien de la Réunion du

* Courrier des lecteurs dans Imaz Press Reunion