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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-94

"J’ai l’impression d’être atteint de sénilité" : Un brouillard cérébral affecte les survivants de la Covid

Par Pam Belluck, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mardi 3 novembre 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

"J’ai l’impression d’être atteint de sénilité" : Un brouillard cérébral affecte les survivants de la Covid

Le 11 octobre 2020 par Pam Belluck

Pam Belluck est écrivaine spécialisée dans la santé et la science. Elle a notamment partagé un prix Pulitzer et remporté le prix Nellie Bly pour Best Front Page Story. Elle est l’auteure de Island Practice, un livre sur un médecin hors du commun.

Michael Reagan chez lui à New York. Des symptômes cognitifs et neurologiques persistants l’ont forcé à se mettre en arrêt maladie Credit : Hiroko Masuike - The New York Times

Cette maladie touche des milliers de patients, entravant leur capacité à travailler et à mener leur vie quotidienne.

Après avoir contracté le coronavirus en mars, Michael Reagan a perdu tout souvenir de ses 12 jours de vacances à Paris, alors même que le voyage n’a eu lieu que quelques semaines plus tôt.

Plusieurs semaines après qu’Erica Taylor se soit remise de ses symptômes de COVID-19, nausées et toux, elle a été atteinte de confusion et d’amnésie, ne reconnaissant même pas sa propre voiture, la seule Toyota Prius du parking de son immeuble.

Lisa Mizelle, infirmière praticienne chevronnée d’une clinique de soins d’urgence qui est tombée malade du virus en juillet, se surprend à oublier les traitements de routine et les tests de laboratoire, et doit demander à ses collègues de lui rappeler les terminologies qu’elle connaissait par cœur auparavant.

"Je quitte la chambre et je ne me souviens pas de ce que le patient vient de dire", a-t-elle déclaré, ajoutant que si elle n’avait pas épuisé son congé pour raison de santé, elle en aurait pris davantage. "Cela me fait peur de penser que je travaille", a déclaré Mme Mizelle, 53 ans. "J’ai l’impression d’être atteinte de sénilité."

Lisa Mizelle, infirmière praticienne, a tout oublié des tests de laboratoire de routine et du vocabulaire de son travail. Wes Frazer pour le New York Times

C’est quelque chose qui est de plus en plus connu sous le nom de "brouillard cérébral Covid" : des symptômes cognitifs inquiétants qui peuvent se traduire par des pertes de mémoire, de la confusion, des difficultés de concentration, des étourdissements et la difficulté à retrouver les mots de tous les jours. De plus en plus, les survivants de la Covid disent que ce brouillard cérébral nuit à leur capacité de travail et les empêche d’agir normalement.

"Il y a des milliers de personnes qui en sont atteintes", a déclaré le Dr Igor Koralnik, chef du service des maladies neuro-infectieuses de Northwestern Medicine à Chicago, qui a déjà vu des centaines de survivants dans la clinique post-Covid qu’il dirige. "L’impact sur la vie professionnelle des personnes touchées va être important.

Les scientifiques ne sont pas sûrs de ce qui provoque ce brouillard cérébral, qui est très variable et qui touche même les personnes qui physiquement n’ont été que modérément malades de la Covid-19 et qui n’avaient pas d’antécédents médicaux. Selon les principales hypothèses, cela se produit lorsque la réponse immunitaire de l’organisme au virus ne s’interrompt pas ou en raison d’une inflammation des vaisseaux sanguins menant au cerveau.

Confusion, délire et autres types d’altération de la fonction mentale, appelée encéphalopathie, sont survenus au cours d’une hospitalisation pour des problèmes respiratoires liés à la Covid-19. Une étude a révélé que ces patients avaient besoin d’une hospitalisation plus longue, présentaient un taux de mortalité plus élevé et bien souvent ne pouvaient pas gérer leurs activités quotidiennes à la suite de leur hospitalisation.

Mais la recherche sur le brouillard cérébral persistant ne fait que commencer. Un rapport français du mois d’août concernant 120 patients hospitalisés a révélé que 34 % d’entre eux avaient des pertes de mémoire et 27 % des problèmes de concentration des mois plus tard.

