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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-57

L’avenir de la niche climatique de l’humanité

Par Chi Xu, Timothy A. Kohler, Timothy M. Lenton, Jens-Christian Svenning et Marten Scheffer, traduit par Jocelyne le Boulicaut

samedi 8 août 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’avenir de la niche climatique de l’humanité

26 mai 2020 Par Chi Xu, Timothy A. Kohler, Timothy M. Lenton, Jens-Christian Svenning et Marten Scheffer

PNAS 26 mai 2020 117 (21) 11350-11355 ; publié pour la première fois le 4 mai 2020
Contribution de Marten Scheffer, 27 octobre 2019 (envoyé pour révision le 12 juin 2019 ; révisé par Victor Galaz et Luke Kemp)

Ampleur

Nous allons montrer que pendant des milliers d’années, les humains se sont concentrés dans un sous-ensemble étonnamment étroit en ce qui concerne les climats possibles sur Terre, ce qui est caractérisé par des températures annuelles moyennes autour de ∼13 °C. Cette répartition reflète probablement une niche de température humaine liée à des contraintes fondamentales.

Nous allons démontrer qu’en fonction des scénarios d’augmentation de la population et du réchauffement, au cours des 50 prochaines années, 1 à 3 milliards de personnes devraient se retrouver en dehors des conditions climatiques qui ont bien aidé l’humanité au cours des 6 000 dernières années.

En l’absence de mesures d’atténuation du climat ou de migrations, une partie importante de l’humanité sera exposée à des températures annuelles moyennes plus élevées que presque partout ailleurs aujourd’hui.

Résumé

Toutes les espèces ont une niche environnementale, et même en présence de progrès technologiques, l’homme ne fera probablement pas exception. Ici, nous allons démontrer que depuis des millénaires, les populations humaines vivent dans la même partie étroite de l’enveloppe climatique disponible sur le globe, ce qui est caractérisé par un mode majoritairement autour de ∼11 °C à 15 °C de température moyenne annuelle (TMA).

Confirmant la nature essentielle de cette niche de température, la production actuelle de cultures et de bétail est largement limitée aux mêmes conditions, et le même optimum a été trouvé pour la production économique tant agricole que non agricole des pays grâce à des analyses de variation d’une année sur l’autre.

Nous allons montrer que dans un scénario de statu quo concernant le changement climatique, la position géographique de cette niche de température devrait se déplacer davantage au cours des 50 prochaines années qu’elle ne l’a fait depuis 6000 ans avant aujourd’hui. Les populations ne se contenteront pas de suivre l’évolution du climat, car l’adaptation in situ peut permettre de relever certains des défis, et de nombreux autres facteurs influent sur les décisions de migration.

Néanmoins, en l’absence de migration, un tiers de la population mondiale devrait connaître une TMA de plus de 29 °C, ce que l’on ne trouve actuellement que sur 0,8 % de la surface émergée de la Terre, principalement concentrée dans le Sahara. Comme les régions potentiellement les plus touchées sont parmi les plus pauvres du monde, où la capacité d’adaptation est faible, renforcer le développement humain dans ces régions devrait être une priorité au même titre que la lutte contre le changement climatique.

Le réchauffement climatique affectera les écosystèmes ainsi que la santé humaine, les moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, l’approvisionnement en eau et la croissance économique de nombreuses manières (1, 2). On prévoit que les impacts augmenteront fortement avec le degré de réchauffement.

Par exemple, on estime qu’un réchauffement à 2 °C, contre 1,5 °C, augmentera, d’ici 2050, et de plusieurs centaines de millions, le nombre de personnes exposées aux risques climatiques et à la pauvreté. Il reste cependant difficile de prévoir les impacts humains de l’interaction complexe des mécanismes induits par le réchauffement (1, 3).

Une grande partie de l’impact sur le bien-être humain dépendra des réponses de la société. Il existe souvent des options d’adaptations locales qui pourraient améliorer les effets, si les ressources sont suffisantes (4). Dans le même temps, si certaines régions peuvent être confrontées à un déclin des conditions de prospérité humaine, les conditions dans d’autres endroits s’amélioreront.

Par conséquent, malgré les formidables obstacles psychologiques, sociaux et politiques à la migration, un changement dans la répartition géographique des populations humaines et de la production agricole est un autre élément probable de la réponse adaptative spontanée ou gérée que l’humanité peut envisager face à un climat en évolution (5).

Il est clair qu’il est nécessaire de comprendre les conditions climatiques nécessaires à l’épanouissement de l’homme. Malgré une histoire longue et mouvementée d’études sur le rôle du climat, et de l’environnement en général, sur la société en termes de géographie et au-delà (6), les liens de causalité sont restés difficiles à établir, et les affirmations déterministes largement réfutées, étant donnée la complexité des relations en question (7). Plutôt que de retourner dans les eaux troubles du déterminisme environnemental (8, 9), nous allons jeter ici un regard neuf sur cette question complexe et controversée.

Nous allons exploiter les vastes ensembles d’informations démographiques, d’utilisation des terres et concernant le climat qui sont devenus disponibles ces dernières années afin de nous demander quelles ont été les conditions climatiques pour la vie humaine au cours des millénaires passés, puis nous allons examiner les lieux où ces conditions devraient de nouveau se produire à l’avenir.

Résultats

Association présente et passée de l’homme avec le climat.

