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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-56

Dans les soulèvements actuels, résonne l’écho des manifestations anti-racisme à East St-Louis en 1917

Par Keisha N. Blain, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 7 août 2020, par JMT

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Dans les soulèvements actuels, résonne l’écho des manifestations anti-racisme à East St-Louis en 1917

10 juin 2020, 10h09 Par Keisha N. Blain

Six blocs de Walnut Street réduits en cendres par les incendies déclenchés lors des émeutes raciales à East St. Louis, Ill. Photo : Archives Bettmann/Getty Images

John Sullivan n’avait que 10 ans lorsqu’il a été tué dans un acte de violence raciste durant l’été 1917. Sa mère, Mittie Maude Lena Gordon – une Afro-Américaine de Louisiane – venait tout juste de s’installer à East St. Louis, Illinois, dans l’espoir de trouver de meilleures chances d’emploi.

Ce que Gordon a appris cet été-là, c’est que même si elle pouvait échapper aux lois Jim Crow [Série d’arrêtés et de règlements promulgués dans les Etats du sud, constituant un élément majeur de la segrégation raciale, NdT], elle ne pourrait jamais échapper à la suprématie blanche. Bien que les détails précis ne soient pas clairs, une foule blanche avait tabassé John à East St Louis. Il a succombé à ses blessures quelques mois après l’attaque.

Cet incident n’est qu’une parmi des centaines d’histoires tragiques qui émergent de "l’émeute raciale" de 1917 à East St. Les évènements qui se sont déroulés cet été-là sont moins connus que d’autres évènements historiques, comme l’Été rouge de 1919 et les rébellions de 1968 qui ont suivi l’assassinat de Martin Luther King Jr.

Cependant, ils représentent un moment important qui offre des similitudes frappantes avec les développements contemporains. La "Race Riot" d’East St. Louis, tout comme le montre l’actualité, offre un exemple poignant de la manière dont le gouvernement fédéral a échoué à protéger les citoyens noirs. C’est aussi un exemple de la façon dont les forces de l’ordre locales et les agences de l’État se sont souvent tenues aux côtés des justiciers blancs alors que leur violence se déchaînait contre les Noirs.

À East St. Louis, comme dans d’autres villes du pays, les Blancs n’ont pas apprécié tous les efforts déployés par les Afro-Américains pour améliorer leurs conditions sociales et économiques au cours du XXe siècle. Lorsque cela s’est produit, les résidents blancs ont déclenché des violences en réponse aux migrants noirs qui arrivaient en masse dans la ville, principalement en provenance du Sud.

Pendant la Première Guerre mondiale, le marché du travail s’est considérablement développé pour répondre aux besoins de la production militaire. Avec une demande croissante de travailleurs industriels dans le Nord, les Noirs du Sud ont afflué dans des endroits comme East St. Louis. En réponse, les propriétaires d’entreprises blanches se sont efforcé d’empêcher les nouveaux migrants d’acquérir tout pouvoir, qu’il soit économique ou politique.

Même si les travailleurs noirs occupaient les emplois les plus subalternes et recevaient des salaires inférieurs à ceux de leurs pairs, les Blancs de East St-Louis les considéraient toujours comme une menace. Et ils étaient déterminés à maintenir les Noirs "à leur place" par des actes de violence et d’intimidation. En mai 1917, un groupe d’ouvriers blancs déposa une plainte officielle contre les migrants noirs de la ville, accusant les Afro-Américains d’avoir pris "leur" emploi dans les usines locales.

En quelques semaines, les résidents blancs ont commencé à déchaîner leur violence à l’encontre de Noirs sans méfiance. Selon un témoin, "pendant une heure et demie, hier soir, j’ai assisté au massacre de Nègres sans défense à Broadway et sur la Fourth Street, dans le centre-ville de East St Louis, où avoir la peau noire signait un arrêt de mort."

