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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-90

Noam Chomsky : Trump est prêt à mettre la démocratie à mal pour se maintenir au pouvoir

Par C.J. Polychroniou, Truthout, traduit par Jocelyne le Boulicaut

jeudi 29 octobre 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Noam Chomsky : Trump est prêt à mettre la démocratie à mal pour se maintenir au pouvoir

Publié le 12 octobre 2020 Par C.J. Polychroniou, Truthout

C.J. Polychroniou est politologue et économiste, il a enseigné et travaillé dans des universités et des centres de recherche en Europe et aux États-Unis. Ses principaux sujets de recherche portent sur l’intégration économique européenne, la mondialisation, l’économie politique des États-Unis et la déconstruction du projet politico-économique du néolibéralisme. Il contribue régulièrement à Truthout et est membre du Projet Intellectuel Public de Truthout. Il a publié plusieurs livres et ses articles ont été publiés dans divers journaux, magazines, revues et sites web d’information populaires. Nombre de ses publications ont été traduites dans plusieurs langues, notamment en croate, français, grec, italien, portugais, espagnol et turc. Il est l’auteur de L’optimisme contre le désespoir : Noam Chomsky et le Capitalisme, l’Empire, et le changement social, une série d’entretiens avec Chomsky Edition Lux, coll. Futur proche. Publié à l’origine chez Truthout et compilés par Haymarket Books.

Donald Trump, alors candidat républicain à la présidence, montre la foule du doigt lors de son discours pendant la session nocturne le quatrième jour de la Convention nationale républicaine, le 21 juillet 2016, au Quicken Loans Arena de Cleveland, Ohio. JOE RAEDLE / GETTY IMAGES

Alors qu’il est encore trop tôt pour prédire l’issue vraisemblable de l’élection présidentielle de novembre 2020, Donald Trump continue de prendre du retard dans les sondages nationaux, tout en se livrant à des manœuvres électorales malhonnêtes dans l’espoir de vaincre le challenger démocrate Joe Biden.

L’espoir de victoire de Trump repose en grande partie sur sa campagne "la loi et l’ordre", qui au travers de mensonges concernant les fraudes possibles du vote par correspondance discrédite par avance les résultats de l’élection si ceux-ci étaient en faveur de Joe Biden.

Dans cette interview exclusive pour Truthout, Noam Chomsky évoque l’importance nationale et internationale du refus de Trump de s’engager dans une " transmission apaisée du pouvoir " et de sa dépendance aux théories du complot.

C.J. Polychroniou : Noam, à un peu plus de deux semaines des élections nationales les plus importantes de l’histoire récente des États-Unis, la campagne de Trump continue de clamer le message de " la loi et l’ordre" - une tactique politique sur laquelle les dirigeants autoritaires ont toujours compté pour contrôler les peuples et renforcer leur main mise sur un pays - mais refuse d’accepter une " transmission apaisée du pouvoir " s’il perd face à Biden. Quelle est votre réflexion sur ces questions ?

Noam Chomsky

Noam Chomsky : L’appel à "la loi et l’ordre" est normal, pratiquement un réflexe. La menace de Trump de refuser le résultat de l’élection ne l’est pas. C’est quelque chose de nouveau dans des démocraties parlementaires stables.

Le fait que cette éventualité soit même envisagée révèle à quel point le boulet de destruction de Trump a été efficace pour miner la démocratie traditionnelle. On peut se rappeler que Richard Nixon, qui n’est pas exactement respecté pour son intégrité, avait quelques raisons de suspecter que sa victoire aux élections de 1960 lui avait été volée grâce à des machinations du Parti démocrate.

Il n’a pas contesté les résultats, plaçant le bien-être du pays au-dessus de ses ambitions personnelles. Al Gore en a fait de même en 2000. L’idée que Trump puisse placer quoi que ce soit au-dessus de ses ambitions personnelles - y compris le souci du bien-être du pays - est trop absurde pour qu’on en débatte.

James Madison a dit un jour qu’on ne protège pas la liberté avec des "murailles de parchemin" - des mots sur un papier. L’ordre constitutionnel présuppose plutôt la bonne foi et un certain engagement, même limité, en faveur du bien commun. Lorsque c’est cela qui a disparu, nous sommes passés dans un monde sociopolitique différent.

