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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-18

L’avenir de la guerre dans l’Amérique de Biden

Par Danny Sjursen, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mardi 9 février 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

L’avenir de la guerre dans l’Amérique de Biden

21 janvier 2021 Par Danny Sjursen, Tom’s Dispatch

Danny Sjursen est officier de l’armée américaine, il est à la retraite et contribue à la rédaction de antiwar.com. Son travail a été publié dans le LA Times, The Nation, Huff Post, The Hill, Salon, Truthdig, Tom Dispatch, entre autres publications. Il a participé à des missions de combat avec des unités de reconnaissance en Irak et en Afghanistan et a ensuite enseigné l’histoire à son alma mater, West Point. Il est l’auteur d’un mémoire et d’une analyse critique de la guerre en Irak, Ghostriders of Baghdad : Soldats, civils, et le mythe de la surenchère. Son dernier livre s’intitule Patriotic Dissent : L’Amérique à l’ère de la guerre sans fin. Suivez le sur Twitter à l’adresse @SkepticalVet. Consultez son site web professionnel pour obtenir ses coordonnées, programmer des discours et/ou accéder à l’ensemble de ses écrits et de ses apparitions dans les médias.

2009 : Le vice-président Joe Biden, salue des marins américains postés à San Diego, qui se préparent à être déployés dans le Pacifique occidental et l’océan Indien. (U.S. Navy, Amanda L. Ray)

Danny Sjursen propose ici un panorama Bidenesque du militarisme américain

Aussi difficile qu’il soit de le croire en ces temps de nombre record de décès dus à une pandémie, d’insurrection et de mesures d’impeachment sans précédent, Joe Biden est maintenant officiellement à la tête de la machine de guerre américaine. Il est, en d’autres termes, le quatrième président à superviser les interminables et infructueuses campagnes militaires américaines de l’après-11 septembre.

En termes de combat actif des États-Unis, cela ne s’est produit qu’une seule fois auparavant, aux Philippines, deuxième plus longue (bien que souvent oubliée) campagne de combat outre-mer des États-Unis. Pourtant, ce conflit était circonscrit à un seul archipel du Pacifique.

Biden hérite d’une guerre mondiale - et d’une nouvelle guerre froide naissante - qui s’étend sur quatre continents ainsi que d’une armée embourbée dans des opérations actives dans des dizaines de pays, qui combat dans quelque 14 d’entre eux et qui en bombarde au moins sept.

Voilà près de vingt ans que ce cadre est devenu la norme pour les présidents américains. Pourtant, si les présidents de guerre post 11 septembre ont plus en commun que leurs divisions partisanes ne le laissent supposer, les disparités sont importantes, surtout à une époque où la Maison Blanche décide presque unilatéralement de la politique étrangère.

Le sergent John Hoxie assiste à la célébration de la semaine américaine de la 82e division aéroportée , le 18 mai 2009. Le Sgt Hoxie revenait à Fort Bragg pour la première fois depuis qu’il a été blessé lors d’un déploiement en Irak en 2007. (Armée américaine/Flickr)[Les parachutistes de la division participent à diverses épreuves telles que le concours de la meilleure équipe, un événement conçu pour évaluer l’aptitude au combat d’une équipe en induisant un stress physique et mental, NdT]

Alors, que peut-on espérer de Biden, Commandant en chef ? En d’autres termes, à quoi peuvent s’attendre d’une part les militaires américains qui consacrent leur vie et risquent leur intégrité physique en s’engageant pour des conflits futurs, mais aussi les spéculateurs du complexe militaro-industriel et les étrangers angoissés des pays encore empêtrés dans la guerre contre le terrorisme des États-Unis et qui risquent généralement de tout perdre ?

De nombreux Trumpistes, et certains libertariens, prévoient le désastre : que l’homme qui, en tant que sénateur de premier plan, a facilité et encouragé la désastreuse guerre d’Irak, va sûrement s’engager dans l’escalade de l’aventurisme américain à l’étranger.

