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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-27

Ne pas porter de masque pour se protéger contre le coronavirus est une "erreur grossière", selon un scientifique chinois de renom

Par Jon Cohen, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 20 avril 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Ne pas porter de masque pour se protéger contre le coronavirus est une "erreur grossière", selon un scientifique chinois de renom

Par Jon Cohen, le 27 mars 2020

À Wuhan, en Chine, les personnes atteintes de la forme légère du COVID-19 ont été conduites dans de grands hôpitaux et n’ont pas été autorisées à voir leur famille. "Les personnes contaminées doivent être à l’isolement. Cela devrait être le cas partout", dit George Gao. STR/AFP VIA GETTY IMAGES

Les scientifiques chinois à la pointe du combat contre l’épidémie de coronavirus 2019 (COVID-19) de ce pays n’ont pas été particulièrement disponibles pour les médias étrangers. Nombre d’entre eux ont été submergés par leurs efforts pour tenter de comprendre leur épidémie et la combattre, et donc répondre aux demandes des médias, en particulier des journalistes étrangers, n’a pas été une priorité absolue.

Science [Science est un hebdomadaire scientifique généraliste américain ; NdT] a tenté d’interviewer George Gao, directeur général du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies (CDC), pendant deux mois. La semaine dernière, ce dernier a répondu.

Gao supervise 2000 employés, cela représente un cinquième de l’effectif des centres américains de contrôle et de prévention des maladies, et il reste lui-même un chercheur engagé. En janvier, il a fait partie d’une équipe qui a effectué le premier recensement et séquençage du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SRAS-CoV-2), le virus qui cause le COVID-19.

Il est le co-auteur de deux articles à grand tirage publiés dans le New England Journal of Medicine (NEJM) [the New England Journal of Medicine est une revue médicale américaine ; NdT] qui ont fourni certaines des premières données épidémiologiques et cliniques détaillées sur la maladie, et a publié trois autres articles sur le COVID-19 dans The Lancet.

Son équipe a également fourni des données importantes à une commission conjointe entre des chercheurs chinois et une équipe de scientifiques internationaux, organisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), celle-ci, après avoir parcouru le pays pour comprendre la réponse à l’épidémie, a rédigé un rapport décisif .

D’abord vétérinaire de formation, Gao a ensuite obtenu un doctorat en biochimie à l’université d’Oxford, où il a fait des études postdoctorales, ainsi qu’à l’université de Harvard, avec une spécialisation en immunologie et en virologie. Ses recherches portent sur les virus qui ont des membranes lipidiques fragiles appelées enveloppes - un groupe qui comprend le SRAS-CoV-2 - et sur la façon dont ils pénètrent dans les cellules et se transmettent entre les espèces. Gao a répondu aux questions de Science pendant plusieurs jours par SMS, messages vocaux et conversations téléphoniques. Cet entretien a été édité par souci de synthèse et de clarté.

Q : Quelles leçons les autres pays peuvent-ils tirer de la façon dont la Chine a abordé le COVID-19 ?

R : La distanciation sociale est la stratégie essentielle pour le contrôle de toute maladie infectieuse, surtout s’il s’agit d’une infection respiratoire. Nous avons d’abord utilisé des "stratégies non pharmaceutiques", parce qu’on n’a pas d’inhibiteurs ou de médicaments spécifiques et qu’on ne possède pas de vaccins. Deuxièmement, il faut s’assurer que tous les cas sont placés en isolement. Troisièmement, les contacts étroits doivent être mis en quarantaine : Nous passons beaucoup de temps à essayer de trouver tous ces contacts étroits, et à nous assurer qu’ils sont mis en quarantaine et isolés. Quatrièmement, il faut suspendre les rassemblements publics. Cinquièmement, restreindre les mouvements, c’est pourquoi vous avez un confinement, le cordon sanitaire en français (en français dans le texte).

Q : Le confinement en Chine a commencé à Wuhan le 23 janvier et a été étendu aux villes voisines de la province de Hubei. D’autres provinces chinoises ont connu des fermetures moins restrictives. Comment tout cela a-t-il été coordonné, et quelle était l’importance des "superviseurs" qui surveillaient les efforts dans les quartiers ?