Les menaces de Trump sont prises très au sérieux, non seulement dans les commentaires détaillés des principaux médias et revues, mais aussi au sein même de l’armée - qui pourrait être obligée d’intervenir, comme dans les dictatures de pacotille qui sont le modèle de Trump.

Un exemple frappant est la lettre ouverte adressée au plus haut officier militaire du pays, le chef d’état-major interarmées, le général Mark Milley, par deux commandants militaires retraités très estimés, les lieutenants-colonels John Nagl et Paul Yingling. Ils mettent en garde Milley : "Le président des États-Unis cherche à dévoyer activement notre système électoral, menaçant de rester en fonction au mépris de notre Constitution. Dans quelques mois, vous aurez peut-être à choisir entre défier un président sans foi ni loi et trahir votre serment" celui qui vous engage à défendre la Constitution contre tous ses ennemis, "de l’intérieur et de l’extérieur."

L’ennemi d’aujourd’hui est à l’intérieur : un "président sans foi ni loi", poursuivent Nagl et Yingling, qui "mobilise une armée privée capable de contrecarrer non seulement la volonté de l’électorat mais aussi les mécanismes d’application de la loi ordinaire. Lorsque ces éléments entreront en conflit le 20 janvier 2021, l’armée américaine sera la seule institution capable de faire respecter notre ordre constitutionnel."

Plus de 100 unités d’équipement lourd, y compris des véhicules blindés anti-mines, sont stationnées, la plupart d’entre elles ramassant la poussière sous le soleil du désert. Il y a peu de chances qu’ils soient utilisés ici. Meridith Kohut pour le TIME

L’ennemi d’aujourd’hui est à l’intérieur : un "président sans foi ni loi", poursuivent Nagl et Yingling, qui "mobilise une armée privée capable de contrecarrer non seulement la volonté de l’électorat mais aussi les mécanismes d’application de la loi ordinaire. Lorsque ces éléments entreront en conflit le 20 janvier 2021, l’armée américaine sera la seule institution capable de faire respecter notre ordre constitutionnel."

Les sénateurs républicains "réduits au statut de quémandeurs" ayant renoncé à toute once d’intégrité, le général Milley devrait être prêt à envoyer une brigade de la 82e division aéroportée pour disperser les "petits hommes verts" de Trump, conseillent Nagl et Yingling. "Si vous gardiez le silence, vous seriez complice d’un coup d’État."

Les menaces de Trump sont prises très au sérieux, non seulement dans les commentaires détaillés des principaux médias et revues, mais aussi au sein de l’armée.

Patrouille des frontières

C’est difficile à croire, mais le simple fait que de telles réflexions puissent être énoncées par des voix sages et respectées, et qu’elles trouvent un écho dans le grand public, est une raison suffisante pour que nous soyons grandement préoccupés par les perspectives de la société américaine.

Je cite rarement le correspondant principal du New York Times, Thomas Friedman, mais lorsqu’il demande si cela ne pourrait pas être notre dernière élection démocratique, il ne se range pas à nos côtés, nous "les hommes sauvages en coulisses" - pour reprendre le terme de McGeorge Bundy parlant de ceux qui ne se conforment pas automatiquement à la doctrine autorisée.

En attendant, nous ne devrions pas négliger la façon dont les principaux éléments de l’"armée privée" de Trump montrent leur talent sur leur terrain de jeu habituel : le cruel désert de l’Arizona où les États-Unis, depuis Clinton, poussent des pauvres hères fuyant la misère créée par la destruction de leur pays par nos soins afin que nous puissions nous soustraire à notre responsabilité - tant juridique que morale - à leur offrir une possibilité d’asile.

Les personnes arrêtées par la Border Patrol lors d’un raid au camp d’aide humanitaire No More Deaths lors d’un raid lundi soir près d’Arivaca, Arizona, sont embarquées dans un véhicule de la Border Patrol.

Lorsque Trump a décidé de terroriser Portland, Oregon, il n’a pas envoyé l’armée, s’attendant probablement à ce qu’elle refuse de suivre ses ordres, comme cela vient de se passer à Washington D.C. Il a envoyé des paramilitaires, dont les plus redoutables d’entre eux appartenant à l’unité tactique BORTAC de la Patrouille frontalière, qui a pratiquement carte blanche avec les "damnés de la terre" comme cibles.