Toutefois, les démocrates de l’establishment et la plupart des libéraux, qui sont éperdument (et à juste titre) soulagés de voir partir Donald Trump, trouvent cette prédiction absurde. Il est évident que Biden a dû tirer les leçons des erreurs du passé, changer de ton et devrait, en toute responsabilité, mettre fin aux guerres américaines, même si le moment en reste encore à déterminer.

Dans un sens, les deux prévisions peuvent s’avérer exactes - et d’un autre côté, les deux peuvent être fausses. À en croire ce vieil observateur de guerre (et ancien combattant) qui lit l’avenir dans les feuilles de thé : il faut s’attendre à ce que Biden évite à la fois de s’engager dans de nouvelles grandes guerres et de mettre définitivement un terme à celles qui sont déjà en cours.

Marginalement, (pensons à l’Iran), il pourrait améliorer quelque peu les choses ; dans quelques secteurs assez sensibles (les relations avec la Russie, par exemple), il pourrait les aggraver ; mais dans la majeure partie des cas (le reste du Grand Moyen-Orient, l’Afrique et la Chine), il va probablement carrément camper sur le spectre du statu quo. Et je vous le dis, cela n’a rien de rassurant.

Faire de telles suppositions n’exige guère de clairvoyance. Tout simplement parce que Biden est fondamentalement ce qu’il dit être et ce qu’il a toujours été, et que l’homme n’a tout simplement jamais été changeant. Il suffit de regarder son passé long et généralement interventionniste ou la nature de ses choix actuels en matière de sécurité nationale pour savoir que l’investissement sûr c’est de continuer dans la même voie.

Qu’il s’agisse de guerre, de race, de criminalité ou d’économie, Oncle Joe a fait carrière en se pliant aux vents politiques dominants et il est peu probable qu’on puisse apprendre de nouvelles grimaces à ce vieux singe. En outre, son équipe de politique étrangère est composée de rechapés Obama-Clinton, dont certains ont été les architectes - sinon des premières débâcles en Irak et en Afghanistan - tout au moins des désastres en Libye, en Syrie, en Afrique de l’Ouest, au Yémen et de la flambée de 2009 en Afghanistan. En d’autres termes, Biden met les ex-incendiaires à la tête des pompiers de la guerre illimitée.

Il y a d’autres raisons de craindre que dans un style Trumpien, "Si Obama était pour, je suis contre", il en vienne même à rejeter la politique de guerre contre le terrorisme de Trump, et annule ainsi les retraits de troupe très tardifs et très modestes de Donald en Afghanistan, en Irak et en Somalie.

Pourtant, même si ce nouveau président, vieux briscard, échappe à une escalade potentiellement existentielle avec la puissance nucléaire de la Russie ou de la Chine et ne propose qu’un reboot d’Obama lorsqu’il s’agit d’une guerre de faible intensité persistante, ce qu’il fait aura encore de l’importance - surtout pour les citoyens du monde qui trop souvent en sont les victimes.

Voici donc un bref survol région par région de ce que l’équipe de Joe peut réserver au monde et aux militaires américains envoyés pour faire la police du monde.

Le Moyen-Orient : de vieilles prescriptions pour des affaires anciennes

Il est de plus en plus évident que les guerres héritées par Washington dans le Grand Moyen-Orient - l’Irak et l’Afghanistan, en particulier - ne sont généralement plus sur les écrans radar du public. Et voilà qu’arrive un vieil homme élu, qui est chargé de gérer de vieilles affaires qui, du moins pour la plupart des civils, ne sont plus d’actualité.

Il y a de fortes chances pour que les anciennes astuces de Biden se résument à des paris sûrs dans une région que les politiques américaines passées ont pratiquement détruite. Il est fort probable que Joe prendra une voie médiane dans la région, quelque chose qui se situera entre une intervention militaire à grande échelle du type de celle de Bush ou d’Obama et un retrait plus prudent à grande échelle.

