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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-03

Les cinq piliers malhonnêtes du déni du changement climatique

Par Mark Maslin, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 16 janvier 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Les cinq piliers malhonnêtes du déni du changement climatique

le 9 décembre 2019 Par Mark Maslin

Mark Maslin est professeur de science du système terrestre, University College, Londres

A la croisée des chemins où nous nous trouvons, il est important de pouvoir cerner les différents scénarios utilisés pour nous dire de retarder toute action, écrit Mark Maslin.

Ne laissez pas les négationnistes verts vous noyer. (Component/Shutterstock)

L’industrie des combustibles fossiles, les lobbyistes politiques, les magnats des médias et les particuliers ont passé les 30 dernières années à semer le doute quant à la réalité du changement climatique - là où il n’y en a pas. Selon les dernières estimations, les cinq plus grandes compagnies pétrolières et gazières publiques du monde dépensent environ 200 millions de dollars par an en lobbying pour contrôler, retarder ou bloquer une politique climatique contraignante.

Leur emprise sur le public semble sur le déclin. Selon deux sondages récents, plus de 75 % des Américains pensent que ce sont les humains qui sont à l’origine du changement climatique. Les grèves climatiques scolaires, les manifestations de Extinction Rebellion, les gouvernements nationaux déclarant une urgence climatique, l’amélioration de la couverture médiatique du changement climatique et un nombre croissant de phénomènes météorologiques extrêmes ont tous contribué à cette évolution. Il semble également y avoir un regain d’optimisme quant à notre capacité de faire face à la crise.

Mais cela signifie aussi que le lobbying a changé, employant maintenant des approches plus subtiles et plus pernicieuses - ce que l’on a appelé le " sadisme climatique ". On s’en sert pour se moquer des jeunes qui participent aux manifestations sur le climat et pour ridiculiser Greta Thunberg, une jeune femme de 16 ans atteinte du syndrome d’Asperger, qui ne fait que répéter la vérité scientifique.

Montants dépensés en lobbying contre le changement climatique par les cinq plus grandes entreprises publiques de combustibles fossiles

A un tel tournant, il est important de pouvoir identifier les différents types de dénégations. La taxonomie ci-dessous vous aidera à repérer les différentes méthodes qui sont utilisées pour vous convaincre de retarder les mesures de lutte contre les changements climatiques.

N° 1. Le déni de la science

C’est le genre de déni que nous connaissons tous : celle qui consiste à dire que la science du changement climatique n’a pas encore tranché. Les négationnistes laissent entendre que le changement climatique n’est en fait qu’une partie du cycle naturel. Ou que les modèles climatiques ne sont pas fiables et sont trop sensibles au dioxyde de carbone.

Certains suggèrent même que le CO₂ est une partie si infime de l’atmosphère qu’il ne peut pas avoir un effet de réchauffement important. Ou que les climatologues truquent les données pour montrer que le climat est en train de changer (une conspiration mondiale qui nécessiterait des milliers de scientifiques dans plus de 100 pays pour être menée à bien).

Tous ces arguments sont faux et il existe un consensus clair parmi les scientifiques quant aux causes du changement climatique. Les modèles climatiques qui prévoient l’augmentation de la température mondiale sont restés très constantes au cours des 30 dernières années en dépit de leur immense complexité, ce qui démontre qu’il s’agit bien là d’un résultat approfondi et solide de la science.

Reconstitution par modélisation de la température mondiale depuis 1970. Moyenne des modèles en noir avec la gamme des modèles en gris comparée aux enregistrements de température d’observation de la NASA, de la NOAA, du HadCRUT, de Cowtan and Way et de Berkeley Earth. (Carbon Brief, CC BY)

L’évolution de l’opinion publique signifie que de plus en plus, le fait de saper la science aura peu ou pas d’effet. Les climato-sceptiques adoptent donc de nouvelles stratégies. L’un des principaux réfractaires de Grande-Bretagne, Nigel Lawson, ancien chancelier du Royaume-Uni, reconnaît maintenant que les humains sont à l’origine du changement climatique, bien qu’il ait fondé en 2009 la très sceptique Global Warming Policy Foundation.[Global Warming Policy Foundation est un cercle de réflexion et d’influence britannique sur le climat qui nie l’origine humaine du réchauffement climatique. NdT]

Cette fondation se dit "ouverte d’esprit quant à la science contestée du réchauffement climatique, [mais] est profondément préoccupée par les coûts et autres implications de nombreuses politiques actuellement préconisées". En d’autres termes, les changements climatiques sont maintenant une question de coût et non de science.

No. 2. Déni économique

La thèse selon laquelle le changement climatique serait trop coûteux à contrer est une forme plus subtile de climato-scepticisme. Les économistes, cependant, estiment que nous pourrions remédier aux changements climatiques dès maintenant en y consacrant 1 % du PIB mondial. Peut-être même moins si l’on tient compte des économies réalisées grâce à une amélioration de la santé humaine et à l’expansion de l’économie verte mondiale. Mais si nous ne réagissons pas maintenant, cela pourrait coûter plus de 20 pour cent du PIB mondial d’ici 2050.

Nous devrions également garder en mémoire qu’en 2018, le monde a généré 86 000 000 000 000 $ et que chaque année, ce PIB mondial augmente de 3,5 %. Ainsi, ne mettre de côté que 1 % pour faire face au changement climatique ferait peu de différence sur le total et permettrait au monde d’économiser une énorme somme d’argent.

Ce que les négationnistes du changement climatique oublient également de vous dire, c’est qu’ils protègent une industrie des combustibles fossiles qui perçoit chaque année 5,2 billions de dollars de subventions - ce qui englobe les coûts d’approvisionnement subventionnés, les allègements fiscaux et les coûts environnementaux. Cela représente 6 % du PIB mondial.