Immédiatement après avoir exécuté les ordres de Trump à Portland, la BORTAC a repris ses passe-temps habituels, comme détruire un centre d’aide médicale rudimentaire dans le désert, où des volontaires tentent de fournir une aide médicale, ne serait-ce que de l’eau, à des gens désespérés qui, d’une façon ou d’une autre ont réussi à survivre.

Ne se satisfaisant pas de cet exploit, la BORTAC s’est rapidement remise à la tâche. Peut-être que ceux qui pourrait un jour être confrontés à l’armée privée de Trump aimeraient en savoir un peu plus à son sujet. Voici un extrait d’un rapport faisant autorité sur la question, fourni par l’organisation humanitaire No More Deaths :

Après le coucher du soleil hier, 5 octobre, la patrouille frontalière américaine a pénétré dans le poste d’aide humanitaire No More Deaths, Byrd Camp, avec un mandat fédéral, c’était là le deuxième raid nocturne en deux mois. Les volontaires ont été retenus pendant 3 heures tandis que 12 personnes qui recevaient des soins médicaux, de la nourriture, de l’eau et un abri contre une chaleur de plus de 40 degrés étaient appréhendées.

Dans une démonstration militaire impressionnante, la Border Patrol, accompagnée de son unité tactique (BORTAC), a débarqué dans le camp avec un char blindé, des véhicules 4x4, un hélicoptère et de nombreux véhicules identifiés ou pas. Des agents, armés de fusils d’assaut, ont poursuivi et terrorisé les personnes qui recevaient des soins, tout cela pendant que l’hélicoptère les survolait à basse altitude, soulevant la poussière et les débris, rendant toute visibilité presque impossible.

La patrouille frontalière a fait voler les vitres en éclats, défoncé les portes et détruit l’infrastructure essentielle du camp ainsi que les réserves. Ceci après avoir inspecté le camp et patrouillé dans son périmètre, créant un climat hostile et angoissant pour les gens qui, depuis la nuit du samedi 3 recevaient des soins.

Depuis le précédent raid du 31 juillet, la patrouille frontalière a refusé à plusieurs reprises de rencontrer les volontaires pour discuter des protocoles communs antérieurs qui confirmaient le droit de fournir une aide humanitaire. Le chef du secteur de Tucson a envoyé aux représentants de No More Deaths une lettre officielle confirmant ce refus.

Ces gens là sont les professionnels de l’armée privée de Trump, renforcés par les milices armées qui défendent les théories de la suprématie blanche. Celles-là même que le FBI et le Département de la sécurité intérieure considère comme la principale menace intérieure aux États-Unis, et qui a fortement progressé pendant les années Trump, faisant passer les crimes liés au terrorisme de 20% en 2016 à près de 100 % en 2019.

Ces gens là sont les forces qui peuvent être appelées à faire respecter "la loi et l’ordre" si en fait, le haut commandement militaire décide d’être "complice d’un coup d’État". Cela semble inimaginable, mais malheureusement, ce n’est pas inconcevable.

Unité tactique BORTAC de la Patrouille frontalière

Pendant ce temps, Trump et ses partisans républicains font des heures supplémentaires pour mettre en œuvre leur stratégie visant à saper l’élection ou à la discréditer si le résultat n’est pas le bon, préparant ainsi le terrain pour un éventuel coup d’État.

En prévision, une "Armée pour Trump" est mobilisée pour débarquer dans les bureaux de vote pour intimider les électeurs qui votent mal. Ce qui était autrefois le ministère de la justice assouplit les règles concernant les enquêtes sur les fraudes électorales au cas où il serait nécessaire d’en passer par là.

En résumé, on remue ciel et terre dans la campagne de Trump pour démanteler les formes démocratiques et permettre à celui-ci de s’accrocher au pouvoir.

Le fait que nous ne soyons pas seuls est peut-être un peu réconfortant. D’autres grandes démocraties sont également en train de se délabrer, tombant également entre les mains de dirigeants ayant des tendances fascistes, voire même ayant cette idéologie. (nombre de gens, y compris les plus grands spécialistes du fascisme, considèrent que qualifier Trump ainsi est encore trop gentil).