Nos résultats révèlent qu’aujourd’hui, tant les humains, que la production de cultures et de bétail (Fig. 1 A, D et E), sont concentrés dans une partie étonnamment étroite de l’espace climatique total disponible (Fig. 1G). Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne la température annuelle moyenne (TMA), où le mode principal se situe autour de ∼11 °C à 15 °C (Annexe SI, Fig. S1). En revanche, une grande partie de la gamme des précipitations disponibles autour de cette température (Fig. 1G et Annexe SI, Fig. S1) est utilisée, sauf pour sa partie la plus sèche.

Fig. 1. La niche climatique humaine réalisée par rapport aux combinaisons disponibles de TMA et de précipitations.Les populations humaines sont historiquement restées concentrées dans un sous-ensemble étroit (A-C) de la gamme climatique disponible (G), ce qui ne s’explique pas par la fertilité du sol (H) ou la productivité primaire potentielle (I). La production actuelle de cultures (D) et de bétail (E) est largement conforme à la répartition humaine, tandis que le produit intérieur brut atteint son maximum à des températures un peu plus basses.

Les reconstructions des populations humaines au cours des 500 années avant le temps présent sont fondées sur la base de données HYDE, tandis que celles pour 6 000 ans avant ce temps présent sont basées sur ArchaeoGlobe (https://www.pnas.org/content/117/21/11350, Harvard Dataverse, V4). NPP, productivité primaire nette. Voir annexe SI, Méthodes.

La fertilité des sols ne semble pas être un facteur majeur de la répartition humaine (Fig. 1H), et la productivité potentielle ne peut pas non plus être tenue pour un facteur dominant, car la productivité primaire nette montre une répartition géographique très différente (Fig. 1I), avec un pic dans les forêts tropicales humides, qui n’ont pas été les principaux foyers de peuplement humain.

Il est frappant de constater que les conditions apparentes de l’épanouissement humain sont restées pour l’essentiel les mêmes depuis le milieu de l’Holocène jusqu’à aujourd’hui (Fig. 1 A-C). Les reconstructions de la répartition humaine et du climat sont relativement fiables pour les siècles passés, mais l’incertitude augmente inévitablement à mesure que l’on remonte dans le temps.

Néanmoins, les deux ensembles indépendants de reconstructions disponibles que nous avons analysés suggèrent que, dès 6000 ans avant notre ère, les humains étaient concentrés dans un sous-ensemble à peu près identique concernant les conditions de température disponibles au niveau mondial (Fig. 1C et 2A), bien que les gens de l’époque aient vécu de manière très différente de ceux d’aujourd’hui, principalement dans les premières phases de l’agriculture ou en tant que chasseurs-cueilleurs.

Les contingences historiques (y compris la dépendance à l’égard des chemins) peuvent jouer un certain rôle dans l’inertie que nous observons, notamment en ce qui concerne les sites de domination économique. Cependant, ces points névralgiques économiques se produisent dans des conditions un peu plus froides que là où on trouve le centre des distributions de population (Fig. 1F vs. Fig. 1A), et donner une explication à ces modèles de domination économique exige de démêler la dynamique des cadres historiques, culturels et institutionnels (10⇓⇓⇓-14), ce qui dépasse la portée de cet article.

Fig. 2. Modification des TMA vécue par les humains. (A) Densités de population humaine présente et passée (normalisée à la somme des unités) et niche humaine modélisée (courbe bleue en pointillés, un double ajustement du modèle gaussien de la densité de population actuelle) en fonction des TMA (°C), par contraste avec la situation projetée en 2070 (courbe rouge).

Les bandes représentent les cinquième et 95e percentiles de l’ensemble des reconstructions du climat et de la population. Pour la projection future, nous prenons les populations projetées et le climat RCP8.5 et SSP3. (B) Température moyenne subie par un être humain à différentes périodes.

Les diagrammes et les points de données (points gris) sont indiqués pour l’ensemble des reconstructions du climat et de la population. Les reconstructions des populations humaines pour 6 000 ans avant aujourd’hui sont basées sur les bases de données HYDE (HY) et ArchaeoGLOBE (AG) (avec traitement supplémentaire).

Si l’on se concentre sur la répartition mondiale des densités de population et que l’on examine comment ce co-développement avec le climat s’est fait au fil du temps, il s’avère que la niche des précipitations s’est élargie au cours des siècles derniers (Fig. 1A vs. Fig. 1B), ne laissant inoccupée que la partie la plus sèche du gradient (Fig. 1A vs. Fig. 1G).

En revanche, la répartition de la population humaine par rapport aux TMA est restée largement inchangée (Fig. 2A), avec un mode principal autour de ∼11 °C à 15 °C accompagné d’un mode secondaire plus restreint autour de ∼20 °C à 25 °C correspondant largement à la région de la mousson indienne (Annexe SI, Fig. S2). Dans ce document, nous allons nous concentrer sur cette niche de température réalisée. Les résultats pour la niche combinée précipitation-température sont présentés pour comparaison dans l’annexe SI.

Discussion

La transparence de notre approche est séduisante, mais implique inévitablement une certaine perte de nuance. Par exemple, la température ne rend compte que d’une partie du climat concerné (16), et les facteurs potentiellement importants de la prospérité humaine sont liés de manière complexe au climat (13).

Il est important de noter que si notre projection du déplacement géographique de la niche de température est illustrative, elle ne peut être interprétée comme une prévision de la migration, car de nombreux facteurs autres que le climat influent sur les décisions de migrer, et une grande partie des exigences de migration peuvent potentiellement trouver une réponse par l’adaptation au climat (5, 17, 18).

Ces complexités invitent à réfléchir sur deux questions clés :

Premièrement, comment expliquer l’étroitesse de la niche de température réalisée ?

Deuxièmement, quelles sont les implications en termes de migration potentielle future en réponse au déplacement géographique de la niche de température ?

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