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Traduction d’AID pour Les-crises.fr n° 2021-43

Le plan de relance de Biden : une solution aux inégalités ?

Par Chris Hedges, traduit par Jocelyne le Boulicaut

mercredi 21 avril 2021, par JMT

AID soutient financièrement le très intéressant site "Les-crises.fr" depuis plusieurs années. Nous avons fait un pas de plus en participant aux traductions des textes anglais quand le site fait appel à la solidarité de ses adhérents. Nous avons donc mandaté une de nos adhérentes, Jocelyne LE BOULICAUT enseignante universitaire d’anglais retraitée pour y participer en notre nom et nous indemnisons son temps passé avec notre monnaie interne

Le plan de relance de Biden : une solution aux inégalités ?

Le 12 mars 2021 Par Chris Hedges, ScheerPost.com

Chris Hedges est journaliste, lauréat du prix Pulitzer, il a été correspondant à l’étranger pendant 15 ans pour le New York Times, où il a occupé les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l’étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et National Public Radio. Il est également le présentateur de l’émission "On Contact" de Russia Today America, nommée pour les Emmy Awards.

Le président Joe Biden pendant l’investiture présidentielle, le 20 janvier. (Maison-Blanche, Ana Isabel Martinez Chamorro)

Chris Hedges : poser un cautère sur une jambe de bois.Le plan de relance de Biden ne modifiera pas plus les inégalités structurelles que les autres fondements de la spirale de mort de l’Amérique.

Les élites dirigeantes établies savent qu’il y a une crise. Elles ont accepté, au moins temporairement, d’y jeter de l’argent avec le projet de loi Covid-19 de 1 900 milliards de dollars connu sous le nom d’American Rescue Plan (ARP) [Plan de relance, NdT]. Mais l’ARP ne modifiera en rien les inégalités structurelles, que ce soit en portant le salaire minimum à 15 dollars de l’heure ou en imposant des taxes et des réglementations aux entreprises ou à une classe des milliardaires qui a vu sa richesse augmenter de 1 100 milliards de dollars depuis le début de la pandémie.

Le système de santé restera privatisé, ce qui veut dire que les compagnies d’assurance et les sociétés pharmaceutiques vont récolter une manne de dizaines de milliards de dollars grâce à l’ARP, et ce alors qu’elles réalisent déjà des bénéfices records. Les guerres interminables du Moyen-Orient, et le budget militaire pléthorique qui les finance, resteront sacro-saintes. Wall Street et les prédateurs spéculatifs mondiaux qui profitent des niveaux massifs des créances imposées à une classe ouvrière sous-payée et pillent le Trésor américain dans ce capitalisme de casino continueront à faire affluer l’argent dans les mains d’une infime clique oligarque.

Il n’y aura pas de réforme du financement des campagnes pour mettre fin à notre système de corruption légalisée. Les monopoles géants des nouvelles technologies resteront intacts. Les entreprises de combustibles fossiles continueront de détruire les écosystèmes. La police militarisée, la censure imposée par les plate formes de médias numériques, le gigantesque système carcéral, les lois de plus en plus dures visant à endiguer le terrorisme intérieur et la dissidence ainsi que la surveillance gouvernementale à grande échelle resteront les principaux instruments de contrôle de l’État, tout comme avant.

Squelette d’oiseau (Illustration originale par M. Fish)

Cette loi offrira, au mieux, un répit momentané dans la spirale de mort du pays, en envoyant des chèques exceptionnels de 1 400 dollars à 280 millions d’Américains, en prolongeant les allocations de chômage hebdomadaires de 300 dollars jusqu’à la fin du mois d’août et en distribuant 3 600 dollars par le biais d’un crédit d’impôt pour les enfants de moins de 6 ans et 3 000 dollars par enfant de 6 à 17 ans à partir du 1er juillet.

Une grande partie de cet argent sera instantanément engloutie par les propriétaires, les prêteurs, les prestataires de soins médicaux et les sociétés de cartes de crédit. La loi a cependant le mérite de renflouer environ un million de travailleurs syndiqués qui risquent de perdre leur retraite et d’accorder une aide de 31,2 milliards de dollars aux communautés autochtones, qui comptent parmi les plus pauvres du pays.

Mais que se passe-t-il pour la majorité des Américains qui ne bénéficient de l’aide du gouvernement que pendant quelques mois ? Que sont-ils supposés faire lorsque les chèques cesseront d’arriver à la fin de l’année ? Le gouvernement fédéral va-t-il orchestrer un autre plan d’aide massif ? J’en doute. Nous serons de retour à la case départ.