La plus grande démocratie du monde, l’Inde, est actuellement dirigée par un destructeur de la même veine que Trump, Narendra Modi, qui est en train de détruire la démocratie laïque indienne et transforme l’Inde en une ethnocratie cruelle, tout en écrasant le Cachemire.

La plus ancienne démocratie du monde, la Grande-Bretagne, n’en est pas encore au niveau de démolition de Trump, mais le Premier ministre Boris Johnson essaie de rejoindre le club. Le fait qu’il ait suspendu le Parlement afin de pouvoir faire passer sa version du Brexit, rapidement annulé par la Cour suprême, a suscité l’indignation des milieux juridiques britanniques.

Ceux-ci l’accusent de porter atteinte à la présomption de bonne foi sur laquelle repose l’ordre constitutionnel britannique depuis des siècles. Il est depuis passé à la violation du droit international - certes, mais seulement "un petit peu" - en annulant une disposition cruciale de l’accord qu’il venait de conclure avec l’UE, laquelle poursuit maintenant la Grande-Bretagne pour cette violation.

On peut ajouter la deuxième plus grande démocratie de l’hémisphère occidental, dirigée par un clone de Trump qui tente par tous les moyens d’imiter son mentor, par exemple en essayant de licencier des enquêteurs qui osent se pencher sur la corruption et la criminalité présumée qui l’entourent, lui et sa famille. Bolsonaro a été bloqué par la Cour suprême.

Les États-Unis sont allés plus loin sur la voie de l’autocratie. Lorsque les inspecteurs généraux chargés de surveiller les malversations de l’exécutif ont suivi la même voie, le dictateur en puissance de la Maison-Blanche les a simplement licenciés. Il l’a fait sans que le Sénat républicain ne bronche, lui qui avait initié cela pour protéger le public. Il en est d’ailleurs désormais "réduit au statut de quémandeur."

C’est peut-être une simple coïncidence, mais il existe une corrélation remarquable entre le souci des dirigeants à démolir l’ordre démocratique et le fait qu’ils aient accéléré le massacre de leur propre population par la COVID-19. Le classement actuel des cas et des décès, rapporté par le South China Morning Post (Hong Kong), qui fait autorité en la matière, est, par ordre décroissant, le suivant :

États-Unis : 7.551.428 cas, 211.844 décès

Inde : 6.835.655 cas, 105.526 décès

Brésil : 5.000.694 cas, 148.228 décès

Ils sont suivis loin derrière par un parangon de démocratie, la Russie : 1 253 603 cas, 21 939 décès. Les autres sont loin à la traîne.

Nous ne sommes pas seuls. D’autres grandes démocraties sont également en train de se délabrer, tombant aussi entre les mains de dirigeants présentant des tendances fascistes.

Le tableau n’est bien sûr pas complet. Il est important de prendre en compte les taux de mortalité et d’autres variables. Mais le tableau général, ainsi que la corrélation sont difficiles à ignorer.

Ce qui est en train de se passer aux États-Unis, en Inde et au Brésil ne peut pas non plus manquer de nous rappeler des souvenirs du début des années 1930 - pour moi, des souvenirs personnels amers. Un trait commun en est l’adoration fanatique du Leader Suprême par ses loyaux disciples.

Il y a une curieuse différence. Mussolini et Hitler apportaient à leurs adorateurs quelque chose : des réformes sociales, une place au soleil. Trump les poignarde dans le dos par quasiment chaque décision législative et chaque mesure de l’exécutif, et nuit gravement aux États-Unis sur la scène internationale. Il en va de même pour ses compagnons d’armes en Inde et au Brésil.

Constater la détermination de Trump à causer un maximum de souffrances à la population américaine est stupéfiant. Cela va bien au-delà de ses crimes véritablement titanesques : une course vers l’abîme de la catastrophe environnementale et une forte intensification de la menace de guerre nucléaire. Dans des proportions bien moindres, une fois de plus, il remue ciel et terre pour causer de graves préjudices à la population.

Mais restons-en à la pandémie, la moindre des graves crises auxquelles l’humanité est confrontée. Il existe un consortium international, le Covax, qui s’efforce de faciliter la recherche de vaccins par des efforts de coopération et d’accorder au moins une certaine attention aux problèmes de distribution, en garantissant que les vaccins et autres traitements potentiels seront disponibles pour ceux qui en ont besoin plutôt que d’être monopolisés par les riches.

