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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-107

San Francisco : Vote massif pour mettre en laisse les rémunérations outrancières des grands patrons

Par Sarah Anderson, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 11 décembre 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

San Francisco : Vote massif pour mettre en laisse les rémunérations outrancières des grands patrons

9 novembre 2020 Par Sarah Anderson, Inequality.org

Sarah Anderson est directrice du projet sur l’économie mondiale à l’Institute for Policy Studies et elle est la co-éditrice du site web Inequality.org de l’IPS Vous pouvez la suivre sur @SarahDAnderson1.

Le Golden Gate Bridge de San Francisco. (Dirk Beyer, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

Pour non seulement survivre à la pandémie, mais aussi émerger comme une nation plus résiliente, il nous faut inverser les pratiques salariales d’une indécente injustice, écrit Sarah Anderson.

Les PDG ne sont pas la cause de la pandémie. Mais ils sont largement responsables d’un modèle qui a fait exploser les profits des entreprises, laissant les employés non qualifiés dans l’insécurité financière. Lorsque la crise de la Covid-19 a frappé, il n’a pas fallu grand chose pour faire basculer des millions de travailleurs vulnérables. Si nous voulons non seulement survivre à la pandémie mais aussi en ressortir comme nation plus résiliente face aux futures crises, nous devons inverser ces pratiques salariales d’une injustice obscène. Les électeurs de San Francisco viennent de faire un pas important dans cette direction.

Par 65 % des votes en faveur et 35 % en contre, ils ont voté pour approuver la proposition L, visant à augmenter les impôts pour les entreprises ayant des écarts de rémunération excessifs entre le PDG et les salariés. Une majorité simple était requise pour que la mesure soit adoptée. Très précisément, la proposition prévoit une augmentation des taux d’imposition sur les revenus des entreprises locales, allant de 0,1 % supplémentaire pour les sociétés qui paient leurs PDG plus de 100 fois le salaire d’un travailleur moyen de San Francisco à 0,6 % pour les sociétés dont le ratio de rémunération est de 600 pour 1 ou plus.

Pour avoir une idée de l’impact potentiel sur des entreprises spécifiques, pensez à McDonald’s. L’année dernière, le PDG Stephen Easterbrook a gagné 17,4 millions de dollars avant de se retirer en novembre. C’est environ 522 fois plus que ce que gagnerait un membre de l’équipe du géant de la restauration rapide rémunéré au salaire minimum de San Francisco qui est de 16,07 dollars sur une base annuelle et à plein temps. À moins que McDonald’s n’apporte de grands changements dans ses pratiques de rémunération, ces chiffres indiquent que la société devra payer un supplément de taxe sur la tranche supérieure de la fourchette proposée, sur le pourcentage du chiffre d’affaire de ses quelque 16 restaurants de San Francisco.

St. Paul, Minnesota, les travailleurs rejoignent le piquet pour la grève nationale de la restauration rapide afin d’obtenir des salaires plus élevés et une amélioration des avantages sociaux, avril 2016. (Fibonacci Blue, Flickr)

Les retombées positives de la décision de ce scrutin sont doubles. Elles inciteront les entreprises à réduire leurs écarts de rémunération tout en générant des revenus pour les programmes de réduction de la pauvreté et des inégalités. Selon les autorités municipales, cette taxe devrait rapporter 140 millions de dollars par an. San Francisco est la deuxième ville du pays à adopter une taxe sur les disparités salariales entre PDG et salariés. Pour les amateurs de concepts fiscaux, je voudrais souligner certaines différences entre la proposition de San Francisco et la taxe de Portland :

