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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-64

Nos vacances d’été se paieront par des confinements d’hiver

Par Devi Sridhar, traduit par Jocelyne le Boulicaut

lundi 24 août 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Nos vacances d’été se paieront par des confinements d’hiver

C’était "LA" chance de l’Europe de battre le coronavirus avant l’hiver, nous sommes en train de la gâcher.

14 août 2020 Par Devi Sridhar

Devi Sridhar (@devisridhar) est professeur et titulaire de la chaire de santé publique mondiale à l’université d’Édimbourg.

Gens assis à des tables devant un bar de la South Bank, dans le centre de Londres, la semaine dernière. Dominic Lipinski/Press Association Images, via Getty Images

EDINBURGH, Écosse - Ce printemps, lorsque l’Europe de l’Ouest est devenue l’épicentre de la pandémie de coronavirus, les pays ont imposé un confinement strict : En France, chacun devait être muni d’une autorisation pour aller faire ses courses ; en Espagne, les enfants devaient rester à l’intérieur toute la journée ; en Écosse et au Pays de Galles, les gens ne pouvaient sortir se promener qu’une fois par jour et devaient rester dans un rayon de cinq miles.

Grâce à cela, les pays européens ont pu non seulement maintenir une courbe plate pour la Covid-19, mais aussi maintenir les niveaux d’infection à un niveau très bas. Mais au fil des semaines, la pression pour la réouverture de la société s’est accrue. Les gens voulaient retrouver leur vie d’avant la pandémie. Ils voulaient des économies dynamiques pour protéger leurs emplois ; ils voulaient que leurs enfants soient scolarisés ; ils voulaient des soirées au pub et rendre visite à leurs amis. Et ce qu’ils voulaient vraiment c’était des vacances d’été.

Il s’avère que le tourisme et les voyages constituent l’un des problèmes particuliers de l’Europe. Le tourisme représente quelque 600 milliards d’euros (plus de 700 milliards de dollars) du produit intérieur brut de l’Union européenne. Il fournit un emploi direct à près de 12 millions de personnes et un emploi indirect à 15 millions de personnes. Et les vacances d’été sont une véritable institution européenne, rendue encore plus centrale dans la vie de nombreuses personnes par l’arrivée des voyages aériens à bas prix.

Ainsi, cet été, le virus ayant été ramené à des niveaux que de nombreux gouvernements considéraient comme "acceptables" - le Centre commun de biosécurité du Royaume-Uni, par exemple, a indiqué que pour la Grande Bretagne, une incidence acceptable serait de 1 000 nouveaux cas symptomatiques par jour - les pays ont commencé à rouvrir et les gens ont commencé à voyager. Les Britanniques et les Allemands voulaient s’évader vers les plages ; les Espagnols et les Grecs voulaient voir leurs économies touristiques maintenues vivantes.

Mais, comme on pouvait s’y attendre, les cas commencent à augmenter. L’Espagne compte désormais environ 3 500 nouveaux cas de coronavirus par jour, contre moins de 700 à la fin du mois de mai. Cette semaine, l’Allemagne a connu 1 445 nouvelles infections en un jour, soit le nombre le plus élevé d’infections quotidiennes en plus de trois mois. Cette situation devrait être très préoccupante. Les expériences récentes d’Israël et de l’État de Victoria en Australie montrent que même une poignée de nouveaux cas quotidiens peuvent facilement se transformer en centaines et en milliers.

Une fête en plein air à Saint-Denis, au nord de Paris, le 1er août. Geoffroy Van Der Hasselt/Agence France Presse - Getty Images

L’augmentation des infections en Europe semble tout particulièrement liée à des activités comme la balade de troquet en troquet, la fréquentation des clubs et les fêtes chez les jeunes, ainsi qu’à la ruée pour accueillir les visiteurs internationaux et à la réouverture du tourisme et de ses activités connexes. Un "super-évènement" organisé dans un club de la ville espagnole de Cordoue a abouti à un test positif chez 91 personnes.

"Nous avons fait face à une forte pression de la part de l’industrie du tourisme car c’est l’un des principaux secteurs économiques de l’Espagne", a déclaré au Time le Dr Jacobo Mendioroz, directeur du comité de réponse à la Covid-19 en Catalogne. (Le tourisme représente environ 15 % du PIB de l’Espagne) La Grèce cherche à resserrer le confinement après une flambée de cas suite au retour des visiteurs étrangers. Dans la semaine qui a suivi l’ouverture des frontières du pays début juillet, plus de 100 touristes ont été testés positifs à la Covid-19.

Alors que les touristes se déplacent dans les différents pays de l’Union européenne (et en Grande-Bretagne, qui a récemment quitté l’Union) qui en sont à des stades divers d’assouplissement de la politique de confinement, les infections transfrontalières continuent de se produire, ce qui en fait un jeu de hasard impossible à gagner.