Dans une enquête qui sera bientôt publiée et qui porte sur 3 930 membres de Survivor Corps, un groupe de personnes qui sont entrées en contact pour discuter de la vie après la Covid, on observe que plus de la moitié ont déclaré avoir des difficultés à se concentrer ou à se recentrer, a déclaré Natalie Lambert, professeure associée de recherche à l’école de médecine de l’université de l’Indiana, qui a aidé à diriger l’étude.

Cela a représenté le quatrième symptôme le plus fréquent parmi les 101 affections physiques, neurologiques et psychologiques à court et à long terme signalées par les survivants. Les problèmes de mémoire, les étourdissements ou la confusion ont été signalés par plus d’un tiers des personnes interrogées.

"C’est invalidant", a déclaré Rick Sullivan, 60 ans, de Brentwood, en Californie, qui connaît des épisodes de brouillard cérébral depuis juillet, après avoir surmonté un épisode de plusieurs semaines de problèmes respiratoires et de douleurs physiques liées à la Covid-19. "Je deviens presque catatonique. C’est comme si j’étais sous anesthésie."

Des ravages au travail

Lorsque mi-juin Mme Taylor, 31 ans, a contracté le virus, elle a pensé qu’elle n’aurait besoin que d’une brève pause dans son travail d’avocate pour une organisation à but non lucratif d’Atlanta qui aide les locataires à faibles revenus.

Erica Taylor, avocate, a eu des épisodes pendant lesquels son cerveau ressemblait à de la " friture blanche ". Elle n’a pas su reconnaître sa voiture sur le parking de son immeuble et a dû prendre un congé maladie. Crédit : Lynsey Weatherspoon pour le New York Times

Mais elle est tellement désorientée qu’elle a mis sa télécommande de télévision dans son lave-linge et a dû rendre un chien qu’elle avait récemment recueilli parce qu’elle ne pouvait pas se fier à elle-même pour prendre soin d’un animal de compagnie.

Un matin, "tout dans mon cerveau était comme de la friture blanche sur la ligne", dit-elle. J’étais assise sur le bord du lit, j’étais en train de pleurer, sentant bien que "quelque chose n’allait pas, et que je devais demander de l’aide", mais impossible de me rappeler ce que je devais demander et à qui. J’avais oublié qui j’étais et où j’étais".

En juillet, elle pensait avoir récupéré et a dit à son patron qu’elle pouvait revenir. Mais après un autre épisode de "friture blanche", elle lui a envoyé un message : "J’ai peur. Je veux vraiment retourner au travail. Mais, je continue d’être très fatiguée et très confuse". Il lui a conseillé de se reposer et de guérir.

Elle a repris son travail au début du mois d’août, mais son esprit divaguait et lire des e-mails était "comme lire du chinois", dit-elle. En septembre, son employeur a insisté pour qu’elle prenne un arrêt de 13 semaines.

Ils ont finalement dit à Mme Taylor : "Vous allez devoir partir", elle a demandé à faire du bénévolat pour l’organisation à but non lucratif pendant son congé, mais cela lui a été refusé. "Honnêtement, je suis dégoûtée."

M.Reagan feuillette un album de photographies de son voyage à Paris en mars. Il ne se souvient de rien. Crédit : Hiroko Masuike - The New York Times

M. Reagan, 50 ans, qui a passé cinq jours à entrer et à sortir des hôpitaux, a repris son travail de spécialiste vasculaire pour une entreprise qui fabrique des stents et des cathéters.

Mais les tremblements de ses mains et les convulsions, symptômes neurologiques qui accompagnent parfois le brouillard cérébral, signifient "qu’il n’est pas question que j’aille en chirurgie pour apprendre à un médecin comment suturer une artère", a-t-il déclaré.

Dans les réunions, "je n’arrive pas à trouver les mots", a-t-il ajouté, il a maintenant pris un congé. "J’ai l’impression d’avoir l’air d’un idiot."

