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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2020-110

Parler avec fermeté et brandir le bâton radioactif

Par Michael T. Klare, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 18 décembre 2020, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Parler avec fermeté et brandir le bâton radioactif

15 octobre 2020 Par Michael T. Klare, TomDispatch.com

Michael T. Klare, contributeur régulier de TomDispatch, est professeur émérite en études sur la paix et la sécurité mondiale, au Hampshire College qui compte 5 universités, et collaborateur émérite de l’Association pour le contrôle des armements. Il est l’auteur de 15 livres, dont le dernier en date est "All Hell Breaking Loose : The Pentagon’s Perspective on Climate Change" (Metropolitan Books).

Un bombardier B-52 Stratofortress sur le tarmac de la base aérienne d’Andersen, à Guam, en 2019. (US Air Force, Christopher Quail)

Jamais autant de bombardiers nucléaires américains n’ont été engagés dans des opérations de "démonstration de force" de ce type depuis que la guerre froide s’est terminée avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, écrit Michael Klare.

Le 21 août, six bombardiers B-52H Stratofortress à capacité nucléaire, représentant environ un septième de la flotte américaine de bombardiers B-52H prêts pour la guerre, ont décollé de leur base du Dakota du Nord vers la base aérienne de Fairford en Angleterre pour plusieurs semaines d’opérations intenses au-dessus de l’Europe.

Bien que le chargement réel de ces bombardiers géants ait été gardé secret, chacun d’eux est capable de transporter dans sa soute huit missiles de croisière aéroportés à tête nucléaire (ALCM) AGM-86B. Ces six avions, en d’autres termes, auraient pu transporter 48 têtes thermonucléaires pour détruire des villes. (Le B-52H peut également transporter 12 ALCM sur des pylônes extérieurs, mais à cette occasion on n’en a vu aucun). Cela veut dire que rien qu’avec une telle charge, ces six avions étaient en capacité de carboniser une grande partie de la Russie occidentale, y compris Moscou et Saint-Pétersbourg.

Le B-52 Stratofortress n’est pas un avion de guerre ordinaire. Utilisé pour la première fois en 1952, il a été conçu dans un seul but : traverser l’Atlantique ou le Pacifique et larguer des dizaines de bombes nucléaires sur l’Union soviétique. Certains modèles ont été modifiés par la suite pour larguer des tonnes de bombes conventionnelles sur des cibles au Nord-Vietnam et sur d’autres États hostiles, mais les B-52 restants sont encore largement configurés pour des frappes nucléaires intercontinentales. On pense que seulement 44 d’entre eux sont en service actif à tout moment, ces six avions envoyés à la limite du territoire russe représentaient un engagement significatif de la capacité de guerre nucléaire américaine.

Mais que diable faisaient-ils là-bas ? Selon les responsables américains, il s’agissait de démontrer la capacité du pays à déployer une puissance écrasante n’importe où et n’importe quand sur la planète, et d’ainsi rappeler à nos alliés de l’OTAN l’engagement de Washington pour leur défense.

"Notre capacité à réagir rapidement et à rassurer nos alliés et partenaires repose sur le fait que nous sommes capables de déployer nos B-52 au pied levé", a commenté le Général Jeff Harrigian, commandant des forces aériennes américaines en Europe. "Leur présence ici contribue à établir la confiance avec nos alliés de l’OTAN... et nous offre de nouvelles possibilités de nous entraîner de concert dans le cadre de divers scénarios".

Le Général Jeffrey L. Harrigian sur la base aérienne de Ramstein, en Allemagne, le 1er mai 2019. (CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)

Bien que Harrigian n’ait pas précisé les scénarios qu’il avait en tête, les opérations européennes des bombardiers indiquent que leur rôle consistait à brandir un "bâton" nucléaire pour conforter une position de plus en plus hostile envers la Russie.

Pendant leur séjour en Europe, par exemple, deux d’entre eux ont survolé la mer Baltique près de Kaliningrad, une enclave russe prise en sandwich entre la Pologne et la Lituanie qui abrite plusieurs installations militaires clés. Cette incursion du 25 septembre a coïncidé avec l’arrivée de troupes américaines en Lituanie, à environ 100 km de la Biélorussie, un voisin russe alors en période électorale.