Le Fonds monétaire international estime qu’une tarification rationnelle des combustibles fossiles permettrait de réduire de 28 % les émissions mondiales de carbone, de 46 % la mortalité due à la pollution atmosphérique due aux combustibles fossiles et d’augmenter les recettes publiques de 3,8 % du PIB du pays.

No. 3. Déni humanitaire

Les détracteurs du changement climatique soutiennent également que le changement climatique est bon pour nous. Ils avancent que des étés plus longs et plus chauds dans la zone tempérée rendront l’agriculture plus productive.

Toutefois, ces gains sont souvent annulés par les étés plus secs et la fréquence accrue des vagues de chaleur dans ces mêmes régions. Par exemple, la canicule de 2010 à " Moscou " a tué 11 000 personnes, mis à mal la moisson de blé russe et fait augmenter les prix de l’alimentation à l’échelle mondiale.

Zones géographiques du monde. Les zones tropicales s’étendent du Tropique du Cancer au Nord au Tropique du Capricorne au Sud (région ombrée en rouge) et abritent 40% de la population mondiale. Maulucioni/Wikipedia,CC BY-SA)

Par ailleurs, plus de 40 % de la population mondiale vit dans les Tropiques - où, tant du point de vue de la santé que de l’augmentation de la désertification, personne ne souhaite une hausse des températures en été.

Les détracteurs du changement climatique soulignent également que les plantes ont besoin du dioxyde de carbone atmosphérique pour croître, de sorte que le fait d’en avoir plus agit comme un engrais. C’est effectivement vrai et la biosphère terrestre absorbe chaque année environ un quart de notre pollution due au dioxyde de carbone. Un autre quart de nos émissions est absorbé par les océans. Mais la perte de vastes zones de végétation naturelle en raison de la déforestation et des changements d’utilisation des terres annule complètement cet effet mineur de fertilisation.

Les climato-sceptiques vous diront qu’il y a plus de gens qui meurent du froid que de la chaleur, donc des hivers plus chauds seront une bonne chose. C’est profondément trompeur. Les personnes vulnérables meurent de froid parce qu’elles sont mal logées et qu’elles n’ont pas les moyens de chauffer leur maison. C’est la société, et non le climat, qui les tue.

De plus, factuellement, ce raisonnement est également incorrect. Aux États-Unis, par exemple, les décès provoqués par la chaleur sont quatre fois plus nombreux que ceux provoqués par le froid. Il s’agit peut-être même d’une sous-estimation, car de nombreux décès liés à la chaleur sont enregistrés en fonction de la cause du décès, comme par exemple insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral ou insuffisance respiratoire, qui sont des affections exacerbées par la chaleur excessive.

Nombre de décès dus aux intempéries aux États-Unis en 2018 parallèlement à la moyenne sur 10 et 30 ans. (National Weather Service, CC BY)

No. 4. Déni politique

Les détracteurs du changement climatique soutiennent que nous ne pouvons pas agir parce que d’autres pays n’agissent pas. Mais tous les pays ne sont pas égaux en ce qui concerne la responsabilité dans le changement climatique. Par exemple, 25 % du CO₂ produit par l’homme dans l’atmosphère est généré par les États-Unis, et 22 % par l’UE. L’Afrique en produit un peu moins de 5 %.

Si on prend en compte l’héritage historique de la pollution par les gaz à effet de serre, alors il incombe aux pays développés de montrer la voie en matière de réduction des émissions, c’est une responsabilité éthique. Mais en définitive, tous les pays doivent agir car si nous voulons minimiser les effets du changement climatique, le monde doit atteindre le niveau zéro carbone d’ici 2050.

Les détracteurs vous diront aussi qu’il y a des problèmes à régler plus près de chez soi sans se préoccuper des problèmes mondiaux. Mais bon nombre des solutions au changement climatique sont un pari gagnant-gagnant et amélioreront la vie des gens ordinaires. Le passage aux énergies renouvelables et aux véhicules électriques, par exemple, réduit la pollution de l’air, ce qui améliore la santé générale des gens.

Le développement d’une économie verte génère des avantages économiques et crée des emplois. L’amélioration de l’environnement et le reboisement offrent une protection contre les phénomènes météorologiques extrêmes et peuvent à leur tour améliorer la sécurité alimentaire et hydrique.

Émissions annuelles de dioxyde de carbone par habitant et émissions cumulées des pays. Données du Global Carbon Project. (Nature. Données du Global Carbon Project)

No. 5. Déni de la crise

Le dernier volet du déni du changement climatique est l’argument selon lequel nous ne devrions pas nous précipiter pour changer les choses, surtout compte tenu de l’incertitude soulevée par les quatre autres volets de déni ci-dessus.

Les négationnistes soutiennent que le changement climatique n’est pas aussi grave que les scientifiques le prétendent. Nous serons beaucoup plus riches à l’avenir et plus aptes à remédier au changement climatique. Ils jouent aussi sur nos émotions, car beaucoup d’entre nous n’aiment pas le changement et peuvent avoir l’impression de vivre dans le meilleur des temps - en particulier si nous sommes plus riches ou au pouvoir.

Mais ce sont des arguments de ce type, tout aussi creux, qui ont été utilisés dans le passé pour retarder la fin de l’esclavage, l’octroi du droit de vote aux femmes, la fin du régime colonial, la fin de la ségrégation, la dépénalisation de l’homosexualité, le renforcement des droits des travailleurs et des réglementations environnementales, l’autorisation du mariage entre personnes du même sexe et l’interdiction de fumer.

La question fondamentale qui se pose est la suivante : pourquoi permettons-nous aux personnes qui ont le plus de privilèges et de pouvoir de nous convaincre de retarder la protection de notre planète contre le changement climatique ?

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