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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-05

L’Australie a sabordé ses propres intérêts dans ses relations avec la Chine

Par Tony Kevin, traduit par Jocelyne le Boulicaut

vendredi 15 janvier 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’Australie a sabordé ses propres intérêts dans ses relations avec la Chine

8 décembre 2020 Par Tony Kevin Johnmenadue.com

Tony Kevin est ancien ambassadeur d’Australie en Pologne et au Cambodge, chercheur émérite de l’Université nationale australienne de Canberra il est aussi l’auteur de "Return to Moscow" (2017).

Un manifestant de Hong Kong jette un œuf sur le portrait du président Xi Jinping lors de la fête nationale chinoise, le 1er octobre 2019. (Studio Incendo, CC BY 2.0, Wikimedia Commons)

La destruction au cours des cinq dernières années des relations mutuellement profitables tant diplomatiques que commerciales entre l’Australie et la Chine a probablement été une opération réussie de guerre de l’information des "Five Eyes", écrit Tony Kevin. [Five Eyes désigne l’alliance des services de renseignement de l’Australie, du Canada, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis, NdT]

Le discours du président chinois Xi Jinping devant le Parlement fédéral le 17 novembre 2014 a marqué un tournant dans les relations bilatérales. Xi était en Australie pour le sommet du G-20 à Brisbane, accueilli par le Premier ministre Tony Abbott. Son message en était que la Chine était déterminée à promouvoir la paix mais prête à protéger ses intérêts.

Depuis lors, les relations se sont dégradées, d’abord lentement et de façon discontinue, mais au cours des deux dernières années, la dégradation a connu une accélération vertigineuse. Aujourd’hui, la situation semble irréversible. Pour les Chinois cultivés, l’Australie est désormais une référence occidentale en termes d’arrogance, d’hypocrisie et de trahison. La lune de miel s’est soldée par des chaises renversées, des cris et des accusations acerbes alors que les deux parties se séparaient furieuses.

Après la haute symbolique du discours de Xi, tout semblait aller bien. En 2015, le port de Darwin a été loué à une société chinoise pour une durée de 99 ans. Un nombre croissant d’étudiants et touristes chinois devenaient en Australie les piliers des secteurs florissants de l’enseignement supérieur, du tourisme et de l’immobilier en Australie. La Chine, en tant que marché d’exportation australien, a pris une importance croissante : l’année dernière, elle représentait près de 50 % des recettes d’exportation de produits de base australiens. En 2018, l’État de Victoria a signé un protocole d’accord avec la Chine pour intégrer l’initiative chinoise des Nouvelles routes de la soie.

Dès le début, des signes indiquaient que de puissantes forces étaient déterminées à paralyser la coopération sino-australienne : et il semble qu’elles aient maintenant gagné. La rupture actuelle est tragique pour les intérêts économiques et politiques australiens. Les moyens de subsistance de nombreux Australiens qui n’y sont pour rien sont mis à mal par la stupidité de notre propre gouvernement et de notre classe politique. Il est actuellement difficile de voir comment il pourrait être rapidement remédié aux atteintes portées aux relations entre l’Australie et la Chine.

Ingérence dissimulée

Diagramme du réseau de renseignement "Five Eyes" comptant les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. (@GDJ, Openclipart)

De manière controversée, je soutiens que l’Australie a, ces six dernières années, vécu une expérience classique d’ingérence cachée dans sa politique étrangère du fait de puissantes influences anglo-américaines, travaillant subtilement dans la vie publique de ce pays par l’intermédiaire de sympathisants locaux.

Les élites politiques australiennes – déjà culturellement prédisposées à faire confiance à leurs amis anglo-américains, et naïves quant à leur pouvoir et leur ruse – ont été amenées à adopter sur un large front des positions de plus en plus hostiles à la Chine.

Cet article permet seulement de donner une idée de l’ampleur et de la complexité de cette opération classique "Five Eyes" de guerre de l’information : il faudrait un livre pour l’exposer pleinement.

La célèbre attaque de Clive Hamilton contre la Chine, Silent Invasion, a été publiée début 2018. Quelques années auparavant, Hamilton s’était acharné contre la Chine en marge des milieux universitaires australiens, mais il était encore généralement considéré comme une exception gênante.

Invasion silencieuse

Le commentaire d’Andrew Podger du 21 mars 2018 dans The Conversation était représentatif de la contestation générale des australiens à l’encontre des opinions de Hamilton, alors considérées comme extrêmes :« Peut-être le livre de Hamilton est-il un rappel utile que nous ne devons pas être naïfs en ce qui concerne nos relations avec la Chine. Mais sa recommandation, basée sur le fait que la Chine est notre ennemie et qu’elle est déterminée à dominer le monde, est précisément la fausse piste à suivre pour aborder les questions de fond qu’il soulève. Nous devrions nous investir davantage, et non moins ».