  • A Portland, on utilise les données du ratio PDG/salariés que les grandes entreprises publiques sont déjà tenues de communiquer à la Securities and Exchange Commission (SEC). A San Francisco par contre, les entreprises devront faire des calculs supplémentaires.
  • En vertu du règlement de la SEC, les entreprises calculent leur salaire médian sur leur effectif global et ne sont pas autorisées à convertir en équivalents temps plein les rémunérations versées aux employés à temps partiel.
  • Dans le cadre du plan de San Francisco, le salaire médian des salariés est calculé sur la base des employés travaillant dans la ville de San Francisco et les entreprises peuvent convertir les salaires à temps partiel en équivalents temps plein. (Cela permettra de réduire les ratios de rémunération dans les entreprises qui dépendent fortement des employés à temps partiel)
  • Étant donné que Portland utilise les données de la SEC, l’impôt ne s’applique qu’aux sociétés publiques, alors que la réforme de San Francisco couvre toutes les entreprises (à l’exception des petites entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à un million de dollars), quelle que soit la structure de leur capital.
  • En raison des différences dans les régimes fiscaux des entreprises locales, l’assiette de l’impôt des deux villes diffère. À Portland, la surtaxe s’applique à un impôt local sur les bénéfices des entreprises. Pour la plupart des entreprises de San Francisco, la majoration s’appliquera à l’impôt sur les recettes brutes actuelles en ville. La seule exception concerne les opérations qui sont principalement exercées dans des services administratifs ou de gestion et qui n’ont donc pas de ventes locales suffisantes. Si ces entreprises comptent plus de 1 000 employés et réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 1 milliard de dollars à l’échelle nationale, elles seront soumises à une augmentation de l’impôt calculée en fonction de l’importance de leur masse salariale locale.

Manuel sur les propositions d’imposition applicables aux dirigeants d’entreprise

Si on laisse de côté tous ces détails techniques, les deux modèles font avancer le processus visant à lutter contre les inégalités d’une manière qui devrait donner une forte impulsion pour d’autres initiatives du même style. Des législateurs ont introduit des projets de loi similaires dans au moins huit législatures d’État, dont celle de la Californie, ainsi qu’au Sénat et à la Chambre des représentants des États-Unis...En pleine pandémie, le plaidoyer en faveur de telles taxes est encore plus convaincant.

En mai 2020, un « village dortoir sécurisé » au Civic Center de San Francisco a organisé des tentes selon un quadrillage espacé de façon régulière comme alternative plus sûre aux habituels campements de sans-abri de la ville. (Christopher Michel, CC BY 2.0, Wikimedia Commons)

« Nous sommes convaincus que les grandes entreprises qui peuvent se permettre de verser chaque année des millions de dollars de salaires à leurs dirigeants peuvent se permettre de payer leur juste part d’impôts pour nous aider à nous remettre sur pied », a écrit Matt Haney, superviseur de San Francisco, dans une déclaration en faveur de la proposition L.

Bien sûr, il y avait aussi des détracteurs de la proposition L. Le républicain Richie Greenberg, qui a échoué dans sa course à la mairie de San Francisco en 2018, a publié une déclaration avant le vote affirmant que la taxe ne servirait à rien car « les salaires des employés sont fonction de leur expérience et de leur valeur pour une entreprise ».

Cet argument éculé aurait dû être enterré après la crise financière de 2008, lorsque des dirigeants financiers à la recherche de bonus massifs ont fait chuter notre économie dans l’abîme. Elle devrait être d’autant plus enterrée que les PDG continuent d’empocher de gros salaires alors que nous sommes en période de récession et que les travailleurs en première ligne nous montrent chaque jour à quel point ils ont été longtemps sous-évalués.

Après l’élection, le superviseur Haney a publié un tweet indiquant que les recettes de cette taxe seront utilisées pour « soutenir nos services de soins et systèmes de santé publique, qui sont fortement sollicités en raison des conséquences des inégalités. Nous allons engager des infirmières, des travailleurs sociaux et des intervenants d’urgence, et élargir les possibilités d’accès et de traitement ».

Soulignant que la mesure a remporté un franc succès dans presque tous les quartiers, Haney a ajouté que « les électeurs exigent que nous prenions des moyens pour lutter contre les inégalités ».

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