Avant que Mme Mizelle ne contracte le virus en juillet et ne soit hospitalisée pour une pneumonie pendant cinq jours en août, elle traitait elle-même six patients par heure dans sa clinique de Huntsville, Alabama. Mais récemment, elle a déclaré : "J’ai dit à notre planificateur que je ne pouvais pas travailler seule parce que mon temps de réflexion est long, j’ai des vertiges et j’ai tout simplement besoin que quelqu’un d’autre travaille avec moi".

Parfois, dans les salles d’examen, elle disait : "J’essaie d’être maligne avec le patient pour qu’il ne sache pas, parce que vous ne voulez pas que votre soignant soit dans le brouillard, ce qui serait très inquiétant".

Elle a oublié de commander des cultures pour les infections urinaires, mais un technicien de laboratoire s’en est aperçu disant "Je t’y prends, Lisa", a déclaré Mme Mizelle.

"Pour autant que je sache, je n’ai pas fait d’erreur", a-t-elle déclaré, ajoutant que la situation s’était récemment légèrement améliorée. "Je n’ai encore tué personne."

Mme Mizelle devant sa maison. Ses collègues ont pris l’habitude de venir en soutien lorsqu’elle reçoit des patients dans sa clinique de soins d’urgence. Crédit : Wes Frazer pour le New York Times

À la recherche de réponses à une cause mystérieuse

La cause du brouillard cérébral est un mystère, en partie parce que les symptômes sont très variés.

"La réponse la plus simple est que les gens gardent une réponse immunitaire persistante après que l’infection initiale se soit résorbée", a déclaré le Dr Avindra Nath, chef des infections du système nerveux à l’Institut national des troubles neurologiques et des accidents vasculaires cérébraux.

L’inflammation des vaisseaux sanguins, ou des cellules qui les tapissent, peut être en cause, a déclaré le Dr Serena Spudich, chef des maladies infectieuses neurologiques et de la neurologie générale à l’école de médecine de Yale. Les molécules inflammatoires, libérées lors de réponses immunitaires efficaces, "peuvent également être des sortes de toxines, en particulier pour le cerveau", a-t-elle ajouté.

Les minuscules accidents vasculaires cérébraux peuvent provoquer certains symptômes, a déclaré le Dr Dona Kim Murphey, neurologue et neuroscientifique, qui a elle-même connu des problèmes neurologiques post-Covid, notamment le "syndrome de la main étrangère", dans lequel elle a ressenti une "sensation super-bizarre dans ma main gauche, comme si je ne comprenais pas pourquoi elle était là où elle était, c’était vraiment fascinant".

D’autres causes possibles sont les réactions auto-immunes "lorsque les anticorps attaquent par erreur les cellules nerveuses", a déclaré le Dr Spudich.

Des symptômes comme des picotements ou des engourdissements peuvent se produire lorsque des nerfs endommagés envoient des signaux erronés, a déclaré le Dr Allison Navis, spécialiste des maladies neuro-infectieuses au sein du système de santé de Mount Sinai. Certaines personnes souffrant de brouillard cérébral ont encore des problèmes pulmonaires ou cardiaques, ce qui peut exacerber les symptômes neurologiques.

Selon les neurologues, les examens par IRM n’ont jusqu’à présent pas montré de zones endommagées du cerveau.

Le Dr Murphey, directeur scientifique d’une société spécialisée dans la technologie des ondes cérébrales, qui n’a pas pu prononcer le mot "travail" lors d’une récente réunion, a déclaré que la recherche était cruciale pour que les symptômes soient pris au sérieux.

"Les gens disent de manière désobligeante que ’tout est dans la tête’", a-t-elle déclaré. "En l’occurrence, c’est littéralement dans nos têtes, et c’est très réel".

Oublier Paris, et comment on dit brosse à dents

Cet été, M. Reagan, spécialiste de médecine vasculaire, a allumé la cuisinière pour faire cuire des œufs, puis distraitement est parti promener le chien, Wolff-Parkinson-White, baptisé ainsi selon le nom d’une arythmie cardiaque. De retour et découvrant une poêle vide dangereusement chaude, il a paniqué et ne fait plus de cuisine depuis.

