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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-28

Catastrophe annoncée, les États-Unis trahissent les soignants

Par Dr Eric J. Topol, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 24 avril 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Catastrophe annoncée, les États-Unis trahissent les soignants

par Dr Eric J. Topol https://www.medscape.com/viewarticle/927811#vp_1

Eric J. Topol, MD, rédacteur en chef de Medscape, est l’un des dix chercheurs les plus cités en médecine. Il écrit fréquemment des articles sur la technologie dans les soins de santé, notamment dans son dernier livre, Deep Medicine : How Artificial Intelligence Can Make Healthcare Human Again [ non traduit : Deep Medicine : Comment l’intelligence artificielle peut rendre les soins de santé à nouveau humains ; NdT].Vous trouverez les dernières informations sur le COVID-19 ainsi qu’un guide sur le site de Medscape’s

Les débuts de l’année 2020 ont été marqués par la désespérance des personnels de santé américains dans leur ensemble, et particulièrement les médecins, infirmier.es qui sont dans un état d’épuisement profond, de burn-out, rencontrant les taux de dépression et suicides les plus graves qu’on n’ait jamais connus. Cette épidémie de burn-out n’est d’ailleurs pas réservée aux Etats-Unis, elle est mondiale et reconnue comme telle. Or les choses devaient devenir bien pire pour le personnel de santé.

En décembre 2019 a éclaté à Wuhan, en Chine une épidémie de pneumonie entraînant de nombreux morts. Le 5 janvier 2020, l’agent pathogène a été séquencé et identifié comme appartenant à l’espèce coronavirus, par la suite il sera nommé SRAS-CoV-2. Aux Etats-Unis, le premier patient atteint de COVID-19, maladie causée par le SRAS-CoV-2, a été diagnostiqué à Seattle le 21 janvier, soit mons de 24 heures après le premier patient diagnostiqué en Corée du Sud, pays clé quand on veut établir une comparaison.

Première phase : Diffusion "silencieuse" aux États-Unis

A la différence de la Corée du Sud, qui a rapidement mis en place une campagne de tests pour déceler le COVID-19 en utilisant la technique utilisée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les États-Unis ont rejeté ce test, choisissant de développer leur propre test par l’intermédiaire des Centers for Disease Control and Prevention (CDC). Mais le test des CDC s’est finalement avéré défaillant et ce n’est là qu’une des nombreuses maladresses du gouvernement. En l’absence de test adéquat, il s’est écoulé près de 50 jours entre les premiers patients de chacun de ces deux pays avant que les États-Unis ne commencent à généraliser cette pratique de campagne de tests.Pourquoi cela s’est-il révélé si important ?

Aux Etats-Unis, au cours de cette très longue période, un nombre incalculable de patients présentant une pneumonie et des symptômes d’affections respiratoires se sont rendus aux urgences ou chez le médecin. Dans l’impossibilité d’être diagnostiqués comme atteints de COVID-19 ou même que cela puisse être suspecté, ces patients ont involontairement transmis leur infection aux soignants. De plus, pendant cette première phase de propagation, et - bien que cela ne soit pas encore reconnu, on aurait probablement pu compter un taux élevé de porteurs asymptomatiques du virus (environ 30 %), ce qui a encore accentué les risques d’infection des médecins et des professionnels de santé.

À titre de comparaison, au cours du mois de février, la Corée du Sud a effectué plus de 75 000 tests (contre seulement 352 aux États-Unis) et elle adopté toutes les bonnes pratiques recommandées par l’OMS, tels que le dépistage massif, la recherche de tous les contacts des personnes contaminées afin de les tester, la mise en quarantaine de tous les cas avérés et les mesures de distanciation sociale.

Les États-Unis n’ont absolument rien fait de tout cela. Tout à l’opposé, les officiels n’ont cessé de faire les mauvais choix, ce qui a gravement mis en péril la santé publique, tout comme les soignants chargés de prendre soin du public.

La Corée du Sud quant à elle a devancé l’épidémie et est devenue le modèle à suivre pour le monde concernant sa gestion de l’épidémie. Mais la Corée du Sud n’est pas la seule à avoir eu la bonne réaction. Comme l’a résumé Atul Gawande, Singapour et Hong Kong ont également adopté toutes les recommandations de l’OMS, y compris en assurant la protection des soignants. Dans les deux cas cités ici, les professionnels de santé devaient porter des masques chirurgicaux pour toute interaction avec les patients. Cette pratique s’avère précisément être le facteur annonciateur de la seconde cause d’échec aux États-Unis.

Deuxième phase : La guerre à mains nues

Alors même que le premier cluster soit apparu à Seattle, c’est le nombre incontrôlé de patients diagnostiqués à New York début mars qui a permis de se rendre compte de la faiblesse du pays en ce qui concerne les équipements de protection individuelle (EPI), les lits en unités de soins intensifs et les respirateurs artificiels.