La seule façon de stopper l’augmentation constante du coronavirus est d’éliminer la transmission communautaire et d’utiliser des politiques sérieuses de test, de traçage et d’isolement pour continuer de capter les cas importés et les foyers au fur et à mesure de leur apparition. La Nouvelle-Zélande, Taïwan, Cuba et le Rwanda ont chacun poursuivi ce type de suppression maximale par des mesures frontalières strictes et ont largement repris une vie publique normale.

L’arrêt de la transmission communautaire nécessite une mise en quarantaine obligatoire et vraiment respectée pour les voyageurs entrants et des tests avant d’en sortir. L’Europe pourrait faire la même chose et instituer une coopération entre les pays afin d’atteindre cet objectif pour que les voyages et le tourisme intra-européens puissent se poursuivre lorsqu’une bulle de sécurité pourra être créée. À quoi cela ressemblerait-il en réalité ?

Les mesures de confinement peuvent ramener le nombre de cas à un niveau suffisamment bas pour que les tests et le traçage puissent briser les chaînes de transmission. Les pays européens ont déjà encaissé un coup dur sur le plan économique et social dans le but de contenir la Covid-19, mais pour terminer le travail et vraiment écraser la courbe, ils doivent se doter d’une capacité de diagnostic massive, être en mesure de mettre en place des campagnes importantes de test, qui soient rapides et précis. C’est un projet difficile, mais il n’est pas impossible : L’Allemagne l’a mené à bien avec un certain succès.

Mais voici la partie la moins amusante : Les pays européens doivent introduire de sérieuses restrictions sur les voyages non essentiels jusqu’à ce que des bulles de sécurité puissent être créées au sein des pays où le virus est peu actif. Le virus se déplace lorsque les gens se déplacent. Cela ne signifie pas que les frontières doivent être fermées. Mais les personnes doivent être testées à leur arrivée dans un nouveau pays, puis à nouveau cinq jours plus tard. L’isolement doit être imposé jusqu’à ce que deux tests négatifs soient effectués à au moins cinq jours d’intervalle. (Les aéroports de Francfort, Berlin et Hambourg ont déjà introduit le dépistage obligatoire à l’arrivée de pays à forte prévalence et constatent que cela fonctionne bien).

Oui, cela va probablement interférer avec les projets de profiter des plages de Marbella. Mais l’été, alors que les taux d’infection restent encore relativement faibles, est le seul moment pour que cela fonctionne.

Amateurs de plage prenant des bains de soleil et jouant sur la plage de Bournemouth, dans le sud de l’Angleterre. (Photo de Glyn KIRK / AFP) (Photo de GLYN KIRK/AFP via Getty Images)

Entrer dans l’hiver avec des centaines de cas par jour signifie risquer une forte hausse lorsque les températures refroidissent, que les écoles rouvrent et que les gens retournent à l’intérieur. C’est risquer une deuxième série de fermetures nationales, ce qui serait catastrophique pour la santé mentale et pour les économies. (Et laissons de côté la question de savoir s’il sera effectivement possible ou non d’amener les gens à cette docilité une deuxième fois).

L’Écosse et l’Irlande du Nord ont anticipé l’hiver prochain et ont élaboré un plan concerté pour minimiser la transmission communautaire afin d’éviter une grave résurgence du virus en profitant de l’été pour ramener les cas le plus près possible de zéro et pour rouvrir prudemment.

Mais aucun des deux pays ne contrôle ses frontières, car ils font partie du Royaume-Uni. Ils sont donc tous deux confrontés à un flux d’infections en provenance d’Angleterre et du Pays de Galles, qui se comportent davantage comme le reste de l’Europe, ainsi que de personnes qui reviennent de vacances à l’étranger et ne respectent pas les conseils du gouvernement de s’isoler pendant 14 jours.

Les questions internes au Royaume-Uni donnent un aperçu de la façon dont le reste de l’Europe fonctionne. En raison de l’intégration économique et sociale de l’Europe, et des lois sur la liberté de mouvement au sein de l’Union européenne, une stratégie visant à stopper la transmission communautaire de la Covid-19 nécessite la coopération des dirigeants européens qui, chacun s’engagent à prendre des mesures nationales pour faire baisser les infections de manière concertée et coordonnée, à partager régulièrement des informations sur les progrès réalisés et à appliquer des contrôles stricts sur les voyages internationaux.

Travailler à l’arrêt de la transmission communautaire peut sembler un rêve, mais après avoir fait baisser la courbe de manière si significative - et pris la mesure les mesures de confinement les plus sévères - pourquoi ne pas écraser celle-ci complètement ?

L’arrêt de la transmission communautaire est la seule voie permettant de stopper la résurgence constante du coronavirus, de rouvrir les écoles complètement et en toute sécurité et d’éviter des cycles nationaux répétés de confinement et de déconfinement au cours des 18 prochains mois. Cela devrait être beaucoup plus important que les vacances de cet été.

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