Pendant ce temps, les opinions négatives sur le projet de la Chine, soutenues par des groupes de réflexion bien financés de Canberra comme l’Australian Strategic Policy Institute et le Lowy Institute, gagnaient discrètement en influence dans les domaines stratégiques de la gouvernance australienne. Le procureur général Christian Porter, le ministre de l’intérieur Peter Dutton, le député Andrew Hastie et le sénateur Eric Abetz se sont révélés être de virulents critiques de la Chine. Du côté des travaillistes, Penny Wong et Kimberley Kitching semblaient prêts à se joindre à la liste. D’autres sont restés muets, de crainte d’être catalogués "câlineurs de pandas".

En 2018, sous la pression des agences de sécurité australiennes, l’influente et bienveillante commission parlementaire mixte des affaires étrangères, de la défense et du commerce, a soutenu la loi sur l’ingérence étrangère de Malcolm Turnbull [ensemble de nouvelles lois visant à prévenir l’ingérence étrangère dans le pays, NdT], visant principalement la Chine. La loi a été adoptée en 2019.

TWEET Bean @somerstbean
Il semble que cette caricature soit "insultante" (Daily Mail). Pas sûr que cela le soit plus ou moins que la représentation des crimes de guerre australiens perpétrés (au nom des États-Unis) en Afghanistan.

Des universitaires et des journalistes chinois, et même un parlementaire de haut rang de Nouvelle-Galles du Sud, ont été harcelés et vilipendés en vertu de ses pouvoirs. Aujourd’hui, un autre projet de loi va renforcer le contrôle du Commonwealth sur les liens des États et des universités avec les gouvernements étrangers : là encore, la cible principale est la Chine, et tout premier ministre australien qui oserait se lier économiquement à celle-ci. Les premiers ministres travaillistes de l’État de Victoria et de l’Australie occidentale sont les cibles privilégiées.

Critique de Hong Kong

Sur le front de la politique étrangère, l’Australie, trompée par les violences de rue manifestement encouragées par les étrangers contre le gouvernement de Hong Kong, est devenue une des voix critique virulente contre la Chine quand aux questions de démocratie dans ce pays. L’Australie a condamné les prétendues violations des droits humains contre le groupe ethnique ouïgour dans la province du Xinjiang. Mais nous ne critiquons pas les violations des droits humains en Inde et en Palestine.

La marine australienne effectue de façon répétée des exercices de liberté de navigation dans la mer de Chine méridionale, pour protester contre la volonté de la Chine de renforcer son contrôle militaire sur les îles de cette région. Influencée par les États-Unis, l’Australie a soutenu devant la Cour internationale d’arbitrage,une affaire bidon contre la Chine concernant la mer de Chine méridionale, affaire âprement dénoncée et rejetée par la Chine dès le départ.

Faisant suite aux pressions américaines, depuis 2018, l’Australie interdit à Huawei de mener des opérations de télécommunications dans notre pays, engendrant un désaccord majeur. La philosophie de l’engagement économique exposée par Abbott et Xi en 2014 est depuis 2018 sous attaque frontale directe. En août 2020, l’achat chinois non stratégique d’une grande entreprise laitière australienne a fait l’objet d’un veto.

Le Premier ministre australien Scott Morrison sur la pelouse sud de la Maison Blanche, en compagnie du Président américain Donald Trump à Washington, D.C., le 20 septembre 2019. (Maison Blanche,Shealah Craighead)

Le message est désormais passé : l’Australie veut continuer à exporter avec profit des minéraux et des denrées alimentaires vers la Chine, mais elle veut aussi avoir le moins de rapport possible avec elle au niveau humain. Ici [en Australie, NdT], les étudiants chinois ont été accusés de faire le jeu du parti communiste chinois et des inquiétudes ont été exprimées quant à l’influence chinoise dans nos universités. Le chauvinisme et la sinophobie vont grandissant en Australie.

La Covid-19 a provoqué d’autres clivages majeurs en 2020. Le Premier ministre Scott Morrison a maladroitement très mal géré une demande australienne péremptoire adressée à l’OMS – qui aurait émané d’une requête que lui aurait adressée le président américain Donald Trump – afin que celle-ci mène une enquête internationale intrusive à Wuhan pour connaître les origines du "virus chinois". La Chine a considéré cet acte, en particulier, comme un acte de trahison flagrant venant d’un ami. Morrison ne s’en est jamais excusé.