Pour l’aider à retrouver la mémoire, M. Reagan a noté l’itinéraire d’une courte promenade et l’a lu plus de dix fois. Credit : Hiroko Masuike - The New York Times

Il a oublié Noël dernier, le Nouvel An et les vacances à Paris en mars dernier qu’il a organisées pour le 40e anniversaire de son partenaire Mustafa Al Niama.

"Je regarde toutes mes photos de Paris, en essayant de me souvenir", dit-il en montrant un selfie du couple devant la Joconde au Louvre. "Nous sommes allés voir un concert de Madonna, nous sommes allés à la Tour Eiffel, nous sommes allés aux Catacombes. Et je ne me souviens de rien, de rien du tout."

M. Sullivan traverse un spectre de ralentissements cognitifs. Dans les moment les plus légers, qu’il qualifie de "duveteux", il a une sensation de tête lourde. Dans la phase intermédiaire, "cotonneuse", dit-il, "je me mets en colère quand les gens me parlent parce que ça me fait mal au crâne d’essayer d’être attentif". Le plus grave c’est le "brouillard", lorsque "je n’arrive pas à fonctionner" et "je reste assis, immobile, mon esprit s’emballe".

Même un léger effort mental ou physique peut déclencher son brouillard, et M. Sullivan, licencié avant la pandémie d’un poste de direction dans une entreprise de photographie, a déclaré que pendant de nombreux jours il ne pouvait gérer que deux responsabilités : "Nettoyer la litière du chat et ramasser les crottes du chien."

Même cela était anxiogène. "Pour moi, c’était une série de 15 ou 16 tâches", a-t-il dit. "Oh, mon Dieu, je dois trouver un sac pour y mettre la litière, puis je dois enlever le couvercle."

Julia Donahue, 61 ans, de Somers, N.Y., a du mal à faire des phrases fluides, elle en souffre car elle a longtemps aimé jouer Abigail Adams dans des séries historiques. [Abigail Adams est l’épouse du 2e président des États-Unis, et la mère de John Quincy Adams, le 6e président américain, NdT]

"Maintenant, Abigail n’est plus qu’un tas de robes dans mon placard", dit-elle. "Je serais incapable de tenir un rôle de 45 minutes." Récemment, elle ne se souvenait même pas du mot "brosse à dents", disant à un ami : "Tu sais, le truc qui te nettoie les dents".

Les spécialistes conseillent aux personnes atteintes de brouillard cérébral de consulter leur médecin afin d’exclure d’autres pathologies et de traiter les symptômes physiques qui subsistent.

Mme Mizelle, M. Reagan, Mme Taylor et d’autres consultent des cardiologues et d’autres spécialistes, ainsi que des neurologues.

Les médecins ne savent pas si les symptômes vont s’améliorer ou disparaître avec le temps. Certains patients élaborent des stratégies de contournement ou des exercices de récupération improvisés.

M. Reagan, qui a également perdu son sens de l’orientation, suit la suggestion d’un thérapeute de se rendre à pied dans des endroits aléatoires près de sa maison dans le Lower Manhattan. Récemment, il a choisi la Bourse de New York, à plusieurs pâtés plus loin. Il a noté les directions et les a lues à plusieurs reprises avant d’y aller avec son partenaire et leur chien.

Même lors d’une promenade avec son partenaire Mustafa Al Niama, dans leur quartier, M. Reagan a perdu le sens de l’orientation. Credit : Hiroko Masuike - The New York Times

Au premier coin de rue, il a hésité. "À gauche ?" a-t-il demandé à M. Al Niama, qui lui a répondu qu’ils devraient tourner à droite.

Mi-septembre, M. Sullivan pensait que le pire était passé, mais à l’épicerie avec sa femme, il a ressenti un "brouillard total", a saisi le chariot et "erré dans le magasin comme un zombie", a-t-il déclaré.

Quelques jours plus tard, il soulevait des haltères d’un kilo et demi - rien à côté de son habitude de 30 kilos avant la Covid - quand "Bam, le brouillard m’a frappé", se souvient-il, réalisant que "je ne m’en suis pas remis". Puis il s’est effondré, en sanglots.

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