Le résultat en sera que ces guerres vont probablement s’éterniser, restant juste en dessous du seuil de sensibilisation de l’opinion publique américaine, tout en évitant que le Pentagone ou des partisans ne l’accusent de mettre en danger la sécurité des États-Unis par cette façon de tourner le dos et de se retirer. La perspective de la "victoire" ne rentrera même pas en ligne de compte dans l’équation (après tout, les membres de l’équipe de Biden ne sont pas stupides), mais sa survie politique le fera certainement. Voici à quoi pourrait ressembler un futur avec Biden dans quelques théâtres secondaires de ce type.

Des pilotes d’hélicoptères de l’armée américaine en vol près de Jalalabad, en Afghanistan, le 5 avril 2017. (U.S. Army, Brian Harris, Wikimedia Commons)

« Les guerres vont probablement s’éterniser, restant juste en dessous du seuil de sensibilisation de l’opinion publique américaine ».

La guerre en Afghanistan est sans issue et a depuis longtemps échoué selon toutes les mesures quantifiables de l’armée américaine, à tel point que le Pentagone et le gouvernement de Kaboul les ont toutes classées comme informations secrètes il y a plusieurs années.

Traiter avec les talibans et sortir rapidement d’une guerre dévastatrice susceptible de conduire à un avenir désastreux qui verra Washington s’en aller la queue entre les jambes est, en fait, la seule option qui reste. La question est de savoir quand et combien d’autres Américains vont tuer ou être tués dans ce "cimetière de l’empire" avant que les États-Unis n’acceptent l’inévitable.

Vers la fin de son mandat, Trump a montré une intention sérieuse, quoique cynique, de le faire. Et puisque Trump était par définition un monstre et que, même à l’occasion, les monstres de l’autre équipe ne pouvaient avoir raison, une coalition de démocrates et de républicains de style Projet Lincoln (et de fonctionnaires du Pentagone) a décidé que la guerre devait en fait continuer [The Lincoln Project est un comité d’action politique américain formé fin 2019, par plusieurs personnalités du Parti républicain. Son objectif déclaré est d’empêcher la réélection de Donald Trump lors de l’élection présidentielle de 2020, NdT]. Cette situation a atteint son apogée en juillet dernier lorsque le Congrès a officiellement bloqué les fonds nécessaires pour y mettre fin.

En tant que vice-président, dans son scepticisme vis-à-vis de la guerre en Afghanistan, Biden était meilleur que la plupart des gens, mais ses nouveaux conseillers ne l’étaient pas, et Joe est tout simplement malléable politiquement. De plus, puisque Trump n’a pas retiré suffisamment de troupes assez rapidement ni rendu le retrait irréversible en raison des objections du Pentagone, attendez-vous ici à une échappatoire de marque déposée Biden.

La Syrie a toujours été un gâchis, et les justifications de la présence militaire américaine dans ce pays évoluent en permanence, allant de la pression exercée sur le régime de Bachar al-Assad à la lutte contre l’État islamique, en passant par le soutien aux Kurdes, l’équilibre entre l’Iran et la Russie dans la région et (dans le cas de Trump) la préservation des maigres réserves de pétrole de ce pays. Comme pour beaucoup d’autres choses, il existe une possibilité préoccupante pour que, dans les années Biden, une fois encore, le facteur personnel devienne le destin.

De nombreux conseillers du nouveau président étaient enthousiastes à l’idée d’une intervention en Syrie pendant les années Obama, voulant même aller plus loin et renverser Assad. De surcroît, lorsqu’il s’agit de convaincre Biden d’accepter de rester en Syrie, il existe un dangereux cocktail de bonnes raisons pour le faire : la sympathie émotionnelle envers les Kurdes de Joe, connu pour suivre son instinct ; sa propension à faire revivre le climat de peur lié à l’État islamique (ISIS) ; et la perspective d’une compétition de "qui est le plus fort" avec la Russie.