Depuis le 9 août, lorsque l’homme fort Alexandre Loukachenko a déclaré sa victoire lors d’une élection présidentielle largement considérée comme frauduleuse par son peuple et une grande partie de la communauté internationale, la Biélorussie a connu des manifestations anti-gouvernementales à répétition.

Le président russe Vladimir Poutine a averti que son pays pourrait intervenir là-bas si la situation "échappe à tout contrôle", tandis que le secrétaire d’État Mike Pompeo a implicitement mis en garde sur une intervention des États-Unis si la Russie s’en mêle.

"Nous maintenons notre engagement à long terme de soutenir la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Biélorussie ainsi que l’aspiration du peuple biélorusse à choisir son dirigeant et à suivre sa propre voie, sans intervention extérieure", a-t-il insisté le 20 août. Le survol de ces B-52 près de la Biélorussie peut donc être raisonnablement interprété comme ajoutant une dimension nucléaire à la menace de Pompeo.

Dans un autre déploiement de bombardiers aux implications non moins inquiétantes, le 4 septembre, trois B-52, accompagnés d’avions de chasse ukrainiens, ont survolé la mer Noire près des côtes de la Crimée sous contrôle russe. Comme d’autres sorties de B-52 près de son espace aérien, cette incursion a provoqué le décollage en urgence d’avions d’interception russes, dont la proximité avec les avions américains est souvent dangereuse.

À un moment où les tensions s’intensifiaient entre le gouvernement ukrainien soutenu par les États-Unis et les zones rebelles soutenues par la Russie dans la partie orientale du pays, le déploiement de ces bombardiers au large de la Crimée a été largement considéré comme une nouvelle menace à caractère nucléaire visant Moscou.

Comme l’a tweeté Hans Kristensen, directeur du Projet d’information nucléaire à la Fédération des scientifiques américains (FAS), "Décision extraordinaire que d’envoyer un bombardier nucléaire si près de zones contestées et tendues. C’est une véritable démonstration de choc."

Le président biélorusse Alexandre Loukachenko face au secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo lors d’une réunion à Minsk, le 1er février 2020. (Département d’État, Ron Przysucha)

Et aussi provocantes qu’elles aient été, elles n’ont pas été les seules incursions de bombardiers nucléaires américains ces derniers mois. Les B-52 se sont également aventurés près de l’espace aérien russe dans l’Arctique et à portée des forces russes en Syrie.

Entre-temps, d’autres B-52, ainsi que des bombardiers B-1 et B-2 à capacité nucléaire, ont effectué des missions similaires près de positions chinoises dans la mer de Chine méridionale et dans les eaux entourant l’île contestée de Taïwan. Jamais depuis que la guerre froide s’est terminée avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, autant de bombardiers nucléaires américains n’ont été engagés dans des opérations de ce type de "démonstration de force".

"Montrer sa détermination" et contraindre ses adversaires

Les états sont engagés depuis longtemps dans des opérations militaires pour intimider d’autres puissances. Autrefois, on aurait appelé cela la "diplomatie de la canonnière" et les navires de guerre auraient été les instruments de choix pour de telles missions.

L’arrivée des armes nucléaires a rendu ces opérations beaucoup plus dangereuses. Cela n’a cependant pas empêché les États-Unis d’utiliser ce type d’armement comme outil d’intimidation tout au long de la guerre froide. Avec le temps, cependant, même les stratèges nucléaires ont commencé à condamner les actes de "coercition nucléaire", arguant que de telles armes étaient inappropriées pour tout autre objectif que la "dissuasion" – c’est-à-dire l’utilisation de la menace de "représailles massives" pour empêcher un autre pays de vous attaquer.

En fait, la politique de la seule dissuasion est finalement devenue la politique officielle de Washington, même si la tentation d’utiliser des armes nucléaires comme matraques politiques n’a jamais complètement disparu de sa réflexion stratégique.

À une époque plus optimiste, le président Barack Obama a cherché à réduire l’arsenal nucléaire du pays et à empêcher l’utilisation de telles armes pour tout ce qui va au-delà de la dissuasion (bien que son administration ait également entamé une "modernisation" coûteuse de cet arsenal).