En refusant de s’attaquer aux causes profondes de la pourriture de l’Amérique, en ne parvenant pas à redonner vie aux institutions démocratiques qui permettaient autrefois aux citoyens de faire entendre leur voix, aussi modeste soit-elle, et rendaient possible une réforme progressive et fragmentaire, en ne s’attaquant pas aux graves inégalités sociales et économiques et à la fracture qui affectent au moins la moitié du pays, l’anomie et la rupture des liens sociaux qui ont permis l’émergence d’un démagogue comme Donald Trump vont s’étendre. La décomposition de l’empire américain ne s’arrêtera pas là. Les anomalies politiques vont se métastaser.

Lorsque le prochain démagogue apparaîtra, et le parti républicain a misé son avenir sur Trump ou son double, il ou elle sera probablement compétent.e. Dans 43 États, le parti républicain a proposé 250 lois visant à limiter le vote par correspondance, le vote anticipé en personne et le jour de l’élection à imposer des exigences plus strictes en matière de pièces d’identité, ainsi qu’à réduire les heures d’ouverture des bureaux de vote et leur nombre, ce qui pourrait priver des dizaines de millions d’électeurs de leur droit de vote. Le parti n’a aucune intention de respecter les règles du jeu. Une fois revenu au pouvoir, revêtu de l’habit idéologique du fascisme chrétien, Trump, le nouveau ou l’ancien, abolira le peu qui reste de l’espace démocratique.

Les élites établies prétendent que Trump était une exception monstrueuse. Elles croient naïvement qu’elles peuvent faire disparaître Trump et ses partisans les plus véhéments en les bannissant des médias sociaux. Selon leurs affirmations, l’ancien régime reviendra avec le décorum de sa présidence impériale, le respect des normes procédurales, des élections minutieusement chorégraphiées et la fidélité aux politiques néolibérales et impériales.

L’ère Trump se poursuit

Mais ce que les élites dirigeantes établies n’ont pas encore compris, malgré la victoire électorale serrée de Joe Biden sur Trump et la prise d’assaut de la capitale le 6 janvier par une populace enragée, c’est que toute crédibilité dans l’ordre ancien est morte. L’avenir, c’est l’ère Trump, à défaut d’être Trump lui-même. Les élites dirigeantes, représentées par Biden et le parti démocrate ainsi que par l’aile policée du parti républicain incarnée par Jeb Bush et Mitt Romney, se dirigent vers les poubelles de l’histoire.

Les élites ont collectivement vendu le public américain au pouvoir des entreprises. Elles l’ont fait en mentant au public sur les conséquences de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), des accords commerciaux, du démantèlement de l’aide sociale, de la révocation du Glass-Steagall [Le Glass-Steagall Act est le nom sous lequel est généralement connu le Banking Act de 1933 aux États-Unis par lequel sont instaurés : l’incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement ; le système fédéral d’assurance des dépôts bancaires, NdT], de la mise en place de mesures d’austérité, de la déréglementation de Wall Street, de l’adoption de projets de loi draconiens sur la criminalité, du lancement de guerres qui n’en finissent pas au Moyen-Orient et du renflouement des grandes banques et des sociétés financières plutôt que des victimes de leur fraude.

Ces mensonges ont été bien, bien plus dommageables pour le public que n’importe lequel des mensonges racontés par Trump. Ces élites ont été démasquées. Elles sont détestées. Elles méritent d’être détestées.

Le radeau de la Méduse par Théodore Géricault, 1818-1819, le Louvre. La scène peinte se situe à un moment où « on peut estimer que la destruction du radeau est achevée ». (Wikimedia Commons)

L’administration Biden – et Biden était l’un des principaux architectes des politiques qui ont escroqué la classe ouvrière et fait la guerre aux pauvres – n’est rien de plus qu’un bref intermède dans le déclin et la chute, sur fond de montée en puissance économique et militaire de la Chine.

La perte de crédibilité a laissé les médias, qui se comportent en courtisans des élites, quasiment impuissants à influencer les perceptions et l’opinion publiques. Ils ont plutôt divisé le public en groupes démographiques concurrents. Les plates-formes médiatiques ciblent un groupe démographique et lui renvoient ses propres opinions et ses tendances, tout en diabolisant de manière véhémente le groupe démographique situé de l’autre côté du fossé politique.

Cette approche s’est avérée fructueuse sur le plan commercial. Mais cela a également divisé le pays en factions irréconciliables qui sont maintenant incapables de communiquer. La vérité et les faits tangibles ont été sacrifiés. Le Russiagate est tout aussi absurde que la certitude que Trump s’est fait voler son élection présidentielle. Choisissez simplement votre fantasme.

Transfert d’influence politique

Au sein des élites dirigeantes, la perte de crédibilité a entraîné le transfert de l’influence politique vers ceux qui se trouvent en dehors des centres de pouvoir établis, comme Alex Jones, les célébrités et ceux qui, comme Joe Rogan, Glenn Greenwald et Matt Taibbi, n’ont jamais été formatés par les conglomérats médiatiques.