En ce qui concerne l’Iran, on peut s’attendre à ce que Biden soit meilleur que l’ Irano-phobique administration Trump , mais qu’il reste cependant coincé, sans s’écarter des sentiers battus. Tout d’abord, malgré le désir exprimé depuis longtemps par Joe de renouer avec l’accord nucléaire avec l’Iran de l’ère Obama dont Trump s’est retiré de manière si désastreuse, le faire pourrait s’avérer plus difficile qu’il ne le pense.

Après tout, pourquoi Téhéran devrait-il faire confiance à ce cas désespéré qu’est un partenaire de négociation sujet à d’importants revirements politiques partisans, surtout si l’on considère la façon dont Washington a mené près de 70 ans d’interventions visant les hommes politiques et le peuple iraniens ?

De plus, Trump a légué à Biden le cheval de Troie des tenants de la ligne dure vis à vis de Téhéran, renforcés par la politique pugnace de Donald. Si le nouveau président souhaite réellement saper l’intransigeance iranienne et fortifier les modérés, il devrait faire preuve d’ambition et engager de vraies transformations - en d’autres termes, revoir l’accord nucléaire d’Obama source de tension en le relançant avec la carotte d’une normalisation diplomatique et économique à part entière. Malheureusement, Joe, tenant du statu quo, n’a jamais été du genre réformateur.

Gardez un œil sur l’Afrique

Bien qu’elle intéresse nettement moins le public que le terrain de jeu longtemps privilégié de l’armée américaine au Moyen-Orient, l’Afrique occupe une place importante dans l’esprit des gens du Pentagone, du Capitole et dans les groupes de réflexion influents de Washington.

Pour les faucons interventionnistes, y compris les libéraux, ce continent est tout à la fois une boîte de pétri et un terrain d’essai pour le développement du modèle de démonstration de puissance limitée des drones, des forces d’opérations spéciales, des conseillers militaires, des mandataires locaux et des missions de renseignement clandestines.

Peu importe si pendant les huit années de l’administration Obama - depuis la Libye jusqu’au Sahel de l’Afrique occidentale et à la Corne de l’Afrique orientale - la guerre contre le terrorisme s’est avérée, au mieux, problématique, et elle a été pire pendant les années Trump.

Il demeure une perspective préoccupante, celle que le clan Biden puisse se montrer une fois de plus réceptif à l’alarmisme du Commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) face à la renaissance de l’état islamique et à l’expansion d’autres groupes liés à Al-Qaïda dans ce pays, encouragés par des absurdités génératrices de peur qui se dissimulent sous la forme de bourses d’études sophistiquées du Centre de lutte contre le terrorisme de West Point, et par les promesses permanentes du Pentagone de trouver des débouchés à faible investissement, à faible risque et à forte rémunération sur le continent.

Ainsi, un parieur avisé pourrait placer ses jetons, misant sur une escalade de Biden dans le Sahel d’Afrique de l’Ouest et la Corne de l’Afrique de l’Est, même si pour des raisons différentes.

Soldats djiboutiens, 31 octobre 2019. (U.S. Air Force, J.D. Strong II)

Les forces spéciales et les conseillers militaires américains font des allées et venues dans les régions frontalières reculées entre le Mali et le Niger depuis au moins 2004 et ces jours-ci il semble qu’ils doivent y rester. Les Français ont conquis et maté certaines zones du Sahel à partir de 1892 et, bien qu’ils aient accordé une indépendance théorique à ces pays en 1960, ils étaient de retour en 2013 et y sont restés coincés dans leurs propres guerres interminables depuis lors.

La guerre américaine contre le terrorisme (pour terroriser) et la néo-colonisation française n’ont fait qu’enflammer les mouvements de résistance régionaux, renforcer la violence et conférer une résonance islamiste aux griefs locaux. Récemment, le rôle de premier plan de la France dans la région a véritablement commencé à se déliter - cinq de ses soldats ont été tués dans les premiers jours de 2021 et on prétend qu’elle aurait bombardé une autre fête de mariage. Déjà un vieux cliché en matière de guerre contre le terrorisme).