La contribution de Trump ? La plus habituelle : se retirer de l’effort qui rassemble plus de 170 pays.

Le démolisseur en chef a toujours un prétexte : Dans le cas présent, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est impliquée, et elle sert de bouc émissaire à Trump, qui s’agite pour détourner l’attention de son massacre de dizaines de milliers d’Américains.

Outre la cruauté caractéristique de la poursuite de l’intérêt personnel, le désengagement signifie que les Américains seront lésés si des vaccins sont développés ailleurs - peut-être en Chine, qui, selon certains rapports, pourrait être en tête dans la recherche.

Comme en 2003, après l’épidémie de SRAS, les scientifiques avertissent maintenant qu’une autre pandémie de coronavirus est probable, probablement plus grave que celle-ci. Nous avons déjà expliqué comment Trump a démantelé les protections qui étaient en place contre la pandémie actuelle, laissant les États-Unis particulièrement mal préparés. Il poursuit maintenant résolument dans la même voie, et pas seulement en se retirant du Covax.

Trump le démolisseur

Les pays du monde entier participent actuellement à un sommet de l’ONU sur la biodiversité "pour tenter de ralentir la destruction rapide de la nature par l’humanité". La responsable de l’ONU à la tête de la convention, Elizabeth Maruma Mrema, souligne que la prévention d’une nouvelle pandémie est un objectif crucial.

Si nous voulons éviter une autre COVID, prévient-elle, "nous devons agir... Soit nous conservons et protégeons cette nature, sa biodiversité, soit elle nous fera souffrir, c’est ce qui se passe actuellement". Trump apporte à nouveau son aide de la manière habituelle : en refusant de participer.

L’approche de Trump en matière de conventions et d’initiatives internationales est simple : Si je ne suis pas l’initiateur, je démolis, en prétendant que c’est le pire accord de l’histoire.

En l’occurrence, les médias y contribuent également. Dans le cadre d’une recherche rapide, ce ne sont pas les deux minutes entendues sur les radios publiques qui permettront de couvrir la question.

Pendant ce temps, la "destruction de la nature par l’humanité" progresse à grands pas. Une étude majeure sur la destruction de la biodiversité réalisée par les Jardins botaniques royaux de Kew a révélé que "les deux cinquièmes des plantes du monde sont menacées d’extinction" (....). Nous sommes en train d’"ignorer le coffre au trésor des espèces sauvages" qui offre des combustibles, de la nourriture et des médicaments potentiels à l’humanité, déclare le scientifique Colin Clubbe, spécialiste de la préservation de la nature". La BBC a consacré 3 minutes à cette étude. Après tout, nous avons nos priorités, respectons-les.

L’approche de Trump en matière de conventions et d’initiatives internationales est simple : Si je n’en suis pas l’initiateur, je démolis, en prétendant qu’historiquement, c’est le pire accord. Si ça vient de moi, c’est "l’affaire du siècle", la plus grande réussite de tous les temps. Et avec sa chambre d’écho médiatique, et les quémandeurs du Congrès, il est capable de s’en sortir. Ayez pitié du pays et du monde.

Il est vrai que les méthodes de Trump permettent d’obtenir des résultats. Agiter un gros gourdin donne parfois des résultats. Lorsque les États-Unis ont approché le Conseil de sécurité de l’ONU pour exiger de renouveler les très sévères sanctions contre l’Iran, ils ont refusé à la quasi-unanimité, y compris la Grande-Bretagne. Peu importe. Le secrétaire d’État Pompeo, dans le plus pur style Mussolino-Hitlérien, est retourné au Conseil de sécurité pour l’informer que les sanctions de l’ONU étaient renouvelées.

"Les États-Unis ont pris cette mesure décisive", a indiqué Pompeo à ses larbins du Conseil de sécurité, "car, outre le fait que l’Iran ne respecte pas ses engagements au titre du PAGC [Joint Comprehensive Plan of Action, Plan d’action global conjoint, NdT], le Conseil de sécurité n’a pas prolongé l’embargo sur les armes imposé par l’ONU à l’Iran". Une telle désobéissance ne peut bien sûr pas être tolérée par le Cher Maître du monde.

