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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-62

Explosion à Beyrouth : la colère contre les officiels est grandissante après que les mises en garde aient été ignorées

Par Michael Safi à Amman, Andrew Roth à Moscou et Martin Chulov à Beyrouth, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 17 août 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Explosion à Beyrouth : la colère contre les officiels est grandissante après que les mises en garde aient été ignorées

Jeu 6 Août 2020 Par Michael Safi à Amman, Andrew Roth à Moscou et Martin Chulov à Beyrouth

Des images aériennes montrent l’ampleur des dégâts causés par l’explosion de Beyrouth
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La publication de documents révèle des mises en garde ignorées concernant une cache qui a tué au moins 135 personnes

La colère et le désarroi vont grandissant à Beyrouth, alors que les autorités admettent que la gigantesque explosion portuaire qui a tué au moins 135 personnes, en a blessé des milliers et en a laissé beaucoup d’autres sans abri était prévisible et avait fait l’objet d’avertissements répétés.

Alors que le feu couvait toujours dans la capitale libanaise, une trace écrite a permis de relier l’explosion à une gigantesque cache de nitrate d’ammonium qui avait été à un moment qualifiée de"bombe flottante" et qui se trouvait dans le port depuis 2014. Il y a six mois encore, les fonctionnaires qui ont inspecté la cargaison ont averti que si elle n’était pas déplacée, elle ferait "exploser tout Beyrouth".

La révélation que la négligence du gouvernement pourrait avoir joué un rôle dans la pire explosion de l’histoire de Beyrouth a alimenté une nouvelle colère envers la classe politique libanaise au sein d’une population déjà en proie à une crise financière permanente qui a plongé la moitié du pays dans la pauvreté.

Des manifestants dans le centre de Beyrouth ont attaqué le convoi de l’ancien premier ministre libanais Saad Hariri et se sont affrontés avec ses gardes du corps dans la manifestation la plus ostensible de la colère qui, suite à la catastrophe, va grandissante à l’encontre des politiciens libanais.

Sur un balcon en ruines, un mince noeud coulant était suspendu avec un panneau. On pouvait y lire "Quelles têtes seront pendues ?". "Accrochez les noeuds coulant" a également été repris par les médias sociaux libanais, ce qui témoigne de la fureur qui a suivi le choc initial et le chagrin.

Le gouvernement a déclaré mercredi soir qu’il mettait un nombre indéterminé de fonctionnaires du port de Beyrouth en résidence surveillée en attendant une enquête sur la façon dont on en est arrivé à stocker ces matériaux hautement explosifs à moins de 100 mètres d’un quartier résidentiel. Le Gouvernement a également déclaré un état d’urgence de deux semaines, donnant ainsi aux militaires les pleins pouvoirs dans la capitale.

Le bilan s’élève à plus de 135 morts selon la Croix-Rouge libanaise et de plus on compte 5 000 blessés. Les habitations de près de 300 000 personnes ont subi des dommages, certaines maisons sont inhabitables, a déclaré le gouverneur de Beyrouth, Marwan Abboud. Des dizaines de personnes sont toujours portées disparues, on craint qu’elles ne soient ensevelies sous les décombres.

Avant et après l’explosion : des images de drones montrent les ravages dûs à l’explosion de Beyrouth

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Mercredi matin, les habitants de la ville ont balayé les éclats de verre et autres débris de leurs maisons, alors que les médias sociaux et les chaînes de télévision libanaises commençaient à désigner les responsables de la tragédie.

Mon gouvernement a fait cela

Mardi soir, le premier ministre libanais avait attribué l’explosion à un stock de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, un produit chimique utilisé dans les bombes et les engrais, qui avait été entreposé dans le port. Des rapports des médias datant de 2014 font état d’un navire de nationalité russe transportant cette cargaison ayant été saisi par le port de Beyrouth cette année-là, après avoir fait un arrêt d’urgence dans la ville et s’être vu refuser la permission de repartir par les autorités douanières parce qu’il était jugé inapte à la navigation.

L’ancien capitaine du navire, le Rhosus, a affirmé, il y a six ans, dans une interview avec des journalistes russes que le propriétaire du navire, qu’on dit être Igor Grechushkin, avait abandonné navire et équipage, et que les marins étaient "gardés en otage" par les autorités douanières. "Le propriétaire a abandonné le navire. La cargaison est du nitrate d’ammonium. Il s’agit d’une substance explosive. Et nous avons été abandonnés. Depuis 10 mois, nous vivons sur un baril de poudre."

Le Guardian n’a pas été en mesure de vérifier les affirmations selon lesquelles Grechushkin était le propriétaire du navire et a tenté de le contacter afin d’avoir ses commentaires.Dans une autre lettre publiée par un journaliste en contact avec l’équipage, le navire a été décrit comme "une bombe flottante et l’équipage est un otage à bord de cette bombe".

L’équipage, en majorité ukrainien, a été détenu à bord du navire pendant près d’un an avant d’être libéré, ont déclaré leurs avocats dans une note de 2015, et le nitrate d’ammonium a été confisqué et conservé au port dans un entrepôt.

Des images montrent le moment où l’explosion de Beyrouth frappe, alors qu’une mariée pose pour ses photos
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Dans une interview accordée mercredi à Radio Free Europe, le capitaine du navire a nié qu’il y ait eu des problèmes avec le navire et a déclaré que ce dernier était retenu pour cause de droits portuaires non payés. La Fédération internationale des travailleurs du transport, qui avait exigé le paiement rétroactif des salaires et le rapatriement de l’équipage, a confirmé que le navire était retenu en partie parce qu’il devait au port 100 000 dollars de factures impayées.