Ne soyez pas surpris si le président français Emmanuel Macron demande de l’aide et si Biden accepte de payer la caution pour l’en sortir. En dépit de leur différence d’âge évidente, Joe et Emmanuel pourraient être les plus récents et meilleurs potes.(Quelques centaines de militaires de plus entre amis, c’est pas grand chose). D’autant plus qu’on pourrait affirmer que la secrétaire d’État de l’époque d’Obama, Hillary Clinton, et son garçon de courses favori de l’époque, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ont créé la coalition actuelle des djihadistes au Mali et au Niger.

En effet, lorsque tous deux ont soutenu une intervention musclée de changement de régime contre l’autocrate libyen Mouammar Kadhafi en 2011, des milliers de ses combattants touaregs sont revenus dans la région avec bien plus que simplement des vêtements sur le dos. Ils ont afflué de la Libye post-Kadhafi vers leurs pays d’origine au Sahel, riches d’armes et de colère. Ce n’est pas un hasard, en d’autres termes, si le dernier cycle d’insurrection au Mali a débuté en 2012. Aujourd’hui, Sullivan pourrait pousser le nouveau patron, Biden, à tenter de nettoyer son ancien bazar.

De l’autre côté du continent, en Somalie, où Trump a entamé un retrait de la dernière heure d’une présence militaire américaine qui a longtemps échoué et qui est toujours sans objectif (en envoyant la plupart de ces soldats dans les pays voisins), il y a un risque réel que Biden double la présence dans la région, en y ajoutant des soldats, des opérateurs spéciaux et des drones.

Après tout, si Trump était contre, même après l’augmentation exponentielle des bombardements dans la région, alors tout bon démocrate devrait être pour, d’autant plus que le Pentagone, depuis un certain temps déjà, claironne à tout va que l’organisation islamiste al-Shabaab de Somalie est la plus grande menace pour la patrie.

Cependant, le réel argument de vente de Biden pourrait être le fantasme que la Russie et la Chine déferlent sur la région. Depuis que la stratégie de défense nationale de 2018 a fait passer de manière décisive l’attention du Pentagone des guerres antiterroristes à une " compétition des grandes puissances ", ou GPC (Great power competition), l’AFRICOM a modifié de manière opportuniste son propre plan de campagne pour s’aligner sur la nouvelle menace du moment, ciblant l’influence russe et chinoise dans la région de la Corne.

En conséquence, le boniment pour le retour d’AFRICOM dans la Corne pourrait s’avérer être une aubaine que Biden pourrait vendre sans trop de difficultés.

Jake Sullivan, deuxième à partir de la gauche, en tant que chef de cabinet adjoint de la secrétaire d’État, avec sa patronne Hillary Clinton et le président Barack Obama, le 20 novembre 2012. (Maison Blanche, Pete Souza)

Ours russes et Dragons (de mer) chinois

Cette nouvelle obsession de la sécurité nationale concernant la GPC étant susceptible d’être une politique de l’ère Trump qui reste fermement en place, aussi malavisée soit-elle, le plus grand risque que Biden puisse courir est peut-être la possibilité d’alimenter une "nouvelle" version de la guerre froide, celle du XXIe siècle, à deux théâtres (avec l’éventualité qu’à tout moment, elle se transforme en une véritable guerre).

Après avoir tout fait à l’égard de la Russie dans les années Trump, les démocrates en place pourraient bien se sentir obligés d’aller jusqu’au bout et d’intensifier les tensions avec Moscou qui ont déjà été amenées par Trump lui-même à la limite (de la catastrophe nucléaire). Ici aussi, le facteur personnel peut s’avérer être un facteur déterminant en politique

Le candidat de Biden au poste de secrétaire d’État, Anthony Blinken, est un faucon en titre à l’égard de la Russie et a été l’un des premiers adeptes du "armons l’Ukraine". Sur le sujet Jake Sullivan a déjà tendance à en faire des tonnes, faisant des montagnes de simples taupinières, comme lorsqu’il a décrit un incident mineur d’agressivité sur la route comme constituant « une force russe en Syrie attaquant violemment des forces américaines et blessant en fait des membres des services américains ».