Le parti démocrate, dans un effort pour limiter l’influence des nouveaux centres de pouvoir, s’est allié aux géants de l’industrie des médias sociaux tels que Twitter, YouTube, Facebook, Patreon, Substack et Spotify pour en réduire ou censurer les critiques.

L’objectif est de ramener le public vers les organes d’information alliés du parti démocrate, tels que le New York Times, le Washington Post et CNN. Mais ces médias, qui, au service des annonceurs, ont invisibilisé la vie de la classe ouvrière et des pauvres, sont aussi méprisés que les élites dirigeantes elles-mêmes.

La perte de crédibilité a également donné naissance à de nouveaux groupes, souvent spontanés, ainsi qu’à une frange cinglée qui embrasse les théories du complot, comme QAnon. Aucun de ces groupes ou individus, qu’ils soient de gauche ou de droite, ne présente cependant la structure organisationnelle, la consistance et la cohésion idéologique des mouvements radicaux du passé, notamment l’ancien Parti communiste ou les syndicats militants.

Indignation émotionnelle

Bâtiment en feu à Minneapolis le 29 mai 2020, lors des manifestations en soutien à George Floyd. (Hungryogrephotos, CC0, Wikimedia Commons)

Ils se livrent à un trafic d’indignation émotionnelle, remplaçant souvent une indignation par une autre. Ils fournissent de nouvelles formes d’identité pour remplacer les identités perdues par des dizaines de millions d’Américains qui ont été exclus et marginalisés.

Cette énergie pourrait être exploitée au profit de causes honorables, comme la fin des abus policiers, mais elle est trop souvent éphémère. Elle a tendance, dans le meilleur des cas, à convertir le débat politique en manifestations de revendications, mais plus souvent en spectacle télévisé.

Ces flash mobs [rassemblement d’un groupe de personnes dans un lieu public pour y effectuer des actions convenues d’avance, avant de se disperser rapidement, NdT] ne représentent aucune menace pour les élites, à moins qu’elles ne mettent en place des structures organisationnelles disciplinées, ce qui prend des années, et qu’elles n’articulent une vision de ce qui pourrait se produire à terme. (C’est la raison pour laquelle je soutiens Extinction Rebellion, qui dispose d’un vaste réseau de militants de base, en particulier en Europe, mène des actions efficaces et répétées de désobéissance civile et a pour objectif clairement énoncé le renversement des élites au pouvoir afin de construire un nouveau système de gouvernement par le biais de comités populaires et de tirage au sort des représentants politiques).

Cette anti-politique amorphe, guidée par l’émotion, est un terrain fertile pour les démagogues, qui n’ont aucune cohérence politique mais répondent exclusivement à l’esprit du moment. Beaucoup de ceux qui soutiennent les démagogues aujourd’hui savent, jusqu’à un certain point, que ce sont des escrocs et des menteurs.

Mais les démagogues sont adulés parce que, comme tous les gourous, ils bafouent les conventions, sont outranciers et vulgaires, prétendent à l’omnipotence et méprisent la bienséance traditionnelle. Les démagogues sont armés contre les élites riches en faillite qui ont dépouillé le public de ses opportunités et de ses identités, éteignant les espoirs pour l’avenir. Une population acculée n’a plus que la haine et la catharsis émotionnelle qu’elle procure.

Le moteur de notre dystopie émergente est l’inégalité des revenus, qui ne cesse de croître. Ce projet de loi ne fait rien pour lutter contre ce cancer. En 2019, les 50 % des ménages les plus pauvres ne représentaient que 1 % de la richesse totale de la nation. Les 10 % les plus riches en détenaient 76 %. Et c’était avant que la pandémie n’accélère la disparité des revenus.

Plus de 18 millions d’Américains dépendent des allocations chômage, alors que les entreprises sont en contraction et ferment. Près de 81 millions d’Américains ont du mal à faire face aux dépenses de base de leur ménage, 22 millions n’ont pas assez de nourriture et 11 millions disent qu’ils ne pourront pas assurer le prochain paiement de leur maison.

Seules de profondes réformes structurelles accompagnées d’une législation de type New Deal peuvent nous sauver, mais de tels changements sont un anathème pour l’État corporatif et l’administration Biden. L’histoire a amplement démontré ce qu’il se passe lorsque des disparités de revenus d’une telle ampleur affligent un pays. Nous ne ferons pas exception.

En l’absence d’une gauche forte, les États-Unis par désespoir embrasseront l’autoritarisme, voire le proto-fascisme. Ce sera, je le crains, le véritable héritage de Biden et du parti démocrate.

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