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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2019-140

Macabre élection finale au Royaume Uni

Par Craig Murray , traduit par Jocelyne le Boulicaut

mardi 17 décembre 2019, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Macabre élection finale au Royaume Uni

Le 15 Novembre 2019 Par Craig Murray

Craig Murray est auteur, animateur télé et militant des droits humains. Il a été ambassadeur de Grande-Bretagne en Ouzbékistan d’août 2002 à octobre 2004 et recteur de l’Université de Dundee de 2007 à 2010.

Londres, capitale de l’Angleterre et pour le moment du Royaume Uni (Colin, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)

L’alignement des étoiles est parfait pour ceux d’entre nous qui sommes en faveur de l’indépendance de l’Ecosse, écrit Craig Murray

Il s’agit de la dernière élection générale du Royaume-Uni. Le Parti national écossais (SNP) a placé l’indépendance au cœur de sa campagne, évitant l’erreur terrible du "Ne parlez pas de l’indépendance" de la campagne de 2017 qui avait conduit un demi-million de partisans potentiels à rester les bras croisés le jour du scrutin. Le SNP va remporter une victoire éclatante et éliminer les Conservateurs d’Écosse. Une position unioniste dure du Premier ministre Boris Johnson, qui dénierait au peuple écossais le droit souverain de choisir, ne pourrait survivre à un tel résultat.

Si les Conservateurs se mettaient à imaginer pouvoir traiter l’Écosse comme l’Espagne traite la Catalogne, leur réveil serait particulièrement brutal. De même, les dirigeants du SNP seront politiquement incapables d’imposer la reconnaissance des paramètres que Westminster tente d’imposer. Les divergences politiques et culturelles entre l’Écosse et l’Angleterre sont maintenant si criantes que l’union est déjà dépassée en tant qu’entité politique fonctionnelle. Il ne s’agit plus maintenant que d’organiser les obsèques.

Il est essentiel de faire le meilleur usage possible du vote du SNP lors de cette élection. Tout le reste n’est que diversion. Il faut affirmer clairement qu’il n’y a aucun siège en Écosse où un vote du SNP risque de voir un siège tomber aux mains des Tories. Par contre, il y en a plusieurs où un vote travailliste ou un vote Vert risque de donner le siège aux Conservateurs. Voter travailliste ou Vert en Écosse en 2019 est un acte irresponsable et complaisant de nombrilisme. Il faut que ce soit le SNP. Après l’indépendance, qui ne saurait tarder, nous pourrons alors chacun suivre notre propre voie.

La cheffe du SNP appelle les électeurs à soutenir son parti, 12 novembre 2019. (Twitter)

C’est là le karma des Libéraux-démocrates dans leur rôle de tenants de l’austérité, au moment même où l’occasion leur est donnée de faire d’immenses progrès en tant que parti majoritaire en Angleterre, ils se retrouvent avec Jo Swinson comme cheffe. Son intuition la conduit à être résolument à droite.

Lorsqu’on lui a demandé, lors du lancement de sa campagne, pourquoi elle affirmait que Jeremy Corbyn, chef de l’opposition, n’était pas apte à être premier ministre - question d’un journaliste en quête de copie pour abattre Corbyn - sa première et plus immédiate réponse a été que Corbyn ne serait pas disposé à donner aux commandants des sous-marins britanniques l’ordre de déclencher une riposte nucléaire.

Swinson allie stupidité, délires et ambition dans un mélange profondément déplaisant. Il ne faut pas oublier que les libéraux-démocrates n’étaient plus qu’une poignée de députés après les dernières élections et que Swinson est alors devenue la cheffe d’un très petit groupe.

Maintenant que des Blairistes carriéristes ont rejoint le navire en perdition, les pulsions de droite de Swinson sont encore renforcées. Je suis sûr qu’il reste encore quelques personnes respectables au sein des libéraux-démocrates. Mais ils sont invisibles.

Cela dit, il y a de nombreux sièges en Angleterre où il faut que les gens votent pour les Lib Dem afin de vaincre les Conservateurs. Le meilleur scénario d’ordre pratique pour la fin du Royaume-Uni est une alliance Labour/Lib Dem/SNP, qui évitera un Brexit dur et qui conviendra d’un deuxième référendum d’indépendance pour l’Écosse.

Autre scenario

Il existe un autre scénario qui aboutira aussi à l’indépendance, mais il sera plus désordonné et plus dangereux. Même si nous obtenons l’indépendance par le biais d’un deuxième référendum (et d’autres options sont possibles), ce référendum entraînerait une lutte encore beaucoup plus sordide que celle de 2014.

Nous observons déjà, lors de cette élection, à quel point les médias britanniques sont aujourd’hui inconditionnellement pro-Tory, et une autre campagne référendaire écossaise souffrirait non seulement de cela, mais de chaque sale tour dans la stratégie des services de sécurité britanniques. Et pourtant, je n’ai aucun doute sur le résultat.