Et puis il y a le signal troublant de Victoria Nuland, la récente candidate au poste de sous-secrétaire d’État aux affaires politiques, un choix qui devrait lui-même être considéré comme une provocation de type "agressivité au volant". Nuland a un passé d’antagonisme faucon envers Moscou et on la sait méprisée par le président russe Vladimir Poutine. Sa confirmation servira certainement d’accélérateur de conflit.

Toutefois, il est possible que dans la course de la bande de Biden, la Chine soit le principal adversaire qui risque un cataclysme insensé. Tout au long de la campagne électorale, le nouveau président a semblé vouloir dépasser le bellicisme de Trump dans le Pacifique occidental, en écrivant ouvertement dans un article de mars 2020 qu’il a publié dans Foreign Affairs qu’il allait "durcir le ton" avec la Chine. Joe avait également traité le président chinois Xi Jinping de "voyou". Et si Michèle Flournoy n’a peut-être pas été nommée secrétaire à la défense (heureusement), sa position agressive envers Pékin continue d’inspirer ses collègues de l’équipe de Biden issus de l’administration Obama .

Le président chinois Xi Jinping, à gauche, avec le président russe Vladimir Poutine lors de la visite d’État à Moscou de Xi Jinping. (Kremlin)

Comme l’a fait remarquer, en septembre dernier, Andrew Bacevich, un habitué de TomDispatch, un article de Flournoy Foreign Affairs a mis en lumière le genre d’absurdité qu’elle (et probablement plusieurs personnes nommées par Biden) juge nécessaire pour dissuader efficacement la Chine.

Elle a appelé à « renforcer les capacités militaires américaines afin que, de façon crédible, les États-Unis puissent menacer de couler tous les navires militaires, sous-marins et navires marchands de la Chine dans la mer de Chine méridionale dans les 72 heures ». Considérons que la stratégie du Dr Folamour a ici été repensée à la lumière de l’arrivée d’une présidence impériale policée.

Fin de la partie : La guerre comme abstraction

Historiquement, les changements de paradigme en matière de politique étrangère sont extrêmement rares, surtout lorsqu’ils sont orientés vers la paix. De tels revirements semblent presque impossibles une fois que l’immense puissance du complexe militaro-industriel américain, investi à tous égards dans des guerres sans fin, ainsi que dans des préparatifs illimités pour les futures guerres froides, a atteint le niveau grotesque d’aujourd’hui.

C’est d’autant plus vrai lorsque chacun des archétypes de candidats à la sécurité nationale de Biden a, métaphoriquement parlant, fait payer son hypothèque par une branche de cette industrie de guerre. En d’autres termes, comme le disait le romancier Upton Sinclair : « Il est difficile de faire comprendre quelque chose à un homme quand son salaire dépend du fait qu’il ne le comprenne pas ! ».

Il faut compter sur des stratégies telles que des drones, des commandos, des espions de la CIA et des médias plutôt accommodants pour aider l’administration Biden à rendre la guerre encore plus invisible - du moins aux yeux des américains. La plupart des citoyens qui détestent Trump et qui se concentrent sur leur propre pays trouveront que c’est tout simplement génial, même si les soldats épuisés, les familles de militaires et les étrangers bombardés ou sous blocus seront d’un autre avis.

Plus que tout, Biden souhaite éviter les situations embarrassantes à l’étranger, telles que les pertes américaines imprévues ou le nombre scandaleux de décès de civils étrangers, c’est-à-dire tout ce qui pourrait faire dérailler son programme national ou vaciller la valeur réparatrice de l’héritage de son tant espéré leadership.

C’est quelque chose qui, malheureusement peut se révéler être une chimère. Ce qui m’amène à deux dernières conclusions prédictives : la guerre sans fin, selon l’expression convenue, ne cessera de nous revenir en boomerang pour pourrir nos institutions républicaines, et pas plus un dieu céleste, que l’Histoire laïque ne jugeront avec indulgence Biden-président-de-guerre.

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