Dans son discours largement applaudi du 5 avril 2009, prononcé à l’occasion de son prix Nobel de la paix, Obama a juré de "mettre fin à la logique de la guerre froide" et de "réduire le rôle des armes nucléaires dans notre stratégie de sécurité nationale". Malheureusement, Donald Trump a voulu faire bouger les lignes dans la direction opposée, notamment en augmentant l’utilisation des armes nucléaires comme instruments de coercition.

Le profond désir du président de renforcer le rôle des armes nucléaires dans la sécurité nationale a été exprimé pour la première fois dans la Nuclear Posture Review de son administration en février 2018. En plus d’appeler à une modernisation accélérée de l’arsenal nucléaire, il a également approuvé l’utilisation de ces armes pour démontrer la "détermination" américaine – en d’autres termes, la volonté d’aller jusqu’au seuil du nucléaire pour raison de divergences politiques.

Un arsenal important et diversifié était souhaitable, expliquait le document, pour "démontrer la détermination par le positionnement des forces, les messages et les options de réponse flexibles". Les bombardiers nucléaires ont été jugés particulièrement utiles à cette fin : "Les vols à l’étranger", est-t-il mentionné, "montrent les capacités et la détermination des États-Unis, envoyant un signal efficace de dissuasion et dans un climat de fermeté, y compris en temps de tension".

Depuis lors, l’administration Trump déploie de plus en plus fréquemment la flotte de bombardiers nucléaires du pays, composée de B-52, B-1 et B-2, afin de "montrer les capacités et la détermination des États-Unis", notamment en ce qui concerne la Russie et la Chine.

Le supersonique B-1B Lancer, développé dans les années 1970, était à l’origine destiné à remplacer le B-52 en tant que premier bombardier nucléaire à longue portée du pays. Après la fin de la Guerre froide, il a cependant été converti pour transporter des munitions conventionnelles et n’est plus officiellement désigné comme vecteur nucléaire – bien qu’il puisse être reconfiguré à cet effet à tout moment.

Le B-2 Spirit, avec son concept très particulier d’aile volante, a été le premier bombardier américain construit avec des capacités "furtives" (destinées à éviter la détection par les systèmes radar ennemis) et il est configuré pour transporter des armes tant nucléaires que conventionnelles. Depuis environ un an, ces deux types d’avions et l’inépuisable B-52 sont utilisés presque chaque semaine comme le "bras" radioactif de la diplomatie américaine dans le monde.

Les incursions nucléaires dans l’Arctique et l’Extrême-Orient russe

Severomorsk, une ville proche de Mourmansk, en Russie, et qui sert de base administrative principale de la flotte russe du Nord. (CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

Lors de leur vol vers l’Europe en août, ces six B-52 de la base aérienne de Minot, dans le Dakota du Nord, ont emprunté un itinéraire passant au nord du Groënland (que Trump avait vainement proposé d’acheter en 2019). Ils sont finalement descendus au-dessus de la mer de Barents, à portée de tir du vaste complexe naval russe de Mourmansk, où se trouvent la plupart des sous-marins lance-missiles balistiques. Pour Hans Kristensen de FAS, c’était un autre message évident et "dirigé vers la Russie".

Sur le plan stratégique, Washington avait largement ignoré l’Arctique jusqu’à ce qu’une combinaison de facteurs – réchauffement climatique, accélération des forages pétroliers et gaziers dans la région et intensification des activités militaires russes et chinoises – suscitent un intérêt croissant.

Avec l’augmentation des températures mondiales, la calotte glaciaire arctique fond à un rythme de plus en plus rapide, ce qui permet aux entreprises liée à l’énergie d’exploiter les vastes ressources en hydrocarbures de la région. Cela a conduit les états côtiers de la région, menés par la Russie, à déployer des efforts fébriles pour revendiquer ces ressources et renforcer leurs capacités militaires.

À la lumière de ces développements, l’administration Trump, dirigée par le secrétaire d’État Mike Pompeo, a réclamé une expansion des forces militaires du pays dans l’Arctique. Dans un discours prononcé lors du Conseil de l’Arctique à Rovaniemi, en Finlande, en mai 2019, Pompeo a mis en garde contre la stratégie militaire croissante de la Russie dans la région et a promis une réponse américaine forte à ce sujet. "Sous la direction du président Trump", a-t-il déclaré. "Nous renforçons la sécurité et la présence diplomatique de l’Amérique dans la région."