Le ton des commentaires des grands médias australiens concernant la Chine a maintenant complètement changé, devenant hostile. Les commentateurs de l’establishment et les écrivains de premier plan rivalisent pour savoir qui peut assaisonner son journalisme de la langue anti-chinoise la plus vigoureuse. Il n’est plus du tout question de prétendre à l’objectivité pas plus que de reportage honnête au sujet des tensions : il s’agit désormais de journalisme de plaidoyer. Les opinions dissidentes sont découragées. Et alors que les médias sont de plus en plus dans la mouvance de la sinophobie, Morrison commence à essayer de prendre du recul.

Alors que Turnbull et lui-même sont ceux qui ont lancé les hostilités, ils appellent maintenant de façon peu convaincante à la modération. Non seulement la presse du groupe Murdoch mais aussi l’Australian Financial Review foisonnent de polémiques anti-chinoises.

L’ambassade de Chine à Canberra, Australie. (Nick-D, CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons)

La Chine est amèrement critiquée, accusée de vouloir chercher à dicter ses conditions au monde. Les médias occidentaux hors d’Australie prennent le relais. La campagne a pris des tons digne du maccarthysme, voire racistes : comment ces Chinois osent-ils prétendre s’opposer à nos "valeurs universelles" occidentales ?

Tout effort chinois pour repousser les attaques de plus en plus fréquentes est considéré comme le signe d’une nouvelle offensive chinoise. Les "quatorze griefs" diffusés par l’ambassade de Chine à Canberra – une tentative pour recenser les problèmes que rencontre la Chine avec la façon dont l’Australie la traite et devant être la base de toute discussion publique – ont été tournés en dérision. La Chine est injustement cataloguée comme étant la provocatrice et l’Australie la victime.

Il y a quelques semaines, la Chine aurait finalement décidé que l’Australie ne pouvait plus être considérée comme un partenaire de dialogue digne de confiance et acceptable. Elle aurait renoncé à l’Australie. Le rapport Brereton, avec ses rapports sur les meurtres des SAS en Afghanistan, était une occasion rêvée pour la diplomatie chinoise, qualifiée par l’Occident de "guerrière-louve". L’image d’un bébé assassiné par les SAS, illustrant le tweet d’un haut responsable du ministère chinois des affaires étrangères critiquant l’hypocrisie australienne, a été condamnée avec force par Morrison, qui a exigé des excuses de la part de la Chine. La Chine a refusé.

La commedia e finita. Les politiciens australiens se sont rangés derrière Morrison, tandis que nos négociants et nos cultivateurs nous regardent, horrifiés et impuissants. Comment ce qui était une bonne relation en 2015 a-t-elle pu dégénérer en cinq ans seulement ? Des cadres supérieurs de l’industrie et du commerce – comme Nev Power, le conseiller de Morrison pour la relance post Covid – ont plaidé le 2 décembre dernier pour une solution diplomatique afin d’apaiser les tensions entre Pékin et Canberra.

Mais ceux qui veulent voir l’Australie dissociée de la Chine de toutes les manières possibles restent silencieux, regardant avec satisfaction leur travail de sape occulte. L’Australie est de retour à l’abri derrière les fortifications des Five Eyes, et ceux qui espéraient que la rationalité économique triompherait des jeux d’exclusion géopolitique mondiale ont été vaincus.

La région Asie-Pacifique de toute importance pour l’Australie retient discrètement une autre leçon de cette triste histoire : ne vous comportez pas comme l’Australie l’a fait dans ses relations avec la Chine, telle est la leçon. Traitez la Chine avec la courtoisie et le respect diplomatiques normaux, comme il sied à des voisins amicaux. Même les pays de la région qui se sont affrontés militairement avec la Chine savent qu’il ne faut pas la provoquer inutilement, ce qu’a fait l’Australie.

Morrison voit probablement dans l’exacerbation des préjugés anti-chinois une diversion utile pour pallier ses multiples échecs de gouvernance nationaux : sur la Robodebt [Scandale du système automatisé de récupération de l’aide sociale supposée versée en trop, NdT], sur la préparation de la Covid-19, sur les feux de forêt et le changement climatique. En mettre une aux Chinois comme si cela n’avait aucune conséquences pour nous.

Mais les conséquences seront considérables. L’Australie sera inutilement appauvrie, plus isolée de notre zone et plus dépendante de la protection incertaine des amis lointains de Five Eyes. Sans un dialogue avec la Chine, notre indispensable coopération avec notre région sera entravée. L’avertissement amical de Lee Kuan Yew : « Prenez garde ou vous serez le pauvre petit blanc de l’Asie », revient maintenant nous hanter.

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