Dans une interview accordée mercredi à Radio Free Europe, le capitaine du navire de l’époque, Boris Prokoshev, a déclaré qu’il avait été en contact direct avec Grechushkin, qu’il qualifie de propriétaire du navire.

Badri Daher, le directeur général des douanes libanaises, a déclaré mercredi matin à la chaîne de télévision LBCI que dans les années qui ont suivi, son agence avait envoyé six documents à la justice, avertissant que le matérieau représentait un danger. "Nous avons demandé qu’ils soient ré-exportés, mais cela n’a pas été fait", a-t-il déclaré. "Nous laissons aux experts et aux personnes concernées le soin de déterminer pourquoi".

L’agence de presse Reuters a cité une source anonyme proche d’un employé du port qui a déclaré qu’une équipe avait inspecté le nitrate d’ammonium il y a six mois et avait averti que s’il n’était pas déplacé, ça ferait "sauter tout Beyrouth". Une autre source a déclaré que plusieurs comités et juges avaient été prévenus que "rien n’avait été fait" pour éliminer les produits chimiques.

"C’est une catastrophe" : Les habitants de Beyrouth et le maire réagissent à l’explosion meurtrière
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Une femme joue au piano Auld Lang Syne [Ce n’est qu’un au revoir, NdT] au milieu des débris de l’explosion de Beyrouth
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Plusieurs séquences des moments précédant l’explosion ont également montré une épaisse fumée grise s’échappant du port, ainsi qu’une série de petites explosions qui ont dégagé des fumées rouges, puis une explosion massive impliquant plus de 1 300 fois la quantité de nitrate d’ammonium utilisée dans l’attentat d’Oklahoma City en 1995.

Reuters a cité mercredi une source anonyme affirmant que l’incendie avait débuté dans l’entrepôt numéro neuf, avant de se propager à l’entrepôt 12 où était stocké le nitrate d’ammonium. L’origine de l’incendie originel n’est pas connue du public.

Des photographies aériennes et provenant de drones ont montré le profond cratère de terre dû au souffle de l’explosion là où se trouvait l’entrepôt 12, à côté d’une rangée de silos à grains détruits et la zone presque entièrement rasée.

Le ministre libanais de l’économie, Raoul Nehme, a déclaré que les dommages causés aux silos avaient laissé le pays avec moins d’un mois de réserves de céréales, mais a affirmé qu’il n’y avait aucun risque de pénurie alimentaire. "Il n’y a pas de crise du pain ou de la farine", a-t-il déclaré. "Nous avons suffisamment de stocks et de bateaux en route pour couvrir les besoins du Liban sur le long terme".

Abboud a déclaré que les dégâts causés par l’explosion s’étendaient sur la moitié de Beyrouth, le coût des dommages étant probablement supérieur à 3 milliards de dollars.

Mercredi soir, le ministère britannique des affaires étrangères a annoncé un plan d’aide britannique pour le Liban, comprenant jusqu’à 5 millions de livres sterling de financement humanitaire d’urgence, ainsi que le déploiement d’experts en recherche et sauvetage, une aide médicale appropriée, une assistance stratégique en matière de transport aérien et un soutien en matière d’ingénierie et de communications.

Beyrouth Est n’est plus habitable

Une grande partie de Beyrouth Est n’est plus habitable, ce qui est facilement reconnu par les quelques résidents et commerçants qui fouillent dans leurs affaires en ruine.

"Je ne sais pas comment nous allons nous en sortir", a déclaré Issam Nassir, le gérant d’un magasin de pneus qui se trouvait de façon incongrue au milieu de ce qui était une agence de voyage, une pizzeria et un bar haut de gamme - tous détruits. "Pensez-vous vraiment qu’Hiroshima a pu être pire que cela ?"

Le bruit de murailles de verre dégringolant des balcons et jonchant les routes est devenu la bande son du jour. Des secouristes fatigués parcourent les rues, certains tenant des marteaux de forgeron, d’autres transportant de l’eau. Un parking dans le quartier de Gemmayze avait été transformé en centre de triage. Des brancards de plastique orange, couverts de sang, étaient alignés d’un bout à l’autre.

Explosion à Beyrouth : un prêtre esquive les débris qui tombent alors que l’onde de choc frappe l’église pendant la messe

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Après être devenue synonyme de destruction et de chaos dans les années 1980, Beyrouth a rebondi après 15 ans de guerre civile pour retrouver sa réputation de terrain de jeu des riches et de théâtre des intrigues politiques au Moyen-Orient.

Des impacts de balles ont encore frappé de nombreux bâtiments, la fourniture d’électricité est restée sporadique et les fractures de la guerre civile ne se sont pas comblées, mais le Liban a défié ses prophètes de malheur de trois décennies, attirant des investissements de toute la région et des millions de dollars en transferts de fonds de sa diaspora qui ont colmaté les fissures de ses institutions et de ses infrastructures.

Cette course semble s’être terminée en 2020, avec des comptes nationaux qui se sont révélés bourrés de prêts que le Liban ne peut pas rembourser, et l’inertie et la négligence bureaucratique qui ronge la vie de nombreux Libanais accusés d’avoir contribué à l’une des pires catastrophes de l’histoire moderne du pays.

"Ce qui s’est passé hier est le résultat de l’incompétence des personnes dites responsables", a écrit Stéphane Bazan, un consultant libanais, dans un message largement diffusé sur Facebook mercredi.

"Combien de catastrophes nous attendent encore ? Nous n’avons plus d’électricité, l’eau est contaminée, la nourriture est douteuse, les armes sont partout. Ils ont volé notre argent, l’avenir de nos enfants".

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