Bien sûr, il est indéniable que les médias ont toujours été biaisés, mais la situation s’est encore aggravée. Il y a eu un changement radical dans la culture des médias, exactement de la même manière qu’il y a eu un basculement massif vers la droite au sein du Parti Conservateur. Alors que les ploutocrates ont toujours possédé la quasi-totalité des médias, il y avait des courants contradictoires dans les relations complexes au sein des institutions médiatiques.

Il n’a jamais été vrai de dire que les rédacteurs et les journalistes avaient une éthique ou une intégrité irréprochables, mais il existait des notions de décence, d’équilibre, d’équité et de simple respect de la vérité qui dans une certaine mesure, animait les éditeurs et les journalistes.

Même si, dans leur globalité, ces facteurs culturels pouvaient être contrebalancés par la déférence aux souhaits des patrons, l’allégeance à un parti ou l’ambition personnelle, ces notions de bonne conduite exerçaient à l’occasion une certaine influence sur le comportement et donc la ligne éditoriale des médias.

Ces normes journalistiques ont été presque entièrement abandonnées et c’est en vain que vous analyseriez les médias à la recherche de preuves d’équité et d’équilibre.

Ce n’est pas un hasard si, en ce moment même, deux de mes bons amis personnels dans les médias, avec lesquels j’ai des divergences politiques majeures mais qui sont de bons professionnels et des gens bien, John Sweeney et Peter Oborne, ont quitté leurs postes respectivement à BBC Panorama et au Daily Mail.

Les médias publics sont aussi médiocres que les médias appartenant à des ploutocrates. La complicité de la BBC dans l’attaque des conservateurs contre Corbyn a été sans faille, y compris les interviews arrangées par les conservateurs avec Ian Austin et la longue émission anti-Corbyn du chancelier de l’échiquier Sajid Javid, hier lors de l’ Andrew Marr Show.

La campagne des conservateurs est une honte. Johnson, tout comme l’ancienne premier ministre Theresa May avant lui, est tenu à l’écart de tout électeur réel, et la BBC met en lumière et cadre ses événements en tout point artificiels avec la précision et la minutie d’un film de Leni Riefenstahl.[Helene Riefenstahl, dite Leni Riefenstahl, née le 22 août 1902 à Berlin et morte le 8 septembre 2003 à Pöcking, est une réalisatrice de propagande du IIIème Reich, réalisatrice entre autres du film " Les Dieux du stade", son cinéma est caractérisé par son esthétisme et sa grandiloquence NdT]

Lorsque le réalisme réussit à s’imposer, c’est par le journalisme citoyen, et non par les médias. Les déclarations scandaleuses d’un Boris Johnson en Irlande du Nord, en contradiction flagrante avec l’accord de retrait de l’UE, n’auraient jamais été mentionnées par les médias si elles n’étaient pas devenues virales grâce au téléphone portable dont une personne a fait usage.

Les allégations selon lesquelles Johnson n’aurait pas compris son propre pacte sont complètement à côté de la plaque. Il n’est pas stupide, il sait ce qu’il y est écrit. Si vous écoutez très attentivement ce qu’il a dit à l’époque et par la suite, il ne prétend pas que son accord ne prévoit aucun contrôle entre l’Irlande du Nord et le continent. Ce qu’il affirme, c’est sa certitude qu’il n’y aura pas de contrôles.

Sajid Javid participant à l’émission de Andrew Marr [Le Andrew Marr Show est l’émission-débat phare du dimanche matin de BBC One présentée par Andrew Marr, ancien rédacteur politique de la BBC NdT]

Cela confirme les craintes que j’ai exprimées au sein du Foreign & Commonwealth Office, à savoir que Boris Johnson n’a tout simplement pas l’intention d’appliquer réellement l’accord de retrait [Le bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth est le département exécutif du gouvernement britannique chargé des affaires étrangères, de la construction européenne et des relations avec les pays membres du Commonwealth NdT].

Il a négocié en parfaite mauvaise foi avec l’UE et s’est embarqué dans des accords qu’il n’a aucunement l’intention de tenir afin de "Get Brexit Done" (obtenir le Brexit). Il n’a aucun scrupule moral à mentir, et ce n’est pas son style de penser au-delà de son avantage personnel immédiat, de plus il est toujours épris de l’idée qu’à la fin, l’UE finira toujours par plier parce qu’elle a besoin du marché britannique.

Les étoiles sont parfaitement alignées pour ceux d’entre nous qui soutenons l’indépendance écossaise, et je suis ravi que tant le parti de l’Unification irlandaise que Plaid Cymru [parti nationaliste gallois NdT] aient profité de ce nouvel élan encore plus fort que cela cela ne semblait possible il y a encore quelques années.

Cette élection est sordide, abjecte, corrompue et sans inspiration ; une fin appropriée pour le Royaume-Uni et sa longue histoire d’exploitation impitoyable. Jamais un État n’a été aussi habile à utiliser son système juridique pour transférer des ressources des pauvres vers les riches. Jamais la dissolution d’un État n’a été aussi urgente et nécessaire.

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Résultat des élections britanniques du 12 décembre 2019

Résultats en Ecosse :