Dans cette optique, le Pentagone a régulièrement déployé des navires de guerre américains dans l’Arctique, tout en y effectuant des exercices militaires de plus en plus élaborés. Parmi ceux-ci, on peut citer Cold Response 2020, mené ce printemps dans le grand nord norvégien à quelques centaines de kilomètres des bases russes de Mourmansk.

Navires de la flotte russe du Nord . (Mil.ru, CC BY 4.0, Wikimedia Commons)

Cependant, l’administration a surtout compté sur les incursions des bombardiers nucléaires pour démontrer son opposition à un rôle croissant de la Russie dans cette région. En novembre 2019, par exemple, trois B-52, accompagnés d’avions de chasse F-16 norvégiens, se sont approchés du complexe naval russe de Mourmansk, une manœuvre destinée à démontrer la capacité du Pentagone à lancer des missiles à têtes nucléaires sur l’une des installations militaires les plus sensibles de ce pays.

Si la majorité de ces incursions nucléaires ont eu lieu près de l’extrême nord de la Norvège, le Pentagone n’a pas non plus négligé le territoire extrême-oriental de la Russie, où se trouve sa flotte du Pacifique. Au cours d’une manœuvre inhabituellement audacieuse, un bombardier B-1B a survolé en mai dernier la mer d’Okhotsk, une mer de l’océan Pacifique bordée par le territoire russe sur trois côtés (la Sibérie au nord, l’île de Sakhaline à l’ouest et la péninsule du Kamtchatka à l’est).

Asie extrême-orientale (Norman Einstein, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

Comme pour ajouter l’insulte à la violence, l’Air Force a envoyé deux bombardiers B-52H au-dessus de la mer d’Okhotsk en juin – une autre première pour un avion de ce type. Il va sans dire que les incursions dans une zone militairement aussi sensible ont entraîné le décollage en urgence d’avions de chasse russes.

La mer de Chine méridionale et Taïwan

Un schéma similaire, tout aussi provocateur, peut être observé dans les mers de Chine orientale et méridionale. Alors même que Trump a cherché, en grande partie en vain, à négocier un accord commercial avec Pékin, son administration est devenue de plus en plus hostile à l’égard des dirigeants chinois.

Le 23 juillet, Pompeo a prononcé un discours particulièrement inamical depuis la bibliothèque présidentielle de Richard Nixon, ce même commandant en chef qui a été le premier à rouvrir les relations avec la Chine communiste. Pompeo a enjoint les alliés de l’Amérique à suspendre leurs relations normales avec Pékin et, à l’instar de Washington, à traiter la Chine comme une puissance hostile, comme cela avait été fait vis à vis de l’Union soviétique pendant la Guerre froide.

Tandis que la rhétorique de l’administration se développait, le ministère de la Défense renforçait sa capacité à affronter et vaincre Pékin dans un éventuel conflit futur. Dans sa Stratégie de défense nationale de 2018, alors que les "guerres sans fin " de l’armée américaine s’éternisaient, le Pentagone a soudainement désigné la Chine et la Russie comme étant deux des plus grandes menaces pour la sécurité américaine.

Plus récemment, c’est la Chine seule qui a été qualifiée de menace principale pour la sécurité nationale américaine. "En cette ère de compétition entre grandes puissances", a déclaré en septembre dernier le secrétaire à la Défense Mark Esper, "le ministère de la Défense a donné la priorité à la Chine, puis à la Russie, comme étant nos principaux adversaires stratégiques".

Les efforts du Pentagone se sont largement focalisés sur la mer de Chine méridionale, où la Chine a établi un réseau de petites installations militaires sur des îles artificielles nées du dragage du sable du fond de la mer près de certains des récifs et atolls qu’elle revendique. Les dirigeants américains n’ont jamais accepté la légitimité de ce projet de construction d’îles et ont demandé à plusieurs reprises à Pékin de démanteler les bases. Ces démarches sont cependant restées lettre morte et il est désormais évident que le Pentagone envisage des moyens militaires pour éliminer la menace que représentent ces îles.