Le manque criant et inexplicable de masques est bien décrit par Farhad Manjoo dans "How the World’s Richest Country Ran Out of a 75-Cent Face Mask " (comment le pays le plus riche du monde s’est retrouvé sans masques à 75¢). Megan Ranney, MD, MPH, et ses collègues décrivent de la même façon les profonds déficits en matière d’EPI et de respirateurs dans une tribune publiée par le New England Journal of Medicine.

Voici l’ensemble d’éléments qui conjugués, ont créé une situation par laquelle les personnels de santé n’ont pas de masques - ou les réutilisent pendant des jours - et manquent d’autres équipements de protection. Et il s’agit ici de masques ordinaires à 75 cents, et non des masques de type FFP2 qui sont plus efficaces pour faire écran aux gouttelettes de type aérosol.

Mais ce partage obligatoire de matériel ne concerne pas seulement les médecins et les infirmièr.es ; il concerne également les patients qui, dans certaines unités de soins intensifs, doivent partager un respirateur. Pour donner un ordre de grandeur, il nous faudrait plusieurs centaines de milliers voire un million de respirateurs, mais nous en avons moins de 160 000 dans tout le pays.

Que les États-Unis n’aient absolument pas été prêts à faire face à une pandémie et qu’ils souffrent d’une pénurie inimaginable de matériel indispensable est déjà assez grave. Mais la situation empire encore. De façon générale, les médecins et les infirmièr.es sont réduits au silence et censurés par les cadres administratifs pour avoir exprimé leurs inquiétudes, et sont pénalisé.es, voire licencié.es, lorsqu’ils/elles prennent la parole.

Pendant ce temps, durant cette deuxième phase, le manque inadmissible de tests COVID-19 s’est poursuivi. Et il faut ajouter que le dépistage systématique des soignants n’a toujours pas commencé, alors même qu’il est désespérément nécessaire.

Troisième phase : De nombreux professionnels de santé sont contaminés et décèdent

Si on en revient à Wuhan, Li Wenliang, ophtalmologue de 33 ans, a été l’un des médecins, sinon le premier, à alerter tout le monde en Chine quant à l’épidémie. Il est décédé le 7 février 2020. Mais il n’a certainement pas été le plus jeune médecin à mourir en Chine. Xia Sisi, un gastro-entérologue de 29 ans, est également décédé après une hospitalisation de 35 jours.

Pourtant, le 11 mars dernier, depuis le Bureau ovale, le président Trump déclarait : "Les jeunes et les personnes en bonne santé peuvent s’attendre à se rétablir complètement et rapidement".

Fin mars, plus de 54 médecins étaient déjà décédés en Italie, et dans la région de Lombardie, au nord de l’Italie, l’une des régions les plus touchées au monde, 20 % des soignants étaient touchés par un COVID-19 avéré. Aujourd’hui, aux États-Unis, alors qu’un grand nombre de professionnels de santé sont diagnostiqués positifs à Boston, à New York et dans d’autres zones rouges, de jeunes médecins rédigent leur testament et organisent leurs funérailles provisoires.

Le COVID-19 n’était pas supposé tuer les jeunes gens, mais de jeunes infirmièr.es, des médecins meurent aux États-Unis. Il existe de nombreuses théories pour essayer d’expliquer ce phénomène, la plus judicieuse étant peut-être celle de la charge virale - la quantité d’inoculum de virus du COVID-19.

Dans la mesure où les soignant.es sont au contact des patients les plus atteints - souvent sans avoir accès à l’équipement de protection approprié – une charge virale élevée peut empêcher de développer une réponse immunitaire suffisante pour lutter contrer l’infection, y compris même pour les jeunes clinicien.nes.

Le fait que médecins et cliniciens succombent au virus est bien plus qu’une tragédie, car nombre de ces personnes engagées meurent en pure perte, tout simplement à cause de fiascos dus à l’absence de tests et d’équipements de protection individuelle.

Mais le bilan concernant la perte temporaire de cliniciens à cause de la contamination et de la maladie est bien plus lourd encore. C’est là l’autre courbe de croissance exponentielle peu prise en compte : comme chaque médecin, infirmier.e, kinésithérapeute respiratoire, chaque soignant.e s’occupe de dizaines ou de centaines de patients à tout moment, la perte d’une seule de ces personnes a un effet d’entraînement dramatique quant à la pénurie de professionnel.les formé.es pour soigner les patients atteints, sans parler des patients ordinaires, ceux qui ne sont pas atteints par le COVID-19. Aucun de ces diplômes de médecine délivrés de manière accélérée (comme il a été annoncé ) ne pourra venir compenser ces pertes, lourdes non seulement par leur nombre, mais aussi par leur niveau d’expérience.

La gestion de la pandémie de COVID-19 aux États-Unis sera reconnue comme la pire catastrophe de santé publique de l’histoire du pays. Les pertes en vies humaines feront apparaître le 11 septembre et tant d’autres catastrophes comme bien moindres sur l’échelle du désastre. Et ce dont nous nous souviendrons peut-être le plus, dans la communauté médicale, c’est de la façon dont notre pays nous a trahis au moment où nos efforts étaient le plus nécessaires.

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