Plus largement, l’administration Trump ne cesse de renforcer l’internationale réactionnaire dirigée par Washington, c’est la seule initiative géostratégique qui puisse être décelée dans le chaos administratif. Les membres principaux en sont les compagnons de Trump, Modi et Bolsonaro.

Au Moyen-Orient, ils sont rejoints par le général égyptien al-Sissi, le "dictateur préféré" de Trump, qui a poussé l’Égypte vers de nouveaux abîmes de désespoir. Et bien sûr, les dictatures du Golfe, avec à leur tête l’estimable Mohammed ben Salman, dont un des crimes mineurs est le sauvage assassinat de Khashoggi.

Un autre membre bienvenu est Israël, qui, maintenant, cache à peine sa dérive vers l’extrême droite. La récente formalisation des relations tacites entre Israël et les dictatures du Golfe trouve sa place naturelle dans ce système.

Il y a aussi des membres ailleurs, comme la démocratie hongroise illibérale de Viktor Orbán, et en coulisses, dans l’attente, des figures séduisantes comme l’Italien Mario Salvini, fêtant la noyade de milliers de pauvres damnés en Méditerranée, ce qui est la contribution de l’Italie au bilan génocidaire de l’Europe.

Du côté positif, l’internationale réactionnaire de Trump est désormais combattue par la nouvelle Internationale progressiste, issue du mouvement Sanders aux États-Unis et d’un homologue européen, le DiEM25, un mouvement transnational qui cherche à préserver et à renforcer ce qui a de la valeur dans l’Union européenne, tout en surmontant ses graves défauts.

Il a également attiré un large éventail de représentants du Sud. Sa première conférence internationale vient de se tenir en Islande, son Premier ministre en étant membre. Bien qu’elle n’ait évidemment pas les ressources de violence et la richesse de l’internationale réactionnaire, elle a promis de représenter le peuple dans la guerre de classe mondiale qui est en cours pour délimiter les contours du monde post-pandémie.

Typique des dirigeants autoritaires, Trump s’appuie fermement sur l’utilisation et la promotion des théories du complot, apparemment pleinement conscient du fait que celles-ci intensifient la polarisation politique. Pourquoi les théories du complot prospèrent-elles en politique, et que signifient-elles pour la réalité politique de la fin de la deuxième décennie du XXIe siècle aux États-Unis ?

L’une des raisons pour lesquelles les théories du complot fleurissent est que les gens veulent des explications, parfois par curiosité intellectuelle, parfois pour des raisons plus personnelles et souvent déchirantes. C’est particulièrement vrai lorsque tout se casse la figure. C’est arrivé de bien des façons.

Prenons le désastre néolibéral de ces 40 dernières années. Dès le début, son importance a été très clairement annoncée par Thatcher et Reagan, et leur gourou économique Milton Friedman : Il n’y a pas de société ; les individus doivent faire face aux ravages du marché seuls, sans défense, et certainement pas celle des syndicats, qui doivent être détruits.

Le problème, c’est les gouvernements, qui sont imparfaits du fait qu’ils ne répondent que partiellement aux besoins du public. Les décisions doivent donc être transférées aux mains du secteur privé, en fait, aux entreprises. Les entreprises doivent se consacrer uniquement à l’auto-enrichissement. Non pas par principe d’économie, mais par choix éthique.

Il y a d’autres nuances, mais c’est là l’essentiel. En rassemblant ces principes, il n’est pas difficile de tirer quelques conclusions sur les conséquences probables.

La Rand Corporation vient de publier une étude sur l’ampleur des effets (à peine inattendus). Elle estime à 47 000 milliards de dollars la somme "transférée" des classes moyennes et ouvrières vers les très riches depuis Reagan-Thatcher-Friedman. Le terme "volée" serait peut-être plus exact.

Rand considère que les très riches sont 10 %. C’est trompeur. Il s’agit en fait d’une infime partie de ceux-ci. Les 0,1 % des plus riches ont vu leur part de la richesse nationale doubler depuis Reagan, pour atteindre 20 %.

Ce n’est qu’une partie de la sinistre histoire, amplifiée par le programme de mondialisation radicalement anti-ouvrier de Clinton, l’austérité post-Thatcher, le sauvetage par Obama des auteurs de la crise de l’immobilier et le rejet de la législation visant à aider aussi les victimes, et bien d’autres choses encore.