Des marins préparent l’aire d’appontage de l’USS Ronald Reagan en mer des Philippines, le 4 septembre 2020. (U.S. Navy, Erica Bechard)

Début juillet, la marine américaine a effectué ses manœuvres les plus élaborées à ce jour dans ces eaux, y déployant deux porte-avions – les USS Nimitz et USS Ronald Reagan – ainsi qu’une flotte d’escorte composée de croiseurs, de destroyers et de sous-marins. Pendant leur mission, les deux porte-avions ont catapulté des centaines d’avions de combat lors d’attaques simulées sur les bases militaires des îles pour la plupart construites par les Chinois.

En même temps, des parachutistes de la 25e division d’infanterie de l’armée de Terre ont été acheminés par avion depuis leur base d’origine en Alaska jusqu’à l’île de Guam dans le Pacifique dans ce qui était clairement un assaut aérien simulé sur une installation militaire (probablement chinoise).

Et juste pour être sûr que les dirigeants de Pékin avaient bien compris que, dans tout affrontement réel avec les forces américaines, la résistance chinoise serait contrée avec le niveau de puissance maximum jugé nécessaire. Le Pentagone a également envoyé un bombardier B-52 survoler ces porte-avions au cours de leurs manœuvres à caractère provocateur.

Et ce n’était pas vraiment la première visite d’un bombardier nucléaire en mer de Chine méridionale. Le Pentagone y déploie en effet régulièrement de tels avions depuis le début de l’année 2020. En avril, par exemple, l’Air Force a envoyé deux B-1B Lancer faire un aller-retour de 32 heures depuis leur base aérienne d’Ellsworth, dans le Dakota du Nord, jusqu’à cette mer, pour démontrer sa capacité à déployer sa puissance, même en plein coeur de la pandémie que le Président Trump aime à appeler "la peste chinoise".

Entre temps, les tensions se sont accrues au sujet du statut de l’île de Taïwan, que la Chine considère comme une partie dissidente du pays. Pékin a exercé des pressions sur les dirigeants pour qu’ils renoncent à tout mouvement vers l’indépendance, tandis que l’administration Trump soutient tacitement un tel avenir en faisant ce qui était inimaginable auparavant – notamment en envoyant des fonctionnaires de haut niveau, dont le secrétaire d’état à la Santé et aux services sociaux Alex Azar, en visite sur l’île et en promettant des livraisons d’armes de plus en plus sophistiquées.

En attendant, le Pentagone a également renforcé sa présence militaire dans cette partie du Pacifique. La marine a envoyé à plusieurs reprises des destroyers armés de missiles en mission "liberté de navigation" dans le détroit de Taiwan, tandis que d’autres navires de guerre américains ont effectué des exercices militaires élaborés dans les eaux voisines.

Il va sans dire que ces provocations ont inquiété Pékin, qui a réagi en multipliant les incursions de ses avions militaires dans l’espace aérien revendiqué par Taïwan. Afin d’être sûr que Pékin apprécie pleinement l’intensité de la "détermination" américaine à résister à toute tentative de prise de Taïwan par la force, le Pentagone a accompagné ses autres mouvements militaires autour de l’île par – vous l’avez deviné – des vols de bombardiers B-52.

Jouer avec le feu

Et où tout cela va-t-il s’arrêter ? Alors que les États-Unis envoient des bombardiers à capacité nucléaire pour des vols d’une provocation grandissante, toujours plus près des territoires russe et chinois, le danger d’un accident ou d’une défaillance ne peut que croître. Tôt ou tard, un avion de chasse de l’un de ces pays va s’approcher trop près d’un bombardier américain et un accident mortel se produira.

Et que se passera-t-il si un bombardier nucléaire, armé de missiles et d’électronique de pointe (voire même d’armes nucléaires), est abattu d’une façon ou d’une autre ? On peut être sûr d’une chose : dans l’Amérique de Trump, les appels à des rétorsions catastrophiques seront vigoureux et une conflagration majeure ne peut être exclue.

Pour parler franchement, l’envoi de B-52 à capacité nucléaire dans des simulations de bombardement contre des installations militaires chinoises et russes est tout simplement de la folie.

Oui, cela doit flanquer une frousse terrible aux responsables chinois et russes, mais cela va aussi les inciter à se méfier de toute initiative future de paix venant des diplomates américains tout en consolidant leur propre puissance militaire et leurs défenses.

À terme, nous allons tous nous retrouver dans un monde de plus en plus dangereux et incertain, avec en point de mire le risque d’un Armageddon imminent.

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