Pendant trois jours en juillet, les foules ont affronté avec colère les résidents noirs – dans certains cas, les sortant de force des tramways et s’acharnant sur eux dans la rue. Les résidents blancs ont également pillé et détruit des maisons et des commerces dans toute la ville. C’est au milieu de cette violence raciste que le fils de Gordon, John, a été sauvagement agressé. Et c’est cet acte de violence qui a mis fin à sa vie.

Malgré les actes de violence et de terreur généralisés qui ont frappé les résidents noirs d’East St. Louis cet été-là, les forces de l’ordre, les agences d’État et les fonctionnaires fédéraux ont fermé les yeux – comme ils l’ont souvent fait. Le président Woodrow Wilson, dont le bilan en matière de droits des Noirs était déjà médiocre, est resté silencieux alors que des Noirs étaient tués par des foules de Blancs dans la ville.

Les services de police de l’État ont apporté leur soutien total aux agitateurs blancs, brouillant les lignes entre les lynchages et les policiers. Et les forces de police ont attaqué les résidents noirs tout en s’efforçant d’empêcher les journalistes de rendre compte de ces terribles événements.

En réponse, les résidents noirs ont dû concevoir leurs propres stratégies pour se protéger des assauts de la violence blanche. Certains résidents étaient armés et s’entendaient avec leurs voisins pour protéger leur communauté du mieux qu’ils pouvaient. Beaucoup se sont tournés vers des organisations comme la NAACP et l’Universal Negro Improvement Association pour obtenir des ressources afin de combattre la violence à leur porte et pour obtenir un soutien afin de reconstruire leur communauté au lendemain de l’émeute.

Au moment où le massacre a pris fin, on estime qu’une centaine de Noirs avaient été tués.

Des biens d’une valeur de plusieurs millions de dollars avaient été détruits et des milliers de résidents noirs avaient été contraints de fuir vers St. Louis, Missouri

Pourtant, les événements qui se sont déroulés à East St. Louis en 1917 ont alimenté les manifestations des Noirs, même face à la douleur et à la tragédie. Les militants noirs de tout le pays ont ouvertement dénoncé la violence raciste à East St. Louis et ont appelé les Noirs à s’unir dans la lutte pour leurs droits et leur liberté.

Décrivant cette émeute comme "l’une des plus sanglantes de l’humanité" et un "crime contre les lois de l’humanité", le nationaliste noir jamaïcain Marcus Garvey a appelé les Noirs américains à "élever leurs voix contre la sauvagerie d’un peuple qui prétend être le dispensateur de la démocratie". "Les Blancs profitent des Noirs", a ajouté Garvey, "car les Noirs du monde entier sont désunis".
Ses paroles ont trouvé un écho chez Gordon, qui a quitté East St. Louis pour Chicago, où elle est devenue active dans le mouvement Garvey.

Alors que les événements qui se sont déroulés à East St. Louis étaient censés écraser l’esprit de l’Amérique noire, ceux qui ont survécu à la violence raciste ont travaillé pour construire une voie vers l’avenir. Gordon, par exemple, a lancé la plus grande organisation nationaliste noire fondée par une femme aux États-Unis.

Avec le soutien d’environ 300 000 sympathisants, elle a mobilisé des militants à East St. Louis, Chicago et dans les villes voisines. Les événements douloureux de 1917 étant à jamais gravés dans son esprit, elle a appelé à l’unité des Noirs et a plaidé pour les droits politiques et la liberté des Noirs.

Dans ce tableau, John Jacob Lawrence décrit l’exode vers le nord

L’émeute de 1917 à East St. Louis souligne à quel point la violence et la terreur blanches ont façonné la vie des Noirs aux États-Unis. Plus de 100 ans plus tard, la lutte se poursuit. Comme le révèlent les récents assassinats de George Floyd, Breonna Taylor et Tony McDade par la police, la violence raciste est toujours profondément ancrée dans le tissu de la société américaine.

Mais ce que les récentes manifestations nous disent, c’est que les Noirs refusent toujours de se taire face à l’injustice. De l’été 1917 à l’été 2020, les Noirs ont trouvé des moyens de se relever des décombres et des cendres – pour continuer à se battre pour un monde meilleur.

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