R : Il faut faire preuve de compréhension et d’esprit de consensus. Pour cela, vous avez besoin d’un leadership très fort, tant au niveau local qu’au niveau national. Vous avez besoin d’un superviseur et d’un coordinateur qui travaillent en étroite collaboration avec le public. Les superviseurs doivent savoir qui sont les contacts étroits, qui sont les cas suspects. Les superviseurs dans la communauté doivent être très vigilants. Ils sont essentiels.

Q : Quelles sont les erreurs commises par les autres pays ?

R : La grande erreur aux États-Unis et en Europe, à mon avis, est que les gens ne portent pas de masque. Ce virus se transmet par des gouttelettes et par contact étroit. Les gouttelettes jouent un rôle très important : vous devez porter un masque, car lorsque vous parlez, il y a toujours des gouttelettes qui sortent de votre bouche. De nombreuses personnes souffrent d’infections asymptomatiques ou présymptomatiques. Si elles portent un masque, cela peut empêcher les gouttelettes porteuses du virus de s’échapper et d’infecter d’autres personnes.

Q : Qu’en est-il des autres mesures de lutte ? La Chine a fait un usage intensif des thermomètres à l’entrée des magasins, des bâtiments et des entrées et sorties de transport public, par exemple.

R : Oui. Partout où vous entrez en Chine, il y a des thermomètres. Vous devez essayer de prendre la température des gens aussi souvent que possible pour vous assurer que ceux qui ont une forte fièvre partent en isolement.

Et une très importante question en suspens est de savoir dans quelle mesure ce virus est stable dans l’environnement. Comme il s’agit d’un virus avec enveloppe, les gens pensent qu’il est fragile et particulièrement sensible à la température ou à l’humidité de surface. Mais d’après les résultats des études américaines et chinoises, il semble qu’il soit très résistant à la destruction sur certaines surfaces. Il pourrait survivre dans de nombreux environnements. Nous devons avoir des réponses scientifiques à ce sujet.

George Gao, directeur du Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies STEPHANE AUDRAS/REA/REDUX

Q : Les personnes testées positives à Wuhan mais qui n’avaient qu’une affection bénigne ont été envoyées en isolement dans de grandes installations et n’ont pas été autorisées à recevoir la visite de leur famille. D’autres pays devraient-ils envisager une mesure analogue ?

R : Les personnes infectées doivent être isolées. Cela devrait se faire partout. Vous ne pouvez contrôler le COVID-19 que si vous pouvez éliminer la source de l’infection. C’est pourquoi nous avons construit des hôpitaux modulaires et transformé des stades en hôpitaux.

Q : Il y a beaucoup de questions quant à l’origine de l’épidémie en Chine. Des chercheurs chinois ont rapporté que le premier cas remonte au 1er décembre 2019. Que pensez-vous du rapport publié dans le South China Morning Post qui indique que les données du gouvernement chinois montrent qu’il y a eu des cas en novembre 2019, le premier cas ayant eu lieu le 17 novembre ?

R : Il n’y a pas de preuves suffisantes pour dire que nous avons déjà eu des clusters de cas en novembre. Nous essayons de mieux en comprendre l’origine.

Q : Les autorités sanitaires de Wuhan ont établi un lien entre un grand nombre de cas au marché de fruits de mer de Huanan et l’ont fermé le 1er janvier. L’hypothèse retenue a été qu’un virus s’était propagé à l’homme à partir d’un animal vendu et peut-être abattu sur le marché.

Mais dans votre article dans le NEJM [New England Journal of Medicine ; NdT] qui comportait un examen rétrospectif des cas, vous avez signalé que quatre des cinq premières personnes infectées n’avaient aucun lien avec le marché de fruits de mer. Pensez-vous que le marché de fruits de mer a été un lieu d’origine probable, ou est-ce une diversion - un facteur d’amplification mais pas la source première ?

R : C’est une très bonne question. Vous travaillez comme un détective. Dès le début, tout le monde pensait que l’origine était le marché. Maintenant, je pense que le marché pourrait être le lieu initial, ou bien un lieu où le virus a été amplifié. C’est donc une question scientifique. Les deux possibilités existent.