On ne devrait pas être vraiment surpris de constater que l’épidémie de "morts de désespoir" qui a frappé les États-Unis, principalement parmi les hommes blancs en âge de travailler, commence maintenant à toucher la Grande-Bretagne. Rien de moins qu’une grande partie du monde est consumée par la rage, le ressentiment, le mépris des institutions.

Ce qui offre un terrain fertile aux démagogues et aux escrocs - parfois, comme Trump, particulièrement doués - qui peuvent ainsi parader se présentant comme sauveurs du monde tout en obéissant servilement à leurs oppresseurs. Avec l’aide des systèmes d’information, ils peuvent détourner l’attention des causes du mécontentement populaire pour le diriger vers les boucs émissaires habituels, en exploitant les préjugés et les craintes profondément ancrés. Nul besoin de revoir la façon de procéder.

Dans un tel climat, les théories du complot peuvent prospérer.

L’une des raisons pour lesquelles les théories du complot fleurissent est que les gens veulent des explications... C’est particulièrement vrai lorsque tout se casse la figure.

Il y a d’autres facteurs à prendre en compte. Le monde réel est complexe. Choisissez n’importe quel événement, et même les témoignages les plus sérieux présenteront des maillons faibles, des coïncidences bizarres, des caractéristiques inexpliquées. C’est pourquoi les scientifiques pratiquent leurs expériences, en faisant abstraction totale des phénomènes observés. Là encore, cela encourage les théories du complot.

En outre, certaines de ces théories peuvent avoir une certaine validité. Adam Smith a sciemment exagéré lorsqu’il a déclaré que "les gens d’un même métier se rencontrent rarement, même pour la détente et le divertissement, mais la conversation se termine par un complot contre le peuple, ou par un stratagème pour augmenter les prix". Mais il n’était pas en train d’élaborer un complot. C’est ce qui arrive tout le temps. Certaines de ces dérives sont bien étudiées. Dans beaucoup d’autres cas, on a toutes les raisons de le suspecter.

Pour ne prendre qu’un exemple actuel, la station de radio nationale allemande Deutsche Welle a récemment interviewé l’éminent politologue américain Norman Ornstein de l’American Enterprise Institute concernant certains faits curieux impliquant Trump, la Deutsche Bank et la Cour suprême des États-Unis.

Pour citer les premiers mots : "Le rapport explosif du New York Times quant à la situation fiscale du président des Etats Unis Trump soulève des questions gênantes pour le plus grand prêteur allemand, la Deutsche Bank, à savoir : pourquoi la Deutsche Bank a-t-elle prêté 2 milliards de dollars à Trump alors que d’autres banques, y compris toutes les banques américaines, n’étaient pas disposées à le faire ? Et alors que la Deutsche Bank gère sans doute les prêts, nous ne pouvons pas dire ce soir qui ou ce qui se cache derrière cet argent. En d’autres termes, nous ne savons pas à qui appartient la dette du président des Etats Unis Donald Trump. Et pour compléter l’énigme, on trouve le rôle joué par le fils d’un ancien juge de la Cour suprême. Justin Kennedy, fils de l’ancien juge Anthony Kennedy, était chef de division et contact de Trump à la Deutsche Bank. Kennedy était proche de celui qui était alors futur président tout en continuant à lui prêter de l’argent."

Une autre pièce du puzzle, comme l’explique Ornstein, est la retraite prématurée du juge Kennedy. Le vote décisif de la Cour, qui a permis à Trump de désigner le jeune Brett Kavanaugh, d’extrême droite et protégé de Justin Kennedy, pour le remplacer.

" Le tableau est terrible ", conclut Ornstein, qui demande que l’enquête soit menée par l’État de New York, et non par les procureurs fédéraux, ces derniers étant maintenant à la solde des représentants légaux de Trump, ce qu’on appelait autrefois le ministère de la Justice. Ce n’est certes pas une théorie du complot, mais ça s’en rapproche quand même diantrement.

En bref, dans un marécage fétide, les théories du complot prospèrent, et certaines pourraient s’avérer avoir une incidence considérable sur le monde créé par les systèmes de pouvoir public et privé.

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