Q : La Chine a également été critiquée pour ne pas avoir partagé la séquence virale immédiatement. L’histoire d’un nouveau coronavirus a été publiée dans le Wall Street Journal le 8 janvier ; elle ne venait pas de scientifiques du gouvernement chinois. Pourquoi ?

R : C’était une très bonne supposition du Wall Street Journal. L’OMS a été informée de la séquence, et je pense que le délai entre la parution de l’article et le partage officiel de la séquence a peut-être été de quelques heures. Je ne pense pas que ce soit plus d’un jour.

Q : Mais une base de données publique de séquences virales a montré par la suite que la première divulgation a été soumise par des chercheurs chinois le 5 janvier. Il y a donc eu au moins 3 jours pendant lesquels vous deviez savoir qu’il y avait un nouveau coronavirus. Cela ne va pas changer le cours de l’épidémie maintenant, mais pour être honnête, il s’est passé quelque chose à propos de la déclaration publique de la séquence.

R : Je ne pense pas. Nous avons rapidement partagé l’information avec nos collègues scientifiques, mais cela concernait la santé publique et nous avons dû attendre que les décideurs politiques en fassent une annonce publique. Vous ne voulez pas que le public panique, n’est-ce pas ? Et personne, dans aucun pays, n’aurait pu prédire que le virus allait provoquer une pandémie. C’est la première pandémie non grippale de tous les temps.

« Les personnes infectées doivent être isolées. Cela devrait se faire partout. » George Gao, Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies

Q : Ce n’est que le 20 janvier que les scientifiques chinois ont officiellement déclaré qu’il y avait des preuves évidentes de transmission entre les personnes. Pourquoi pensez-vous que les épidémiologistes en Chine ont eu tant de mal à voir que cela se produisait ?

R : Les données épidémiologiques détaillées n’étaient pas encore disponibles. Et nous étions confrontés à un virus complètement fou et agissant dès le début sous couvert. Il en va de même en Italie, ailleurs en Europe et aux Etats-Unis : Dès le début, tout le monde, les scientifiques pensaient : " Bof, ce n’est qu’un virus."

Q : La propagation en Chine s’est considérablement amoindire et les nouveaux cas confirmés concernent principalement des personnes qui entrent dans le pays, n’est-ce pas ?

R : Oui. Pour l’instant, nous n’avons pas de transmission locale, mais le problème pour la Chine concerne maintenant les cas importés. De nombreux voyageurs contaminés entrent en Chine.

Q : Mais que se passera-t-il lorsque la Chine reviendra à la normale ? Pensez-vous que suffisamment de personnes ont été atteintes pour que l’immunité de groupe permette de tenir le virus à distance ?

R : Nous n’avons certainement pas encore d’immunité collective. Mais nous attendons des résultats plus définitifs concernant les tests d’anticorps qui peuvent nous dire combien de personnes ont réellement été atteintes par le virus.

Q : Quelle est donc la stratégie actuelle ? Gagner du temps pour trouver des médicaments efficaces ?

R : Oui — nos scientifiques travaillent à la fois sur des vaccins et des médicaments.

Q : De nombreux scientifiques considèrent le remdesivir comme le médicament le plus prometteur actuellement à l’essai. Quand pensez-vous obtenir des données concernant les essais cliniques du médicament réalisés en Chine ?

R : En avril.

Q : Les scientifiques chinois ont-ils développé des modèles animaux qui, selon vous, sont suffisamment fiables pour étudier la pathogenèse et tester des médicaments et des vaccins ?

R : Pour l’instant, nous utilisons à la fois des singes et des souris transgéniques qui possèdent l’ACE2, le récepteur humain du virus. L’expérimentation sur la souris est largement utilisé en Chine pour l’évaluation des médicaments et des vaccins, et je pense qu’au moins quelques articles vont bientôt paraître sur l’expérimentation sur les singes. Je peux vous dire que notre version pour le singe fonctionne.

Q : Que pensez-vous du fait que le président Donald Trump ait qualifié le nouveau coronavirus de "virus chinois" ou de "virus des Chinois" ?

R : Il n’est certainement pas bon de l’appeler "virus chinois". Le virus appartient à la Terre. Le virus est notre ennemi commun - et non celui d’une personne ou d’un pays.

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